Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 29 mai 2018 à 15h00
Nouveau pacte ferroviaire — Question préalable

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Cette méthode du Gouvernement, qui devient une habitude, est peu conforme aux règles constitutionnelles qui définissent l’exercice du pouvoir législatif par le Parlement.

Venons-en au contenu.

Nous abordons le texte avec un sentiment de déjà-vu, puisque nous avons débattu de ces enjeux lors de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Hervé Maurey et notre ancien collègue Louis Nègre, qui était prête – faut-il le rappeler ? – depuis plusieurs mois, mais qui a été opportunément ressortie §pour signifier au Gouvernement que le Sénat refuse un passage par la voie d’ordonnances de la réforme ferroviaire.

Toutefois, il s’agit d’un refus de pure forme, car, sur le fond, les différences d’appréciation ne sont pas fondamentales. Soyons clairs, le Gouvernement et la majorité sénatoriale partagent l’idée qu’il n’y a pas d’autre horizon que l’ouverture à la concurrence à plus ou moins brève échéance !

Nous ne partageons pas cette idée puisque, contrairement à ce que nous entendons, l’Europe laisse aux États des marges de manœuvre suffisantes pour ne pas appliquer le quatrième paquet ferroviaire voulu par vos prédécesseurs, madame la ministre, que ce soit au travers du règlement OSP – le règlement sur les obligations de service public – ou de la reconnaissance des services publics par le traité de Lisbonne. L’Europe n’impose pas davantage le changement de statut de l’entreprise publique.

En revanche, l’Europe impose le respect de normes en matière de pollution de l’air, mais, apparemment, votre gouvernement fait son marché dans les règlements : il y a ceux qu’il décide de suivre et ceux qu’il décide de ne pas suivre. Nous en reparlerons…

Partout où la libéralisation du ferroviaire a été mise en œuvre, les conditions de transport des usagers se sont dégradées, que ce soit en raison de l’état des infrastructures, des tarifs ou encore de la sécurité. L’Italie, l’Allemagne, le Royaume-Uni, aucun de ces pays ne peut être érigé en modèle, et vous le savez bien !

En France également, l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire a conduit à réduire encore plus sa part modale, et a justifié une gestion d’entreprise tournée vers la rentabilité, ce qui a conduit à l’abandon d’un certain nombre de dessertes.

Comme l’ensemble des textes qui nous sont présentés depuis des décennies, ce projet de loi nous semble symptomatique de l’approche désormais privilégiée lorsque l’on parle du rail, une approche purement comptable et gestionnaire d’un secteur d’activité et d’une entreprise publique que l’on voudrait faire « entrer au forceps » dans le moule libéral, paquet ferroviaire après paquet ferroviaire.

Or cela n’est pas si simple parce que, justement, nous parlons d’un secteur dont l’intérêt général résulte de trois grandes caractéristiques.

Premièrement, son réseau structure l’aménagement de notre pays et constitue sa colonne vertébrale, un atout indéniable pour la compétitivité de notre économie.

Deuxièmement, son développement constitue une alternative crédible et efficace à la route et à l’aérien pour la transition énergétique et le passage à une économie décarbonée, comme nous y appellent les accords de Paris et le Grenelle de l’environnement. La dette environnementale n’est pas négociable et elle est bien plus lourde que la dette ferroviaire !

Troisièmement, enfin, son existence contribue à l’exercice du droit à la mobilité pour nos concitoyens. À l’heure où, sur les réseaux d’information, tout se mesure en nanoseconde, il est nécessaire que nos concitoyens puissent, eux aussi, se déplacer facilement.

Les politiques, menées les gouvernements successifs, d’assèchement des ressources, d’endettement massif de l’opérateur et d’absence d’investissement public à la hauteur des besoins font peser un doute réel sur la viabilité du système ferroviaire et sur l’avenir du service public. Il y a donc effectivement urgence à légiférer !

Le problème, c’est que votre projet de loi n’a qu’une boussole, l’ouverture à la concurrence, et, de facto, il n’établit aucun principe directeur en faveur d’une politique de la mobilité favorisant coopération, interconnexion et complémentarité ; il ne prévoit aucun financement nouveau.

Quant à la reprise de la dette par l’État à hauteur de 35 milliards d’euros, ce n’est pas un cadeau fait aux cheminots, c’est une stricte obligation comptable. C’est le prix à payer pour préparer la privatisation de l’entreprise historique ! Soyons précis, une société anonyme ne peut pas être endettée à un niveau supérieur à deux fois le montant de ses fonds propres qui, pour SNCF Réseau, sont estimés à 7 milliards d’euros. Donc, 50 milliards d’euros de dette dont on soustrait deux fois 7 milliards d’euros – 14 milliards d’euros –, cela fait 36 milliards d’euros. Le compte est bon…

Je le redis, tant ce texte est transparent en la matière, le seul objectif de cette réforme est la concurrence et l’arrivée de nouveaux opérateurs qui seraient, on ne sait par quel miracle, plus performants que la SNCF, laquelle a pourtant déjà fait d’importants progrès de productivité.

Toutefois, vous connaissez l’adage, qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ; c’est exactement ce qui arrive à la SNCF et, plus largement, au système de service public ferroviaire. Cette politique n’est pas nouvelle. Elle se place dans la continuité de toutes les politiques menées depuis trente ans, qui créent les conditions du dépérissement du service public ferroviaire par l’instauration d’une concurrence déloyale et font du service ferroviaire un service déficitaire, sous-utilisé et sous-financé.

On connaît déjà la prochaine étape : préparer la vente à la découpe de l’opérateur public par le changement de statut et la filialisation. Comment comprendre cette non-préservation des intérêts publics ? Excusez-moi, mais cela ressemble à du sabotage !

Il faut en finir avec ces recettes libérales. Nous aurons l’occasion dans le débat, via nos amendements et nos interventions sur les différents articles, d’être plus explicites sur ces sujets.

Si nous avons déposé cette motion, c’est non pas pour clore le débat, mais pour affirmer publiquement que votre réforme n’est pas bonne, madame la ministre, car, loin de moderniser et de développer le service public ferroviaire, vous préférez le livrer aux appétits du privé, qui en fera ce qu’il voudra là où cela rapporte et l’abandonnera là où cela ne rapporte pas, au nom de la rentabilité !

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