Comme chaque année, je suis très heureux de venir devant votre commission, afin de vous présenter les travaux que la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques produisent, à la demande du législateur organique, pour éclairer le Parlement en amont de la discussion du projet de loi de règlement. Ces travaux sont au nombre de trois : l'avis du Haut Conseil des finances publiques relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2017, l'acte de certification des comptes de l'État de 2017 et le rapport sur le budget de l'État en 2017.
J'ai à mes côtés Raoul Briet, qui préside la première chambre de la Cour, et Roch-Olivier Maistre, notre nouveau président de chambre et rapporteur général, ainsi que Christian Charpy et Emmanuel Belluteau, présidents de sections en charge respectivement du rapport sur le budget de l'État et de l'acte de certification des comptes de l'État. François Monier représente le Haut Conseil des finances publiques, dont il est le rapporteur général. Paul Bérard et Cécile Fontaine ont également travaillé sur ces rapports.
Les constats du rapport sur le budget de l'État sont illustrés et complétés par un peu plus de 3 000 pages d'analyses approfondies, qui rassemblent 61 notes portant sur chacune des grandes politiques publiques, trois analyses de l'exécution des recettes, fiscales et non fiscales, et des dépenses fiscales, et deux analyses des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales et de l'Union européenne. Nous mettons également à votre disposition, dans un format aisément réutilisable, des jeux de données quantitatives étayant nos observations. L'ensemble de ces documents a vocation à vous être le plus utiles possible pour la suite de la procédure budgétaire et du contrôle que vous faites sur l'exécution du budget de l'État.
Je souligne la différence de champ entre les trois documents que je vous présente aujourd'hui : l'avis du Haut Conseil porte sur l'ensemble des finances publiques, toutes administrations publiques (APU) confondues - État, collectivités territoriales et sécurité sociale - alors que les deux rapports de la Cour concernent la situation et les comptes uniquement de l'État. Dans un mois environ, je vous présenterai le rapport de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques dans leur globalité.
Je m'exprimerai d'abord en tant que président du Haut Conseil des finances publiques. L'avis présenté aujourd'hui est rendu en application de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Conformément à la volonté du législateur organique, le Haut Conseil doit comparer l'exécution constatée en 2017 avec la trajectoire de solde structurel définie dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 ; le solde structurel est, par opposition au solde nominal, le solde des administrations publiques corrigé des effets liés à la conjoncture économique, déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires.
L'avis émet deux constats principaux. Premier constat, après s'être élevé à 3,4 points de PIB en 2016, le déficit public nominal s'est finalement établi à 2,6 points de PIB en 2017, et ce alors même que la loi de programmation avait prévu qu'il serait de 2,9 points de PIB. Le Haut Conseil constate que l'écart de 0,3 point par rapport à la prévision porte intégralement sur la composante conjoncturelle du déficit. Il s'explique par la révision à la hausse de la croissance du PIB en 2017 : la croissance retenue pour les prévisions de la loi de programmation était de 1,7 %, et la croissance effective s'est finalement élevée à 2,2 %.
Le deuxième message porte sur le déficit structurel de l'année 2017. Selon les dernières estimations, le déficit structurel de 2017 est conforme à ce que prévoyait la loi de programmation, en recul de 0,3 point de PIB par rapport à l'année précédente. L'effort structurel, qui mesure la part de cette amélioration résultant de l'action des pouvoirs publics, est légèrement négatif. La réduction du déficit structurel provient donc du niveau particulièrement élevé de l'élasticité des prélèvements obligatoires, c'est-à-dire du rapport entre la croissance de ces prélèvements et la croissance du PIB, et non d'ajustements structurels comme des mesures de maîtrise des dépenses.
En définitive, le passage du déficit public sous le seuil de 3 points de PIB, qui a permis à la France de sortir de la procédure de déficit excessif, a été obtenu sans effort budgétaire structurel de la part des pouvoirs publics. Le non-respect de la trajectoire de diminution des dépenses ne pourra pas toujours être compensé par de bonnes surprises en matière de recettes, que ces bonnes surprises soient directement liées à la conjoncture ou à une forte élasticité des recettes au PIB. Le respect de la trajectoire des finances publiques adoptée par les pouvoirs publics passera nécessairement par la mise en oeuvre des efforts annoncés dans la loi de programmation, en particulier en matière de dépenses publiques.
La Cour des comptes a produit des conclusions sur l'exécution du budget de l'État. Dans l'audit des finances publiques réalisé à la demande du Premier ministre et rendu public en juin 2017, la Cour avait identifié les risques qui pesaient sur le respect des objectifs de finances publiques définis par le précédent Gouvernement, tant dans la loi de finances pour 2017 que dans le programme de stabilité transmis à la Commission européenne. Ces risques portaient principalement sur le budget de l'État.
Au regard des prévisions macroéconomiques disponibles à l'époque et de l'évolution prévisible des dépenses de l'État, cet exercice a fait apparaître la nécessité d'effectuer un effort de correction de la trajectoire à hauteur de 8 à 9 milliards d'euros, pour respecter l'objectif de déficit public pour 2017, établi à 2,8 points de PIB au moment du programme de stabilité d'avril 2017, après l'avoir été à 2,7 points au moment de la loi de finances initiale (LFI), à un niveau de croissance donné. À la suite de cet audit, le Gouvernement s'est attaché à mettre en oeuvre des mesures de redressement, par une « reprogrammation » très large des crédits budgétaires. En définitive, le déficit de 2017 s'est établi à 2,6 points de PIB. Il s'agit certes d'un chiffre proche de ce qui avait été annoncé, mais qui recouvre une réalité très différente de ce qui avait été présenté à l'époque, notamment lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2017.
Les constats du rapport que nous rendons public aujourd'hui et qui portent sur le seul budget de l'État permettent d'affirmer, dès à présent et sans ambiguïté, que les risques identifiés dans l'audit de juin 2017 sur les dépenses et les recettes non fiscales se sont vérifiés, et donc que la Cour ne s'est pas trompée.
Conformément à sa mission et comme elle l'avait déjà fait à de nombreuses reprises par le passé dans ses rapports sur le budget de l'État, la Cour a signalé en 2017 un risque lourd de dérapage des dépenses par rapport à des prévisions manifestement sous-évaluées dans la loi de finances initiale - ces sous-budgétisations constituant autant d'éléments d'insincérité affectant le texte financier. Ces risques se sont, malheureusement, intégralement matérialisés. Ils ont rendu nécessaires des mesures d'économie et de redéploiement. En dépit de ces mesures, le Gouvernement a dû procéder à des ouvertures nettes de crédits supplémentaires. La Cour a pointé une surévaluation des recettes non fiscales et des recettes de la lutte contre la fraude fiscale. Et celle-ci s'est aussi intégralement vérifiée.
En réalité, et ce que pointe également le Haut Conseil, la baisse du déficit résulte d'une hausse globale des recettes, elle-même due à une forte augmentation des recettes fiscales, supérieure à la forte progression des dépenses.
L'estimation des recettes fiscales sur laquelle s'est fondée la Cour en juin 2017 reposait sur les prévisions de croissance établies à cette date, de façon consensuelle, par les instituts de conjoncture, autour de 1,5 %. Si ces recettes ont fortement augmenté, c'est parce que la croissance effectivement constatée pour 2017 s'est élevée à 2,2 %, alors que le projet de loi de finances pour 2017 était construit sur une hypothèse de croissance de 1,5 %. C'est exclusivement sur ce point que porte l'écart entre les prévisions formulées par la Cour dans son audit et les évolutions effectivement constatées.
La Cour fait cinq constats sur l'exécution du budget de l'État en 2017. Tout d'abord, le déficit du budget de l'État - à ne pas confondre avec le déficit public, qui correspond au solde global des administrations publiques - ne s'est que très faiblement réduit et demeure élevé. Le déficit constaté en comptabilité budgétaire s'est établi à 67,7 milliards d'euros en 2017, à un niveau certes inférieur de 1,7 milliard d'euros à celui qui avait été prévu en loi de finances initiale, mais qui ne représente qu'une baisse limitée de 1,4 milliard d'euros par rapport au solde constaté en 2016. Toutefois, ce déficit ne tient pas compte d'une recette de 1,5 milliard d'euros de droits d'enregistrement qui n'a pas pu être comptabilisée. En l'état, le déficit ne s'est pas significativement réduit, et ce pour la troisième année consécutive. Surtout, il reste à un niveau élevé.
En témoignent deux ordres de grandeur à garder à l'esprit : d'une part, ce déficit représente plus de 20 % des dépenses nettes du budget général ; d'autre part, il est supérieur de près de 22 milliards d'euros au niveau qui permettrait de stabiliser la dette dans le PIB - l'écart serait de 20,3 milliards d'euros en intégrant la recette non comptabilisée. Le déficit budgétaire demeure donc trop élevé de 22 milliards d'euros pour stopper la détérioration de la situation financière de l'État. Le poids de la dette de l'État dans la richesse nationale est ainsi passé de 72,7 % du PIB en 2016 à 73,6 % en 2017. À la fin de l'année 2017, cette dette représentait 80 % de la dette de l'ensemble des administrations publiques.
Cette évolution place la France en décalage par rapport aux grands pays de la zone euro : plusieurs d'entre eux ont commencé à réduire le poids de leur dette publique dans le PIB, comme l'Allemagne, les Pays-Bas ou l'Espagne. J'insiste : la plus grande vigilance reste de mise, au regard du risque de remontée des taux d'intérêts.
Alors qu'elle baissait continûment depuis 2012, la charge de la dette de l'État français a légèrement augmenté en 2017, s'établissant à 41,7 milliards d'euros, contre 41,4 milliards d'euros en 2016. Cette charge s'est avérée très légèrement supérieure aux prévisions initiales, alors que l'on constatait l'inverse depuis plusieurs années. La poursuite de cette hausse aurait un lourd impact sur le solde budgétaire de l'État : un accroissement d'un point sur la courbe des taux entraînerait, selon le ministère des finances, une augmentation de la charge de la dette de 2,1 milliards d'euros la première année, 4,8 milliards d'euros la deuxième année et 19,1 milliards d'euros au bout de dix ans.
La faible évolution du déficit budgétaire masque de forts écarts tant sur le niveau des recettes, portées par l'accélération de l'activité, que sur celui des dépenses, en très forte hausse aussi bien dans la loi de finances initiale qu'en exécution. C'est l'objet des deux constats suivants du rapport.
La Cour observe que la hausse des recettes est due, d'une part, à l'accélération de l'activité et, d'autre part, au niveau conjoncturellement faible des prélèvements sur recettes destinés à l'Union européenne. En 2017, les recettes de l'État se sont établies à 249,3 milliards d'euros, en hausse de 14,4 milliards d'euros par rapport à 2016 et de 5,5 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale. Cette forte augmentation est largement due au dynamisme des recettes fiscales observé essentiellement en fin d'année, lui-même dû à l'accélération de l'activité économique. L'élasticité des impôts d'État s'est ainsi établie à 1,8 en 2017, soit un niveau nettement supérieur à sa valeur de long terme, qui est généralement de 1. L'élasticité des prélèvements obligatoires, toutes administrations publiques confondues, est de 1,4 - j'y reviendrai en juin.
Tous les grands impôts ont vu leur produit augmenter, en particulier la TVA, qui a augmenté de 3,2 milliards d'euros par rapport à la LFI. L'impôt sur les sociétés (IS) a augmenté de 6,6 milliards d'euros, dont 4,9 milliards d'euros résultent de la surtaxe d'IS décidée en fin d'année pour compenser l'invalidation de la taxe de 3 % sur les dividendes.
En revanche, et conformément aux prévisions de la Cour, plusieurs postes de recettes avaient été surestimés dans les prévisions : il s'agit des recettes du service de traitement des déclarations rectificatives - qui s'élèvent à 47,1 milliards d'euros contre 2,1 milliards d'euros en LFI sur le périmètre État - et des recettes non fiscales - de 3,8 milliards d'euros contre 14,5 milliards d'euros en LFI.
Par ailleurs, le prélèvement sur recettes destiné à l'Union européenne a atteint 16,4 milliards d'euros en 2017, soit son plus faible niveau depuis 2005. Il était de 19 milliards d'euros l'année précédente. Cette baisse, qui résulte principalement de retards dans la consommation des crédits européens, est temporaire. Un rattrapage important a d'ailleurs été prévu par la loi de programmation entre 2018 et 2022.
Au-delà de ces évolutions globales, je voudrais attirer votre attention sur trois caractéristiques des recettes de l'État. Celles-ci se trouvent d'abord fragilisées par des contentieux fiscaux de série, liés à la fois au développement du droit communautaire dans le champ fiscal et au contrôle de constitutionnalité a posteriori. Les provisions pour ces contentieux de série, qui traduisent ce risque dans le compte général de l'État, s'établissent ainsi à 10,5 milliards d'euros en 2017. Ces contentieux fragilisent de manière durable les recettes fiscales et rendent nécessaire un effort de sécurisation de la norme fiscale. Dans le cadre des rapports que vous nous avez commandés, nous devrions vous adresser un rapport sur les refus d'apurement communautaires.
Deuxième remarque, les pouvoirs publics semblent avoir renoncé aux efforts de maîtrise des dépenses fiscales. Celles-ci ont atteint 93 milliards d'euros en 2017, en progression globale de 5,4 milliards d'euros par rapport à 2016, et de 1,9 milliard d'euros, hors crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).
Cette croissance traduit l'inefficacité des dispositifs de plafonnement et d'évaluation, dont l'ambition se réduit d'ailleurs à chaque loi de programmation. Le plafond prévu par celle de 2018-2022 est ainsi placé près de 20 milliards d'euros au-dessus du niveau actuel des dépenses fiscales, ce qui le rend par avance inopérant. La Cour, qui avait souligné dans de nombreux rapports le coût, l'inefficacité et le défaut de pilotage d'un certain nombre de dépenses fiscales, ne peut que regretter ce renoncement.
Enfin, malgré des progrès récents, les méthodes utilisées par le ministère des finances pour prévoir les recettes peuvent encore gagner en transparence. Le rapport formule plusieurs recommandations, préconisant par exemple la publication annuelle, dans les annexes du projet de loi de finances, des modèles de prévision utilisés par l'administration.
Les dépenses de l'État ont également connu une progression rapide. Cela traduit à la fois les choix opérés en loi de finances initiale pour 2017 - mais pas seulement - et la nécessité ultérieure de couvrir les risques relevés par la Cour dans son audit. C'est le troisième message de la Cour.
L'audit de juin 2017 avait mis en évidence des risques de dérapage des dépenses effectives par rapport aux dépenses prévues en soulignant les sous-budgétisations manifestes qui caractérisaient la LFI. Nous l'avons souligné de longue date, ces sous-budgétisations constituaient autant de biais de construction affectant la sincérité du texte - j'ai rappelé devant la commission des finances de l'Assemblée nationale les propos de mes prédécesseurs, Pierre Joxe et Philippe Seguin...
Au-delà des sous-évaluations, la Cour avait constaté l'importance des reports de charges de l'année précédente et divers aléas de gestion identifiables, qui étaient également susceptibles d'augmenter les dépenses réelles. L'impact combiné de ces éléments était évalué à l'intérieur d'une fourchette allant de 4,6 milliards d'euros à 6,6 milliards d'euros. En définitive, le dérapage constaté s'élève à 6,4 milliards d'euros, dont 4,4 milliards d'euros pour les sous-budgétisations : le risque identifié s'est malheureusement matérialisé. Pour couvrir les écarts repérés par la Cour, une vaste opération de reprogrammation des crédits a eu lieu. Le Gouvernement a procédé à des économies, via des annulations et des redéploiements massifs, mais une ouverture nette de crédits de 3,1 milliards d'euros a été nécessaire. Cela explique pour partie l'augmentation sensible des dépenses du budget général. L'autre partie correspond à la situation de départ de 2017, caractérisée par une hausse des crédits ouverts en loi de finances initiale de 5,9 milliards d'euros par rapport aux montants exécutés en 2016.
Globalement, les budgets des ministères, hors charge de la dette et pensions, ont connu une hausse inédite depuis 2007 de 10,6 milliards d'euros, soit une augmentation de 4,8 %. En neutralisant les effets de certains contournements de la charte de budgétisation - en annexe du rapport - qui ont sorti certaines dépenses du budget général, la Cour évalue la hausse réelle de ces dépenses à 13,6 milliards d'euros, soit 6,2 %, à périmètre constant.
L'observation des dépenses selon leur nature fait apparaître une augmentation importante des dépenses de personnel, de fonctionnement et d'intervention. Les dépenses de personnel, hors pensions, augmentent de 4 %, soit plus qu'au cours des six dernières années cumulées, en raison de l'accroissement des recrutements prévu dans la LFI et de l'impact des mesures générales et catégorielles, prises notamment dans le cadre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations ». Les dépenses de fonctionnement augmentent, quant à elles, de 4,7 % à périmètre constant - hors recapitalisation d'Areva.
En revanche, les dépenses d'investissement sont stables par rapport à 2016 mais en baisse de 7,1 % par rapport à la prévision de la loi de finances initiale pour 2017. Au-delà de ces données synthétiques, les notes d'exécution budgétaires (NEB) annexées au rapport vous permettront de disposer d'une vision très précise de l'évolution des dépenses de chacune des missions du budget de l'État. À titre d'exemple, vous trouverez dans la NEB « Travail et emploi » les implications budgétaires des réformes récentes portant sur des dispositifs comme les contrats aidés, la prime à l'embauche ou le contrat de génération. La NEB « Sécurité » observe les modalités du déploiement des plans de lutte contre le terrorisme (PLAT) et du pacte de sécurité (PDS), qui avaient été initiés en 2015, ainsi que du plan de sécurité publique (PSP) annoncé fin 2016. Les NEB « Égalité des territoires et logement » et « Solidarité, insertion, égalité des chances » vous permettront respectivement de faire le bilan des mesures d'économies décidées en matière d'aides personnalisées au logement et de constater les sous-budgétisations importantes de la prime d'activité ou de l'allocation aux adultes handicapés.
La matière préparée à votre intention est très riche ; la Cour se tient à votre disposition pour vous permettre de l'exploiter le mieux possible.
Nous souhaitons attirer votre attention sur deux points particuliers concernant les dépenses. Un effort a été effectué en 2017 pour apurer des dettes qui avaient été constituées fin 2016. Dès lors, les crédits reportés sur 2018 ont été réduits des deux-tiers, ce qui allège les tensions budgétaires de court terme ; le niveau des reports de charges a aussi dégonflé de 600 millions d'euros, ce qui va dans le bon sens.
Deuxième point d'attention, le budget exécuté diffère très significativement du budget voté sur certaines missions. Au-delà de l'évolution globale des dépenses, la répartition des crédits entre les différentes missions du budget général a été significativement modifiée, traduisant des priorités différentes entre la budgétisation initiale des crédits et leur exécution.
Certaines missions ont ainsi vu leurs crédits consommés largement en hausse par rapport aux crédits prévus en LFI, hors crédits de personnel, et notamment celles pour lesquelles les sous-budgétisations et les aléas ont été les plus importants : la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » a connu une augmentation de 50 %, la mission « Immigration, asile et intégration » une hausse de 29 %.
En revanche, les crédits de certaines missions ont baissé, comme la mission « Écologie, développement et mobilité durables », qui a diminué de 2,9 %, mais aussi les missions « Sécurités », « Aide publique au développement » et « Justice », dont les crédits ont baissé respectivement de 4,7 %, 4,5 % et 4,1 %.
Ce constat d'un écart important entre le budget voté et le budget exécuté ne peut manquer d'interroger sur la portée du vote de la loi de finances initiale par le Parlement. Il souligne aussi l'importance de la loi de règlement, dont l'examen offre l'opportunité pour le Parlement de renforcer ses ambitions en matière de contrôle des résultats des politiques publiques.
Après ces observations générales sur le solde, les recettes et les dépenses de l'État, je voudrais vous faire part rapidement de deux observations spécifiques sur le budget de l'État. L'une porte sur le respect des grands principes budgétaires, l'autre sur la pratique de la mise en réserve de crédits.
L'année 2017 a vu la persistance d'un certain nombre de dispositifs ou de pratiques de gestion qui s'éloignent des grands principes budgétaires. Leur accumulation limite la capacité du Parlement à appréhender l'action de l'État d'une façon globale et claire.
À titre d'exemple, les programmes d'investissement d'avenir obéissent, en dépit de progrès récents, à des modalités de gestion dérogatoires, qui méconnaissent les principes d'universalité, d'annualité, de spécialité et de sincérité.
Autre contournement des principes budgétaires : l'utilisation des fonds sans personnalité juridique, véhicules financiers contrôlés par l'État ou d'autres personnes publiques et dont la gestion est confiée à des tiers. Il s'agit par exemple du fonds d'aide à l'innovation, de l'enveloppe spéciale de transition énergétique ou encore des fonds de garantie gérés par BPI France.
Placés en dehors du budget de l'État, les montants qui leur sont affectés s'affranchissent largement des principes budgétaires et sont soustraits pour tout ou partie à l'examen du Parlement. Une remise en ordre est indispensable et urgente : par-delà l'amélioration de leur pilotage, elle passe par un choix clair entre, selon les cas, une intégration au budget de l'État, ou une véritable délégation à des opérateurs.
De surcroît - et il s'agit d'un constat réitéré - la Cour souligne la faiblesse effective du pilotage par la performance, dont le principe et les modalités avaient été prévus par la LOLF il y a 17 ans.
Cette faiblesse, illustrée dans notre rapport par des exemples précis, résulte à la fois des limites structurelles inhérentes au principe des indicateurs de performance et de leur exploitation insuffisante pour l'information des citoyens et des parlementaires comme pour la programmation et l'exécution budgétaires.
Pour autant, les indicateurs de performance sont nécessaires et utiles pour généraliser la culture de l'évaluation, indispensable à l'amélioration effective de la gestion publique. Les efforts conduits pour expliciter clairement les objectifs des politiques financées par les programmes, améliorer les indicateurs et mieux les intégrer au suivi de la gestion doivent donc être poursuivis sans relâche.
Enfin, il ressort de nos analyses que la pratique de la mise en réserve de crédits a été détournée de son objectif initial. Ce sera mon dernier message sur le budget de l'État. La loi organique de 2001 a encadré la pratique d'une mise en réserve annuelle de crédits pour permettre des redéploiements en cours d'année et couvrir ainsi les inévitables aléas de gestion. Cette mise en réserve a pris la forme de taux de gel sur les dépenses de personnel et sur les autres dépenses, appliqués à l'ensemble des missions budgétaires. Les besoins de redéploiement en cours d'année ayant cru en proportion de l'ampleur des sous-budgétisations et des reports de charges, le taux de gel initial hors crédits de personnel a atteint 8 % depuis 2015.
Toutefois, il est apparu que la réserve initiale constituée était partiellement virtuelle, dans la mesure où elle était appliquée pour une large part à des dépenses inéluctables. La pratique de gels supplémentaires sur des postes plus ciblés, dénommés surgels, s'est donc développée massivement depuis 2015, si bien que la mise en réserve totale a dépassé 15 milliards d'euros en 2016 et 2017 - plus de 14 milliards d'euros hors dépenses de personnel - soit plus de 10 % des crédits totaux. Si les surgels ont permis d'augmenter les annulations infra-annuelles de crédits, ils n'ont pas pour autant évité de fortes ouvertures nettes de crédits en 2017. Ils ont eu par ailleurs pour effet de concentrer la pression sur certains programmes, notamment les plus petits ou d'autres pourtant affichés initialement comme prioritaires.
En définitive, la Cour relève que la pratique de la mise en réserve de crédits a été détournée de son objectif initial de couverture des aléas de gestion et a été utilisée essentiellement pour remédier aux sous-budgétisations croissantes.
Compte tenu de son ampleur, ce mode de régulation diminue la portée de l'autorisation parlementaire en matière budgétaire, en limitant la pertinence de la justification au premier euro et en altérant la qualité de l'information disponible. Elle réduit en outre les marges de manoeuvre et la visibilité des gestionnaires, ce qui ne peut que conduire à les déresponsabiliser.
Nous estimons aujourd'hui nécessaire de revenir durablement à une mise en réserve d'un niveau modéré, visant à couvrir les seuls aléas de gestion. Cela suppose une budgétisation initiale plus sincère. Je relève que le budget 2018 s'est inscrit dans cette perspective, avec une réserve initiale fixée à 3 %, hors dépenses de personnel.
Avant de conclure mon propos, je souhaite dire un mot des principaux constats de l'acte de certification des comptes de l'État pour l'exercice 2017, qui vient utilement compléter, sous l'angle de la comptabilité générale, ceux que nous formulons sur le plan budgétaire.
Je vous rappelle pour commencer les trois chiffres-clés du bilan de l'État au 31 décembre 2017 : le passif total est de 2 178 milliards d'euros ; le total des actifs atteint 979 milliards d'euros ; les engagements hors bilan de l'État s'élèvent à 4 166 milliards d'euros, dont la moitié correspond aux retraites.
La situation nette, fortement négative, s'établit à moins 1 260 milliards d'euros fin 2017. Cela correspond à quatre années de produits fiscaux, contre seulement deux fin 2006 ! La perte de l'exercice s'élève à 61 milliards d'euros, contre 78 milliards d'euros en 2016.
Deuxième point : la Cour certifie que, au regard des règles et principes comptables qui lui sont applicables, le compte général de l'État de l'exercice 2017 est régulier et sincère, et donne une image fidèle de la situation financière et du patrimoine de l'État, sous quatre réserves substantielles.
En effet, si les progrès réalisés permettent de lever cette année quinze parties de réserve formulées sur les comptes de l'État de 2016, les quatre réserves substantielles énoncées l'an dernier demeurent. Elles portent d'abord sur les limites générales auxquelles est confrontée la Cour dans l'étendue de ses vérifications, qui concernent le système d'information financière et les insuffisances du dispositif de maîtrise des risques, c'est-à-dire le contrôle interne. Les réserves portent aussi sur les anomalies relatives aux stocks militaires et aux immobilisations corporelles, sur les anomalies relatives aux immobilisations financières et sur les anomalies relatives aux charges et aux produits régaliens.
Troisième point : les états financiers que la Cour certifie montrent bien le contexte dans lequel sont gérées les finances publiques et dans lequel, en particulier, est préparé le budget de l'État.
Le passif de l'État représente plus du double de son actif, c'est-à-dire que ce qu'il doit et qui donnera lieu à des décaissements au cours des années qui viennent - ses dettes, ses engagements multiples, les provisions qu'il a constituées - représente deux fois ce qu'il possède - son patrimoine, sa trésorerie. Encore ces chiffres ne comprennent-ils pas les engagements hors bilan. À ce sujet, je saisis cette occasion pour vous confirmer que la Cour vous remettra tout début 2019 le rapport demandé par votre commission sur la dette des entités publiques.
Enfin, quatrième et dernier point mis en valeur par l'acte de certification : la dynamique d'amélioration de la fiabilité des comptes de l'État ralentit. L'acte de certification, de même que le rapport que nous publions également cette année sur la qualité des comptes des entités soumises à la certification par un commissaire aux comptes, en application de l'article L. 132-2-2 du code des juridictions financières, montrent que la fiabilité des comptes s'est améliorée. Cependant, les progrès significatifs réalisés depuis 2006 ont surtout été obtenus dans les premières années qui ont suivi l'entrée en vigueur du volet comptable de la LOLF : je rappelle que, sur les quatorze réserves levées par la Cour en douze ans, une seule l'a été au cours des cinq derniers exercices. Je puis concevoir que le noyau dur soit le plus difficile à réduire, mais de nouvelles avancées significatives concernant la fiabilité des comptes de l'État sont possibles, et la Cour formule à cet égard des recommandations précises.
J'achèverai mon propos en rappelant que l'amélioration constatée du solde budgétaire de l'État s'avère en réalité peu significative, qu'elle ne permet toujours pas de stabiliser la situation financière et qu'elle n'est due qu'à une accélération forte de l'activité économique, dont rien n'assure qu'elle soit durable. La dette de l'État a donc continué à s'accroître, majorant les risques financiers associés à une éventuelle hausse des taux d'intérêt.
Après une année 2017 de très forte croissance des dépenses des ministères, les perspectives de redressement des finances de l'État pour les années à venir dépendront de sa capacité réelle à maîtriser ses dépenses et à respecter ainsi les engagements de la loi de programmation des finances publiques.
L'amélioration mécanique et sans effort qui a caractérisé le budget de l'État en 2017 ne pourra pas, selon nous, se poursuivre indéfiniment.