Commission des affaires sociales

Réunion du 30 mai 2018 à 8h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Conformément aux articles L. 1418-3 et R. 1418-6 du code de la santé publique, le président du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine est nommé pour une durée de trois ans, renouvelable une fois.

En application de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, le Premier ministre a demandé au président du Sénat que la commission des affaires sociales procède à l'audition de Mme Sophie Caillat-Zucman, actuelle présidente du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine, qu'il envisage de reconduire à ce poste et que nous avons le plaisir d'accueillir ce matin.

La présidence du conseil d'administration n'est pas exécutive mais le conseil délibère notamment sur le budget et sur les orientations pluriannuelles. Nous entendrons ensuite Mme Anne Courrèges, directrice de cette agence, sur son rapport sur l'application de la loi de bioéthique.

Mme Caillat-Zucman, nous vous avions reçue il y a trois ans, préalablement à votre nomination. Vous êtes chef de service du laboratoire d'immunologie et histocompatibilité de l'hôpital Saint-Louis et chef du département d'immunologie de Saint-Louis - Robert Debré depuis septembre 2015. Pourriez-vous nous dresser un premier bilan de votre action ?

Pr. Sophie Caillat-Zucman, candidate à la présidence du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine. - Je suis très heureuse de me trouver devant vous, dans le cadre de la procédure de renouvellement éventuel de la présidence du conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine.

Voici rapidement mon parcours professionnel, pour que vous compreniez mon intérêt pour l'Agence de la biomédecine. J'ai 59 ans, je suis médecin, professeur d'immunologie à l'université Paris-Diderot et chef de service du laboratoire d'immunologie et d'histocompatibilité de l'hôpital Saint-Louis à l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP). Je m'intéresse à la greffe depuis mon internat, et ai poursuivi ma carrière en immunologie de la transplantation. Mon laboratoire à l'hôpital Saint-Louis fonctionne comme une plateforme régionale pour réaliser tous les tests de compatibilité donneur-receveur de la totalité des greffes d'organes et de la grande majorité des greffes de moelle ou de cellules souches hématopoïétiques de la région Île-de-France, soit environ 30% de l'activité nationale de greffe. Outre mon activité hospitalière, je dirige une équipe de recherche de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) dont la thématique principale porte sur le rôle de certaines populations de lymphocytes chez les patients greffés. Mes centres d'intérêt médicaux et scientifiques sont très axés sur la greffe et me conduisent à rester informée de toutes les avancées dans ce domaine.

Je connais bien l'Agence de la biomédecine puisqu'avant d'avoir présidé son conseil d'administration depuis juin 2015, j'ai été pendant plusieurs années membre de son conseil médical et scientifique. J'ai une très grande estime pour les différents membres de l'Agence de la biomédecine qui exercent leur mission non seulement avec beaucoup de professionnalisme, mais aussi avec un très grand engagement personnel ; je pense notamment à sa directrice générale, Anne Courrèges, avec qui je travaille en excellente collaboration et que vous rencontrerez tout à l'heure.

L'Agence de la biomédecine a été créée par la loi de bioéthique en 2004, faisant suite à l'Établissement français des greffes en tant qu'agence sanitaire compétente pour les greffes d'organes, de tissus et de cellules depuis 2004. En plus, l'Agence de la biomédecine s'est vu confier des missions supplémentaires sur la procréation, l'embryologie et la génétique humaine. Elle couvre désormais tous les domaines thérapeutiques utilisant des éléments du corps humain, à l'exception du sang, qui relève de l'Établissement français du sang. L'Agence de la biomédecine est également compétente en matière de recherche sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires.

Elle est d'abord une agence sanitaire opérationnelle, qui pilote l'organisation des greffes au niveau national : elle veille à ce que les patients en attente de greffe d'organe puissent trouver un organe compatible et être greffés rapidement. Pour cela, elle gère les listes nationales de patients en attente de greffe et assure la régulation des prélèvements d'organes et la répartition des greffons sur le territoire national. Dans le domaine de la greffe de moelle osseuse ou de cellules souches hématopoïétiques, l'Agence gère le registre national France greffe de moelle (RFGM) de donneurs de cellules souches hématopoïétiques et d'unités de sang placentaire et elle assure le lien avec les registres internationaux de donneurs lorsqu'il n'existe aucun donneur national compatible avec un receveur. Cette mission opérationnelle de pilotage de l'organisation de greffe s'accompagne d'une mission de promotion du don d'organes, de moelle osseuse et de gamètes, qui est encouragée au travers de campagnes d'information audiovisuelles, de journées thématiques et d'interventions auprès du public et des associations.

L'Agence de la biomédecine a aussi une mission d'encadrement, par exemple dans le domaine de la génétique humaine et de la recherche d'embryons pour lesquels elle délivre des agréments et des autorisations. Elle évalue les résultats des centres d'aide médicale à la procréation et promeut la recherche au travers d'un appel d'offres scientifique annuel, qui permet de subventionner des projets de recherche sélectionnés par le conseil médical et scientifique dans les domaines de l'agence. Les compétences de l'Agence de la biomédecine sont très larges et font appel à des expertises à la fois médicales, scientifiques, juridiques et éthiques de haut niveau.

L'Agence s'appuie sur les lois de bioéthique dont elle veille à faire respecter les règles fondamentales d'éthique, d'équité, de sécurité et de solidarité. Le conseil d'administration de l'Agence délibère sur les sujets les plus importants, notamment sur les orientations stratégiques pluriannuelles ainsi que sur les budgets et moyens alloués à l'Agence. La présidence du conseil d'administration n'est pas exécutive : c'est la direction générale de l'agence qui a ce rôle.

Le bilan des trois dernières années est satisfaisant ; l'Agence a rempli les objectifs stratégiques fixés dans le contrat d'objectifs et de performance. Le nombre de greffes d'organes a augmenté de 15% en trois ans, pour atteindre 6 100 greffes en 2017, grâce notamment à l'augmentation du nombre de greffes à partir de donneurs vivants - c'est le cas de 16% des greffes rénales. Depuis fin 2014 est mis en place progressivement le programme dit Maastricht III de prélèvement sur des donneurs chez lesquels il y a eu une décision d'arrêt des thérapeutiques actives en réanimation. Ce programme est encadré de manière très rigoureuse par l'Agence de la biomédecine, pour assurer une étanchéité complète entre les procédures de fin de vie et les procédures de prélèvements. Il concerne désormais une vingtaine d'équipes en France et a permis 234 greffes en 2017.

Deuxième objectif atteint, le nombre de donneurs de cellules souches hématopoïétiques inscrit sur le registre national de France greffe de moelle a augmenté pour atteindre 263 000 donneurs, chiffre dépassant nos attentes, même si nous devons davantage recruter des hommes jeunes - les meilleurs donneurs - et j'en profite pour lancer un appel.

Troisième objectif, le nombre de donneurs de gamètes a augmenté, bien que le nombre de donneurs actuels ne permette pas l'auto-suffisance nationale.

L'Agence a réalisé certaines modifications requises dans le cadre de la loi de modernisation du système de santé, comme intégrer à son conseil d'administration des représentants d'associations d'usagers du système de santé. La compétence en matière de bio-vigilance pour les activités de prélèvement et de greffe a été transférée de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) vers l'Agence de la biomédecine. Nous gérons aussi le registre national des refus de don d'organes.

Le contrat d'objectifs et de performance de l'agence 2017-2021, signé avec la Direction générale de la santé, formalise les grandes orientations de l'Agence, en lien avec les trois plans d'action ministérielle concernant la greffe d'organes et de tissus, la greffe de cellules souches hématopoïétiques et la procréation, embryologie et génétique humaine. Ce contrat est organisé autour de deux axes stratégiques : un axe médical et scientifique vise à accroître l'accès à la greffe d'organes avec un objectif de 7 800 greffes en 2021 - contre 6 100 en 2017, dont 1 000 à partir de donneurs vivants, et à accroître l'accès à la greffe de tissus et de cellules souches hématopoïétiques et l'accès à l'aide médicale à la procréation, avec un objectif d'autosuffisance nationale du don de gamètes. Deuxième axe, nous poursuivons des objectifs transversaux tels que la promotion de la recherche, la communication avec le public et la formation des personnels de santé, dans un contexte d'efficience imposée. Bien sûr, l'Agence de la biomédecine a apporté son expertise aux travaux de réexamen de la loi de bioéthique qui sont engagés cette année.

Je suis très motivée à poursuivre mon action à l'Agence de la biomédecine et à y apporter mes compétences. Ma fonction me fait aborder des sujets en lien direct avec mon activité hospitalo-universitaire, mais qui prennent une dimension humaine, beaucoup plus vaste, avec des personnes d'horizons très différents, dans les domaines qui m'ont passionnée dès le début de mon activité de médecin.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Vous avez souligné l'insuffisance du don de gamètes mais dans le même temps, la procréation médicalement assistée (PMA) « non médicale » occupera de nombreux débats techniques et politiques. Au-delà de votre position personnelle, quels débats peuvent animer le conseil d'administration de l'Agence de la biomédecine à ce sujet ?

La levée de l'anonymat - dont il faudrait préciser les modalités - freinerait-elle le don de gamètes ? Des pays étrangers ont-ils tenté l'expérience ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Je souhaitais poser la même question sur le don de gamètes, trop faible pour assurer l'autosuffisance, et l'anonymat. Existe-t-il des solutions non législatives ?

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Berthet

Quelle aide l'Agence fournit-elle aux associations locales oeuvrant pour le don de moelle osseuse ?

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Mouiller

Quelles opérations de communication pourriez-vous réaliser pour mobiliser notamment les jeunes hommes ? Comment votre Agence est-elle associée à la révision des lois de bioéthique ?

Pr. Sophie Caillat-Zucman. - Nous manquons surtout d'ovocytes, le don de spermatozoïdes assurant l'autosuffisance. Si le cadre réglementaire de la PMA s'élargit, l'insuffisance de gamètes va mathématiquement s'accroître. Dans tous les cas, il faut promouvoir le don d'ovocytes. L'Agence mène des campagnes très actives d'information pour le public et les associations, organise les journées nationales du don et réalise des films. Il y a une grande méconnaissance de la manière dont se passe un don d'ovocytes, et il faut éviter que les femmes s'adressent à des pays voisins faute de donneuses en nombre suffisant.

L'anonymat est réglementaire et fait partie des principes de la loi de bioéthique concernant le don d'organes, de tissus et de cellules. Le don doit rester anonyme, et ce n'est pas une position personnelle : si on lève l'anonymat pour les dons de gamètes, pourquoi ne pas le faire ensuite sur tous les autres dons ? L'anonymat n'est pas un problème juridique car, en cas de besoin, les centres de PMA peuvent vérifier qui était le donneur, sans lever l'anonymat. La levée de l'anonymat réduirait le nombre de dons par crainte des donneurs d'être connus. Il doit rester un principe intangible.

L'Agence de la biomédecine doit réaliser encore plus d'efforts pour promouvoir le don de gamètes dans les lycées, les universités, voire les écoles, pour expliquer l'importance de ce geste. Les enfants pourront ainsi inciter les parents à le faire, eux-mêmes ne pouvant donner. Il faut aussi informer le public sur le don de moelle osseuse. Nous ne manquons pas de cellules souches hématopoïétiques, mais le registre n'est pas assez renouvelé : les donneurs ont vieilli et doivent être remplacés par des donneurs jeunes - la moelle osseuse perd en qualité avec l'âge, et mieux vaut avoir des hommes pour éviter les problèmes d'immunisation à travers le système d'histocomptabilité ainsi que les problèmes de réaction du greffon contre l'hôte. Il n'y a plus de service militaire, qui aurait pu être un vecteur intéressant de communication, aussi devons-nous sensibiliser dans les universités, les lycées et les écoles et auprès d'associations toujours très actives.

Une partie importante du budget de l'Agence est consacré à la communication. Je vous invite à regarder sur notre site internet les volets consacrés au don d'organes ou au don de gamètes avec des films réalisés spécifiquement pour toucher les jeunes, parfois un peu directs, et leur expliquer ce qu'est le registre national des refus.

L'Agence de la biomédecine et là en tant qu'expert pour vous aider dans la rédaction des lois de bioéthique, mais n'interviendra pas directement.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

L'Agence n'est pas favorable à la levée de l'anonymat, mais en 2011 nous avions évoqué le sujet des dons croisés qui étaient déjà une entorse à la levée de l'anonymat. De même, nous avions débattu de la vitrification des ovocytes. Le Parlement avait refusé que les jeunes femmes puissent faire des dons d'ovocytes tout en en conservant certains pour elles-mêmes, afin qu'elles puissent faire carrière et ensuite s'en servir pour avoir leurs propres enfants. Où en est cette réflexion ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Quelle est votre position et celle de l'Agence sur la remise en question du programme Maastricht III sur les dons d'organes ? Elle soulève des problèmes philosophiques aigus de définition de la mort. Récemment, un article très intéressant du New Yorker les évoquait...

Pr. Sophie Caillat-Zucman. - Le don croisé ne lève pas l'anonymat du don. La seule circonstance possible de levée d'anonymat est le don à partir d'un donneur vivant qui est soit un membre de la famille, soit une personne proche, telle que définie par la loi. Un don croisé consiste, en cas d'incompatibilité immunologique entre un donneur et un receveur, de prendre un autre « couple » dans le même cas, et de se servir du donneur du premier « couple » pour donner au receveur du second et inversement. Mais il n'y a absolument pas de levée d'anonymat : le receveur du deuxième « couple » ne va pas savoir qui est le donneur du premier, et les greffes sont réalisées simultanément pour éviter que le deuxième donneur refuse de donner une fois la première greffe réalisée...

Ce système n'est pas très efficace, très peu de greffes ont été ainsi réalisées ces dernières années en France. Ce système est plus efficace dans d'autres pays, comme la Hollande, car la France restreint ce schéma à deux couples, tandis que d'autres pays constituent une chaîne pouvant aller jusqu'à cinq ou six couples. Cela augmente les chances que le premier donneur soit compatible avec le receveur numéro X... Nous pouvons améliorer les chances de succès des greffes à partir de dons croisés, mais l'anonymat sera respecté.

La conservation, par une donneuse d'ovocytes, de certains gamètes pour elle-même, sera débattu dans la nouvelle loi. Je n'ai pas à donner mon opinion personnelle, mais de nombreuses réflexions ont déjà eu lieu pendant les états généraux de la bioéthique. Cette modification ne pourra être réalisée que dans un cadre législatif.

Les greffes dites Maastricht III sont prélevées sur des sujets pour lesquels il y a eu une décision d'arrêt des thérapeutiques actives en réanimation - lorsqu'on est certain que la personne va décéder. Selon la nouvelle législation, peut être considéré comme donneur toute personne dans ce cas. Cette procédure a été mise en place très progressivement depuis trois ans et est très réglementée et surveillée : deux équipes ont été autorisées à le faire la première année, désormais une vingtaine le font, et cela se passe sans problème.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Je vous remercie.

La réunion, suspendue à 9 h 05, reprend à 9 h 30.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

Nous accueillons Mme Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine. Cette audition, après celle de Jean-Claude Ameisen consacrée aux enjeux de la bioéthique, aurait dû avoir pour objet d'introduire les rencontres thématiques que j'ai souhaité organiser avec des praticiens sur les différents thèmes couverts par la loi de bioéthique. Comme vous le savez, j'ai décidé de son report en raison de la cérémonie d'hommage au colonel Beltrame. Cette audition conserve cependant tout son intérêt alors que les états généraux de la bioéthique, menés sous l'égide du Conseil consultatif national d'éthique, viennent de prendre fin, ouvrant la voie aux travaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), avant que ne débutent dans un troisième temps les travaux sur un projet de loi déposé par le Gouvernement.

Dans le cadre de ce premier temps d'évaluation, l'Agence de la biomédecine a produit un rapport, publié en janvier dernier, qui « fait le point, dans ses champs de compétence, sur la mise en oeuvre effective de la loi de bioéthique au regard de l'évolution de la science et des pratiques médicales, en matière de traitements, de diagnostics, de procréation ou de recherche sur l'embryon. » Ce rapport est très clair et très pédagogique, c'est pourquoi j'ai souhaité que vous veniez le présenter, madame, devant notre commission des affaires sociales.

Debut de section - Permalien
Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

C'est toujours un plaisir de venir devant votre commission, et le sujet le mérite. C'est d'abord à vous qu'incombe la responsabilité de cette loi de bioéthique. De telles lois sont particulières : elles traduisent un certain équilibre de la société et de l'état des connaissances. Elles méritent des débats approfondis sur des questions sensibles, complexes, ce qui suppose de bien mesurer les enjeux. D'où la méthodologie qui vient d'être rappelée, avec des états généraux de la bioéthique. Notre Agence est bien sûr concernée par cet exercice. Créée par la loi de bioéthique, l'essentiel de son activité est encadré par les lois de bioéthique et, sans doute, la loi de bioéthique s'intéressera à elle.

Comme nous sommes un établissement public sous tutelle, nous sommes soumis à un devoir de réserve et n'avons pas à prendre parti dans les débats de sociétés. Nous nous contentons donc d'apporter notre expertise pluridisciplinaire : juridique, économique, médicale, scientifique, informatique... Cette expertise se nourrit des contacts avec les associations, les professionnels, les pouvoirs publics, mais aussi du fait que nous avons un rôle opérationnel qui nous permet de constater comment la loi de bioéthique est appliquée dans le champ spécialisé qui est le nôtre, tel que l'a fixé la loi de bioéthique : l'organe, le tissu, la cellule souche hématopoïétique (CSH), l'assistance médicale à la procréation, la recherche sur l'embryon et les souches embryonnaires humaines. De ce fait, les nouveaux champs qui sont en train d'être défrichés comme l'intelligence artificielle ne sont pas de notre ressort.

Notre action passe par des auditions, et par la publication de trois documents. Le premier est le rapport d'information du Parlement et du Gouvernement (RIPG) sur l'état des connaissances et des sciences. Il a été actualisé en décembre 2017, comme tous les deux ans. C'est un document scientifique, dont le contenu peut sembler ardu, mais qui dresse un panorama de toutes les évolutions des connaissances dans les champs de compétence de l'Agence. De ce fait, il soulève les nouvelles questions qui pourraient apparaître.

Le second document, que nous avons actualisé au début du mois, est le bilan de l'encadrement international. La question de la comparaison internationale se pose nécessairement. Certes, comparaison n'est pas raison, et il y a bien évidemment des spécificités françaises. Clairement, l'encadrement de la bioéthique est très hétérogène dans le monde. Il est donc toujours intéressant de voir ce qui se passe à l'étranger.

Le troisième document est le bilan d'application de la loi de bioéthique dans notre champ de compétences. Nous nous efforçons de produire un document synthétique, de rappeler le cadre issu des lois de bioéthique dans chacun de nos domaines de compétence, d'évaluer la façon dont ce cadre a été appliqué, de relever ce qui a fonctionné, mais aussi ce qui a moins bien fonctionné, et de suggérer des pistes de réflexion. Évidemment, nous ne faisons que soulever des questions, nous n'avons pas à y apporter les réponses - car c'est vous qui les apporterez.

Le principal enseignement de ce document, c'est que les lois de bioéthique, et notamment celle de 2011, ont rempli leur office. Elles ont permis un encadrement efficace du développement des connaissances, et accompagné l'État et la société dans cette évolution. De ce point de vue-là, la France est probablement l'un des pays qui a le système législatif et réglementaire le plus abouti : nous avons été précurseurs dans ce domaine. Aussi devons-nous continuer à nourrir notre réflexion et nos questionnements pour essayer d'apporter des réponses aussi adaptées que possible. Dans la mise en oeuvre de la loi de bioéthique de 2011, les principales difficultés ont été organisationnelles, ou liées au rapport du système de santé avec le patient, ce qui montre bien combien cette loi est complémentaire des plans ministériels comme le troisième plan greffe, qui vient d'être adopté, le plan de procréation ou le plan sur les CSH. Il y a donc à la fois une réflexion législative sur le cadre dans lequel les actions doivent se mener et, en même temps, le besoin d'une stratégie concertée de tous les acteurs de terrain pour accompagner au mieux le développement des activités. Bref, faire davantage, et faire mieux, tout simplement parce que les besoins dans nos activités sont criants.

Il y a trois types de configurations dans cette révision de la loi bioéthique. D'abord, toutes les questions de société, qui ont été très présentes dans les états généraux, notamment dans le champ de l'assistance médicale à la procréation. Le deuxième champ concerne les ajustements, qui peuvent être liés au constat que le dispositif, tel qu'il a été conçu, n'a pas permis d'obtenir tous les résultats escomptés. Ainsi, par exemple, du don croisé d'organes, qui mériterait quelques mesures de simplification, puisque le don du vivant s'est imposé dans notre paysage. Un ajustement peut aussi être rendu nécessaire par l'évolution des pratiques médicales. Ainsi, le développement des greffes à peau identique pourra conduire à modifier certains articles de la loi de bioéthique. Troisième hypothèse : l'évolution majeure, soit des techniques et de leur diffusion, soit des connaissances. Ainsi, du développement de la génomique et du séquençage nouvelle génération, qui bouleverse complètement la façon dont on conçoit la génétique, ou du ciseau moléculaire, ou encore de la possibilité, nouvelle, d'étendre la durée de culture des embryons pour la recherche.

L'Agence se positionne différemment par rapport à ces différentes situations. C'est à propos du prélèvement et de la greffe d'organes, qui est l'activité la plus ancienne, même si elle s'est surtout développée grâce au développement des traitements immunosuppresseurs, qu'ont été posés les principes fondateurs de la bioéthique, et notamment les règles du don éthique à la française, anonyme, gratuit et librement consenti. C'est aussi dans ce domaine qu'a émergé l'idée sous-jacente de toutes les lois de bioéthique qui se sont succédé : la bioéthique ne doit pas se développer et se penser en rupture par rapport aux principes fondateurs de notre société et de la République, au prétexte qu'elle traite d'activités innovantes, voire, dans la greffe d'organes à ses débuts, transgressives, mais au contraire dans leur prolongement. L'exemple typique est le consentement présumé en matière d'organes, avec l'idée que la fraternité qui unit tous les hommes doit perdurer au-delà du décès - dès lors que la liberté de ne pas donner est respectée.

C'est en tous cas un domaine sur lequel le législateur est déjà beaucoup intervenu : 1994, 2004, 2011... La dernière loi a réaffirmé la priorité à la greffe et a donné une impulsion au don du vivant en reconnaissant les donneurs et en ouvrant un programme de dons croisés. Tout récemment, la loi de modernisation de notre système de santé est revenue sur ce sujet en transférant à l'Agence de la biomédecine la compétence sur la biovigilance « organes, tissus, cellules » et en clarifiant les modalités de refus de prélèvement d'organes. Dans ce domaine, il s'agit plus d'ajustements que de grands bouleversements. La question du consentement au don d'organes vient d'être débattue de nouveau par la loi de 2016 : il n'est donc pas opportun de la soulever de nouveau. L'important est d'attendre que la loi produise ses effets, car notre activité repose sur la confiance, qui suppose une certaine forme de constance. Il faudra sans doute aller au bout du principe de neutralité financière, prendre des mesures de simplifications du don du vivant et travailler sur le don croisé, pour apporter les garanties nécessaires tout en permettant aux équipes de s'engager dans ce programme, qui offre une solution thérapeutique à des personnes qui sont dans une situation d'impasse immunologique.

Avec les CSH, on traite 80 % des maladies graves du sang. La loi de 2011 identifie cette thématique et construit un cadre harmonisé pour l'aborder. Elle a réaffirmé le caractère altruiste du don de sang de cordon. Dans ce domaine, il n'y a pas eu de bouleversements majeurs. La préoccupation des pouvoirs publics a surtout été de donner accès à toutes les sources de greffons disponibles pour apporter une solution aux patients, et d'assurer autant que possible l'égalité d'accès.

Les principales mesures qu'on peut envisager sont, par exemple, des mesures de périmètre. L'Agence a pour mission légale d'assurer le suivi des donneurs d'organes et le suivi des donneuses d'ovocytes, mais pas celui des donneurs de CSH apparentés ou non apparentés. Il y a aussi des mesures de simplification : un donneur non apparenté, totalement altruiste, pour un don non dirigé de CSH, doit passer devant le tribunal de grande instance -dont l'activité est déjà assez fournie. Cela apporte-t-il vraiment une garantie ? La question se pose, d'autant que cette formalité est récente. Un troisième type de questions est posé par l'évolution des techniques, comme le développement conséquent des greffes à peau identique. Entre parents et enfants, cela ouvre la question du prélèvement sur mineurs -il s'agit parfois de jeunes de 16 ou 17 ans, peu éloignés de la majorité.

L'assistance médicale à la procréation est un sujet qui a passionné lors des états généraux de la bioéthique. La loi de bioéthique conçoit l'assistance médicale à la procréation comme un traitement de suppléance à l'infertilité médicale d'un couple constitué d'un homme et d'une femme en âge de procréer. Tout cela est en débat dans la société et je ne m'étendrai pas davantage. Le travail de structuration s'est poursuivi, puisque cette activité a été transférée à l'Agence de la biomédecine lors de sa création. J'en veux pour preuve l'actualisation, l'été dernier, des règles de bonne pratique, pour tenir compte de la loi de bioéthique de 2011. La modification la plus récente est l'ouverture aux couples qui n'ont pas procréé du droit de donner leurs gamètes. La promotion du don de gamète vise à pallier l'insuffisance de l'offre : nous sommes dans une situation de tension maîtrisée sur le don de spermatozoïdes et de pénurie sur le don d'ovocytes. Grâce au travail effectué, on observe toutefois une progression du don d'ovocytes ces dernières années.

Une autre tendance lourde en assistance médicale à procréation est la juridictionnalisation. Il y a eu des contentieux interrogeant les limites de la loi de bioéthique, voire demandant à écarter son application, sur l'anonymat du don de gamètes ou avec l'arrêt du Conseil d'État sur l'insémination post mortem, ou encore sur l'âge de procréer des pères, qui donne lieu à une série contentieux devant le Conseil d'État. Cette tendance lourde interroge le rôle des professionnels, premiers concernés, ainsi que la répartition des rôles entre le régulateur, le législateur et le juge, et entre la loi nationale et les textes internationaux. L'approche de la loi française est générale et impersonnelle, quand celle de la Convention européenne des droits de l'homme est plus casuistique. Ainsi, pour l'insémination post mortem, que la loi française interdit, le Conseil d'État, au nom de la Convention européenne des droits de l'homme, nous invite à regarder au cas par cas s'il n'y a pas des circonstances très particulières et exceptionnelles.

En matière d'assistance à la procréation, beaucoup de questions sont des questions de société, mais il y a aussi des points d'ajustement qui nécessitent une réflexion collective, autour du triptyque simplification-harmonisation-clarification. Faut-il ouvrir le don de gamètes ? Devons-nous maintenir l'obligation, si l'on est en couple, d'obtenir l'accord du conjoint ? Comment simplifier les conditions d'accueil de l'embryon ? Le programme d'accueil de l'embryon ne démarre pas. L'ouverture aux établissements privés du don de gamètes pour étendre l'offre, l'âge de procréer : sur ces questions, vous devrez trancher.

La génétique est une activité très particulière. D'abord, elle a des limites. Puis, c'est une activité qui suscite beaucoup de fantasmes, d'espoirs, de peurs, et qui interroge notre rapport à l'humain. En effet, les données génétiques disent beaucoup de nous, mais aussi de notre famille. D'où l'encadrement très particulier qui a été organisé par les lois de bioéthique. Ce domaine a connu des bouleversements, dans la connaissance des gènes, de leur expression et des maladies génétiques, mais aussi dans les technologies qui sont mises à disposition. Ainsi, avec le séquençage de nouvelle génération, il est devenu possible de faire des études de plus en plus approfondies du génome pour un coût de moins en moins élevé, et dans des délais de plus en plus rapides. Paradoxalement, il est plus simple et moins coûteux de faire un examen du génome entier que de faire un examen ciblé. Cela pose d'insondables questions sur les compétences en matière d'interprétation des résultats face à des données qui sont de plus en plus complexes, sur le conseil génétique, sur la formation et le consentement des personnes, sur le big data et la gestion des données, sur l'information de la parentèle et les découvertes incidentes. Certes, nous serions heureux que vous supprimiez la procédure d'agrément des personnels par l'Agence de la biomédecine !

Votre commission a récemment organisé une table ronde sur la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines. Ce sujet éminemment législatif a été largement examiné lors de la précédente loi bioéthique, notamment en raison de la question des cellules souches induites.

Dans un avis de l'Assemblée générale du Conseil d'État, le statut d'embryon in vitro a été déclaré relevant du législatif. Le législateur a d'ailleurs complété le dispositif en 2013, avec la proposition de loi Mézard, qui a permis de passer d'un régime d'interdiction avec dérogation possible à un régime d'autorisation sous condition. En 2016, la loi de modernisation du système de santé a corrigé une malfaçon législative. Lorsque nous parlons de recherche sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires humaines, il s'agit de recherche scientifique sans gestation, sans réintroduction, in vitro et pas in vivo, et l'embryon ainsi que les cellules sont détruits à la fin de la recherche. La recherche biomédicale sur l'assistance médicale à la procréation sur laquelle vous avez légiféré en 2016 concerne les essais cliniques : c'est pourquoi l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a été saisie de cette question, après avis de l'Agence de la biomédecine.

La recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires humaines s'est beaucoup développée ces dernières années. Une trentaine d'équipes françaises y travaillent : il s'agit de recherches très pointues et qui s'inscrivent dans le temps long : les publications ne peuvent intervenir qu'après 5 à 10 ans et les essais cliniques au bout de 10 à 15 ans. Ces équipes doivent donc être solides et conscientes des enjeux éthiques. La France est plutôt bien positionnée avec un regain d'intérêt pour la recherche sur l'embryon, ce qui n'était pas le cas entre 2009 et 2013. Les équipes veulent mieux comprendre le développement précoce de l'embryon et améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation.

L'essentiel de la recherche dans le monde se fait sur les cellules souches embryonnaires humaines : à l'heure actuelle, 18 essais cliniques sont en cours dans le monde, dont un en France. Deux ou trois équipes de recherche françaises sont susceptibles de passer à l'essai clinique sur la DMLA ou sur la drépanocytose.

Dans notre bilan de l'application de la loi de bioéthique, nous nous interrogeons sur l'application même de la loi, notamment sur les conditions d'autorisation. Faut-il maintenir le même régime pour la recherche sur l'embryon et la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ? Nous nous interrogeons aussi sur l'articulation entre cellules souches embryonnaires humaines et cellules pluripotentes induites (IPS). Les scientifiques nous disent qu'aujourd'hui il ne s'agit pas de recherches concurrentes mais complémentaires. Enfin, faut-il redéfinir le champ des manipulations interdites qui avait été posé dans un contexte scientifique très différent ? Ce qui était de la science-fiction est devenu de la science : il vous faudra dire ce que vous voulez et ce que ne voulez absolument pas.

Les sciences et les connaissances sont en pleine évolution : ainsi en est-il de la durée de culture des embryons, des chimères, des gamètes artificiels. Un champ très large est ouvert et le législateur devra fixer les règles scientifiques et éthiques. Il lui faudra examiner tous les sujets, et pas seulement ceux sous le feu de l'actualité : certains plus techniques posent des questions majeures. Quels que soient les choix faits par le législateur, il faut garder en mémoire que l'évolution des connaissances n'a de sens que si la société l'encadre, l'accompagne en ayant au coeur de sa réflexion l'intérêt de l'humanité et le bénéfice des malades.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Milon

La loi ne doit pas entraver la recherche, mais empêcher les dérives.

Dans le cadre des cellules souche, M. Peschanski a différencié l'embryon du préembryon. Cette question avait été examinée lors de la précédente loi bioéthique et le Sénat n'était pas parvenu à définir le concept de préembryon. Quelle est la position de l'Agence de la biomédecine sur le statut du préembryon ? Une définition sécuriserait les travaux des chercheurs sur les cellules souches embryonnaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Deroche

Je salue le travail remarquable de l'Agence de la biomédecine, qui apporte son expertise au législateur et au Gouvernement. La loi de bioéthique qui arrivera vraisemblablement au Sénat en début d'année prochaine nous donnera l'occasion de débattre de ces sujets compliqués qui touchent à l'intime.

Les agences sont soumises à des tensions budgétaires, comme les autres instances. Pensez-vous qu'il faille étendre le périmètre de votre agence, notamment par rapport à l'intelligence artificielle ? Quels seraient les moyens nécessaires pour assurer ces nouvelles missions ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Amiel

Comment interdire ce qu'on ne peut empêcher ? Les approches sont différentes au niveau international et certains pays ne s'encombrent pas de considérations éthiques.

Vous n'avez pas parlé de l'épigénétique : vous pourriez apporter toute votre expertise en cette matière relativement nouvelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Lors d'une audition, M. Jean-Claude Ameisen avait évoqué les ciseaux moléculaires pour lutter contre les moustiques porteurs de maladies. Les perspectives étaient plutôt encourageantes. Mais il semble qu'un moratoire sur ces ciseaux ait été décrété : est-ce exact ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Henno

Les législations nationales sur ces questions ont-elles encore du sens ? Le pays qui laisse une totale liberté à ses chercheurs n'impose-t-il pas le tempo ? Dans les années à venir, le France et l'Europe auront-elles encore une influence en ces domaines ?

Debut de section - PermalienPhoto de Florence Lassarade

Quelles sont les règles dans les autres pays européens concernant le don des gamètes et le droit à l'anonymat ?

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Les chercheurs sont-ils formés à l'interprétation des données génétiques ? Sont-ils à même de donner des conseils en ce domaine ?

Debut de section - Permalien
Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

Le sujet du préembryon est extrêmement complexe et l'Agence ne peut vous donner une réponse ferme et définitive.

En ce qui concerne la culture d'embryon, nous nous référons à l'avis non contraignant du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) de 2001. À l'époque, la recherche sur l'embryon n'était même pas autorisée en France et la question restait largement théorique. Dans son avis de 2001, le CCNE estimait que la culture de l'embryon ne devait pas dépasser 7 jours car, au-delà, l'embryon pouvait être implanté : le Comité estimait que l'on passait de l'in vitro à l'in vivo. La majorité des autres pays a choisi 13 ou 14 jours, car c'est le moment où apparait le tube neural, avec un risque de souffrance de l'embryon, et où s'affirme l'individualisation de l'embryon, ce qui empêche l'apparition de jumeaux. Ces concepts étaient purement théoriques car il n'était pas possible de cultiver des embryons au-delà de 7 jours. Depuis, une équipe a été capable de cultiver un embryon jusqu'à 13 jours : elle s'est volontairement arrêté à ce moment-là. Les termes du débat sont désormais renouvelés. Certains pays s'interrogent pour savoir s'il faut aller au-delà de 13 jours tandis qu'en France on se demande s'il faut passer de 7 à 13 jours. Je vais m'arrêter là : comme il est possible qu'une équipe nous présente un projet de recherche au-delà de 7 jours, je ne voudrais pas empiéter sur les prérogatives de mon conseil d'orientation qui rendra un avis sur le sujet.

En 2010, le CCNE n'a pas jugé bon de revenir sur son avis de 2001 : il a estimé qu'il revenait au législateur de fixer la règle. C'est une question redoutable et passionnante qui mérite des débats approfondis.

L'Agence de la biomédecine est un modèle unique au monde : aucun pays n'a confié à une seule agence tant de domaines. En France, le législateur a voulu doter la loi de bioéthique d'un bras armé. Au fur et à mesure des révisions de la loi de bioéthique, la cohérence de l'Agence s'est affirmée autour de l'idée qu'il fallait soigner l'homme par l'homme. Seul le sang échappe à sa compétence pour des raisons historiques que vous connaissez bien. Nous avons atteint un point d'équilibre. Avec les neurosciences introduites en 2011, nous nous sommes éloignés du champ de la loi de bioéthique et l'Agence, ne disposant pas des compétences en interne, a fait appel à un groupe d'expert. Si d'autres missions étaient confiées à l'Agence il faudrait veiller à la cohérence d'ensemble afin de lui conserver son agilité et sa réactivité qui lui assurent le respect des milieux avec lesquels elle travaille. Des moyens supplémentaires lui permettraient d'acquérir les compétences dont elle ne dispose pas.

Faut-il interdire ce qu'on ne peut empêcher ? Beau sujet de philosophie ! Je vais prendre l'exemple des tests génétiques en ligne, interdits en France, mais que l'on peut se procurer aisément sur des sites Internet étrangers.

Les tests génétiques en disent beaucoup sur votre propre personne et sur vos proches, et ils révèlent toujours une forme de vulnérabilité. En outre, les qualités de ces tests sont extrêmement variables et certains sont même totalement fantaisistes. Compte tenu des caractéristiques des tests génétiques, un conseil est indispensable et il ne faut procéder à un test que s'il est utile, d'où l'importance de la prescription. Les règles posées en France sont donc importantes et nous devons convaincre nos concitoyens que le cadre français est bénéfique, qu'il leur permet d'avoir accès à une information utile pour assurer leur prise en charge.

L'Agence de la biomédecine n'a pas de compétence spécifique en matière d'épigénétique. Si elle a examiné l'impact de l'épigénétique sur la fertilité, son apport reste marginal. Cela dit, l'épigénétique est une science en plein développement.

J'en viens aux ciseaux génétiques : nous en sommes au CRISPR-Cas9 et peut-être même Cas11. Ces ciseaux s'inspirent de techniques préexistantes : il ne s'agit pas d'une révolution mais d'une évolution majeure : ces ciseaux sont faciles d'emploi et d'un faible coût. De nombreuses équipes peuvent donc y avoir recours. Les enjeux éthiques associés à cette technique ne sont pas les mêmes selon les applications qui en sont faites. Vous avez évoqué des hypothèses sur les moustiques : l'Agence n'est pas compétente en ce domaine. Pour l'humain, nous sommes confrontés à différentes hypothèses qui ne posent pas les mêmes questions. Le ciseau moléculaire peut être utilisé en thérapie génique sur un individu, ce qui ne pose pas les mêmes questions que lorsqu'il s'agit de recherche sur un embryon ou sur des cellules souches embryonnaires humaines. Pour ces dernières, le recours au ciseau moléculaire n'entraînera pas de transmission sur la descendance : nous sommes donc proches de la thérapie génique. En revanche, lorsqu'on touche aux gamètes ou à l'embryon, les manipulations peuvent se transmettre à la descendance : pour les pays qui ont ratifié la convention d'Oviedo, ces manipulations sont interdites. Il faudra sans doute clarifier l'état du droit sur la question de la recherche sur l'embryon, sans gestation, ne serait-ce que pour évaluer l'efficacité et l'innocuité de la technique.

Aux États-Unis, l'idée d'un moratoire général avait été avancée. Aujourd'hui, la question porte sur l'application clinique et la possibilité de recherche scientifique. Pour autant, certains pays vont beaucoup plus loin en permettant l'expérimentation sur des embryons vivants. La recherche sur l'embryon est un domaine où l'hétérogénéité des réponses est importante. Il n'y a pas de réponses coordonnées en Europe et dans le monde sur ces sujets. Le législateur devra dire jusqu'où il souhaite aller en ce domaine, notamment l'utilisation ou non du CRISPR-Cas9.

Pour tout ce qui concerne le coeur de la loi bioéthique, à savoir les prélèvements et les greffes d'organes, des principes communs ont été validés. En revanche, l'hétérogénéité domine dès que l'on touche à l'assistance médicale à la procréation ou à la recherche pure. Les législations nationales ont du sens ne serait-ce que parce qu'il appartient à chaque société de dire ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. C'est une responsabilité politique majeure. Reste à essayer de porter ces messages au niveau de l'Europe et, pourquoi pas, du monde. Un travail de pédagogie s'impose donc. Sous prétexte que des débordements seraient possibles ailleurs, faudrait-il cesser de légiférer ? Les travaux parlementaires en seraient singulièrement allégés... Il sera toujours possible de trouver du moins disant éthique et législatif mais cela n'exonère pas de poser des règles.

Je vous renvoie à notre bilan sur l'encadrement international pour ce qui concerne l'anonymat du don de gamètes. Il n'y a pas d'unité : certains pays, dont la France, ont posé la règle de l'anonymat. D'autres ont privilégié d'autres voies. Il est difficile d'en tirer un bilan car les systèmes d'évaluation ne sont pas les mêmes partout. En outre, les effets peuvent être variables dans le temps. Enfin, le don de gamètes dépend de toute une série de mesures comme l'encadrement de l'activité, des campagnes de communication, de l'offre faite sur le territoire.

Les données génétiques sont extrêmement complexes : plus on avance dans la connaissance, plus on mesure la complexité de l'interprétation. Les compétences requises sont multiples : médicales, bien sûr, mais aussi informaticiennes, statisticiennes. Sans doute un nouveau métier va-t-il émerger en ce domaine. Le conseil génétique est essentiel, ce qui implique qu'il faut disposer de professionnels capables de mener cette interprétation. Comme ces tests ont vocation à se développer, il faudra disposer de nombreux professionnels formés. Dans le bilan de l'application de la loi, nous avons évoqué l'extension du rôle des conseillers en génétique. Les patients concernés devront obtenir une réponse en temps et en heure. L'information en génétique implique l'information sur les limites de l'information délivrée : cette activité demande beaucoup de modestie.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Les bio-informaticiens sont d'une grande aide pour interpréter les données en neurosciences et en génétique. La plupart du temps, ils ne trouvent pas de travail en France et doivent s'expatrier. Comment modifier cet état de fait ?

Debut de section - Permalien
Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

De nouveaux métiers vont émerger, notamment avec le plan France médecine génomique. L'évolution est profonde et le secteur doit s'organiser pour répondre à ces nouveaux défis.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Forissier

En tant que législateur, je ne possède pas les connaissances scientifiques et médicales qui me permettraient de me faire une idée de ces problèmes extrêmement complexes. Le législateur travaille dans l'intérêt de l'humanité, mais dans un contexte où se déchaînent les passions : un certain archaïsme moral et religieux règne face aux progrès scientifiques. Dans les débats que nous avons avec les personnes que nous représentons, je constate un déficit d'information sur ces sujets. Qui pourrait dispenser une information objective et généraliste ? Ne laissons pas s'installer les rumeurs, comme cela fut le cas pour la vaccination : que de bêtises furent dites en si peu de temps !

Debut de section - PermalienPhoto de Corinne Imbert

Dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation, les règles de bonnes pratiques ont été établies en 2017, soit six ans après la loi de bioéthique. Ce délai révèle-t-il des difficultés à rédiger, et si oui, de quel ordre ?

Le CCNE n'avait pas prévu que le sujet de la place du patient dans la médecine du futur serait évoqué lors des états généraux. Vous avez évoqué la science-fiction qui devient science. Comment l'Agence envisage-t-elle cette question : de façon très large et transversale ou sur chaque sujet ?

Debut de section - Permalien
Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine

L'information et la pédagogie jouent un rôle fondamental, et donc les états généraux également. Derrière la technicité apparente, de nombreux sujets peuvent être expliqués en des termes simples. Nous, acteurs publics, avons cette responsabilité. L'Agence de la biomédecine n'est pas la plus connue dans le paysage, mais d'autres acteurs y contribuent aussi : les ministères, les professionnels, les associations. Il est difficile de s'adapter aux différents canaux de communication existants et de maintenir la confiance. Les vecteurs de modernisation et de communication se sont différenciés via les réseaux sociaux, les blogs, les sites internet, qui contiennent énormément d'informations. Il est impossible, pour nos concitoyens, de s'y retrouver et pour moi de porter des messages de clarification, d'autant que la parole publique est parfois mise à distance...

Restons tous pédagogues : essayons d'intéresser nos concitoyens au-delà des grands événements que sont les états généraux ou la révision des lois de bioéthique, malgré les fantasmes et des présentations souvent amplifiées. Ramenons de la raison et soyons modestes : l'éthique est un questionnement. C'est un exercice délicat avec un équilibre fragile.

Les règles de bonnes pratiques de 2017, au-delà de la loi de bioéthique, ont aussi pris en compte les directives postérieures sur le coding et les retours d'expérience sur la vigilance qui nous ont conduits à porter l'attention sur certains sujets. Lorsqu'elle révise les règles de bonnes pratiques, l'Agence essaie de rencontrer le plus de professionnels. Cette concertation dure deux ans avant la validation des propositions par le ministère. Nous nous sommes engagés dans la révision de ces bonnes pratiques lorsque le corpus était suffisant. Vous-mêmes, législateurs, réfléchissez au niveau de détail et aux modes de régulations les plus souples. Entre chaque révision, les règles législatives et réglementaires doivent être appliquées davantage ; il s'agit donc d'un document exhaustif regroupant toutes les règles à l'instant « t », et qui clarifie les pratiques.

La place du patient dans la médecine du futur est un très bel objet de réflexion philosophique pour les étudiants en médecine... Nos sujets sont complexes, sans réponse évidente. La place du patient dans la médecine a évolué, elle est bien plus importante qu'il y a quinze ans. Ces questions sensibles, compliquées et techniques, renouvellent la définition et la place du patient. Nous devons nous poser collectivement ces questions redoutables, sinon des réponses seront apportées autrement. Ayons le même questionnement éthique sur la relation entre notre système de santé et le patient que sur la relation entre le médecin et le patient. L'éthique ne se résume pas à des lois ou des règlements, elle est aussi un comportement et une organisation. Cette interrogation éthique relève de la responsabilité personnelle, redoutable, de chaque professionnel - presque aussi redoutable que celle qui pèse sur vos épaules en ce moment.