Intervention de Catherine Deroche

Commission des affaires sociales — Réunion du 30 mai 2018 à 14h35
Proposition de loi relative à l'autorisation d'analyses génétiques sur personnes décédées — Procédure de législation en commission articles 47 ter à 47 quinquies du règlement - examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Catherine DerocheCatherine Deroche, rapporteure :

Depuis la découverte du caryotype humain en 1956, la génétique connaît des progrès considérables. Chacun peut aujourd'hui accéder à l'ensemble de son patrimoine génétique. Les examens s'effectuent dans des conditions de coût et de durée de plus en plus favorables. Le développement des technologies de séquençage du génome humain permet d'envisager l'essor d'une véritable médecine de précision. Qu'il s'agisse d'oncologie, de cardiologie ou de neurologie, la génétique améliore les conditions d'établissement d'un diagnostic, la prévention et les soins - plus ciblées.

Sur les plans éthique et juridique, cette évolution et l'apparition de techniques et de connaissances nouvelles soulèvent des questions inédites qui interpellent nos concitoyens et le législateur.

Les résultats d'un examen génétique sont définitifs et ils peuvent avoir des conséquences non seulement pour la personne testée, mais aussi pour sa famille. C'est pourquoi, depuis 2004, notre législation prend en compte l'intérêt potentiel de tiers apparentés : le code de la santé publique consacre une obligation d'information de la parentèle en cas de diagnostic d'une anomalie génétique grave susceptible de mesures préventives ou thérapeutiques. Il s'agit d'éviter les pertes de chance liées à l'absence d'accès à des informations existantes.

Ce dispositif a été complété en 2011 et se formule de la manière suivante : en cas de diagnostic positif, et sauf si elle a exprimé sa volonté d'être tenue dans l'ignorance du diagnostic, la personne doit informer les membres de sa famille potentiellement concernés. Si elle ne souhaite pas procéder à cette information elle-même, elle peut demander au médecin prescripteur de le faire à sa place. Celui-ci est alors tenu de porter à la connaissance des proches l'existence d'une information médicale à caractère familial susceptible de les concerner. Il doit les inviter à se rendre à une consultation de génétique.

Un équilibre a ainsi été trouvé entre le secret souhaité par le patient d'une part, et le devoir moral de solidarité familiale d'autre part. À défaut d'un tel dispositif, le risque existerait en effet que le principe de l'autonomie l'emporte sur celui de « bienfaisance » et que le tiers se voie refuser « un bien comparativement très important », suivant les termes employés par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE).

La proposition de loi qui nous est soumise conforte cet équilibre. Elle s'inscrit dans le prolongement du dispositif introduit en 2004. Son objet est d'ouvrir la possibilité de réaliser un examen génétique sur les personnes décédées au bénéfice de leurs proches.

Aujourd'hui, cet examen ne peut être réalisé que dans l'intérêt de la personne, y compris, dans certains cas, « lorsqu'il est impossible de recueillir son consentement ». Lorsque la personne est décédée, qu'elle ait ou non donné son consentement, la possibilité de réaliser un tel examen au bénéfice potentiel de la parentèle n'est pas prévue. C'est précisément cette lacune que la proposition de loi entend combler.

Sur le plan scientifique, l'intérêt qu'il y aurait à faire accéder la parentèle d'une personne décédée aux informations sur les anomalies génétiques identifiées chez cette personne est bien étayé. C'est le cas dans plusieurs spécialités médicales. Par exemple, en cardiogénétique, les analyses d'ADN par les technologies de diagnostic moléculaire permettent aujourd'hui d'identifier les gènes responsables de cardiomyopathies ou d'arythmies héréditaires. Je pense notamment aux cas de mort subite chez des sujets jeunes, qui peuvent résulter d'une pathologie cardiaque susceptible de concerner également la fratrie. Dans cette hypothèse, les frères et soeurs de la personne décédée pourraient, le cas échéant, être orientés vers un conseil génétique.

La proposition de loi comporte quatre articles. Le premier élargit les conditions dans lesquelles les informations médicales concernant une personne décédée peuvent être partagées. L'objectif est de les rendre accessibles aux équipes de soins qui prennent en charge la parentèle et aux personnes ayant un lien génétique avec la personne décédée. L'article 2 permet à un patient d'autoriser le médecin prescripteur à communiquer les résultats de son examen génétique à ses proches « si elle venait à décéder » avant leur obtention. L'article 3 précise que l'examen génétique peut être réalisé dans l'intérêt de la parentèle. Enfin, l'article 4 est relatif aux modalités de prise en charge financière de l'examen.

Au cours des auditions, j'ai pu mesurer combien l'évolution proposée par ce texte est attendue par les professionnels de santé, tous soucieux d'améliorer les prises en charge. L'Agence de la biomédecine (ABM) y voit, elle aussi, un sujet d'avancée majeur ; le CCNE a confirmé l'intérêt de tout premier plan qu'il présente aux yeux des sociétés savantes. Ce texte renforce la politique de prévention dans notre pays ; son objectif est de favoriser les prises en charge à un stade précoce.

Le dispositif est également attendu par les professionnels parce qu'il apporte une clarification bienvenue. Il semble en effet que les pratiques médicales se caractérisent par une certaine hétérogénéité : si les professionnels refusent en général de pratiquer un test génétique post-mortem, l'encadrement légal étant jugé insuffisant, certains biologistes acceptent de le réaliser, même sans l'accord d'un proche. Cette situation est source à la fois d'inégalités et de pertes de chances.

La rédaction d'origine de la proposition me paraissait cependant laisser ouvertes plusieurs questions auxquelles il nous faut répondre si nous voulons poser un encadrement rigoureux. La volonté de la personne décédée est-elle suffisamment protégée ? À quelles conditions et dans quelles circonstances un examen génétique pourra-t-il être réalisé post-mortem ? Enfin, quelles sont les garanties prévues pour les familles ?

Je n'insisterai, à ce stade, que sur les précisions les plus importantes à apporter. Mes amendements visent principalement à définir deux séries de règles : sur les conditions de réalisation de l'examen ; et sur les circonstances dans lesquelles il peut y être recouru.

L'examen génétique peut être réalisé sur une personne décédée dans l'intérêt médical d'un tiers : je vous proposerai trois précisions essentielles. En premier lieu, la personne décédée ne doit pas avoir, de son vivant, exprimé son opposition à cet examen. Par parallélisme des formes, nous retenons ici le même régime légal de consentement présumé que pour le don d'organes. En deuxième lieu, l'examen est réalisé à des fins médicales dans l'intérêt des ascendants, descendants et collatéraux de la personne décédée : autrement dit, des personnes partageant un lien de sang avec la personne décédée.

En dernier lieu, l'examen est réalisé à la demande d'un membre de la famille potentiellement concerné et il est prescrit par un médecin qualifié en génétique ou membre d'une équipe pluridisciplinaire comprenant un médecin qualifié en génétique, si celui-ci juge que les conditions précédentes sont satisfaites. Le médecin prescripteur devra notamment apprécier si la condition relative à l'intérêt de la parentèle est remplie.

En ce qui concerne les circonstances médicales dans lesquelles l'examen peut être effectué, deux situations doivent être distinguées. L'examen doit être possible à partir d'éléments du corps prélevés préalablement au décès de la personne ; dans ce cas, qui se présente le plus souvent en oncologie, la personne a fait l'objet d'un prélèvement tissulaire ayant conduit au diagnostic de cancer et le prélèvement a été conservé par le laboratoire. La personne est ensuite décédée et le médecin qualifié en génétique prescrit, dans l'intérêt de la parentèle, l'examen des caractéristiques génétiques à partir du prélèvement conservé.

Il convient en outre d'autoriser l'examen post-mortem dans le cadre d'une autopsie médicale : le prélèvement est alors quasi concomitant du constat de décès. Cette possibilité vise principalement les situations de mort subite, en particulier des sujets jeunes.

Sous le bénéfice de ces précisions, le dispositif me paraît trouver un point d'équilibre qui ménage tant la volonté de la personne décédée que l'intérêt de ses proches.

Parmi les nombreuses questions soulevées en génétique dans la prochaine révision de la loi de bioéthique, ce texte concerne un sujet bien circonscrit. Le dispositif est consensuel et fortement attendu. Avançons sans attendre, afin de ne pas retarder des prises en charge qui pourraient s'avérer nécessaires.

J'invite donc la commission à adopter ce texte tel que modifié par les cinq amendements que je vous soumets.

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