Notre ordre du jour appelle la communication de Fabienne Keller et Claude Raynal sur l'Union bancaire.
Cette union bancaire est indispensable. Elle permet d'assurer une meilleure supervision des banques, c'est son premier pilier. Elle prévoit ensuite - c'est le second pilier - un mécanisme de résolution unique, qui doit prévenir la mise à la charge des contribuables des défaillances bancaires. Ces deux premiers piliers pourraient être complétés par un troisième pilier, qui prendrait la forme d'un système européen de garantie des dépôts.
Ces questions sont essentielles. C'est pourquoi nous les avons suivies de près, notamment grâce aux rapports de Richard Yung. Je remercie nos deux rapporteurs d'avoir repris ce dossier et de suivre ces sujets d'une certaine complexité avec beaucoup d'intérêt.
La crise financière de 2008 a frappé l'Union européenne, et particulièrement la zone euro, dans une situation de profonde impréparation institutionnelle. Aucun cadre intégré de supervision et aucun instrument financier commun n'avaient été mis en place. Une crise bancaire pouvait conduire à une crise budgétaire et, inversement, la dégradation financière d'un État pouvait compromettre son secteur bancaire. La confiance accordée aux banques de la zone euro dépendait de l'État membre en charge du soutien financier en cas de difficulté. Entre 2008 et 2016, la conversion de dettes privées en dettes publiques a été considérable : la Commission européenne a approuvé plus de 5 000 milliards d'euros d'aides d'État au secteur financier européen, soit environ 35 % du PIB européen de 2016, dont 1 900 milliards d'euros ont été effectivement déboursés.
Il était donc urgent, ainsi que l'ont reconnu les chefs d'État et de gouvernement lors du sommet de la zone euro de juin 2012, de « briser le cercle vicieux qui existe entre les banques et les États » afin que « lorsqu'un mécanisme de surveillance unique aura été créé pour les banques de la zone euro », le Mécanisme européen de stabilité (MES) puisse « avoir la possibilité de recapitaliser directement les banques ». Ils dressaient ainsi clairement la feuille de route de ce que devait être l'Union bancaire. Où en est-on aujourd'hui ?
La condition préalable à la possibilité de recapitalisation directe des banques a été levée par la mise en place du mécanisme de surveillance unique (MSU). Sous la pression de la crise financière, ce premier pilier de l'Union bancaire a fait l'objet d'un accord politique dans un temps très court à l'échelle européenne et d'une montée en puissance très rapide. La mise en place de ce dispositif, opérationnel depuis 2014, a pourtant nécessité un important transfert de compétences au profit de la Banque centrale européenne (BCE). Le nouveau superviseur supranational assure désormais la surveillance directe des 111 banques les plus importantes de la zone euro, représentant plus de 80 % des actifs bancaires. Les 3 500 banques identifiées comme moins importantes restent sous supervision nationale. Ce dispositif, considéré à juste titre comme une réussite institutionnelle, est le plus abouti des piliers de l'Union bancaire et bénéficie d'une reconnaissance internationale incontestée. Quelques points d'attention méritent toutefois d'être relevés.
Les établissements sous supervision directe représentent plus de 20 000 milliards d'euros d'actifs. Les banques françaises en constituent le premier contingent, avec près de 7 000 milliards d'euros d'actifs, loin devant l'Allemagne, avec environ 4 000 milliards d'euros, alors que les deux systèmes bancaires sont de taille comparable, autour de 8 000 milliards d'euros d'actifs. Cette différence majeure est liée aux structures bancaires propres à chaque pays. Parmi les huit banques de la zone euro mondialement systémiques, trois sont françaises et seule une est allemande. Le secteur bancaire allemand est constitué en grande partie par des établissements de taille intermédiaire très ancrés dans le tissu économique local. C'est en partie un facteur d'explication des divergences persistantes, passées et futures, dans les négociations sur l'Union bancaire.
Les établissements bancaires qui restent placés sous supervision nationale le sont sur la base d'une méthodologie harmonisée développée par la BCE afin de soumettre l'ensemble des établissements de la zone euro à une norme commune de surveillance. C'est un point de vigilance pour la crédibilité de l'Union bancaire et une condition centrale à l'acceptation d'un partage effectif des risques du système bancaire, particulièrement des mécanismes communs de soutien financier.
Au-delà du projet spécifique de l'Union bancaire, l'ambition de stabilité du système financier tout entier impose d'étendre le périmètre de la supervision et de la résolution aux institutions financières non bancaires, telles que les assurances ou les infrastructures de marché. Or ces dernières en sont formellement exclues, car le mandat de superviseur de la BCE est fondé sur l'article 127 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui limite son périmètre aux seules banques de la zone euro. C'est dans ce contexte que la Commission prévoit de confier la supervision des chambres de compensation à l'Autorité européenne des marchés financiers, la BCE ne s'y associant qu'indirectement sous l'angle des risques liés à la conduite de la politique monétaire, au fonctionnement des systèmes de paiement et à la stabilité de l'euro.
Qu'en est-il, en principe, de l'appel aux contribuables ? Le Mécanisme de résolution unique, deuxième pilier de l'Union bancaire, s'inscrit dans les standards internationaux élaborés après la crise pour renforcer la capacité du système financier à absorber ses propres pertes. Ce dispositif, opérationnel depuis janvier 2016, consacre désormais, au sein de la zone euro, la priorité donnée au financement privé dans la gestion des crises bancaires. Ce financement passe concrètement par un Fonds de résolution unique (FRU), alimenté par des contributions annuelles des établissements bancaires sous supervision directe de la BCE. Le Conseil de résolution unique (CRU) devient l'autorité de résolution unique responsable des banques sous supervision directe, mais souffre d'un processus décisionnel encore trop dépendant des autorités nationales de résolution qui pourrait se révéler trop complexe en cas de crise grave. Le Fonds de résolution unique, actuellement abondé à hauteur de 17 milliards d'euros, est destiné à financer les éventuelles résolutions bancaires. Il devra avoir atteint un niveau cible d'au moins 1 % du montant des dépôts garantis, soit 55 milliards d'euros, au plus tard en 2024. Les banques françaises y auront contribué à hauteur de 15,5 milliards d'euros environ, soit 30 % du total.
Le principe de renflouement interne qui sous-tend ce nouveau cadre permet dorénavant d'organiser la recapitalisation d'un établissement défaillant en imposant à ses actionnaires, puis à ses créanciers, la réduction partielle ou totale du montant de leurs créances. Les dépôts jusqu'à 100 000 euros sont exclus du renflouement. Les établissements de crédit doivent en conséquence disposer d'un niveau minimum de dettes éligibles au renflouement interne qui pourront être utilisées jusqu'à un montant représentant au moins 8 % du passif de l'établissement. Au-delà, il peut être fait appel au Fonds de résolution.
Désormais, la gestion d'une banque présentant une défaillance avérée ou prévisible obéit théoriquement à une procédure harmonisée. Une banque peut être soit préventivement recapitalisée, soit liquidée, soit, si cela est nécessaire pour préserver la stabilité financière, c'est-à-dire, notamment pour les banques considérées comme systémiques, placée en résolution et bénéficier du Fonds de résolution. Les aides d'État restent toujours possibles dans la mesure où elles respectent le cadre européen des aides publiques au secteur financier, mais elles n'interviennent, en principe, qu'une fois qu'il a été fait appel aux actionnaires, aux créanciers et au Fonds de résolution.
Comment ce dispositif a-t-il fonctionné dans les faits en 2017 ? Banco Popular Español, banque systémique, a été résolue par renflouement interne des actionnaires et des détenteurs d'obligations, sans intervention du Fonds de résolution ni appel aux fonds publics. Toutefois, les problèmes de liquidité qui se manifestaient ont été réglés par le rachat par la banque Santander. Monte dei Paschi di Siena a été préventivement recapitalisée par l'État italien à hauteur de 4,3 milliards d'euros. Banca Popolare di Vicenza et Veneto Banca ont été placées en liquidation en juin 2017. Après un renflouement interne qui s'est heurté à des difficultés pratiques, l'État italien a accordé 4,8 milliards d'euros en capital et 12 milliards d'euros en garantie. Ces deux banques avaient toutefois sollicité une recapitalisation préventive en mars 2017 qui, si elle avait été instruite, aurait peut-être potentiellement permis de limiter l'utilisation de l'aide d'État. Les cas de mise en pratique effective sont rares, mais permettent d'ores et déjà de penser qu'il reste des marges de progrès dans la pratique du renflouement interne et que le recours aux fonds publics est encore bien présent.
Je relève, dans le contexte italien actuel, que les banques défaillantes sont en grande partie italiennes. Les mécanismes que nous évoquons peuvent être très utiles...
L'accord sur le mécanisme de résolution a été difficile, notamment en ce qui concerne le Fonds de résolution unique, qui a dû faire l'objet d'un accord intergouvernemental en marge du texte législatif. Ces difficultés préfiguraient celles qui se posent désormais concernant la finalisation de l'Union bancaire, qu'il s'agisse du Fonds de garantie des dépôts, mais aussi du financement de la recapitalisation bancaire. Il s'agit désormais de progresser sur le sujet le plus sensible : le financement commun de l'outil de gestion des crises bancaires.
En quoi consiste le troisième pilier présenté comme la finalisation de l'Union bancaire ? Le troisième pilier repose sur l'extension des attributions du Conseil de résolution unique à la gestion d'un fonds dédié d'assurance des dépôts. Il suscite l'opposition marquée de certains États, dont l'Allemagne. Les conclusions du Conseil du 17 juin 2016 ont été explicites à cet égard : les négociations politiques sont désormais conditionnées à l'adoption des mesures de réduction des risques et le Conseil a pris acte de ce que « les États membres entendent recourir à un accord inter-gouvernemental lorsque débuteront les négociations politiques sur un système européen d'assurance des dépôts ». Cette décision est liée à la forte contestation de la part de certains États membres, dont l'Allemagne et la Finlande, de la base juridique retenue (l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne), considérée comme inadaptée à un transfert de ressources nécessitant un vote à l'unanimité.
La proposition initiale de système européen de garantie des dépôts bancaires propre à la zone euro prévoyait trois phases successives : une phase de réassurance, durant laquelle les fonds nationaux pouvaient bénéficier de soutiens plafonnés du fonds européen, une phase de coassurance avec un soutien déplafonné, et une ultime phase de pleine assurance en 2024, où le fonds européen, totalement mutualisé, atteignait environ 44 milliards d'euros, soit 0,8 % des dépôts couverts.
Ce Fonds de garantie des dépôts aurait vocation à se substituer à terme aux systèmes nationaux d'assurance des dépôts en voie d'harmonisation au sein de l'Union européenne, avec notamment le relèvement uniforme à 100 000 euros du montant des dépôts garantis par déposant et par banque, un délai de remboursement ramené à sept jours ouvrables et le financement ex ante par les institutions financières d'un fonds de garantie représentant au moins 0,8 % des dépôts couverts. Le niveau cible de 0,8 % peut être réduit à 0,5 %, après approbation de la Commission européenne, lorsque les secteurs bancaires sont concentrés, comme en France.
Les discussions politiques sont suspendues sans perspective crédible de reprise, car les divergences paraissent trop marquées sur le principe de partage des risques et de mutualisation des moyens financiers. Face à ce constat, il ne peut s'agir ici de remettre en cause l'importance pour la stabilité financière d'un système d'assurance des dépôts. Toutefois, dans le nouveau contexte de généralisation du renflouement et de la constitution d'un fonds de résolution, la probabilité du recours effectif à un tel fonds est significativement réduite. En principe, les banques dites « importantes » seraient potentiellement pas ou peu utilisatrices de ce système de garantie qu'elles financeraient, mais qui, en réalité, bénéficierait aux plus petites des banques.
Dans l'espoir d'une adoption avant fin 2018, la Commission a néanmoins récemment présenté une communication réduisant les ambitions initiales du projet. Elle s'est aussi engagée dans des mesures de réduction des risques, contrepoids politique indissociable désormais à la mutualisation des moyens financiers. Il est proposé, entre autres, de revoir le traitement des prêts non performants. Au-delà des aspects politiques, il constitue une préoccupation réelle avec un encours global estimé à plus de 750 milliards d'euros et, dans certains États membres, un taux moyen de prêts non performants dépassant 10 % des créances. Il est également proposé d'intégrer certains éléments des travaux du comité de Bâle concernant notamment les risques de marché, d'articuler les exigences internationales en fonds propres applicables aux banques mondialement systémiques aux exigences minimales de dettes éligibles au renflouement interne applicables aux banques européennes...
Cet agenda de réduction des risques mérite sans conteste d'être soutenu, mais il faut rester vigilant sur le retard dommageable qu'il impose à la finalisation de l'Union bancaire. Nous devons aussi rester attentifs aux risques d'une dégradation des conditions d'une concurrence équitable entre les établissements bancaires européens et leurs homologues des pays tiers.
À la veille du Conseil européen de juin, les doutes se multiplient sur la probabilité d'un accord sur le Fonds européen de garantie des dépôts, qui semble focaliser toutes les attentions et permettrait de finaliser l'Union bancaire. L'ambition initiale de l'Union bancaire, formulée en 2012, était et reste de rompre le cercle vicieux entre dettes bancaires et dettes souveraines. Il s'agissait de mettre à disposition des outils communs de financement des crises bancaires.
Le recours à un financement que l'on pourrait qualifier de « privé », car issu des actionnaires, des créanciers ou des banques elles-mêmes, est désormais la norme, même si son application reste encore timide et qu'il est difficile de juger de sa pertinence en cas de grave crise systémique. Ce financement n'a en tout état de cause pas vocation à se substituer totalement au financement des États, qui reste une réalité, comme le démontre les cas récents en Italie. L'apport en liquidités de la BCE a été largement mobilisé pendant la crise, mais son utilisation ne peut que rester discrétionnaire, au risque de se transformer en soutien explicite permanent. Le financement véritablement mutualisé existe, certes, mais il reste limité en montant et fragmenté entre le Fonds de résolution, l'éventuel Fonds de garantie des dépôts et le Mécanisme européen de stabilité (MES).
Le Conseil Ecofin du 18 décembre 2013 s'était pourtant engagé à mettre en place un filet de sécurité commun de dernier recours, en complément du financement de la résolution bancaire. Le recours à l'outil de recapitalisation directe de 60 milliards d'euros du MES qui était mentionné explicitement à l'origine même du projet de l'Union bancaire a été rendu inopérant par la multiplication des conditions d'octroi. Rien ne permet pourtant d'affirmer qu'un tel outil ne serait pas nécessaire en cas de crise systémique de grande ampleur.
L'Union bancaire est non pas une fin en soi, mais un instrument essentiel de l'Union économique et monétaire pour consolider le système bancaire européen, assurer la stabilité des marchés, prémunir les États et les citoyens des conséquences des faillites bancaires et, partant, créer un environnement favorable à la croissance économique. Ce chantier ambitieux, qui a débuté comme un mariage de raison, sous la pression de la crise financière, doit être mené à son terme et doit permettre de favoriser l'émergence de véritables groupes bancaires à l'échelle de la zone euro.
Des décisions politiques doivent être prises pour atteindre les objectifs initiaux de stabilité du système financier, dans le respect de l'engagement, maintes fois réaffirmé, de développement d'un outil financier mutualisé de gestion de crise. La mise en place d'un véritable filet de sécurité est un dispositif tout aussi indispensable à la crédibilité de l'Union bancaire que le Fonds de garantie des dépôts. Force est de constater que l'asymétrie entre le substantiel transfert de souveraineté qui a été consenti dans l'Union bancaire et le financement, qui reste encore en grande partie national, ne peut perdurer sans mettre en péril la crédibilité de l'ensemble.
Il est vrai que l'Allemagne traîne les pieds en matière d'Union bancaire. La mutualisation des dettes reste une ligne rouge. Le financement mutualisé existe, mais il est limité en montant et fragmenté entre le fonds de résolution, le fonds de garantie des dépôts et le mécanisme européen de stabilité.
Le contrôle européen des banques a toujours posé un problème à l'Allemagne. Cette question est sensible, car ses banques fonctionnent selon des modalités particulières tant politiques que financières. D'importants capitaux chinois ont récemment été investis dans le Crédit agricole. Il devient donc compliqué de définir ce qu'est une banque européenne !
Le Crédit agricole est entré dans le top 10 des banques mondiales et a augmenté sa contribution au Fonds de résolution unique. L'évolution dans le classement des banques est-elle prise en compte dans la contribution, sachant que, à terme, ce fonds devra être abondé à hauteur de 55 milliards d'euros ?
Nos interlocuteurs se disent plutôt confiants et considèrent que le fonds monte en puissance dans la perspective de 2024.
Il est vrai que la France et l'Allemagne ont deux modèles totalement différents. Chacun essaie donc de faire en sorte que l'harmonisation ne se fasse pas à son détriment. S'il y a de plus en plus de banques qui montent dans le classement mondial, cela m'étonnerait que les Allemands ne demandent pas que la contribution suive !
L'Union bancaire avait été imaginée avant la crise, mais il a fallu la crise pour qu'on avance dans un délai très rapide. Nous avons obtenu des résultats extrêmement encourageants. On en vient à se demander si ce n'est pas la prochaine crise qui permettra d'aboutir ! On trouve des solutions sous la pression... C'est pour cela qu'il y a des tergiversations sur la garantie des dépôts. Tant qu'on a le temps de tergiverser, on tergiverse !
C'est la crise qui pousse à l'action et qui permet la convergence. Les défaillances bancaires au cours de la dernière période ont été coûteuses, mais elles sont un rappel des risques encourus. Il nous faut donc progresser afin d'être une zone sécurisée pour les déposants et l'économie en général. Quand la crise s'éloigne, les préoccupations plus nationales prennent une plus grande ampleur.
Si nous faisions face à une crise importante et inattendue, nos réflexions permettraient de finaliser les outils. Continuons à dialoguer avec nos collègues et à leur montrer que la cohésion et la solidarité sont importantes en matière de gestion de nos banques, dès lors que nous partageons la même devise et que nous avons consenti des transferts de souveraineté.
Les participations étrangères dans les banques sont normales et sont soumises à des règles et contrôles en matière de cotation et de bilan.
Les approches entre l'Allemagne et la France sont différentes et les divergences vont en s'accroissant. Les élections allemandes ont changé la donne. Mme Merkel doit composer avec sa nouvelle majorité, et avec la CSU bavaroise notamment, d'autant plus qu'il y aura bientôt des élections régionales en Bavière. À cet égard, pourrons-nous échanger sur le contexte politique avec M. Günther Oettinger ?
Absolument. Vous pourrez lui poser toutes les questions que vous souhaitez.
Le Bundestag doit donner son avis sur toutes les décisions de politiques européennes ; c'est un codécideur. Serait-il possible d'organiser une table ronde pour avoir une vision claire du fonctionnement des institutions allemandes ? La loi fondamentale allemande et son interprétation par la cour de Karlsruhe jouent un rôle crucial que nos collègues allemands nous reprochent souvent de ne pas comprendre.
Nous avons créé un groupe de travail sur les relations franco-allemandes. Dans ce cadre il serait tout à fait possible d'examiner ces questions.
Il convient d'avoir une vision nuancée sur la position allemande. L'Allemagne a une position de principe : avant de créer un fonds européen de garantie des dépôts, il convient que tous les pays fassent les efforts préalables afin d'éviter le risque d'aléa moral et de ne pas encourager les pays à être moins rigoureux. Cette analyse n'est pas dénuée de fondements.
Nous voyons là les limites d'un système non fédéral. Si l'Union économique et monétaire reposait sur une organisation fédérale, l'intégration avancerait plus vite.
Le Sénat examinera en séance publique, le mercredi 6 juin après-midi, la proposition de résolution européenne en faveur de la préservation d'une Politique agricole commune forte, conjuguée au maintien de ses moyens budgétaires. Comme nous le permet l'article 73 quinquies § 6 du règlement du Sénat, je propose que nous exercions à cette occasion les compétences attribuées aux commissions saisies pour avis.
Il en est ainsi décidé.
- Présidence conjointe de M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes et de M. Vincent Eblé, président de la commission des finances -
Merci d'avoir répondu à notre invitation à venir vous exprimer devant nos deux commissions des finances et des affaires européennes. Votre audition tombe à point nommé. Vous avez, en effet, présenté, le 2 mai dernier, vos propositions en vue du prochain cadre financier pluriannuel (CFP). Celles-ci ne sont pas passées inaperçues. Reconnaissons d'emblée que l'exercice est difficile. Vous devez gérer les conséquences financières du retrait du Royaume-Uni. Vous devez financer de nouvelles priorités, notamment en matière de sécurité ou de migrations. Vous devez enfin assumer le financement des grandes politiques européennes que sont la politique agricole commune (PAC) et la politique de cohésion - des politique anciennes mais qui ne sont pas, pour autant, de vieilles politiques ! -, le tout avec un budget qui ne dépasse pas jusqu'à présent 1 % du PIB européen, et qui est financé, pour l'essentiel, par les contributions des États membres, lesquels sont traditionnellement plus que réticents à augmenter leur participation.
Je crois exprimer un sentiment largement partagé au Sénat en disant que l'on ne peut continuer avec un budget aussi faible. Il faut identifier de nouvelles ressources propres et revenir à la lettre et à l'esprit des traités. Nous soutenons par ailleurs la prise en compte dans le budget des nouvelles priorités, par exemple pour renforcer l'agence Frontex, financer l'effort indispensable en matière de défense ou encore encourager l'innovation.
Mais nous sommes aussi persuadés que tout ceci ne doit pas se faire au détriment du financement de la politique agricole commune et de la politique de cohésion. Politique fondatrice, la politique agricole commune est le support indispensable à la souveraineté et à la sécurité alimentaires de l'Union. Il serait paradoxal que l'Europe se désarme dans ce domaine au moment où, au contraire, les grandes puissances économiques renforcent le soutien à leur agriculture. Quant à la politique de cohésion, elle exprime une solidarité territoriale qui répond aux objectifs mêmes de la construction européenne. Elle est souvent le levier indispensable pour la concrétisation de projets structurants dans les territoires. À cet égard, les propositions que vous avez présentées nous préoccupent quant au financement de ces deux grandes politiques européennes, même si nous demeurons ouverts et constructifs sur tout ce qui peut renforcer leur efficacité. C'est pourquoi nous écouterons avec beaucoup d'attention les explications que vous voudrez bien nous donner.
Nous sommes très heureux de vous entendre ce matin, Monsieur Oettinger, compte tenu des enjeux très importants liés aux négociations du prochain cadre financier pluriannuel. Ces négociations s'inscrivent en effet dans un contexte singulier. Tout d'abord, le retrait du Royaume-Uni entraîne une perte de recettes conséquente pour le financement du budget de l'Union européenne. Vous proposez donc de nouvelles ressources propres et une évolution des contributions nationales avec la suppression des « rabais » obtenus par plusieurs États-membres. Ensuite, de nouvelles priorités politiques doivent être financées, ce qui conduit la Commission européenne à proposer des évolutions significatives de la politique agricole commune et de la politique de cohésion. Enfin, vous formulez des propositions nouvelles comme le mécanisme de stabilisation pour surmonter les chocs économiques asymétriques, à défaut de mise en place d'un « budget » de la zone euro qui ne fait pas consensus.
Notre commission des finances s'intéresse de très près à ces sujets, puisqu'elle examine chaque année, sur le rapport de notre collègue Patrice Joly, rapporteur spécial, la contribution de la France au budget européen, contribution qui s'élève à 19 milliards d'euros en 2018 et présente donc un enjeu très significatif pour nos finances publiques. Notre collègue Bernard Delcros, rapporteur spécial de la mission « cohésion des territoires » pour ce qui concerne les politiques territoriales, va également travailler sur la politique de cohésion.
Je suis ravi de venir à Paris m'exprimer devant vous. Il y a quelques années j'avais déjà eu des échanges avec des sénateurs français, comme Mme Keller, en tant que représentant du Bundesrat. Je suis très désireux d'entendre vos réactions à l'égard du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) pour la période 2021-2027. Le 2 mai, nous avons présenté nos propositions avec les chapitres et les programmes ; au cours des prochaines semaines, jusqu'au 14 juin, nous allons les préciser, programme par programme, au rythme d'un paquet par semaine, en commençant par la PAC et la politique de cohésion la semaine prochaine. Sur cette base nous pourrons ensuite mener les négociations avec le Conseil et le Parlement européens, et recueillir les suggestions des parlements nationaux.
L'Union européenne a l'interdiction de s'endetter. Toute dépense doit correspondre à une recette. Avec le départ des Britanniques, contributeurs nets, le budget sera amputé de 12 à 14 milliards d'euros par an. Nous devons aussi répondre à de nouveaux défis pour financer la politique migratoire, le contrôle et la protection des frontières, la recherche dans le domaine de la défense, etc. C'est donc une quadrature du cercle : sans dette, nous devons financer de nouvelles missions, tout en assurant la poursuite des anciennes missions. En outre, les États membres nous ont clairement indiqué qu'une plus petite Union signifiait un plus petit budget. Pour entrer en vigueur, le CFP doit être adopté à la majorité au Parlement européen et doit recueillir l'unanimité des 27 États membres au Conseil de l'Union européenne. Nous avons fait tout notre possible pour trouver un équilibre entre des attentes très contrastées. Finalement tout le monde est déçu : les uns parce que nous ne faisons pas suffisamment de coupes budgétaires, d'autres parce que nous en faisons ; certains sont déçus parce que nous réduisons, modérément, la PAC, d'autre parce que nous réduisons, modérément, la politique de cohésion, d'autres parce que nous n'investissons pas assez dans la recherche ou la gestion des migrations... Les journaux économiques se demandent tous pourquoi les coupes budgétaires de la PAC sont aussi peu élevées tandis que la presse agricole et rurale déplore ces coupes... Que feriez-vous si vous étiez à ma place ?
S'agissant des recettes, je pense qu'un plafond de 1 % du revenu national brut (RNB) n'est pas suffisant. Nous proposons un plafond de 1,114 % du RNB, soit une augmentation très modérée, alors même que les États membres se sont engagés à porter leur effort de défense à 2 % du PNB. Cette faiblesse du budget européen est à souligner. Pour porter l'effort à 1,114 % du RNB, je me heurte à une opposition farouche de Vienne, de Stockholm, de Copenhague, de La Haye ou encore d'Helsinki. Je vous demande de comprendre que si notre budget doit financer de nouvelles missions, si l'on veut développer certains programmes comme Erasmus plus, il doit également comporter certaines réductions budgétaires. Le départ des Britanniques aggrave encore l'équation.
La politique de cohésion et la PAC évoluent, mais restent les deux plus grands postes budgétaires. Entre 2021 et 2027, nous prévoyons 373 milliards d'euros pour la politique de cohésion, soit autant en valeur nominale qu'entre 2014 et 2020, mais pour 27 États membres et non 28. Depuis plusieurs années les crédits de la PAC sont déjà gelés en valeur nominale. Les subventions par hectare baisseront, en moyenne, de 3,7 %, en valeur nominale. Nous proposons de limiter la subvention des grandes exploitations pour protéger les plus petites.
Nous proposons aussi de créer de nouvelles ressources propres pour les diversifier. Certains veulent créer une taxe sur les transactions financières ; nous avons soumis une proposition en juin dernier mais tous les États ne sont pas d'accord. Une dizaine d'États réfléchit à instaurer une telle taxe au niveau national, mais il y a de grandes divergences sur le taux entre Paris, Rome ou Berlin. Je ne crois pas que nous pourrons instaurer une telle taxe dans les deux prochaines années. Quant à la taxe sur le numérique, la Commission a transmis une proposition au Conseil au mois de février qui doit l'analyser. Si le résultat des discussions est positif, je l'inscrirai dans le prochain cadre financier. J'écoute très attentivement les positions des États-membres. Je ne suis pas sûr que cette taxe sera véritablement créée. Serons-nous prêts à une escalade dans nos relations commerciales avec les États-Unis ? En juin, des droits de douane sur l'acier, l'aluminium et les voitures seront peut-être instaurés, la taxe numérique constituerait alors une escalade supplémentaire dans cette nouvelle relation avec les États-Unis. Je ne sais pas si nous pourrons parvenir à une unanimité sur le sujet.
Les propositions de la Commission européenne ne constituent qu'un point de départ. J'ai hâte de vous écouter, d'entendre vos suggestions, vos réactions et de répondre à vos questions.
Il semble indispensable de renforcer la cohésion européenne pour faire face aux désordres mondiaux, au repli des États-Unis ou pour répondre au désarroi des Européens qui se traduit régulièrement dans les urnes. Un besoin de solidarité s'exprime. Le Brexit entraîne une perte de recettes pour l'Union européenne de 12 milliards d'euros par an. Il me semble que vos propositions ne tiennent pas assez compte des difficultés des territoires ruraux, et de manière plus globale des territoires non métropolitains. Ainsi les crédits de la PAC sont réduits de manière significative, puisque si l'on raisonne en euros constants, la baisse des aides directes atteindra 16 %, alors même de nombreux secteurs de l'agriculture sont en difficulté.
Il faut aussi accompagner nos agriculteurs dans la reconversion de leur exploitation. Le 2e pilier qui participe au financement de la reconversion des territoires ruraux sera fortement impacté avec une diminution sensible des aides européennes et avec une augmentation des cofinancements nationaux. Quelle sera la part de ces cofinancements ? En euros constants, les crédits de la politique de cohésion diminuent sensiblement, avec une baisse de 12 %.
Nous constatons aussi au niveau français une sous-consommation des crédits européens. Alors que la contribution de la France oscille entre 15 et 19 milliards d'euros, la sous-consommation était d'environ un milliard d'euros en 2016. Envisagez-vous d'améliorer les modalités de prévision de consommation des crédits européens dans la prochaine programmation budgétaire ?
Enfin quelles sont les perspectives s'agissant des recettes propres qui permettraient d'accroître l'autonomie et de sécuriser le budget européen ? Le rapport Monti, publié en janvier dernier, avait présenté un certain nombre d'orientations.
Vous nous demandez de vous faire des propositions et de vous aider à résoudre les difficultés. Au risque de vous décevoir, je n'en ferai pas et j'ai peur d'accroître encore la confusion avec mes questions... Je suis rapporteur sur les fonds de cohésion à la commission des affaires européennes. Vous estimez que les crédits de la politique de cohésion sont satisfaisants et stables, en valeur nominale. Ce n'est pas tout à fait notre analyse. Au-delà, notre inquiétude porte surtout sur le contenu de cette politique. La politique régionale est basée, en effet, sur trois catégories de régions, chaque catégorie bénéficiant d'un taux de cofinancement européen spécifique. Gardera-t-on les trois mêmes catégories de régions pour 2021/2027 et quels seront les nouveaux taux de cofinancement ?
La politique régionale doit aussi être simplifiée, en particulier pour ce qui relève des multiples procédures d'audit, de contrôles comptables et de vérifications, effectuées souvent de façon redondantes tant par Bruxelles que par les États membres. Comme je l'ai constaté au conseil régional d'Alsace, une telle complexité décourage les porteurs de projets. Que propose concrètement la Commission pour simplifier cette politique ? Pourrait-on différencier les contrôles, non seulement entre les différents types de projets, mais aussi en fonction du degré de confiance dans les capacités administratives des États pour gérer les fonds ?
L'Europe est à la croisée des chemins. Partout le populisme et l'euroscepticisme progresse. Nous devons montrer que l'Europe est notre avenir. Votre tâche est compliquée car certains États veulent moins d'Europe. Nous voulons au contraire plus d'Europe.
Le cadre financier pluriannuel que vous proposez représente 1,114 % du RNB des États membres. C'est moins que ce que le Président Juncker proposait (1,2 %) et moins que l'objectif de 1,3 % appelé de ses voeux par le Parlement européen. Il reste donc des marges de manoeuvre. Si les ressources propres augmentaient significativement la question du volume du budget pourrait être abordée différemment. Celles-ci représentaient 61 % du budget de l'Union européenne en 1988 ; aujourd'hui, elles représentent environ 10 %. Les droits de douane ont largement disparu. Plusieurs propositions ont été faites. La Commission n'en a retenu que certaines, de manière minimaliste. La création d'une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) est une avancée. Quel sera son rendement ? La taxe sur les plastiques non recyclés est aussi une bonne idée, même si ses modalités de mise en oeuvre semblent très complexes. La petite contribution sur les émissions de carbone va aussi dans le bon sens. Toutefois, je déplore la timidité de la Commission sur la taxe sur les transactions financières. Votre texte est muet aussi sur une éventuelle mobilisation des bénéfices de la Banque centrale européenne et sur une éventuelle taxe sur les produits à usage unique. Il pourrait aussi être possible de récupérer le produit des amendes pour entorse au droit de la concurrence. Comment la Commission entend-elle aussi développer la lutte contre l'évasion fiscale, qui est estimée à 150 milliards d'euros rien que pour la TVA ?
Nous regrettons la baisse des crédits de la PAC et de la politique de cohésion. Les chiffres avancés par la Commission étant en euros courants, la baisse réelle des crédits sera beaucoup plus importante que ce que vous prétendez. Quelle sera aussi la future répartition des fonds de la politique de cohésion entre États et entre États et régions ? En particulier, avec la création des grandes régions en France, nous craignons que certaines d'entre elles perdent l'accès à ces crédits.
Enfin pensez-vous qu'un accord sur le cadre financier pourra être conclu avant les prochaines élections européennes de juin 2019 ?
Merci pour votre présentation. Beaucoup de points restent en suspens, dans l'attente d'évaluations. Il y aura des concertations pour préciser ou redéfinir les différentes politiques sectorielles à l'intérieur du budget. J'ai suivi lors du précédent cadre pluriannuel les questions d'innovation et de recherche : j'ai vu sur le site de la Commission européenne qu'une consultation était lancée sur le sujet. Je note en tout cas avec intérêt la progression de ce budget, même si j'ai du mal à faire la distinction, dans les crédits présentés, entre l'innovation et la recherche fondamentale, essentielle car cette dernière n'est pas toujours assurée par les acteurs privés.
Membre de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, je suis très favorable à la conditionnalité liée au respect de l'État de droit et à l'indépendance de la justice qui concernera les fonds européens. Certains États ont trop tendance, hélas, à considérer l'Europe comme un guichet sur lequel ils auraient un droit de tirage, sans toujours se plier à ses règles. Toutefois, je suis un peu dubitatif sur la mise en oeuvre d'une telle procédure, puisqu'elle sera lancée à l'initiative de la Commission et soumise à un vote à la majorité qualifiée inversée au Conseil, qui fait que, dans les faits, c'est la Commission qui décide. Je vois mal comment, politiquement, la Commission pourra lancer une telle procédure même si des infractions avérées sont constatées. C'est dommage car l'Europe n'est pas qu'un marché, c'est aussi une communauté de valeurs et certains l'oublient un peu facilement.
L'existence de déséquilibres entre le montant des contributions versées par plusieurs États membres et leur taux de retour sur les politiques européennes a conduit ces États à solliciter une limitation de leur contribution au budget européen. Outre le Royaume-Uni, l'Allemagne, les Pays-Bas, la Suède et le Danemark bénéficient ainsi de « rabais », ce qui rend illisibles les modalités de contribution de chaque État membre au budget européen. La simplification de ce régime existant est d'autant plus importante pour la France qu'elle est le principal contributeur à ces rabais : elle est le seul contributeur net, avec la Finlande et l'Italie, à ne bénéficier d'aucune correction. La Commission européenne a annoncé, à plusieurs reprises, son intention de supprimer d'ici cinq ans l'ensemble des rabais existants. Pourquoi n'envisagez-vous pas une suppression plus rapide, compte-tenu de la disparition du chèque britannique qui interviendra dès le retrait du Royaume-Uni ?
En outre, la Commission européenne prévoit l'adoption du prochain cadre financier pluriannuel avant les prochaines élections européennes qui se tiendront en mai 2019. Ce calendrier vous semble-t-il réaliste ? Ne craignez-vous pas un retard dans la mise en oeuvre en cas de désaccord des nouveaux députés européens avec les orientations décidées avant les élections ?
Conformément aux recommandations formulées par le rapport Monti présenté en janvier 2017, la Commission européenne propose de simplifier le système des ressources propres existant, notamment en modifiant les modalités de calcul de la ressource TVA. Dans la communication en date du 2 mai, elle indique que la ressource propre fondée sur la TVA serait modifiée de sorte que celle-ci repose uniquement sur des prestations taxées au taux normal. Par ailleurs, elle a annoncé son intention de donner plus de liberté aux États membres pour déterminer des taux réduits de TVA. Par conséquent, comment ces deux pistes d'évolution de la TVA vont-elles s'articuler ?
Le Sénat porte une attention particulière au taux de TVA réduit au bénéfice de la filière équine.
Je m'avoue surpris par le positionnement budgétaire que vous défendez à l'heure où nous souhaitons une Europe forte et affirmée. La PAC fut la première politique communautaire à la naissance de l'Europe. Hélas, l'Union européenne, à rebours de territoires concurrents, se voit désormais privée d'une stratégie agricole à moyen comme à long terme : le soutien au développement agricole et aux entreprises agricoles et agroalimentaires promet d'être réduit par le prochain cadre financier pluriannuel (CFP). Le Sénat s'est investi sur ce dossier ; les commissions des affaires européennes et des affaires économiques ont, à l'unanimité, adopté une proposition de résolution européenne demandant le maintien des crédits de la PAC dans le cadre d'une stratégie agricole ambitieuse. L'agriculture représente un atout pour nos territoires et notre économie : saisissons-le !
Je vous remercie, monsieur le commissaire européen, de vos éclairages sur le prochain CFP. Le Sénat est particulièrement attaché à la cohésion des territoires, au soutien à l'agriculture et à la construction européenne. À un an des élections au Parlement européen, nous portons une responsabilité forte face à la montée de l'euroscepticisme dans de nombreux États membres, notamment en Europe centrale. Dans ce contexte, le projet de budget de l'Union européenne n'apparaît pas à la hauteur des attentes. Je partage l'analyse de Daniel Gremillet : l'Europe a besoin d'une stratégie agroalimentaire et agricole ambitieuse assortie d'une dynamique budgétaire incarnée dans la PAC. À cet effet, le budget de l'Union européenne doit être suffisamment élevé et, quoi qu'il en soit, supérieur à 1,114 % du revenu national brut (RNB) des États membres. La préconisation de Jean-Claude Juncker me semble à cet égard représenter un minima, sans aller jusqu'au montant prôné par le Parlement européen. Une telle augmentation nécessite l'établissement de nouvelles ressources propres, telles que la taxe carbone ou celle sur les géants de l'Internet, ainsi qu'une dynamisation de la ressource TVA.
J'ai grandement apprécié votre franchise et votre ouverture au dialogue. Vous êtes à l'aise dans la difficulté, avez-vous affirmé. Plutôt que de demeurer dans la difficulté, je préfèrerais pour ma part que nous trouvions une issue aux problèmes que nous rencontrons ! Nous devons faire du CFP, en cours d'ébauche, un acte politique fort dans la perspective des élections de 2019 et à l'heure où l'Europe, comme l'indiquait Didier Marie, se trouve à la croisée des chemins. Hélas, il semble plutôt reposer sur une somme de contradictions, où se confrontent, dans un contexte financier marqué par le Brexit, les politiques traditionnelles et les nouvelles priorités que constituent la défense, la recherche et l'immigration. Le projet de CFP se pose davantage en réaction qu'au service d'une vision stratégique européenne, qui manque cruellement. Quel meilleur argument pour les partisans d'une Europe en retrait ? Je vois en particulier une contradiction dans la conditionnalité, conçue davantage comme une sanction que comme un élément favorable à l'extension, sur le territoire de l'Union, de l'État de droit et du modèle social européen. Je suis une fervente partisane de la croissance inclusive qui concerne à la fois le développement des territoires, la stratégie agricole et agroalimentaire, la recherche et l'innovation, avec ses enjeux numériques, bioéthiques et technologiques. Il aurait fallu, dans le projet de CFP, décliner ces politiques au service de la croissance inclusive. Écoutons les populations européennes ! Elles souhaitent le maintien de la politique de cohésion, dont les crédits diminuent pourtant de 12 %, après une première annonce à 7 %. Certes, le fonds européen de développement régional (Feder) reste stable, mais le fonds de cohésion accuse un recul de 46 %. Ce choix est absolument incohérent au regard de l'objectif de croissance inclusive.
Jusqu'où, monsieur le commissaire européen, l'Union européenne est-elle prête à s'investir dans la défense de nos entreprises contre les sanctions unilatérales américaines ? Envisage-t-elle de réviser, pour le renforcer, le règlement de 1996 et de saisir l'organisation mondiale du commerce (OMC) ?
Il est évidemment fort délicat de rechercher l'unanimité avec vingt-sept États membres, notamment sur un sujet à risque politique tel que le CFP. Souhaiter terminer les négociations afférentes à son adoption au mois de mars 2019, même si l'intérêt général l'exige, me semble en conséquence représenter une position difficilement tenable pour la Commission européenne. Toute tentative en ce sens avant les élections au Parlement européen, alors que la situation italienne à l'égard de l'Europe apparaît incertaine, pourrait être dénoncée comme un passage en force par les eurosceptiques, qui y verront le signe d'un mépris pour le Parlement européen. La Commission européenne devrait, me semble-t-il, annoncer sans délai qu'un débat sur le CFP pourra se tenir devant les parlementaires élus en 2019. Le second sujet de mon intervention sera plus technique ; il concerne le fonds d'investissement Invest EU, qui pourrait prendre le relais du fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) et serait assis sur une garantie de 15 milliards d'euros pour assurer une capacité de prêt à hauteur de 650 milliards d'euros. L'objectif, si je l'ai bien compris, serait de regrouper en un seul outil les instruments financiers de l'Union européenne, y compris le Feder. Quelle est la valeur ajoutée de ce nouveau mécanisme par rapport au FEIS ? Comment s'organiserait la répartition des rôles, en matière d'investissement, entre la Commission européenne et la banque européenne d'investissement (BEI) ?
Il n'est pas simple de trouver le juste équilibre entre les pays qui souhaitent augmenter la contribution des États membres au budget européen et ceux qui s'intéressent plutôt aux bénéfices qu'ils peuvent tirer de l'Union européenne. De la même manière, n'est pas évident l'équilibre entre politiques traditionnelles et ambitions nouvelles, que l'opinion européenne, notamment en matière de sécurité et d'immigration, appelle de ses voeux. Il n'est que de lire l'affolant accord programmatique du gouvernement italien... Pourriez-vous nous préciser les volumes budgétaires qui seront attribués à ces nouvelles priorités ?
La situation de nos entreprises en Iran nécessiterait un soutien financier de l'Union européenne, malheureusement contraint. Vous avez à plusieurs reprises fait valoir que, si l'Union européenne prend en charge certaines politiques, elles pèsent d'autant moins sur le budget des États. En réalité, si l'on prend l'immigration, l'action de l'Union ne se substitue pas aux obligations des États en matière d'accueil des demandeurs d'asile. Ne conviendrait-il pas d'avancer sur ce point ? Par ailleurs, de nouvelles adhésions pourraient intervenir d'ici 2027. Comment intégrez-vous cette hypothèse dans le CFP ?
Je répondrai volontiers à vos questions et à vos critiques, bien que vos remarques ne forment pas, loin s'en faut, un ensemble cohérent. Certains se disent surpris, d'autres s'affirment déçus pas l'absence de proposition dynamique et innovante... Mais ne croyez-vous pas qu'une réduction des crédits de la PAC représenterait justement une innovation ? J'ai récemment assisté à des sessions de négociations budgétaires au cours desquelles la France, systématiquement, prône la diminution des dépenses européennes. Le représentant de la France au sein du Conseil s'est toujours, à cet égard, illustré par une position ferme sur le CFP 2014-2020. Jamais je n'ai entendu la France proposer une augmentation des contributions des États membres ! Habituellement, les instances régionales, à l'instar des Länder allemands, sont favorables à un renforcement du budget européen car son financement ne leur revient pas. Je rencontrerai, cet après-midi, Édouard Philippe et Bruno Le Maire, ce qui me permettra, je l'espère, de disposer d'une vision d'ensemble de la position française. Rassurez-vous : je ne suis pas mieux reçu à Stockholm ou à La Haye, qui souhaitent a contrario de votre assemblée, en raison du Brexit, que l'Europe opère des coupes budgétaires... Vous devriez vous y rendre !
L'Autriche, également favorable à une réduction des dépenses européennes, va prendre en juillet la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne et risque de faire, pour des raisons différentes, autant de surpris que de déçus. Voyez, je suis au coeur de toutes les déceptions ! Il nous faut, quoi qu'il en soit, voter un budget, sinon les autocrates à Washington, Ankara et Moscou auront gagné ! Nous avons également besoin d'une simplification durable et d'un unique corpus réglementaire, notamment pour que les petites entreprises et exploitations cessent de supporter une trop lourde charge administrative.
S'agissant des politiques de cohésion, l'enveloppe de 373 milliards d'euros qui y est consacrée par le présent CFP sera reconduite à l'identique, ce qui représente un bel effort compte tenu de la sortie du Royaume-Uni, deuxième contributeur national au budget de l'Union. Les régions en difficulté doivent évidemment être soutenues pour compenser les déséquilibres au sein de l'Union européenne. Je pense notamment aux régions rurales de Bulgarie, de Croatie et de Roumanie. La France et l'Allemagne devraient davantage investir dans ces territoires, mais leur motivation est limitée par rapport à l'intérêt qu'elles portent aux retours financiers de l'Union européenne à leur profit. Pourtant, le produit intérieur brut (PIB) par habitant ne dépasse pas 27 000 euros en Bulgarie, contre 40 000 euros en Allemagne.
Quant aux investissements en faveur de l'innovation, nous portons l'enveloppe destinée au programme digital à 9 milliards d'euros, contre un milliard initialement prévu, pour des projets relatifs à l'intelligence artificielle, à l'ordinateur haute performance, aux micro et aux nanotechnologies.
La gestion des frontières sera, par ailleurs renforcée. Frontex verra ainsi ses effectifs passer de 1 400 à 10 000 agents et les pays concernés par une immigration massive - la Bulgarie, la Grèce, Malte, Chypre, l'Italie et l'Espagne - seront davantage soutenus.
Vous avez également évoqué les recettes de l'Union européenne. À cet égard, dès que le Conseil aura progressé sur la taxe numérique ou sur celle relative aux transactions financières, croyez bien que je ferai le nécessaire pour y adapter le CFP. Mais vous savez comme moi combien il est difficile d'obtenir l'unanimité imposée sur les questions fiscales... La majorité qualifiée serait plus aisée à atteindre, mais les États membres ne sont pas favorables à une telle évolution.
Le fonds Invest EU est destiné au financement de projets innovants, qui ont besoin de liquidités ou de prêts garantis. Il interviendra en relation avec la BEI, mais également avec les banques publiques et privées nationales. Nous essaierons de progresser encore pour apporter aux entreprises des aides de nature différente. Le programme Horizon sera, quant à lui, doté de 100 milliards d'euros, avec un maintien des crédits destinés à la recherche fondamentale et appliquée.
J'aimerais rappeler, s'agissant de la conditionnalité, que l'Europe accorde chaque année des financements à des projets, dans le cadre d'une nécessaire relation de confiance, qui ne supporte ni abus ni fraude. Or, nous savons, via l'office européen de lutte anti-fraude (OLAF), que les fraudes existent. Il semblerait par exemple, et une enquête est en cours, que la mafia italienne détourne des fonds agricoles en Slovaquie. Lorsque l'Europe souhaite demander le remboursement des sommes indûment perçues, le litige est porté devant la justice du pays concerné. Il est donc indispensable que celle-ci présente des garanties d'indépendance, ce qui justifie la politique européenne de conditionnalité des aides. Il ne s'agit donc pas d'une sanction mais d'un outil de protection des contribuables européens.
Vous vous êtes préoccupés du soutien des entreprises européennes en Iran. Sachez toutefois qu'une entreprise comme Total, qui exploite du pétrole en Iran, investit également aux États-Unis : je suppose qu'elle réfléchit actuellement à ses intérêts prioritaires... Dans 99 % des cas, les intérêts commerciaux avec les États-Unis sont supérieurs à ceux liés à l'Iran, puisque les États-Unis représentent le premier partenaire commercial de l'Union européenne. Nous devons certes protéger nos entreprises, mais veillons à ne pas devoir compenser un désavantage encore plus grand en provenance des États-Unis. En outre, les moyens de l'Union sont limités à environ 1 % du RNB national : n'en attendez pas trop ! Il en va de même avec la BEI, dont les moyens sont bien inférieurs à ceux du Crédit Agricole par exemple.
Deux écoles existent concernant les négociations relatives au CFP : les achever ou non avant les élections du Parlement européen en 2019. En application du règlement budgétaire, nous aurions dû présenter un projet en décembre dernier. Or, en raison du Brexit, nous n'avons été prêts qu'au mois de mai. Selon certains d'entre vous, nous aurions dû attendre jusqu'en juin 2019 ! Nous avons préféré prendre le temps du débat et, surtout, éviter que le CFP ne constitue une problématique de la campagne électorale au profit des partis populistes de droite comme de gauche. J'ignore quelle sera la prochaine majorité au Parlement européen mais, quoi qu'il en soit, si nous attendons 2019, voire 2020, pour débattre du CFP, nous commettrons la même erreur que lors des dernières négociations budgétaires et verront à nouveau des projets européens retardés. Nous avons neuf mois pour débattre, ne soyons pas défaitistes et faisons preuve de bonne volonté ! La France vote bien en deux mois un budget autrement plus volumineux ! Le Conseil doit établir le CFP comme prioritaire et les ministres des finances faire l'effort de venir une quarantaine de jours à Bruxelles pour participer aux négociations.
Vous êtes au coeur de toutes les déceptions, dites-vous ; nous aussi ! Quelle déception en effet d'apprendre que le Gouvernement français tient un double discours entre Bruxelles et Paris ! Ce n'est certes pas nouveau, mais toujours aussi décevant et dévastateur, en particulier à quelques mois des élections européennes. Nous allons tirer cela au clair ! Le ministre de l'agriculture s'alarme de la diminution des crédits de la PAC sans réellement la défendre : ce n'est pas convenable !
Il nous faut une Europe réactive, même si cela oblige à ce que les instances actuelles adoptent le CFP avant 2019. Nous tenons également à une Europe innovante et protectrice, raison pour laquelle nous défendons la PAC et nous opposons au recul de ses dotations. Nous refusons, en revanche, une Europe privée de stratégie. Je regrette, à cet égard, que la Commission n'ait pas retenu la proposition du Sénat relative à la taxation des géants de l'Internet. Certes, elle différait de la préconisation de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), mais elle avait le mérite d'être immédiatement opérationnelle et de rapporter sans délai 5 milliards d'euros. L'Europe doit également affirmer sa puissance sur la scène internationale, en particulier vis-à-vis des États-Unis, même si la réserve entre le dollar et l'euro est loin d'être avantageuse pour celui-ci. L'exemple de Total, que vous avez cité, est compréhensible, mais choquant : nous ne devons pas nous interdire d'investir en Iran par peur des sanctions américaines ! Il convient donc de revoir le règlement de 1996.
Vous nous avez invités à faire des propositions : vous ne serez pas déçus par les travaux que nous publierons à l'automne. Nous ne pouvons accepter que la France tienne un double discours sur l'avenir de l'Europe !
Je suis admiratif, monsieur le commissaire européen, non pas encore de vos résultats - il est trop tôt - mais des responsabilités que vous assumez dans une période critique sur l'Europe, à l'heure du Brexit et de l'éventuelle instabilité italienne. L'Europe ne doit pas rester immobile : favorisons l'innovation, tout en veillant au respect de l'équilibre budgétaire et à nos responsabilités en la matière. L'esprit d'innovation doit également souffler sur les recettes de l'Union, en gardant à l'esprit que le niveau des prélèvements obligatoires doit demeurer acceptable pour les populations. Le Sénat est habituellement attentif à conduire des politiques innovantes sans sacrifier les actions traditionnelles de l'Europe, essentielles, comme la PAC, à la cohésion des territoires. Veillons à ne pas détruire les acquis au profit de nouvelles priorités !
La réunion est close à 10 h 50.