Le bureau de notre commission a en effet décidé de rendre un avis sur ce texte transmis au fond à la commission des lois, mais dont quelques dispositions nous intéressent tout particulièrement : l'article 20 relatif au « passeport talent » et à la mobilité des chercheurs étrangers ; l'article 21 relatif à la mobilité des étudiants étrangers et à l'autorisation provisoire de séjour qui leur permet aujourd'hui de rester 12 mois supplémentaires sur le territoire après l'obtention de leur diplôme, pour chercher un emploi ou créer une entreprise ; l'article 22 relatif à la mobilité des jeunes au pair ; l'article 33 quater, qui traite d'une question liée à la scolarisation obligatoire.
Vous vous souvenez peut-être de nos débats de 2015 sur le projet de loi relatif au droit des étrangers, rapporté par Guy-Dominique Kennel. C'est dans cette loi qu'avait été créé (et nous y étions favorables) le « passeport talent », une carte de séjour pluriannuelle destinée aux talents étrangers qui peuvent contribuer, par leur venue sur notre territoire, au développement et au rayonnement de la France. Plus de 30 000 passeports ont été délivrés depuis le 1er novembre 2016 aux dix catégories de « talents » étrangers visés par la loi : chercheurs, salariés de start-up, investisseurs, artistes, sportifs, etc.
Nous avions marqué en 2015 notre attachement à ce dispositif d'immigration choisie. La récente audition de Mme Béatrice Khaiat, directrice générale de Campus France, nous a bien rappelé à quel point le « marché » - car c'en est un - de la mobilité internationale est en expansion : on compte 4,6 millions d'étudiants en mobilité aujourd'hui, ce chiffre pourrait atteindre 9 millions dans moins de 10 ans. C'est un marché hyperconcurrentiel : 47 % des étudiants qui ont choisi la France ont hésité entre plusieurs autres pays. Et de nouveaux acteurs particulièrement puissants émergent, Pays-Bas, Turquie, Arabie Saoudite, Émirats arabes unis.
La France peut s'enorgueillir d'accueillir plus de 73 000 étudiants étrangers chaque année, soit 325 000 étudiants étrangers présents à ce jour sur notre territoire, ce qui la place au quatrième rang mondial et au premier rang des pays non anglophones. Mais alors même qu'en termes absolus nous accueillons de plus en plus d'étudiants, notre « part de marché mondiale » se réduit d'année en année.
Pour l'accueil des chercheurs étrangers, nous sommes bien placés également avec près de 12 500 chercheurs étrangers hors Union européenne accueillis, ce qui nous place au deuxième rang européen derrière le Royaume-Uni.
En 2015, nous avions émis une réserve : il ne faudrait pas que les différents dispositifs d'immigration choisie constituent un « aspirateur à talents » qui vienne encore appauvrir les pays émergents et en développement. C'est un véritable risque et je ne méconnais pas la difficulté de poser le bon curseur entre « concurrence internationale pour les talents étrangers » et « préservation des ressources humaines des pays tiers ». Je compte interroger cet après-midi M. le ministre d'État Gérard Collomb pour connaître les mesures prises pour assurer un codéveloppement des talents internationaux.
Le développement des dispositifs d'immigration légale choisie doit se faire avec rigueur. En ces temps de pression migratoire forte sur les pays de l'Union européenne, les risques de détournement des dispositifs doivent être bien appréciés et l'immigration légale doit aussi être contenue.
Pourquoi remettre l'ouvrage sur le métier à peine un an et demi après le lancement de cette carte ? Parce qu'une directive dite « enseignants-chercheurs » de 2016 (adoptée après notre loi sur le droit des étrangers) apporte des novations, que la France doit impérativement transposer avant le... 23 mai 2018.
C'est le cas notamment des règles relatives à l'entrée et au séjour des étudiants et des chercheurs étrangers dits « en mobilité », c'est-à-dire susceptibles d'étudier ou de conduire leurs travaux de recherche dans plusieurs États membres de l'Union européenne, soit qu'ils relèvent d'un programme de l'Union européenne, soit qu'ils relèvent d'un programme multilatéral comportant des mesures de mobilité dans au moins deux États membres, soit qu'ils relèvent d'une convention entre deux établissements d'enseignement supérieur ou deux organismes de recherche dans au moins deux États membres.
La directive de 2016 prévoit qu'ils doivent bénéficier d'un titre de séjour à leur arrivée dans le premier État membre, mais qu'ensuite, pour entrer et séjourner dans un deuxième État membre, ils sont exemptés de titre de séjour.
La directive de 2016 prévoit également que les étudiants et les chercheurs étrangers ont le droit de poursuivre leur séjour une fois leur diplôme obtenu ou leurs travaux de recherche achevés, pendant une durée minimale de 9 mois, afin de rechercher un emploi ou créer leur entreprise. Notre « autorisation provisoire de séjour » (APS), d'une durée de 12 mois, est cependant réservée aux étudiants. Il convient donc de la modifier pour y faire entrer les bénéficiaires prévus par la directive.
La France transpose donc aujourd'hui ces dispositions et je vous proposerai bien entendu d'y être favorables, en revoyant toutefois les dispositifs proposés afin de rester au plus près des conditions posées par la directive. Ce sera l'objet de deux de mes amendements, l'un à l'article 20 (pour les chercheurs étrangers en mobilité) et l'autre à l'article 21 (pour les étudiants étrangers en mobilité).
La directive de 2016 prévoyait aussi des dispositions relatives aux jeunes au pair afin de leur donner un statut, avec des droits et des devoirs. La transposition de ces dispositions était facultative, mais la France a choisi, dans l'article 22, de les transposer. Il n'y a pas de changement majeur par rapport à l'état actuel du droit applicable sur notre territoire, qui était régi par un accord de 2009 et dont la directive reprend les grandes lignes. Je vous proposerai d'être favorable à cette transposition sous réserve de deux amendements.
Lors de nos débats de 2015, nous nous étions opposés à la suppression de la visite médicale des étudiants étrangers primo-arrivants par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Celle-ci était en effet très utile pour détecter des maladies infectieuses avant leur propagation dans une salle de TD ou un amphithéâtre de 250 places. La loi de 2016 sur le droit des étrangers a confié la responsabilité du « suivi sanitaire préventif » de ces étudiants aux établissements d'enseignement supérieur, mais sans transfert des moyens de l'OFII. La situation sur le terrain n'est pas satisfaisante et les risques pour la santé publique ne sont pas nuls. C'est pourquoi je vous proposerai de supprimer la responsabilité des établissements d'enseignement supérieur dans le suivi sanitaire préventif des étudiants étrangers (tout en rappelant qu'ils ont bien entendu accès comme tout étudiant, sans condition de nationalité, aux actions de promotion de la santé menées dans les établissements) et de demander au Gouvernement de rétablir la visite médicale par les médecins de l'OFII qui sont de particulièrement bons connaisseurs des maladies infectieuses.
Enfin, l'Assemblée nationale a introduit un article 33 quater qui prévoit qu'en cas de refus d'un maire d'inscrire un enfant en âge scolaire dans une école publique de la commune, et sans attendre l'intervention du préfet (qui doit enjoindre au maire de procéder à l'inscription ou y procéder d'office lui-même), le directeur académique des services de l'éducation nationale (Dasen) peut inscrire provisoirement les enfants à l'école. Plusieurs refus de maire se sont déjà produits s'agissant d'enfants étrangers primo-arrivants ; et le défenseur des droits ainsi que le juge se sont prononcés à plusieurs reprises sur de tels cas. L'initiative des députés part d'une bonne intention, mais je vous proposerai néanmoins la suppression de cet article. Non pour conforter le maire dans son refus (en tant qu'agent de l'État, il doit inscrire ces enfants sur la liste scolaire), mais dans le but d'enjoindre aux services de l'État (le préfet et le Dasen) d'agir rapidement et de concert pour l'inscription des enfants. Il me semble de très mauvaise législation de prévoir des dispositifs de substitution à tiroirs comme cela nous est proposé. L'autorité de l'État est unique : le préfet doit agir, sans qu'il soit besoin de prévoir le Dasen en doublure.