La réunion est ouverte à 15 heures.
Nous avons le plaisir de recevoir M. Didier Migaud, en sa double qualité de Premier président de la Cour des comptes et de président du Haut Conseil des finances publiques, pour nous présenter d'une part les constats de la Cour sur l'exécution du budget de l'État en 2017 et l'acte de certification des comptes de l'État, et d'autre part l'avis du Haut Conseil relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2017.
Cette audition complète celle du Ministre de l'action et des comptes publics, M. Gérald Darmanin, qui s'est tenue mercredi dernier devant notre commission, sur le projet de loi de règlement.
Elle sera suivie d'autres travaux de notre commission, et notamment de nouvelles auditions ministérielles : celle de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, le 19 juin prochain, et celle de M. Stéphane Travert, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, le 21 juin prochain, afin d'approfondir l'examen de l'exécution de leurs crédits ministériels sur l'année écoulée, compte tenu des enjeux particuliers qui s'attachent à l'exécution en 2017 de leurs crédits ministériels.
Je profite de cette audition, Monsieur le Premier président, pour vous indiquer combien notre commission des finances apprécie la qualité des enquêtes que vous nous remettez en application de l'article 58-2 de la LOLF, qui aident nos rapporteurs spéciaux dans leur travail continu de contrôle budgétaire. Ce semestre, nous avons déjà entendu trois restitutions d'enquêtes en présence des administrations et organismes concernés, sur le programme « Habiter mieux », sur le soutien aux énergies renouvelables et ce matin même sur le recours aux personnels contractuels dans l'éducation nationale, en présence de Mme Sophie Moati, présidente de chambre.
Le contrôle budgétaire n'est pas un exercice général et ponctuel, il s'exerce de manière continue et sur des sujets ciblés pour permettre d'en appréhender toute la complexité, avec l'implication de chacun des membres de notre commission dans son domaine de compétence.
Notre réunion est ouverte à la presse et retransmise sur le site internet du Sénat.
Comme chaque année, je suis très heureux de venir devant votre commission, afin de vous présenter les travaux que la Cour des comptes et le Haut Conseil des finances publiques produisent, à la demande du législateur organique, pour éclairer le Parlement en amont de la discussion du projet de loi de règlement. Ces travaux sont au nombre de trois : l'avis du Haut Conseil des finances publiques relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2017, l'acte de certification des comptes de l'État de 2017 et le rapport sur le budget de l'État en 2017.
J'ai à mes côtés Raoul Briet, qui préside la première chambre de la Cour, et Roch-Olivier Maistre, notre nouveau président de chambre et rapporteur général, ainsi que Christian Charpy et Emmanuel Belluteau, présidents de sections en charge respectivement du rapport sur le budget de l'État et de l'acte de certification des comptes de l'État. François Monier représente le Haut Conseil des finances publiques, dont il est le rapporteur général. Paul Bérard et Cécile Fontaine ont également travaillé sur ces rapports.
Les constats du rapport sur le budget de l'État sont illustrés et complétés par un peu plus de 3 000 pages d'analyses approfondies, qui rassemblent 61 notes portant sur chacune des grandes politiques publiques, trois analyses de l'exécution des recettes, fiscales et non fiscales, et des dépenses fiscales, et deux analyses des prélèvements sur recettes au profit des collectivités territoriales et de l'Union européenne. Nous mettons également à votre disposition, dans un format aisément réutilisable, des jeux de données quantitatives étayant nos observations. L'ensemble de ces documents a vocation à vous être le plus utiles possible pour la suite de la procédure budgétaire et du contrôle que vous faites sur l'exécution du budget de l'État.
Je souligne la différence de champ entre les trois documents que je vous présente aujourd'hui : l'avis du Haut Conseil porte sur l'ensemble des finances publiques, toutes administrations publiques (APU) confondues - État, collectivités territoriales et sécurité sociale - alors que les deux rapports de la Cour concernent la situation et les comptes uniquement de l'État. Dans un mois environ, je vous présenterai le rapport de la Cour sur la situation et les perspectives des finances publiques dans leur globalité.
Je m'exprimerai d'abord en tant que président du Haut Conseil des finances publiques. L'avis présenté aujourd'hui est rendu en application de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques. Conformément à la volonté du législateur organique, le Haut Conseil doit comparer l'exécution constatée en 2017 avec la trajectoire de solde structurel définie dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 ; le solde structurel est, par opposition au solde nominal, le solde des administrations publiques corrigé des effets liés à la conjoncture économique, déduction faite des mesures ponctuelles et temporaires.
L'avis émet deux constats principaux. Premier constat, après s'être élevé à 3,4 points de PIB en 2016, le déficit public nominal s'est finalement établi à 2,6 points de PIB en 2017, et ce alors même que la loi de programmation avait prévu qu'il serait de 2,9 points de PIB. Le Haut Conseil constate que l'écart de 0,3 point par rapport à la prévision porte intégralement sur la composante conjoncturelle du déficit. Il s'explique par la révision à la hausse de la croissance du PIB en 2017 : la croissance retenue pour les prévisions de la loi de programmation était de 1,7 %, et la croissance effective s'est finalement élevée à 2,2 %.
Le deuxième message porte sur le déficit structurel de l'année 2017. Selon les dernières estimations, le déficit structurel de 2017 est conforme à ce que prévoyait la loi de programmation, en recul de 0,3 point de PIB par rapport à l'année précédente. L'effort structurel, qui mesure la part de cette amélioration résultant de l'action des pouvoirs publics, est légèrement négatif. La réduction du déficit structurel provient donc du niveau particulièrement élevé de l'élasticité des prélèvements obligatoires, c'est-à-dire du rapport entre la croissance de ces prélèvements et la croissance du PIB, et non d'ajustements structurels comme des mesures de maîtrise des dépenses.
En définitive, le passage du déficit public sous le seuil de 3 points de PIB, qui a permis à la France de sortir de la procédure de déficit excessif, a été obtenu sans effort budgétaire structurel de la part des pouvoirs publics. Le non-respect de la trajectoire de diminution des dépenses ne pourra pas toujours être compensé par de bonnes surprises en matière de recettes, que ces bonnes surprises soient directement liées à la conjoncture ou à une forte élasticité des recettes au PIB. Le respect de la trajectoire des finances publiques adoptée par les pouvoirs publics passera nécessairement par la mise en oeuvre des efforts annoncés dans la loi de programmation, en particulier en matière de dépenses publiques.
La Cour des comptes a produit des conclusions sur l'exécution du budget de l'État. Dans l'audit des finances publiques réalisé à la demande du Premier ministre et rendu public en juin 2017, la Cour avait identifié les risques qui pesaient sur le respect des objectifs de finances publiques définis par le précédent Gouvernement, tant dans la loi de finances pour 2017 que dans le programme de stabilité transmis à la Commission européenne. Ces risques portaient principalement sur le budget de l'État.
Au regard des prévisions macroéconomiques disponibles à l'époque et de l'évolution prévisible des dépenses de l'État, cet exercice a fait apparaître la nécessité d'effectuer un effort de correction de la trajectoire à hauteur de 8 à 9 milliards d'euros, pour respecter l'objectif de déficit public pour 2017, établi à 2,8 points de PIB au moment du programme de stabilité d'avril 2017, après l'avoir été à 2,7 points au moment de la loi de finances initiale (LFI), à un niveau de croissance donné. À la suite de cet audit, le Gouvernement s'est attaché à mettre en oeuvre des mesures de redressement, par une « reprogrammation » très large des crédits budgétaires. En définitive, le déficit de 2017 s'est établi à 2,6 points de PIB. Il s'agit certes d'un chiffre proche de ce qui avait été annoncé, mais qui recouvre une réalité très différente de ce qui avait été présenté à l'époque, notamment lors de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2017.
Les constats du rapport que nous rendons public aujourd'hui et qui portent sur le seul budget de l'État permettent d'affirmer, dès à présent et sans ambiguïté, que les risques identifiés dans l'audit de juin 2017 sur les dépenses et les recettes non fiscales se sont vérifiés, et donc que la Cour ne s'est pas trompée.
Conformément à sa mission et comme elle l'avait déjà fait à de nombreuses reprises par le passé dans ses rapports sur le budget de l'État, la Cour a signalé en 2017 un risque lourd de dérapage des dépenses par rapport à des prévisions manifestement sous-évaluées dans la loi de finances initiale - ces sous-budgétisations constituant autant d'éléments d'insincérité affectant le texte financier. Ces risques se sont, malheureusement, intégralement matérialisés. Ils ont rendu nécessaires des mesures d'économie et de redéploiement. En dépit de ces mesures, le Gouvernement a dû procéder à des ouvertures nettes de crédits supplémentaires. La Cour a pointé une surévaluation des recettes non fiscales et des recettes de la lutte contre la fraude fiscale. Et celle-ci s'est aussi intégralement vérifiée.
En réalité, et ce que pointe également le Haut Conseil, la baisse du déficit résulte d'une hausse globale des recettes, elle-même due à une forte augmentation des recettes fiscales, supérieure à la forte progression des dépenses.
L'estimation des recettes fiscales sur laquelle s'est fondée la Cour en juin 2017 reposait sur les prévisions de croissance établies à cette date, de façon consensuelle, par les instituts de conjoncture, autour de 1,5 %. Si ces recettes ont fortement augmenté, c'est parce que la croissance effectivement constatée pour 2017 s'est élevée à 2,2 %, alors que le projet de loi de finances pour 2017 était construit sur une hypothèse de croissance de 1,5 %. C'est exclusivement sur ce point que porte l'écart entre les prévisions formulées par la Cour dans son audit et les évolutions effectivement constatées.
La Cour fait cinq constats sur l'exécution du budget de l'État en 2017. Tout d'abord, le déficit du budget de l'État - à ne pas confondre avec le déficit public, qui correspond au solde global des administrations publiques - ne s'est que très faiblement réduit et demeure élevé. Le déficit constaté en comptabilité budgétaire s'est établi à 67,7 milliards d'euros en 2017, à un niveau certes inférieur de 1,7 milliard d'euros à celui qui avait été prévu en loi de finances initiale, mais qui ne représente qu'une baisse limitée de 1,4 milliard d'euros par rapport au solde constaté en 2016. Toutefois, ce déficit ne tient pas compte d'une recette de 1,5 milliard d'euros de droits d'enregistrement qui n'a pas pu être comptabilisée. En l'état, le déficit ne s'est pas significativement réduit, et ce pour la troisième année consécutive. Surtout, il reste à un niveau élevé.
En témoignent deux ordres de grandeur à garder à l'esprit : d'une part, ce déficit représente plus de 20 % des dépenses nettes du budget général ; d'autre part, il est supérieur de près de 22 milliards d'euros au niveau qui permettrait de stabiliser la dette dans le PIB - l'écart serait de 20,3 milliards d'euros en intégrant la recette non comptabilisée. Le déficit budgétaire demeure donc trop élevé de 22 milliards d'euros pour stopper la détérioration de la situation financière de l'État. Le poids de la dette de l'État dans la richesse nationale est ainsi passé de 72,7 % du PIB en 2016 à 73,6 % en 2017. À la fin de l'année 2017, cette dette représentait 80 % de la dette de l'ensemble des administrations publiques.
Cette évolution place la France en décalage par rapport aux grands pays de la zone euro : plusieurs d'entre eux ont commencé à réduire le poids de leur dette publique dans le PIB, comme l'Allemagne, les Pays-Bas ou l'Espagne. J'insiste : la plus grande vigilance reste de mise, au regard du risque de remontée des taux d'intérêts.
Alors qu'elle baissait continûment depuis 2012, la charge de la dette de l'État français a légèrement augmenté en 2017, s'établissant à 41,7 milliards d'euros, contre 41,4 milliards d'euros en 2016. Cette charge s'est avérée très légèrement supérieure aux prévisions initiales, alors que l'on constatait l'inverse depuis plusieurs années. La poursuite de cette hausse aurait un lourd impact sur le solde budgétaire de l'État : un accroissement d'un point sur la courbe des taux entraînerait, selon le ministère des finances, une augmentation de la charge de la dette de 2,1 milliards d'euros la première année, 4,8 milliards d'euros la deuxième année et 19,1 milliards d'euros au bout de dix ans.
La faible évolution du déficit budgétaire masque de forts écarts tant sur le niveau des recettes, portées par l'accélération de l'activité, que sur celui des dépenses, en très forte hausse aussi bien dans la loi de finances initiale qu'en exécution. C'est l'objet des deux constats suivants du rapport.
La Cour observe que la hausse des recettes est due, d'une part, à l'accélération de l'activité et, d'autre part, au niveau conjoncturellement faible des prélèvements sur recettes destinés à l'Union européenne. En 2017, les recettes de l'État se sont établies à 249,3 milliards d'euros, en hausse de 14,4 milliards d'euros par rapport à 2016 et de 5,5 milliards d'euros par rapport à la loi de finances initiale. Cette forte augmentation est largement due au dynamisme des recettes fiscales observé essentiellement en fin d'année, lui-même dû à l'accélération de l'activité économique. L'élasticité des impôts d'État s'est ainsi établie à 1,8 en 2017, soit un niveau nettement supérieur à sa valeur de long terme, qui est généralement de 1. L'élasticité des prélèvements obligatoires, toutes administrations publiques confondues, est de 1,4 - j'y reviendrai en juin.
Tous les grands impôts ont vu leur produit augmenter, en particulier la TVA, qui a augmenté de 3,2 milliards d'euros par rapport à la LFI. L'impôt sur les sociétés (IS) a augmenté de 6,6 milliards d'euros, dont 4,9 milliards d'euros résultent de la surtaxe d'IS décidée en fin d'année pour compenser l'invalidation de la taxe de 3 % sur les dividendes.
En revanche, et conformément aux prévisions de la Cour, plusieurs postes de recettes avaient été surestimés dans les prévisions : il s'agit des recettes du service de traitement des déclarations rectificatives - qui s'élèvent à 47,1 milliards d'euros contre 2,1 milliards d'euros en LFI sur le périmètre État - et des recettes non fiscales - de 3,8 milliards d'euros contre 14,5 milliards d'euros en LFI.
Par ailleurs, le prélèvement sur recettes destiné à l'Union européenne a atteint 16,4 milliards d'euros en 2017, soit son plus faible niveau depuis 2005. Il était de 19 milliards d'euros l'année précédente. Cette baisse, qui résulte principalement de retards dans la consommation des crédits européens, est temporaire. Un rattrapage important a d'ailleurs été prévu par la loi de programmation entre 2018 et 2022.
Au-delà de ces évolutions globales, je voudrais attirer votre attention sur trois caractéristiques des recettes de l'État. Celles-ci se trouvent d'abord fragilisées par des contentieux fiscaux de série, liés à la fois au développement du droit communautaire dans le champ fiscal et au contrôle de constitutionnalité a posteriori. Les provisions pour ces contentieux de série, qui traduisent ce risque dans le compte général de l'État, s'établissent ainsi à 10,5 milliards d'euros en 2017. Ces contentieux fragilisent de manière durable les recettes fiscales et rendent nécessaire un effort de sécurisation de la norme fiscale. Dans le cadre des rapports que vous nous avez commandés, nous devrions vous adresser un rapport sur les refus d'apurement communautaires.
Deuxième remarque, les pouvoirs publics semblent avoir renoncé aux efforts de maîtrise des dépenses fiscales. Celles-ci ont atteint 93 milliards d'euros en 2017, en progression globale de 5,4 milliards d'euros par rapport à 2016, et de 1,9 milliard d'euros, hors crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).
Cette croissance traduit l'inefficacité des dispositifs de plafonnement et d'évaluation, dont l'ambition se réduit d'ailleurs à chaque loi de programmation. Le plafond prévu par celle de 2018-2022 est ainsi placé près de 20 milliards d'euros au-dessus du niveau actuel des dépenses fiscales, ce qui le rend par avance inopérant. La Cour, qui avait souligné dans de nombreux rapports le coût, l'inefficacité et le défaut de pilotage d'un certain nombre de dépenses fiscales, ne peut que regretter ce renoncement.
Enfin, malgré des progrès récents, les méthodes utilisées par le ministère des finances pour prévoir les recettes peuvent encore gagner en transparence. Le rapport formule plusieurs recommandations, préconisant par exemple la publication annuelle, dans les annexes du projet de loi de finances, des modèles de prévision utilisés par l'administration.
Les dépenses de l'État ont également connu une progression rapide. Cela traduit à la fois les choix opérés en loi de finances initiale pour 2017 - mais pas seulement - et la nécessité ultérieure de couvrir les risques relevés par la Cour dans son audit. C'est le troisième message de la Cour.
L'audit de juin 2017 avait mis en évidence des risques de dérapage des dépenses effectives par rapport aux dépenses prévues en soulignant les sous-budgétisations manifestes qui caractérisaient la LFI. Nous l'avons souligné de longue date, ces sous-budgétisations constituaient autant de biais de construction affectant la sincérité du texte - j'ai rappelé devant la commission des finances de l'Assemblée nationale les propos de mes prédécesseurs, Pierre Joxe et Philippe Seguin...
Au-delà des sous-évaluations, la Cour avait constaté l'importance des reports de charges de l'année précédente et divers aléas de gestion identifiables, qui étaient également susceptibles d'augmenter les dépenses réelles. L'impact combiné de ces éléments était évalué à l'intérieur d'une fourchette allant de 4,6 milliards d'euros à 6,6 milliards d'euros. En définitive, le dérapage constaté s'élève à 6,4 milliards d'euros, dont 4,4 milliards d'euros pour les sous-budgétisations : le risque identifié s'est malheureusement matérialisé. Pour couvrir les écarts repérés par la Cour, une vaste opération de reprogrammation des crédits a eu lieu. Le Gouvernement a procédé à des économies, via des annulations et des redéploiements massifs, mais une ouverture nette de crédits de 3,1 milliards d'euros a été nécessaire. Cela explique pour partie l'augmentation sensible des dépenses du budget général. L'autre partie correspond à la situation de départ de 2017, caractérisée par une hausse des crédits ouverts en loi de finances initiale de 5,9 milliards d'euros par rapport aux montants exécutés en 2016.
Globalement, les budgets des ministères, hors charge de la dette et pensions, ont connu une hausse inédite depuis 2007 de 10,6 milliards d'euros, soit une augmentation de 4,8 %. En neutralisant les effets de certains contournements de la charte de budgétisation - en annexe du rapport - qui ont sorti certaines dépenses du budget général, la Cour évalue la hausse réelle de ces dépenses à 13,6 milliards d'euros, soit 6,2 %, à périmètre constant.
L'observation des dépenses selon leur nature fait apparaître une augmentation importante des dépenses de personnel, de fonctionnement et d'intervention. Les dépenses de personnel, hors pensions, augmentent de 4 %, soit plus qu'au cours des six dernières années cumulées, en raison de l'accroissement des recrutements prévu dans la LFI et de l'impact des mesures générales et catégorielles, prises notamment dans le cadre du protocole « Parcours professionnels, carrières et rémunérations ». Les dépenses de fonctionnement augmentent, quant à elles, de 4,7 % à périmètre constant - hors recapitalisation d'Areva.
En revanche, les dépenses d'investissement sont stables par rapport à 2016 mais en baisse de 7,1 % par rapport à la prévision de la loi de finances initiale pour 2017. Au-delà de ces données synthétiques, les notes d'exécution budgétaires (NEB) annexées au rapport vous permettront de disposer d'une vision très précise de l'évolution des dépenses de chacune des missions du budget de l'État. À titre d'exemple, vous trouverez dans la NEB « Travail et emploi » les implications budgétaires des réformes récentes portant sur des dispositifs comme les contrats aidés, la prime à l'embauche ou le contrat de génération. La NEB « Sécurité » observe les modalités du déploiement des plans de lutte contre le terrorisme (PLAT) et du pacte de sécurité (PDS), qui avaient été initiés en 2015, ainsi que du plan de sécurité publique (PSP) annoncé fin 2016. Les NEB « Égalité des territoires et logement » et « Solidarité, insertion, égalité des chances » vous permettront respectivement de faire le bilan des mesures d'économies décidées en matière d'aides personnalisées au logement et de constater les sous-budgétisations importantes de la prime d'activité ou de l'allocation aux adultes handicapés.
La matière préparée à votre intention est très riche ; la Cour se tient à votre disposition pour vous permettre de l'exploiter le mieux possible.
Nous souhaitons attirer votre attention sur deux points particuliers concernant les dépenses. Un effort a été effectué en 2017 pour apurer des dettes qui avaient été constituées fin 2016. Dès lors, les crédits reportés sur 2018 ont été réduits des deux-tiers, ce qui allège les tensions budgétaires de court terme ; le niveau des reports de charges a aussi dégonflé de 600 millions d'euros, ce qui va dans le bon sens.
Deuxième point d'attention, le budget exécuté diffère très significativement du budget voté sur certaines missions. Au-delà de l'évolution globale des dépenses, la répartition des crédits entre les différentes missions du budget général a été significativement modifiée, traduisant des priorités différentes entre la budgétisation initiale des crédits et leur exécution.
Certaines missions ont ainsi vu leurs crédits consommés largement en hausse par rapport aux crédits prévus en LFI, hors crédits de personnel, et notamment celles pour lesquelles les sous-budgétisations et les aléas ont été les plus importants : la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » a connu une augmentation de 50 %, la mission « Immigration, asile et intégration » une hausse de 29 %.
En revanche, les crédits de certaines missions ont baissé, comme la mission « Écologie, développement et mobilité durables », qui a diminué de 2,9 %, mais aussi les missions « Sécurités », « Aide publique au développement » et « Justice », dont les crédits ont baissé respectivement de 4,7 %, 4,5 % et 4,1 %.
Ce constat d'un écart important entre le budget voté et le budget exécuté ne peut manquer d'interroger sur la portée du vote de la loi de finances initiale par le Parlement. Il souligne aussi l'importance de la loi de règlement, dont l'examen offre l'opportunité pour le Parlement de renforcer ses ambitions en matière de contrôle des résultats des politiques publiques.
Après ces observations générales sur le solde, les recettes et les dépenses de l'État, je voudrais vous faire part rapidement de deux observations spécifiques sur le budget de l'État. L'une porte sur le respect des grands principes budgétaires, l'autre sur la pratique de la mise en réserve de crédits.
L'année 2017 a vu la persistance d'un certain nombre de dispositifs ou de pratiques de gestion qui s'éloignent des grands principes budgétaires. Leur accumulation limite la capacité du Parlement à appréhender l'action de l'État d'une façon globale et claire.
À titre d'exemple, les programmes d'investissement d'avenir obéissent, en dépit de progrès récents, à des modalités de gestion dérogatoires, qui méconnaissent les principes d'universalité, d'annualité, de spécialité et de sincérité.
Autre contournement des principes budgétaires : l'utilisation des fonds sans personnalité juridique, véhicules financiers contrôlés par l'État ou d'autres personnes publiques et dont la gestion est confiée à des tiers. Il s'agit par exemple du fonds d'aide à l'innovation, de l'enveloppe spéciale de transition énergétique ou encore des fonds de garantie gérés par BPI France.
Placés en dehors du budget de l'État, les montants qui leur sont affectés s'affranchissent largement des principes budgétaires et sont soustraits pour tout ou partie à l'examen du Parlement. Une remise en ordre est indispensable et urgente : par-delà l'amélioration de leur pilotage, elle passe par un choix clair entre, selon les cas, une intégration au budget de l'État, ou une véritable délégation à des opérateurs.
De surcroît - et il s'agit d'un constat réitéré - la Cour souligne la faiblesse effective du pilotage par la performance, dont le principe et les modalités avaient été prévus par la LOLF il y a 17 ans.
Cette faiblesse, illustrée dans notre rapport par des exemples précis, résulte à la fois des limites structurelles inhérentes au principe des indicateurs de performance et de leur exploitation insuffisante pour l'information des citoyens et des parlementaires comme pour la programmation et l'exécution budgétaires.
Pour autant, les indicateurs de performance sont nécessaires et utiles pour généraliser la culture de l'évaluation, indispensable à l'amélioration effective de la gestion publique. Les efforts conduits pour expliciter clairement les objectifs des politiques financées par les programmes, améliorer les indicateurs et mieux les intégrer au suivi de la gestion doivent donc être poursuivis sans relâche.
Enfin, il ressort de nos analyses que la pratique de la mise en réserve de crédits a été détournée de son objectif initial. Ce sera mon dernier message sur le budget de l'État. La loi organique de 2001 a encadré la pratique d'une mise en réserve annuelle de crédits pour permettre des redéploiements en cours d'année et couvrir ainsi les inévitables aléas de gestion. Cette mise en réserve a pris la forme de taux de gel sur les dépenses de personnel et sur les autres dépenses, appliqués à l'ensemble des missions budgétaires. Les besoins de redéploiement en cours d'année ayant cru en proportion de l'ampleur des sous-budgétisations et des reports de charges, le taux de gel initial hors crédits de personnel a atteint 8 % depuis 2015.
Toutefois, il est apparu que la réserve initiale constituée était partiellement virtuelle, dans la mesure où elle était appliquée pour une large part à des dépenses inéluctables. La pratique de gels supplémentaires sur des postes plus ciblés, dénommés surgels, s'est donc développée massivement depuis 2015, si bien que la mise en réserve totale a dépassé 15 milliards d'euros en 2016 et 2017 - plus de 14 milliards d'euros hors dépenses de personnel - soit plus de 10 % des crédits totaux. Si les surgels ont permis d'augmenter les annulations infra-annuelles de crédits, ils n'ont pas pour autant évité de fortes ouvertures nettes de crédits en 2017. Ils ont eu par ailleurs pour effet de concentrer la pression sur certains programmes, notamment les plus petits ou d'autres pourtant affichés initialement comme prioritaires.
En définitive, la Cour relève que la pratique de la mise en réserve de crédits a été détournée de son objectif initial de couverture des aléas de gestion et a été utilisée essentiellement pour remédier aux sous-budgétisations croissantes.
Compte tenu de son ampleur, ce mode de régulation diminue la portée de l'autorisation parlementaire en matière budgétaire, en limitant la pertinence de la justification au premier euro et en altérant la qualité de l'information disponible. Elle réduit en outre les marges de manoeuvre et la visibilité des gestionnaires, ce qui ne peut que conduire à les déresponsabiliser.
Nous estimons aujourd'hui nécessaire de revenir durablement à une mise en réserve d'un niveau modéré, visant à couvrir les seuls aléas de gestion. Cela suppose une budgétisation initiale plus sincère. Je relève que le budget 2018 s'est inscrit dans cette perspective, avec une réserve initiale fixée à 3 %, hors dépenses de personnel.
Avant de conclure mon propos, je souhaite dire un mot des principaux constats de l'acte de certification des comptes de l'État pour l'exercice 2017, qui vient utilement compléter, sous l'angle de la comptabilité générale, ceux que nous formulons sur le plan budgétaire.
Je vous rappelle pour commencer les trois chiffres-clés du bilan de l'État au 31 décembre 2017 : le passif total est de 2 178 milliards d'euros ; le total des actifs atteint 979 milliards d'euros ; les engagements hors bilan de l'État s'élèvent à 4 166 milliards d'euros, dont la moitié correspond aux retraites.
La situation nette, fortement négative, s'établit à moins 1 260 milliards d'euros fin 2017. Cela correspond à quatre années de produits fiscaux, contre seulement deux fin 2006 ! La perte de l'exercice s'élève à 61 milliards d'euros, contre 78 milliards d'euros en 2016.
Deuxième point : la Cour certifie que, au regard des règles et principes comptables qui lui sont applicables, le compte général de l'État de l'exercice 2017 est régulier et sincère, et donne une image fidèle de la situation financière et du patrimoine de l'État, sous quatre réserves substantielles.
En effet, si les progrès réalisés permettent de lever cette année quinze parties de réserve formulées sur les comptes de l'État de 2016, les quatre réserves substantielles énoncées l'an dernier demeurent. Elles portent d'abord sur les limites générales auxquelles est confrontée la Cour dans l'étendue de ses vérifications, qui concernent le système d'information financière et les insuffisances du dispositif de maîtrise des risques, c'est-à-dire le contrôle interne. Les réserves portent aussi sur les anomalies relatives aux stocks militaires et aux immobilisations corporelles, sur les anomalies relatives aux immobilisations financières et sur les anomalies relatives aux charges et aux produits régaliens.
Troisième point : les états financiers que la Cour certifie montrent bien le contexte dans lequel sont gérées les finances publiques et dans lequel, en particulier, est préparé le budget de l'État.
Le passif de l'État représente plus du double de son actif, c'est-à-dire que ce qu'il doit et qui donnera lieu à des décaissements au cours des années qui viennent - ses dettes, ses engagements multiples, les provisions qu'il a constituées - représente deux fois ce qu'il possède - son patrimoine, sa trésorerie. Encore ces chiffres ne comprennent-ils pas les engagements hors bilan. À ce sujet, je saisis cette occasion pour vous confirmer que la Cour vous remettra tout début 2019 le rapport demandé par votre commission sur la dette des entités publiques.
Enfin, quatrième et dernier point mis en valeur par l'acte de certification : la dynamique d'amélioration de la fiabilité des comptes de l'État ralentit. L'acte de certification, de même que le rapport que nous publions également cette année sur la qualité des comptes des entités soumises à la certification par un commissaire aux comptes, en application de l'article L. 132-2-2 du code des juridictions financières, montrent que la fiabilité des comptes s'est améliorée. Cependant, les progrès significatifs réalisés depuis 2006 ont surtout été obtenus dans les premières années qui ont suivi l'entrée en vigueur du volet comptable de la LOLF : je rappelle que, sur les quatorze réserves levées par la Cour en douze ans, une seule l'a été au cours des cinq derniers exercices. Je puis concevoir que le noyau dur soit le plus difficile à réduire, mais de nouvelles avancées significatives concernant la fiabilité des comptes de l'État sont possibles, et la Cour formule à cet égard des recommandations précises.
J'achèverai mon propos en rappelant que l'amélioration constatée du solde budgétaire de l'État s'avère en réalité peu significative, qu'elle ne permet toujours pas de stabiliser la situation financière et qu'elle n'est due qu'à une accélération forte de l'activité économique, dont rien n'assure qu'elle soit durable. La dette de l'État a donc continué à s'accroître, majorant les risques financiers associés à une éventuelle hausse des taux d'intérêt.
Après une année 2017 de très forte croissance des dépenses des ministères, les perspectives de redressement des finances de l'État pour les années à venir dépendront de sa capacité réelle à maîtriser ses dépenses et à respecter ainsi les engagements de la loi de programmation des finances publiques.
L'amélioration mécanique et sans effort qui a caractérisé le budget de l'État en 2017 ne pourra pas, selon nous, se poursuivre indéfiniment.
Merci pour ce tableau, qui peut paraître sévère, mais qui est étayé par votre comptabilité. La loi de règlement porte exclusivement sur l'exécution du budget de l'État, alors que nos engagements européens portent sur l'ensemble des administrations publiques. Il serait peut-être opportun, dès lors, que le Parlement soit saisi d'une loi d'exécution des comptes publics, qui permettrait de disposer d'une vision consolidée de l'exécution de nos finances publiques, tenant compte des nombreux transferts de charges entre l'État, les administrations de Sécurité sociale et les collectivités locales. Cela constituerait un élément de modernisation de notre procédure budgétaire.
Dans son rapport sur le budget de l'État en 2017, la Cour des comptes a notablement renforcé par rapport à 2016 sa recommandation relative aux prévisions de recettes fiscales, en demandant en particulier que soit publié le modèle de prévision et en détaillant les données fiscales qui devraient être rendues publiques. J'ai moi-même défendu à l'automne dernier un amendement demandant la publication du code source de l'impôt, et nous avons tenu la semaine dernière une audition conjointe sur l'ouverture des données et des algorithmes en matière fiscale. Nous partageons donc un constat : nous manquons de données et de modèles pour pouvoir pleinement expertiser les prévisions de recettes fiscales. De quels outils dispose aujourd'hui la Cour des comptes pour expertiser les prévisions de recettes fiscales de l'État et les évaluations des réformes proposées ?
La certification des comptes de l'État fait apparaître, une fois de plus, des résultats globalement satisfaisants en 2017 : la Cour des comptes est en mesure de lever des parties de chacune des quatre réserves formulées sur les comptes de 2016. De même, dans votre avis sur la qualité des comptes des administrations publiques, vous notez que des efforts sensibles ont été entrepris pour améliorer la fiabilité des comptes des différentes catégories d'organismes publics. En revanche, vous soulignez que le périmètre de la certification obligatoire est encore incomplet, et que certains organismes à forts enjeux financiers ne font pas l'objet d'une certification. Pensez-vous qu'une extension du périmètre de la certification, par l'adoption d'une disposition législative la rendant en quelque sorte obligatoire, soit nécessaire ?
Nous partageons vos observations. Difficile d'imaginer une loi de règlement sur l'ensemble des administrations publiques, faute d'une loi de financement des collectivités territoriales. L'article préliminaire comporte un rappel toutes administrations publiques confondues et l'avis du Haut Conseil concerne ce même périmètre. Le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, dont vous disposerez fin juin, avant le débat d'orientation budgétaire prend aussi en compte ce périmètre. Il englobe pour partie l'année 2018 et se projette aussi sur les années qui correspondent au programme de stabilité et souvent, dans ce rapport, nous situons l'année 2018 par rapport aux années précédentes et la France par rapport aux pays comparables, notamment dans l'Union européenne. C'est toujours un exercice un peu frustrant que de vous présenter le rapport sur l'exécution du budget de l'État !
Nous partageons votre préoccupation sur les prévisions de recettes. Nous formulons dans notre rapport certaines recommandations. Il y a eu des progrès incontestables, notamment en matière de sincérité sur les hypothèses macro-économiques - ce qui est peut-être dû à l'existence du Haut Conseil des finances publiques ! Mais il y a encore des marges de progrès, à la fois dans la transparence et dans la compréhension de la construction des hypothèses de recettes faites par Bercy : parfois, certaines évolutions des recettes restent inexpliquées.
Oui, le périmètre de la certification peut être élargi, à condition que ce soit de façon pertinente : il n'est pas forcément utile que toute entité publique, quel que soit le niveau de son budget, entre dans l'exercice de certification des comptes. Notre expérimentation sur la certification des comptes des collectivités territoriales montre qu'il ne semble pas obligatoire de généraliser ce type d'exercice. Mais certaines entités publiques qui n'y sont pas encore pourraient utilement rentrer dans le périmètre de certification des comptes de l'État, pour une meilleure sincérité des comptes.
L'article liminaire de la loi de règlement évoque aussi le solde toutes administrations publiques comprises, sans toutefois le décomposer, malgré des recommandations renouvelées de la Cour des comptes sur ce sujet, auxquelles le ministère des Finances continue résolument à s'opposer.
Votre aide serait bienvenue !
En ce qui concerne les prévisions de recettes, la France présente une certaine singularité. Dans de nombreux pays, on trouverait normal qu'il y ait davantage de transparence. Nous avons progressé, et nos recommandations identifient les points sur lequel la transparence devrait être améliorée, aussi bien sur les prévisions initiales que sur le retour, c'est-à-dire l'explication des écarts.
Le périmètre de la certification des comptes des administrations publiques résulte d'une sédimentation de textes, qui présente des incohérences. De tout petites entités publiques, avec de faibles enjeux, font l'objet d'une certification obligatoire, quand des organismes comme l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), l'agence des services de paiement (ASP) ou les agences de l'habitat ne sont pas soumises à certification. Il faudrait rationaliser ce champ, par des dispositions législatives ou réglementaires, ou simplement dans le règlement intérieur des établissements. Nous pourrions aussi réexaminer le bien-fondé de la certification obligatoire là où les enjeux comptables ne la justifient pas.
Merci pour la qualité du travail qui nous est remis, qui, chaque année, est une vraie mine. Je partage votre analyse du résultat, mais je suis un peu surpris que vous ne mentionniez pas le prélèvement sur recettes pour les collectivités locales, alors que vous parlez de celui relatif à l'Union européenne, pour un montant de 2,3 milliards d'euros. Avec les 2,7 milliards d'euros repris aux collectivités, cela fait un total de 5 milliards d'euros. Pourtant, le déficit ne s'améliore que d'1,5 milliard d'euros. Il ne faut pas oublier les efforts faits par les collectivités locales !
J'ai étudié cette année la différence entre la comptabilité budgétaire et la comptabilité générale. Disposez-vous d'un tableau détaillé de rapprochement de la comptabilité nationale et la comptabilité générale ? Une des clefs de passage fait apparaître une différence d'environ 15 milliards d'euros au niveau de l'actif immobilisé et des stocks. Vous expliquez 6,2 milliards d'euros par l'évolution de la valorisation de l'actif de certaines entités contrôlées par l'État - pourquoi pas, si c'est justifié. Pour le reste, on ne comprend pas. Pouvez-vous nous expliquer ? En page 17 de votre rapport, vous parlez des provisions pour litiges liés à l'impôt et des provisions pour charges. Ces provisions diminuent de 3 à 4 milliards d'euros d'une année sur l'autre. Cela signifie qu'on a fait des reprises de provisions, ce qui améliore le résultat. Ces reprises de provisions sont-elles justifiées ? Impactent-elles uniquement la comptabilité générale ou également la comptabilité budgétaire ?
À la page 26, vous attirez notre attention, à juste titre, sur les entorses récurrentes aux grands principes budgétaires qui ont été relevées. C'est très intéressant, mais il n'y a aucun chiffre. Je me suis intéressé aux fonds sans personnalité juridique, sans trop comprendre ce que cet intitulé recouvre. Quels sont les montants concernés ? Ces entorses récurrentes devraient faire l'objet de réserves par rapport à la certification des comptes, à moins que vous ne jugiez les montants non significatifs.
Les restes à payer augmentent cette année de 12 milliards d'euros, à 120 milliards. Quel impact sur le déficit ? Vous signalez que les charges à payer ont baissé de 600 millions d'euros, mais sans dire que l'année dernière elles avaient atteint un sommet historique de 15 milliards d'euros, suite aux reports de charges faits par le précédent gouvernement - ce qui s'appelle de la cavalerie quand on est dans le privé !
Il faut appeler les choses par leur nom. Le niveau de charges à payer reste extrêmement élevé, à plus de 14,4 milliards d'euros. Outre la certification des comptes de l'État, je voulais vous signaler que, dans la certification des comptes du Sénat, vous faites une remarque que je ne comprends pas : vous attirez l'attention sur la page de l'annexe qui concerne les retraites des sénateurs et du personnel du Sénat, sans raison particulière. Quel est le fondement de cette remarque ? Je n'en ai jamais vu de telles.
La participation des collectivités locales au redressement national prendra demain une forme nouvelle avec le dispositif de contractualisation. Vous avez évoqué la hausse des dépenses de personnel de l'État entre les exercices 2016 et 2017 à hauteur de 3,6 %. Si on ajoute ce qui relève du PPCR (Parcours professionnels, carrières et rémunérations) et ce qui résulte de mesures générales, comme la revalorisation du point d'indice, la masse salariale augmente considérablement. Pensez-vous que les collectivités locales, soumises à ces deux évolutions qui leur sont imposées, pourront limiter la hausse moyenne de leurs dépenses à 1,2 % comme le prévoit la loi de programmation des finances publiques ? Pour certaines collectivités, la hausse devra même être encore plus faible, puisqu'elle ne pourra être majorée qu'à 0,9 %, voire moins.
Vous nous avez fait part du dynamisme plus fort des recettes de l'État par rapport à celui des dépenses. La contractualisation interdit aux collectivités, quand bien même leurs recettes se révèleraient dynamiques, par exemple parce que leur population augmente, d'accroître leurs dépenses en conséquence, ou même moins.
Merci pour cette présentation très claire, qui clôt la séquence 2012-2017 et met ainsi un terme aux souffrances de notre collègue Claude Raynal, qui, pour la dernière fois, aura entendu des critiques relatives à la sincérité...
Entre 2011 et 2017, le solde budgétaire aura oscillé entre 65 et 85 milliards d'euros. Nous n'avons donc pas réussi, même après la crise, à inverser radicalement la courbe. L'année 2017 a été très particulière, comme nous l'avions dit lors du vote de la loi de finances initiale : sous-estimation, année électorale, cadeaux non financés... il a donc fallu redresser le tir au mois de juin. Votre audit était dans l'épure de ce qui s'est réellement passé.
Heureusement, les rentrées fiscales ont été meilleures que prévu, ce qui nous a permis de régler le problème de la taxe à 3 %... Mais si le dernier trimestre de 2017 a été meilleur que prévu, le premier trimestre de 2018 commence à nous inquiéter : 0,2 % de croissance, c'est moins que ce que nous espérions ; le taux de chômage a légèrement remonté... Cela montre au moins une chose, c'est que la prévision est difficile, tant cela change d'un trimestre sur l'autre. Le Gouvernement s'est-il montré suffisamment prudent ? Faudra-t-il corriger en 2018 - sans parler de 2019 ?
Sous-estimation des dépenses, surestimation des recettes, dette encore très forte, déficit amoindri par des recettes exceptionnelles... Pour autant, la réalité n'est guère meilleure aujourd'hui : l'OCDE envisage que la croissance française soit en réalité de 1,9 % en 2018 et du même taux en 2019. Or pour ses 35 membres, elle prévoit une croissance de 4 % en 2018 et de 4,1 % en 2019, le double de la France. Notre compétitivité est menacée. N'est-il pas temps de tirer la sonnette d'alarme pour que les estimations soient rapidement revues et ainsi éviter les mauvaises surprises ?
Il pourrait être envisageable de présenter en parallèle les comptes des collectivités et ceux des autres administrations publiques. La réflexion progresse sur leur certification, qui est souhaitée par beaucoup d'entre elles.
Ce n'est pas la première fois que nous entendons parler des difficultés rencontrées pour maîtriser les dépenses des ministères. Nous avons la chance que les recettes augmentent, mais nous sommes tous frappés par le fait que dès 2017, les dépenses de personnel ont plus augmenté qu'au cours des six précédents exercices ; comme il y a eu des annonces sur des augmentations d'effectifs dans différents ministères, peut-on craindre que cette tendance continue ?
Dernière question « hors sujet » : le Premier ministre a annoncé la reprise de la dette de la SNCF mais selon un mécanisme original, qui fait penser aux investissements d'avenir : le paiement des intérêts serait garanti mais sans transfert comptable de la dette elle-même... Pouvez-vous le commenter ?
La semaine dernière, nous avons entendu le discours optimiste de Gérald Darmanin sur l'exécution 2017 : « accélération de la croissance », « retour de la confiance des acteurs économiques », « l'indice de confiance des ménages a progressé de 5 points depuis l'élection présidentielle », « le climat des affaires atteint un niveau jamais atteint depuis la crise de 2008 avec 12 points de plus que sa moyenne de long terme », « le dynamisme de la demande intérieure s'est appuyé sur la vigueur de l'investissement », « les exportations opèrent en 2017 un très net redressement » « importations dynamiques » « contribution positive à la croissance », « amélioration des finances publiques »... j'étais sorti de la séance plein d'optimisme, mais aujourd'hui, je suis refroidi ! Y aurait-il deux lectures de la situation : une politicienne et une comptable ?
Vous avez évoqué le service de traitement des déclarations rectificatives de Bercy qui a été clôturé fin 2017, qui n'a permis de récupérer qu'1,1 milliard d'euros sur les 2,2 milliards prévus, donc la moitié seulement . Avez-vous une explication ?
Le Gouvernement recherche des nouvelles sources d'économies, peut-être dans les dépenses sociales ? Avez-vous des pistes ?
Disposez-vous d'outils pour évaluer les éventuels effets sur l'économie française de la politique d'assouplissement quantitatif de la BCE ?
Je me réjouis toujours de cette rencontre annuelle. Vous avez un caractère joueur, Monsieur le Premier président - ce qui peut surprendre - et même un tout petit peu provocateur. Vous adorez citer ici le mot d'insincérité, tout en sachant que vous soulèverez des interrogations.
Je trouve ce mot mal choisi. Nous avons déjà eu ce débat : je sais ce que vous me répondrez. Ce mot, dans l'acception du Conseil Constitutionnel et celle de la Cour des comptes, ne traduit pas la même chose. Le Conseil Constitutionnel établit une distinction entre l'erreur normale et l'erreur de mauvaise foi. Je n'accepte pas que vous qualifiiez le budget de 2017 d'insincère si vous entendez par là qu'il était de mauvaise foi.
Ce mot est apparu avec la LOLF. Il y a donc une continuité entre l'auteur de la LOLF et le premier Président. On peut partager l'idée que la mise en réserve de crédits est utilisée de façon excessive. Mais attention au mot d'insincérité, qui est mal compris dans la population. Chaque fois que vous l'utiliserez, chaque fois j'y reviendrai ; mais j'ai bien peur que ce soit la dernière...
Nous avons eu une divergence avec vous sur la croissance - c'est peu de le dire, vous aviez estimé qu'une croissance de 1,5 % en 2017 était inatteignable. Elle a été finalement de 2,2 %, soit 0,7 % de plus... une paille !
Vous avez donné une explication qui m'a déplu : vous avez dit que vous vous fiiez au consensus de l'époque. Mais ce que l'on attend du Haut-conseil, ce n'est pas de redire ce qu'on a lu dans les Echos le matin même. On attend une vision différente. Cela rend difficile l'analyse des recettes d'une année sur l'autre, puisque nous sommes passés du simple au double, de 1,1 % à 2,2 %.
Enfin nous constatons l'élasticité des prélèvements obligatoires à la croissance du PIB, mais est-il possible de l'estimer ? Que s'est-il passé pour que l'on constate un tel changement ? Comment le prévoir à l'avenir ?
Vous estimez qu'il n'est pas nécessaire de généraliser à l'ensemble des collectivités territoriales la certification des comptes, et effectivement, c'est techniquement impossible. À partir de quel seuil jugeriez-vous utile de certifier les comptes des collectivités ?
Concernant les collectivités territoriales, je pourrai répondre à certaines questions à la fin juin puisque notre rapport concernera non seulement le budget de l'État, mais aussi celui des collectivités territoriales et de la sécurité sociale
Sur la certification, je ne suis pas en mesure de répondre à vos questions car nous sommes en cours d'instruction d'un rapport demandé par le Parlement. Lorsque nous avons eu des échanges avec le Parlement et le Gouvernement, un certain seuil nous apparaissait utile. C'est dans la discussion parlementaire que l'expérimentation a été rendue possible pour toutes les collectivités. Dans l'échantillon, il y a une petite collectivité de quelques centaines d'habitants et une autre de quelques milliers. Nous voyons les difficultés que nous rencontrons pour approfondir notre travail d'instruction. La certification est un exercice lourd qui pourrait être réservé à un certain niveau de collectivités.
Pourquoi ne faisons-nous pas, sur le prélèvement sur recettes au profit des collectivités, la même observation que celui que nous faisons sur celui au profit de l'Union européenne ? Parce qu'il n'y a presque pas d'écart par rapport à ce qui était prévu en loi de finances initiale, alors que cet écart est important pour l'Union européenne : sur 19 milliards d'euros exécutés en 2016 et 19 milliards environ inscrits en loi de finance initiale, seuls 16,4 milliards ont été exécutés !
Nous aurons l'occasion de faire un point précis sur les concours financiers de l'État sur l'année 2017. Cette année-là, les transferts financiers de l'État en direction des collectivités territoriales ont assez peu reculé : moins 227 millions d'euros en 2017, contre moins 946 millions en 2016. Un certain nombre de facteurs expliquent cela : niveau de la DGF, produit de la fiscalité transférée par l'État qui a augmenté très sensiblement, et croissance assez soutenue de la fiscalité directe des collectivités. Nous constatons au demeurant depuis l'année dernière une contribution positive de celles-ci dans la réduction du déficit public, tout en voyant des marges de progrès en matière de maîtrise des dépenses de fonctionnement et de personnel.
Sur les entorses aux grands principes, je laisserais le président Briet vous répondre.
La disposition à laquelle vous faites référence, Monsieur Delahaye, dans le rapport sur la certification des comptes du Sénat, est classique en ce qui concerne des retraites : il s'agit d'appeler l'attention sur les engagements financiers à moyen et long terme sans dimension critique. C'est une pratique constante des commissaires aux comptes et nous faisons d'ailleurs la même remarque à l'Assemblée nationale.
Nous reviendrons au mois de juin sur les prévisions pour l'année 2018, les éléments confirmés par l'Insee ce matin et les conséquences à en tirer. Au Haut Conseil, nous avions considéré sur la base des données d'avril - qui ont certes changé - que les hypothèses de croissance apparaissaient raisonnables. Pour 2018, le risque ne nous semble pas très lourd. En revanche, pour 2019, il faudra voir. Il y a un débat entre économistes pour savoir si nous sommes au niveau maximal du niveau de croissance potentielle et si nous n'allons pas la voir se tasser. Les hypothèses d'une croissance en fin de programme de stabilité à 1,7 % ont été jugées optimistes par le Haut Conseil au regard des raisonnements des économistes. Certains pays comme l'Allemagne ou les États-Unis peuvent certes se trouver durablement au-dessus de leur croissance potentielle. Mais des aléas peuvent peser sur cette situation. Il faut encore attendre. Ce qui est rassurant, c'est qu'une partie de la croissance 2018 est déjà acquise.
Sur la dette de la SNCF, tant que nous ne connaissons pas précisément le dispositif, je ne peux pas vous répondre. Les différentes hypothèses sont dans la presse. Les conséquences seraient différentes, selon que SNCF soit considérée ou non comme une administration publique. Elle est un peu au-dessus du seuil de 50 % de couverture des dépenses courantes par les recettes d'activité. La situation n'est pas totalement dans la main du Gouvernement. Eurostat a son mot à dire... Pour le moment, le sujet n'est pas tranché. J'y reviendrai plus tard.
Il y a eu effectivement une surestimation des déclarations rectificatives. Nous avons rédigé un rapport sur ce sujet pour la commission des finances de l'Assemblée nationale. Le chiffre apparaissait... Comment le dire pour ne pas faire réagir le sénateur Claude Raynal ? Il ne reposait pas obligatoirement sur des données techniques et ne prenait pas en compte certains éléments qui étaient pourtant dans les dossiers... Bref, la recette était surestimée.
Des pistes de réduction de la dépense publique ? Nous ne fixons pas les objectifs, qui sont dans la main des pouvoirs publics. Nous disons ce qu'il est possible de faire au regard des contrôles que nous faisons. Il y a des marges de progrès en termes d'efficacité et d'efficience. Il y a un décalage très fort entre le niveau de dépenses publiques et les résultats de nos politiques publiques, et cela dans une certaine indifférence depuis quelques années... Nous pourrions faire mieux sans pour autant dépenser davantage ; il y a des effets d'aubaine, qu'il s'agisse de dépense budgétaires ou de dépenses fiscales.
Je ne sais pas si je suis joueur, mais j'exprime la position de la Cour de manière constante. Il n'y a pas l'épaisseur d'une feuille de papier entre la position du Conseil constitutionnel et celle de la Cour. Celle-ci ne dit pas que la loi de finances initiale pour 2017 était insincère. Ce n'est pas notre travail ; le Conseil constitutionnel, quant à lui, prend en compte l'intention de tromper et estime qu'il faut un certain niveau d'insincérité pour en tirer des conséquences. Mais il a toujours été dans les missions de la Cour, avant même la LOLF, de pointer les éléments d'insincérité.
D'aucuns ont tenté d'opposer la Cour d'aujourd'hui à celle d'hier, le Premier président d'aujourd'hui à celui d'hier. Or, si vous vous avez un tant soit peu de mémoire - et je sais que vous en avez - vous vous remémorerez les propos de Philippe Séguin ou de Pierre Joxe s'agissant de la sincérité budgétaire : ils étaient aussi clairs que ceux que nous avons tenus ! Les biais de construction affectent effectivement la sincérité d'une loi de finances. Lorsque des sous-budgétisations sont réalisées sciemment, c'est à dire en décalage évident avec la dépense de l'année précédente, il s'agit bien de biais de construction. Malgré la richesse du vocabulaire français, peu d'autres termes peuvent correspondre à la réalité que nous constatons. Certaines années, ces biais sont plus nombreux ; ce fut le cas de la loi de finances pour 2017, nous avons eu l'occasion de le déplorer. Vous auriez été en droit de dire que la Cour ne faisait pas son travail, si nous ne l'avions pas fait, mais tel n'est pas le cas.
Nous avons utilisé les termes improbable et incertain - je m'exprime en tant que président du Haut Conseil des finances publiques - et je l'assume. Le Haut Conseil est capable de s'écarter du consensus ; nous l'avons prouvé lors de la présentation, par le Gouvernement, du programme de stabilité : alors que le consensus des économistes portait sur une hypothèse de croissance à 1,3 % voire 1,4 %, nous avons considéré que le scénario à 1,5 % retenu par le précédent gouvernement était plausible. Il nous paraissait acceptable et nous avons en conséquence pris la responsabilité de nous écarter du consensus des économistes. Il se trouve que nous avons finalement atteint 2,2 % de croissance. Mais, alors que le budget pour l'année 2017 a été construit sur une hypothèse de croissance à 1,5 %, nous aurions dû atteindre 2,7 points de réduction du déficit public. Posez-vous la question : comment se fait-il qu'avec 2,2 % de croissance, nous ne soyons qu'à 2,6 points ? S'il n'y avait pas eu de biais de construction, la France se trouverait à 2,3 points de réduction de déficit. Cela confirme ce que nous avons constaté dans le cadre de notre audit et il ne me semble pas raisonnable d'y revenir. J'ai récemment lu quelques déclarations qualifiant les propos de l'audit d'excessifs et de caricaturaux. Ils correspondent pourtant à la stricte réalité, argumentée par les preuves que nous avons recueillies dans le cadre de l'instruction. Je ne m'explique donc pas cette polémique !
Je laisserai le président Briet vous apporter des éléments de réponse relatifs à l'élasticité et aux différences entre la comptabilité budgétaire et la comptabilité générale : l'une est une comptabilité de caisse, l'autre d'engagement.
Je remercie M. Delahaye de s'intéresser aux sujets comptables ô combien ingrats. Dans les premiers temps de la comptabilité générale, nous avons essayé de publier un tableau retraçant le passage de la comptabilité budgétaire à la comptabilité générale. Nous y avons renoncé car sa visibilité et son intelligibilité sont apparues insuffisantes. La comptabilité budgétaire est, à l'origine, une comptabilité de caisse directement liée à la dette, tandis que la comptabilité générale est construite sur une identité de principe avec la comptabilité d'entreprise, à de très rares exceptions près, basée sur des charges et des produits. Toutefois, de nombreuses charges ne donnent pas lieu à décaissement et de nombreux produits n'entraînent pas d'encaissements. Les résultats obtenus par les deux comptabilités ne sont donc pas nécessairement compatibles. Par ailleurs, la comptabilité nationale, qui ne constitue pas un système comptable à proprement parler, utilise des données comptables pour présenter de manière homogène les comptes des acteurs économiques, dont les administrations publiques, à un niveau compatible avec Eurostat, c'est-à-dire en les rendant comparables. Trois types de comptabilité coexistent donc, ce qui rend complexe les comparaisons. Les experts de la Cour sont néanmoins à votre disposition pour répondre plus précisément à vos questions. Le bilan réalisé au Sénat en juin dernier sur la mise en oeuvre de la comptabilité générale de l'État depuis dix ans avait esquissé la possibilité d'un rapprochement entre la comptabilité budgétaire et la comptabilité générale. De fait, les données de la loi de financement de la sécurité sociale sont construites dans des termes rigoureusement compatibles avec celles du compte général. La question mérite donc, à mon sens, d'être posée.
S'agissant des fonds sans personnalité juridique, nous avons employé cette expression, faute de mieux, pour qualifier un ensemble de fonds budgétaires sans personnalité morale - le fonds d'expérimentation pour la jeunesse, le fonds de cohésion sociale, le fonds national de gestion des risques agricoles - qui ont la caractéristique commune d'échapper aux règles générales de gestion des fonds publics en terme d'annualité et d'universalité. Cela pose un problème de transparence de la gestion publique et crée une forme de démantèlement budgétaire. Nous estimons nécessaire de choisir soit d'intégrer ces dispositifs au budget général, soit de les transférer à un opérateur. Outre son déficit évident en matière de transparence et de qualité, cet entre-deux porte un risque en termes d'appréciation budgétaire : lorsque des cagnottes sont créées dans des fonds, elles ne sont plus remises en cause dans les arbitrages budgétaires généraux.
Nous avons effectivement travaillé, à la demande de la commission des finances de l'Assemblée nationale, sur le service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) et avons pu constater que les chiffres techniques sur lesquels les gestionnaires du STDR s'appuyaient au printemps dernier n'avaient qu'un rapport lointain avec ceux inscrits en loi de finances. Notre rapport sur ce sujet, datant de février 2018, est public.
S'agissant de l'élasticité, il est important de préciser, que l'on parle de 1,4 ou de 1,9, qu'elle correspond à la somme agrégée et abstraite de l'élasticité de chaque impôt en fonction de son assiette. Certains, comme l'impôt sur les sociétés ou les droits de mutation à titre onéreux, ont une élasticité forte par rapport à la situation économique. D'autres sont davantage inertes. Affirmer que les choses sont simples serait mentir, dire que nous sommes parfaitement capables de tout prévoir correctement serait également mentir. L'essentiel réside dans la transparence des méthodes de calcul et des explications sur les écarts constatés.
Je serais ravi de m'entretenir avec un expert de la Cour des comptes sur les différences entre comptabilité budgétaire et comptabilité générale. Vous certifiez la comptabilité générale, mais vous n'indiquez malheureusement pas dans votre rapport l'impossibilité de rapprocher comptabilité générale et comptabilité budgétaire. Je fus auditeur dans une vie antérieure et, dans le cadre d'une mission, j'ai essayé de rapprocher les comptabilités titres et espèces d'agents de change : c'était impossible, ce qui était anormal !
J'aimerais vous poser une dernière question relative aux charges à payer et aux restes à payer, dont je croyais initialement qu'ils concernaient uniquement les opérations d'investissement. En réalité, ils peuvent également porter sur le fonctionnement. J'ai compris que les charges à payer étaient inclues dans les 120 milliards d'euros de restes à payer à hauteur de 15 milliards d'euros. Certaines autorisations d'engagement, qui ne sont pas dépensées en fin d'année, demeurent dans les restes à payer. L'augmentation de 12 milliards d'euros enregistrée cette année aura-t-elle ou non un effet sur le déficit ?
Les charges à payer sont un concept de comptabilité générale, alors que les restes à payer sont du ressort de la comptabilité budgétaire et correspondent à la différence entre autorisations d'engagement et crédits de paiement. Les charges à payer permettent d'apprécier à court terme, pour l'État, le niveau des paiements inéluctables dont les prestations correspondantes ont été réalisées. Elles avaient fortement progressé à la fin de l'année 2016, puis ont diminué l'année suivante de 600 à 700 millions d'euros. S'il est normal qu'il reste toujours des charges à payer sur l'exercice suivant, leur augmentation est préoccupante ; leur récente diminution représente donc une bonne chose. Ce recul s'explique notamment par le fait qu'une partie des crédits habituellement reportés ont été consommés. Les autorisations d'engagement correspondent, quant à elles, essentiellement à des investissements, soit davantage à un risque économique que budgétaire. Ce sont des indicateurs plus indirects de soutenabilité budgétaire à moyen terme et long terme, car il faudra un jour, sauf à y renoncer, ouvrir les crédits de paiement correspondants.
Je vous remercie pour les éclairages que vous nous avez apportés et pour cet échange d'un grand intérêt.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 16 h 40.