Intervention de Didier Migaud

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 30 mai 2018 à 15h00
Rapport relatif au budget de l'état en 2017 certification des comptes de l'état pour l'exercice 2017 et avis du haut conseil des finances publiques relatif au solde structurel des administrations publiques présenté dans le projet de loi de règlement de 2017 — Audition de M. Didier Migaud premier président de la cour des comptes et président du haut conseil des finances publiques

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes et président du Haut Conseil des finances publiques :

Concernant les collectivités territoriales, je pourrai répondre à certaines questions à la fin juin puisque notre rapport concernera non seulement le budget de l'État, mais aussi celui des collectivités territoriales et de la sécurité sociale

Sur la certification, je ne suis pas en mesure de répondre à vos questions car nous sommes en cours d'instruction d'un rapport demandé par le Parlement. Lorsque nous avons eu des échanges avec le Parlement et le Gouvernement, un certain seuil nous apparaissait utile. C'est dans la discussion parlementaire que l'expérimentation a été rendue possible pour toutes les collectivités. Dans l'échantillon, il y a une petite collectivité de quelques centaines d'habitants et une autre de quelques milliers. Nous voyons les difficultés que nous rencontrons pour approfondir notre travail d'instruction. La certification est un exercice lourd qui pourrait être réservé à un certain niveau de collectivités.

Pourquoi ne faisons-nous pas, sur le prélèvement sur recettes au profit des collectivités, la même observation que celui que nous faisons sur celui au profit de l'Union européenne ? Parce qu'il n'y a presque pas d'écart par rapport à ce qui était prévu en loi de finances initiale, alors que cet écart est important pour l'Union européenne : sur 19 milliards d'euros exécutés en 2016 et 19 milliards environ inscrits en loi de finance initiale, seuls 16,4 milliards ont été exécutés !

Nous aurons l'occasion de faire un point précis sur les concours financiers de l'État sur l'année 2017. Cette année-là, les transferts financiers de l'État en direction des collectivités territoriales ont assez peu reculé : moins 227 millions d'euros en 2017, contre moins 946 millions en 2016. Un certain nombre de facteurs expliquent cela : niveau de la DGF, produit de la fiscalité transférée par l'État qui a augmenté très sensiblement, et croissance assez soutenue de la fiscalité directe des collectivités. Nous constatons au demeurant depuis l'année dernière une contribution positive de celles-ci dans la réduction du déficit public, tout en voyant des marges de progrès en matière de maîtrise des dépenses de fonctionnement et de personnel.

Sur les entorses aux grands principes, je laisserais le président Briet vous répondre.

La disposition à laquelle vous faites référence, Monsieur Delahaye, dans le rapport sur la certification des comptes du Sénat, est classique en ce qui concerne des retraites : il s'agit d'appeler l'attention sur les engagements financiers à moyen et long terme sans dimension critique. C'est une pratique constante des commissaires aux comptes et nous faisons d'ailleurs la même remarque à l'Assemblée nationale.

Nous reviendrons au mois de juin sur les prévisions pour l'année 2018, les éléments confirmés par l'Insee ce matin et les conséquences à en tirer. Au Haut Conseil, nous avions considéré sur la base des données d'avril - qui ont certes changé - que les hypothèses de croissance apparaissaient raisonnables. Pour 2018, le risque ne nous semble pas très lourd. En revanche, pour 2019, il faudra voir. Il y a un débat entre économistes pour savoir si nous sommes au niveau maximal du niveau de croissance potentielle et si nous n'allons pas la voir se tasser. Les hypothèses d'une croissance en fin de programme de stabilité à 1,7 % ont été jugées optimistes par le Haut Conseil au regard des raisonnements des économistes. Certains pays comme l'Allemagne ou les États-Unis peuvent certes se trouver durablement au-dessus de leur croissance potentielle. Mais des aléas peuvent peser sur cette situation. Il faut encore attendre. Ce qui est rassurant, c'est qu'une partie de la croissance 2018 est déjà acquise.

Sur la dette de la SNCF, tant que nous ne connaissons pas précisément le dispositif, je ne peux pas vous répondre. Les différentes hypothèses sont dans la presse. Les conséquences seraient différentes, selon que SNCF soit considérée ou non comme une administration publique. Elle est un peu au-dessus du seuil de 50 % de couverture des dépenses courantes par les recettes d'activité. La situation n'est pas totalement dans la main du Gouvernement. Eurostat a son mot à dire... Pour le moment, le sujet n'est pas tranché. J'y reviendrai plus tard.

Il y a eu effectivement une surestimation des déclarations rectificatives. Nous avons rédigé un rapport sur ce sujet pour la commission des finances de l'Assemblée nationale. Le chiffre apparaissait... Comment le dire pour ne pas faire réagir le sénateur Claude Raynal ? Il ne reposait pas obligatoirement sur des données techniques et ne prenait pas en compte certains éléments qui étaient pourtant dans les dossiers... Bref, la recette était surestimée.

Des pistes de réduction de la dépense publique ? Nous ne fixons pas les objectifs, qui sont dans la main des pouvoirs publics. Nous disons ce qu'il est possible de faire au regard des contrôles que nous faisons. Il y a des marges de progrès en termes d'efficacité et d'efficience. Il y a un décalage très fort entre le niveau de dépenses publiques et les résultats de nos politiques publiques, et cela dans une certaine indifférence depuis quelques années... Nous pourrions faire mieux sans pour autant dépenser davantage ; il y a des effets d'aubaine, qu'il s'agisse de dépense budgétaires ou de dépenses fiscales.

Je ne sais pas si je suis joueur, mais j'exprime la position de la Cour de manière constante. Il n'y a pas l'épaisseur d'une feuille de papier entre la position du Conseil constitutionnel et celle de la Cour. Celle-ci ne dit pas que la loi de finances initiale pour 2017 était insincère. Ce n'est pas notre travail ; le Conseil constitutionnel, quant à lui, prend en compte l'intention de tromper et estime qu'il faut un certain niveau d'insincérité pour en tirer des conséquences. Mais il a toujours été dans les missions de la Cour, avant même la LOLF, de pointer les éléments d'insincérité.

D'aucuns ont tenté d'opposer la Cour d'aujourd'hui à celle d'hier, le Premier président d'aujourd'hui à celui d'hier. Or, si vous vous avez un tant soit peu de mémoire - et je sais que vous en avez - vous vous remémorerez les propos de Philippe Séguin ou de Pierre Joxe s'agissant de la sincérité budgétaire : ils étaient aussi clairs que ceux que nous avons tenus ! Les biais de construction affectent effectivement la sincérité d'une loi de finances. Lorsque des sous-budgétisations sont réalisées sciemment, c'est à dire en décalage évident avec la dépense de l'année précédente, il s'agit bien de biais de construction. Malgré la richesse du vocabulaire français, peu d'autres termes peuvent correspondre à la réalité que nous constatons. Certaines années, ces biais sont plus nombreux ; ce fut le cas de la loi de finances pour 2017, nous avons eu l'occasion de le déplorer. Vous auriez été en droit de dire que la Cour ne faisait pas son travail, si nous ne l'avions pas fait, mais tel n'est pas le cas.

Nous avons utilisé les termes improbable et incertain - je m'exprime en tant que président du Haut Conseil des finances publiques - et je l'assume. Le Haut Conseil est capable de s'écarter du consensus ; nous l'avons prouvé lors de la présentation, par le Gouvernement, du programme de stabilité : alors que le consensus des économistes portait sur une hypothèse de croissance à 1,3 % voire 1,4 %, nous avons considéré que le scénario à 1,5 % retenu par le précédent gouvernement était plausible. Il nous paraissait acceptable et nous avons en conséquence pris la responsabilité de nous écarter du consensus des économistes. Il se trouve que nous avons finalement atteint 2,2 % de croissance. Mais, alors que le budget pour l'année 2017 a été construit sur une hypothèse de croissance à 1,5 %, nous aurions dû atteindre 2,7 points de réduction du déficit public. Posez-vous la question : comment se fait-il qu'avec 2,2 % de croissance, nous ne soyons qu'à 2,6 points ? S'il n'y avait pas eu de biais de construction, la France se trouverait à 2,3 points de réduction de déficit. Cela confirme ce que nous avons constaté dans le cadre de notre audit et il ne me semble pas raisonnable d'y revenir. J'ai récemment lu quelques déclarations qualifiant les propos de l'audit d'excessifs et de caricaturaux. Ils correspondent pourtant à la stricte réalité, argumentée par les preuves que nous avons recueillies dans le cadre de l'instruction. Je ne m'explique donc pas cette polémique !

Je laisserai le président Briet vous apporter des éléments de réponse relatifs à l'élasticité et aux différences entre la comptabilité budgétaire et la comptabilité générale : l'une est une comptabilité de caisse, l'autre d'engagement.

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