Cette proposition de loi signée, entre autres, par MM. Mouiller, Revet et Morisset, vise à résoudre un problème aussi ancien que récurrent dans nos débats parlementaires : l'attribution de la carte du combattant aux soldats engagés en Algérie après les accords d'Évian. La fin effective du conflit a eu lieu bien après l'indépendance de l'Algérie : la présence militaire française y a été prolongée au-delà de mars 1962 pour des opérations de maintien de l'ordre et de pacification jusqu'en juillet 1964. Durant cette période transitoire, 535 militaires français, appelés ou engagés, ont perdu la vie. Il était important de rendre enfin justice à ces combattants et d'honorer la mémoire de leurs frères tombés en Algérie.
On nous a souvent opposé trois objections pour justifier le refus d'une telle mesure. Premièrement, les associations d'anciens combattants avaient des positions divergentes sur ce sujet. Je les ai reçues ; désormais, toutes soutiennent notre démarche. La deuxième objection était d'ordre diplomatique, certains craignant que l'adoption de cette disposition n'affecte nos relations avec l'État algérien. La France est actuellement engagée dans de nombreuses opérations extérieures sans pour autant remettre en cause le principe de souveraineté des pays dans lesquels elle intervient. Ce sont des opérations menées dans un cadre légal et il en allait de même en Algérie, devenue État indépendant, pour la période allant de 1962 à 1964. La présence française s'apparentait ainsi à une opération extérieure (Opex), au sens où on l'entend aujourd'hui. Les opérations militaires de l'époque ne contestaient nullement les accords d'Évian mais visaient à les consolider. Troisième argument, la mesure serait coûteuse. Or ce coût sera décroissant, en raison de la diminution du nombre de combattants survivants ; les derniers engagés ont autour de 75 ans. Selon le Gouvernement, le nombre potentiel de bénéficiaires est estimé à 50 000, chiffre qui doit être rapporté aux 955 000 pensionnés au 31 décembre 2017, en baisse de 50 000 par an depuis 2013. Il suffirait de maintenir la même ligne budgétaire qu'en 2018 pour financer cette mesure. On peut estimer son coût en multipliant le nombre de bénéficiaires estimé par le Gouvernement par 750 euros. On aboutit alors à 37,5 millions d'euros. Cette évaluation constitue une fourchette haute, puisque d'autres estimations font état de 30 000 bénéficiaires potentiels, soit un coût d'environ 20 millions. Il faut aussi ajouter la perte de recettes liée à la demi-part fiscale supplémentaire dont bénéficient les titulaires de la carte du combattant. Les crédits inscrits en 2018 pour les pensions des anciens combattants s'élèvent à 743 millions. Une majoration de 5 % suffirait très largement à financer la mesure.
Madame la Ministre, j'observe avec satisfaction mais aussi étonnement l'annonce récente du Gouvernement de financer la mesure dans le prochain budget, alors que la proposition de loi du député Gilles Lurton, très semblable à notre texte, a été repoussée à l'Assemblée nationale en avril dernier, à la demande du Gouvernement, au motif que le texte était prématuré. Ce serait moins prématuré un mois après ! La coïncidence de l'annonce ministérielle avec notre débat me laisse perplexe ; elle témoigne d'une pratique de plus en plus fréquente du Gouvernement, qui s'approprie nos textes. Je me réjouis que le bon sens prévale enfin, mais je déplore la méthode qui porte atteinte à l'essence du débat parlementaire.
Je me réjouis que notre proposition de loi ait recueilli autant de signatures de tous les groupes politiques, montrant la volonté du Sénat de rendre hommage et de témoigner sa gratitude à ces oubliés de l'histoire. Elle témoigne de l'utilité de notre Haute assemblée pour faire progresser un texte de justice.