Intervention de Guillaume Gontard

Réunion du 29 mai 2018 à 15h00
Nouveau pacte ferroviaire — Discussion générale

Photo de Guillaume GontardGuillaume Gontard :

Même le président de l’ARAFER, instance chargée de superviser la mise en concurrence de l’activité ferroviaire, a reconnu que ce changement de statut n’était pas nécessaire. La seule vertu – si j’ose dire – de ce changement est qu’il oblige le Gouvernement à s’intéresser enfin à la dette de SNCF Réseau, pour ne pas tuer dans l’œuf la future société anonyme.

Cette dette, largement imputable à une stratégie étatique mal pensée du tout LGV, obère toute capacité de rénovation et de modernisation de notre réseau ferré. Or la vétusté de ce dernier est telle que l’on peut s’estimer heureux qu’il n’y ait eu, à ce jour, qu’un seul Brétigny-sur-Orge !

Cités en exemples, l’Allemagne et le Japon ont assumé la reprise de la dette ferroviaire et déployé des investissements massifs dans leur réseau avant la mise en concurrence. Cela aurait dû être le cœur de la réforme : au lieu d’anticiper l’explosion future de la dette, le Gouvernement en éponge le minimum vital tout en contraignant drastiquement les capacités d’investissement de SNCF Réseau.

À ce sujet, il faudra donc nous contenter d’une promesse insuffisante : avec 36 milliards d’euros en dix ans, on est loin des 40 milliards d’euros que l’Allemagne a investis en cinq ans sur son réseau avant d’ouvrir son rail, loin des besoins de nos infrastructures !

Il n’y a d’ailleurs aucun exemple d’ouverture à la concurrence qui ne soit pas un échec sans investissement public massif dans les infrastructures. Plus que le dogme concurrentiel bruxellois, c’est l’investissement public qui explique que les modèles ferroviaires allemand et suédois n’aient pas suivi complètement le catastrophique exemple britannique.

Madame la ministre, pour nous répondre, vous nous direz d’attendre le projet de loi de programmation des infrastructures, mais ce texte est renvoyé aux calendes grecques, tout comme le projet de loi d’orientation des mobilités, alors que nous aurions dû consacrer un débat global aux transports du XXIe siècle !

Oui, la création d’un véritable service public ferroviaire méritait une réforme d’envergure. Or, dans une stratégie bien connue d’écran de fumée, le Gouvernement a préféré concentrer le débat sur le statut des cheminots, une paille qui permettra à la SNCF d’économiser 10 millions d’euros, 15 millions d’euros au mieux ; en revanche, ses agents s’en trouveront un peu plus précarisés… Quelle mesquinerie ! Qu’il est commode de tenter de dresser les Français les uns contre les autres pour démanteler sans bruit le service public, patrimoine de ceux qui n’en ont pas.

À rebours d’un enjeu comptable, rappelons que ces agents dévoués assurent une mission de service public et ne sauraient être des épouvantails masquant les difficultés de la SNCF. À l’opposé des attaques inacceptables que contient ce projet de loi, les cheminots doivent être confortés dans leur statut. Notre rapporteur lui-même l’a reconnu : loin d’être des privilèges, leurs acquis sociaux devraient être la norme pour tous les travailleurs de ce pays.

Nous remercions les cheminots d’avoir, par le sacrifice d’un mois de salaire, empêché le Gouvernement d’aller au bout de sa logique initiale : la privatisation de la SNCF par ordonnances. Grâce à leur engagement, la potion qui sortira du Sénat sera, je l’espère, un peu moins amère.

Néanmoins, selon une logique libérale bien connue de privatisation des profits et de socialisation des pertes, c’est tout le réseau secondaire qui restera à la charge du contribuable. En reportant le problème sur les régions sans accroître les moyens de ces dernières, on menace de disparition progressive des milliers de kilomètres de lignes.

En Allemagne, ce sont ainsi 10 000 kilomètres de lignes, soit 20 % du réseau, qui ont disparu en vingt ans. En France, Spinetta nous en promet 9 000 !

Une telle perspective est plus qu’alarmante §quand on examine les enquêtes d’opinion qui, en France, aux États-Unis ou en Autriche, établissent une corrélation irréfutable entre l’éloignement d’une gare et le vote d’extrême droite. Ce constat a d’ailleurs été relevé il y a quelques instants : supprimer une gare, supprimer une ligne, c’est renforcer ce sentiment d’abandon qui mine la concorde nationale.

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