Intervention de Anne Courrèges

Commission des affaires sociales — Réunion du 30 mai 2018 à 8h35
Audition de Mme Anne Courrèges directrice générale de l'agence de la biomédecine

Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine :

Le sujet du préembryon est extrêmement complexe et l'Agence ne peut vous donner une réponse ferme et définitive.

En ce qui concerne la culture d'embryon, nous nous référons à l'avis non contraignant du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) de 2001. À l'époque, la recherche sur l'embryon n'était même pas autorisée en France et la question restait largement théorique. Dans son avis de 2001, le CCNE estimait que la culture de l'embryon ne devait pas dépasser 7 jours car, au-delà, l'embryon pouvait être implanté : le Comité estimait que l'on passait de l'in vitro à l'in vivo. La majorité des autres pays a choisi 13 ou 14 jours, car c'est le moment où apparait le tube neural, avec un risque de souffrance de l'embryon, et où s'affirme l'individualisation de l'embryon, ce qui empêche l'apparition de jumeaux. Ces concepts étaient purement théoriques car il n'était pas possible de cultiver des embryons au-delà de 7 jours. Depuis, une équipe a été capable de cultiver un embryon jusqu'à 13 jours : elle s'est volontairement arrêté à ce moment-là. Les termes du débat sont désormais renouvelés. Certains pays s'interrogent pour savoir s'il faut aller au-delà de 13 jours tandis qu'en France on se demande s'il faut passer de 7 à 13 jours. Je vais m'arrêter là : comme il est possible qu'une équipe nous présente un projet de recherche au-delà de 7 jours, je ne voudrais pas empiéter sur les prérogatives de mon conseil d'orientation qui rendra un avis sur le sujet.

En 2010, le CCNE n'a pas jugé bon de revenir sur son avis de 2001 : il a estimé qu'il revenait au législateur de fixer la règle. C'est une question redoutable et passionnante qui mérite des débats approfondis.

L'Agence de la biomédecine est un modèle unique au monde : aucun pays n'a confié à une seule agence tant de domaines. En France, le législateur a voulu doter la loi de bioéthique d'un bras armé. Au fur et à mesure des révisions de la loi de bioéthique, la cohérence de l'Agence s'est affirmée autour de l'idée qu'il fallait soigner l'homme par l'homme. Seul le sang échappe à sa compétence pour des raisons historiques que vous connaissez bien. Nous avons atteint un point d'équilibre. Avec les neurosciences introduites en 2011, nous nous sommes éloignés du champ de la loi de bioéthique et l'Agence, ne disposant pas des compétences en interne, a fait appel à un groupe d'expert. Si d'autres missions étaient confiées à l'Agence il faudrait veiller à la cohérence d'ensemble afin de lui conserver son agilité et sa réactivité qui lui assurent le respect des milieux avec lesquels elle travaille. Des moyens supplémentaires lui permettraient d'acquérir les compétences dont elle ne dispose pas.

Faut-il interdire ce qu'on ne peut empêcher ? Beau sujet de philosophie ! Je vais prendre l'exemple des tests génétiques en ligne, interdits en France, mais que l'on peut se procurer aisément sur des sites Internet étrangers.

Les tests génétiques en disent beaucoup sur votre propre personne et sur vos proches, et ils révèlent toujours une forme de vulnérabilité. En outre, les qualités de ces tests sont extrêmement variables et certains sont même totalement fantaisistes. Compte tenu des caractéristiques des tests génétiques, un conseil est indispensable et il ne faut procéder à un test que s'il est utile, d'où l'importance de la prescription. Les règles posées en France sont donc importantes et nous devons convaincre nos concitoyens que le cadre français est bénéfique, qu'il leur permet d'avoir accès à une information utile pour assurer leur prise en charge.

L'Agence de la biomédecine n'a pas de compétence spécifique en matière d'épigénétique. Si elle a examiné l'impact de l'épigénétique sur la fertilité, son apport reste marginal. Cela dit, l'épigénétique est une science en plein développement.

J'en viens aux ciseaux génétiques : nous en sommes au CRISPR-Cas9 et peut-être même Cas11. Ces ciseaux s'inspirent de techniques préexistantes : il ne s'agit pas d'une révolution mais d'une évolution majeure : ces ciseaux sont faciles d'emploi et d'un faible coût. De nombreuses équipes peuvent donc y avoir recours. Les enjeux éthiques associés à cette technique ne sont pas les mêmes selon les applications qui en sont faites. Vous avez évoqué des hypothèses sur les moustiques : l'Agence n'est pas compétente en ce domaine. Pour l'humain, nous sommes confrontés à différentes hypothèses qui ne posent pas les mêmes questions. Le ciseau moléculaire peut être utilisé en thérapie génique sur un individu, ce qui ne pose pas les mêmes questions que lorsqu'il s'agit de recherche sur un embryon ou sur des cellules souches embryonnaires humaines. Pour ces dernières, le recours au ciseau moléculaire n'entraînera pas de transmission sur la descendance : nous sommes donc proches de la thérapie génique. En revanche, lorsqu'on touche aux gamètes ou à l'embryon, les manipulations peuvent se transmettre à la descendance : pour les pays qui ont ratifié la convention d'Oviedo, ces manipulations sont interdites. Il faudra sans doute clarifier l'état du droit sur la question de la recherche sur l'embryon, sans gestation, ne serait-ce que pour évaluer l'efficacité et l'innocuité de la technique.

Aux États-Unis, l'idée d'un moratoire général avait été avancée. Aujourd'hui, la question porte sur l'application clinique et la possibilité de recherche scientifique. Pour autant, certains pays vont beaucoup plus loin en permettant l'expérimentation sur des embryons vivants. La recherche sur l'embryon est un domaine où l'hétérogénéité des réponses est importante. Il n'y a pas de réponses coordonnées en Europe et dans le monde sur ces sujets. Le législateur devra dire jusqu'où il souhaite aller en ce domaine, notamment l'utilisation ou non du CRISPR-Cas9.

Pour tout ce qui concerne le coeur de la loi bioéthique, à savoir les prélèvements et les greffes d'organes, des principes communs ont été validés. En revanche, l'hétérogénéité domine dès que l'on touche à l'assistance médicale à la procréation ou à la recherche pure. Les législations nationales ont du sens ne serait-ce que parce qu'il appartient à chaque société de dire ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. C'est une responsabilité politique majeure. Reste à essayer de porter ces messages au niveau de l'Europe et, pourquoi pas, du monde. Un travail de pédagogie s'impose donc. Sous prétexte que des débordements seraient possibles ailleurs, faudrait-il cesser de légiférer ? Les travaux parlementaires en seraient singulièrement allégés... Il sera toujours possible de trouver du moins disant éthique et législatif mais cela n'exonère pas de poser des règles.

Je vous renvoie à notre bilan sur l'encadrement international pour ce qui concerne l'anonymat du don de gamètes. Il n'y a pas d'unité : certains pays, dont la France, ont posé la règle de l'anonymat. D'autres ont privilégié d'autres voies. Il est difficile d'en tirer un bilan car les systèmes d'évaluation ne sont pas les mêmes partout. En outre, les effets peuvent être variables dans le temps. Enfin, le don de gamètes dépend de toute une série de mesures comme l'encadrement de l'activité, des campagnes de communication, de l'offre faite sur le territoire.

Les données génétiques sont extrêmement complexes : plus on avance dans la connaissance, plus on mesure la complexité de l'interprétation. Les compétences requises sont multiples : médicales, bien sûr, mais aussi informaticiennes, statisticiennes. Sans doute un nouveau métier va-t-il émerger en ce domaine. Le conseil génétique est essentiel, ce qui implique qu'il faut disposer de professionnels capables de mener cette interprétation. Comme ces tests ont vocation à se développer, il faudra disposer de nombreux professionnels formés. Dans le bilan de l'application de la loi, nous avons évoqué l'extension du rôle des conseillers en génétique. Les patients concernés devront obtenir une réponse en temps et en heure. L'information en génétique implique l'information sur les limites de l'information délivrée : cette activité demande beaucoup de modestie.

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