Intervention de Ghislaine Ottenheimer

Commission d'enquête mutations Haute fonction publique — Réunion du 17 mai 2018 à 15h30
Audition commune avec Mme Ghislaine Ottenheimer rédactrice en chef de challenges et Mm. Vincent Jauvert journaliste à l'obs auteur de les intouchables d'état bienvenue en macronie robert laffont 2018 et laurent mauduit journaliste à mediapart

Ghislaine Ottenheimer, rédactrice en chef de Challenges :

J'ai hésité à accepter cette invitation, parce que mon livre date de 2004. Pourtant, je me suis dit que, hélas, pas grand-chose n'avait changé depuis.

Je n'ai pas d'exemples aussi précis qu'en 2004, lorsque j'avais pu décrire minutieusement la façon dont M. Pinault avait racheté la FNAC, qui était très révélatrice de l'endogamie existant entre une petite élite administrative et les conseils d'administration.

Les choses n'ont pas beaucoup changé, même si, en surface, il y a des commissions de déontologie. Je dirai même que la situation a empiré à cause des allers-retours décrits par Vincent Jauvert. À chaque fois, on élargit un peu son carnet d'adresses et on grimpe aussi dans la hiérarchie.

Est-ce une dérive ou des cas isolés ? Un peu des deux. La dérive, c'est le constat que plus de 40 % de l'élite administrative, à savoir l'IGF, travaille dans le privé. Quel exemple donne-t-on à l'administration ? On m'a toujours appris que les chefs devaient donner l'exemple. Il faut peut-être se poser des questions sur la finalité de ce corps.

On me dit qu'il y a des grandes écoles partout. J'ai la chance de bien connaître Harvard. Dans la law school, qui regroupe l'élite du pays, il y a 1 800 élèves par an, donc on ne retrouve pas du tout la même promiscuité qu'en France, où quelques dizaines de personnes dirigent la banque et la finance. Autant dire que, lorsque se présente un problème, il est réglé très en amont et personne n'en entend parler.

Comment voulez-vous que les Français acceptent cela ? Maintenant, il y a aussi des cas isolés. Il y aura toujours des gens qui ne se comportent pas bien. Cependant, il faut les sanctionner, ce qui n'est pas toujours le cas. À mon sens, ce phénomène provoque une asphyxie de la vie politique.

J'ai rencontré Xavier Musca, qui se réjouissait du fait que la Ve République était comme une dictature romaine. Ce sont les sachants, qui dictent la politique sur les sujets importants. Songez qu'il y a trois inspecteurs des finances au cabinet de M. Darmanin, deux au cabinet de M. Le Maire et un chez Mme Buzyn. Il y en a à l'Élysée, à Matignon, bref, ils supervisent le respect de la doxa à tous les niveaux. Il y a aussi ceux que je nomme les sous-hommes, les inspecteurs du Trésor, qui sont des sous-inspecteurs des finances, mais qui ont le même corpus intellectuel. Ces gens-là n'ont absolument aucune dimension politique.

Quand M. Ruffin critique la réforme de la SNCF, qui ne parle ni d'écologie ni d'aménagement du territoire, il a raison.

Il y a aussi un impact sur la gestion du pays. Lors de la mise en oeuvre de la RGPP, M. Faugère, alors directeur de cabinet de M. François Fillon, Premier ministre, m'avait dit qu'il avait rencontré nombre de fonctionnaires extrêmement compétents et dévoués au service public qui n'avaient aucune possibilité de monter, bloqués qu'ils étaient par de jeunes énarques qui prenaient les postes un an ou deux, donc pas assez longtemps pour acquérir une véritable expertise et bien connaître leur administration. On passe donc à côté de véritables talents.

Enfin, il y a un impact sur la nature de notre capitalisme. En Allemagne, les chefs d'entreprise connaissent leur coeur de métier et savent développer leur entreprise. Les inspecteurs des finances ne savent faire que de l'acquisition externe pour doper le chiffre d'affaires, donc ils amplifient les dérives du capitalisme financier.

- Présidence de M. Vincent Delahaye, président -

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