Intervention de Vincent Jauvert

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 17 mai 2018 à 15h30
Audition commune avec Mme Ghislaine Ottenheimer rédactrice en chef de challenges et Mm. Vincent Jauvert journaliste à l'obs auteur de les intouchables d'état bienvenue en macronie robert laffont 2018 et laurent mauduit journaliste à mediapart

Vincent Jauvert, journaliste à l'Obs :

Je vous remercie de votre invitation. Je vais essayer de vous raconter brièvement ce qu'il y a dans mon livre. Selon Emmanuel Macron lui-même, dans son ouvrage Révolution, « les hauts fonctionnaires forment une caste bénéficiant d'avantages hors du temps. » Il parlait, comme nous, je pense, essentiellement des grands corps d'État, qui viennent de l'ENA et de Polytechnique.

Pourquoi une caste ? Ils fonctionnent dans l'entre soi, se cooptent, se répartissent les postes les plus importants non seulement dans le public, mais aussi dans des grands groupes privés qui vivent souvent de la commande étatique ou interviennent dans des secteurs très régulés par l'État. Ayant le droit de revenir dans leur corps d'origine pendant 10 ans, ils bénéficient de fait d'un véritable parachute doré, payé par le contribuable.

La nouveauté, depuis quelques années, c'est qu'ils effectuent des allers-retours successifs entre public et privé. C'est très « macronien », me semble-t-il. Auparavant, le pantouflage était plus une récompense pour des fonctionnaires en fin de carrière. Le problème, c'est que, s'il existe une commission de déontologie pour surveiller les départs du public vers le privé, il n'en existe pas pour les mouvements inverses. La première, même si elle fonctionne très mal, a au moins le mérite d'exister.

Ces dernières années, nombre de conflits d'intérêts sont apparus, car ces hauts fonctionnaires ne choisissent pas n'importe quels postes dans le privé. Les transfuges de la haute fonction publique sont lobbyistes ou avocats d'affaires, bref, des postes où ils peuvent monnayer leur carnet d'adresses, mais, surtout, ce qu'ils savent des faiblesses de l'État, ce qui est encore plus gênant. Il en est ainsi des conseillers fiscaux qui viennent de Bercy. Michel Sapin considérait cela comme un scandale.

Il y a une autre nouveauté que j'étudie dans mon ouvrage. Cela me vaut d'être traité de misogyne, alors que tel n'est évidemment pas le cas. Il y a aujourd'hui des couples qui font carrière ensemble. La raison, en soi positive, c'est qu'il y a de plus en plus de femmes à l'ENA. Leurs enfants entrent aussi parfois dans le moule, ce qui fait que des familles entières font des carrières en parallèle dans le même domaine, mais simultanément dans le public et le privé. Cela commence à poser des problèmes, mais je n'ai aucune idée de la façon de les régler.

Le scandale, c'est qu'ils ne sont presque jamais sanctionnés lorsqu'il y a des abus, des fautes. Je cite un certain nombre d'exemples dans mon livre. Non seulement ils ne sont pas sanctionnés, mais ils sont souvent promus ailleurs. C'est le fonctionnement des corps qui veut cela, mais c'est absolument anormal.

Selon Mme Lebranchu, ces super hauts fonctionnaires jouissent souvent d'un pouvoir supérieur à celui des ministres. Il suffit d'écouter certains ministres se plaindre des pouvoirs du vice-président du Conseil d'État ou du Secrétariat général du Gouvernement. Ces personnes sont capables de s'opposer dans la pratique à la volonté politique.

Enfin, il y a le problème des rémunérations de ces fonctionnaires, qui sont, pour 600 d'entre eux, supérieures à celle du Président de la République. Je ne sais pas si c'est bien ou mal. En tout cas, le système manque totalement de transparence. On m'a donné ces éléments de manière confidentielle, ce qui, là encore, est totalement anormal.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion