Intervention de Günther Oettinger

Commission des affaires européennes — Réunion du 24 mai 2018 à 8h30
Économie finances et fiscalité — Audition de M. Günther Oettinger commissaire européen au budget et aux ressources humaines

Günther Oettinger, commissaire européen :

L'Autriche, également favorable à une réduction des dépenses européennes, va prendre en juillet la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne et risque de faire, pour des raisons différentes, autant de surpris que de déçus. Voyez, je suis au coeur de toutes les déceptions ! Il nous faut, quoi qu'il en soit, voter un budget, sinon les autocrates à Washington, Ankara et Moscou auront gagné ! Nous avons également besoin d'une simplification durable et d'un unique corpus réglementaire, notamment pour que les petites entreprises et exploitations cessent de supporter une trop lourde charge administrative.

S'agissant des politiques de cohésion, l'enveloppe de 373 milliards d'euros qui y est consacrée par le présent CFP sera reconduite à l'identique, ce qui représente un bel effort compte tenu de la sortie du Royaume-Uni, deuxième contributeur national au budget de l'Union. Les régions en difficulté doivent évidemment être soutenues pour compenser les déséquilibres au sein de l'Union européenne. Je pense notamment aux régions rurales de Bulgarie, de Croatie et de Roumanie. La France et l'Allemagne devraient davantage investir dans ces territoires, mais leur motivation est limitée par rapport à l'intérêt qu'elles portent aux retours financiers de l'Union européenne à leur profit. Pourtant, le produit intérieur brut (PIB) par habitant ne dépasse pas 27 000 euros en Bulgarie, contre 40 000 euros en Allemagne.

Quant aux investissements en faveur de l'innovation, nous portons l'enveloppe destinée au programme digital à 9 milliards d'euros, contre un milliard initialement prévu, pour des projets relatifs à l'intelligence artificielle, à l'ordinateur haute performance, aux micro et aux nanotechnologies.

La gestion des frontières sera, par ailleurs renforcée. Frontex verra ainsi ses effectifs passer de 1 400 à 10 000 agents et les pays concernés par une immigration massive - la Bulgarie, la Grèce, Malte, Chypre, l'Italie et l'Espagne - seront davantage soutenus.

Vous avez également évoqué les recettes de l'Union européenne. À cet égard, dès que le Conseil aura progressé sur la taxe numérique ou sur celle relative aux transactions financières, croyez bien que je ferai le nécessaire pour y adapter le CFP. Mais vous savez comme moi combien il est difficile d'obtenir l'unanimité imposée sur les questions fiscales... La majorité qualifiée serait plus aisée à atteindre, mais les États membres ne sont pas favorables à une telle évolution.

Le fonds Invest EU est destiné au financement de projets innovants, qui ont besoin de liquidités ou de prêts garantis. Il interviendra en relation avec la BEI, mais également avec les banques publiques et privées nationales. Nous essaierons de progresser encore pour apporter aux entreprises des aides de nature différente. Le programme Horizon sera, quant à lui, doté de 100 milliards d'euros, avec un maintien des crédits destinés à la recherche fondamentale et appliquée.

J'aimerais rappeler, s'agissant de la conditionnalité, que l'Europe accorde chaque année des financements à des projets, dans le cadre d'une nécessaire relation de confiance, qui ne supporte ni abus ni fraude. Or, nous savons, via l'office européen de lutte anti-fraude (OLAF), que les fraudes existent. Il semblerait par exemple, et une enquête est en cours, que la mafia italienne détourne des fonds agricoles en Slovaquie. Lorsque l'Europe souhaite demander le remboursement des sommes indûment perçues, le litige est porté devant la justice du pays concerné. Il est donc indispensable que celle-ci présente des garanties d'indépendance, ce qui justifie la politique européenne de conditionnalité des aides. Il ne s'agit donc pas d'une sanction mais d'un outil de protection des contribuables européens.

Vous vous êtes préoccupés du soutien des entreprises européennes en Iran. Sachez toutefois qu'une entreprise comme Total, qui exploite du pétrole en Iran, investit également aux États-Unis : je suppose qu'elle réfléchit actuellement à ses intérêts prioritaires... Dans 99 % des cas, les intérêts commerciaux avec les États-Unis sont supérieurs à ceux liés à l'Iran, puisque les États-Unis représentent le premier partenaire commercial de l'Union européenne. Nous devons certes protéger nos entreprises, mais veillons à ne pas devoir compenser un désavantage encore plus grand en provenance des États-Unis. En outre, les moyens de l'Union sont limités à environ 1 % du RNB national : n'en attendez pas trop ! Il en va de même avec la BEI, dont les moyens sont bien inférieurs à ceux du Crédit Agricole par exemple.

Deux écoles existent concernant les négociations relatives au CFP : les achever ou non avant les élections du Parlement européen en 2019. En application du règlement budgétaire, nous aurions dû présenter un projet en décembre dernier. Or, en raison du Brexit, nous n'avons été prêts qu'au mois de mai. Selon certains d'entre vous, nous aurions dû attendre jusqu'en juin 2019 ! Nous avons préféré prendre le temps du débat et, surtout, éviter que le CFP ne constitue une problématique de la campagne électorale au profit des partis populistes de droite comme de gauche. J'ignore quelle sera la prochaine majorité au Parlement européen mais, quoi qu'il en soit, si nous attendons 2019, voire 2020, pour débattre du CFP, nous commettrons la même erreur que lors des dernières négociations budgétaires et verront à nouveau des projets européens retardés. Nous avons neuf mois pour débattre, ne soyons pas défaitistes et faisons preuve de bonne volonté ! La France vote bien en deux mois un budget autrement plus volumineux ! Le Conseil doit établir le CFP comme prioritaire et les ministres des finances faire l'effort de venir une quarantaine de jours à Bruxelles pour participer aux négociations.

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