À travers cet amendement, nous souhaitons souligner qu’il est nécessaire de faire passer le dispositif proposé par une phase expérimentale.
Une telle précaution se justifie à plusieurs égards.
Tout d'abord, un certain nombre d’incertitudes techniques pèsent sur la faisabilité même de ce mécanisme. N’assisterons-nous pas à des « embouteillages administratifs » dus à la fois à la quantité des saisines à prévoir et aux nombreuses contestations auxquelles celles-ci risquent fort de donner lieu ?
L’opposition d’une grande partie de la population à ce dispositif est patente, quoi que l’on pense de celui-ci. Est-il techniquement possible de couper l’accès à internet sans nécessairement interrompre d’autres services ? Cette sanction ne risque-t-elle pas d’être contre-productive ?
Plus fondamentalement, ce dispositif est-il le mieux à même de régler le problème pour lequel il a été conçu, que celui-ci tienne à ce que certains nomment « la crise des industries culturelles », et notamment du disque, ou qu’il participe d’une juste rémunération des auteurs-compositeurs-interprètes, bref des acteurs qui font la création et en assurent la substance ?
Dans un cas comme dans l’autre, nous pouvons nous interroger sur le raisonnement qui conduit à désigner les pratiques de téléchargement comme la cause, sinon unique, du moins centrale de la baisse des ventes de musique, notamment dans le secteur physique, car le cinéma pose sans doute d’autres types de problèmes actuellement.
Certains pans de l’industrie, notamment musicale, ne portent-ils pas leur part de responsabilité dans le développement des actes de piratage, dans la mesure où ils ont longtemps refusé de prendre en compte la transformation des pratiques culturelles et ont plus que tardé à développer une offre légale riche, attrayante et accessible ?
Cela aurait sans doute permis d’empêcher que ne s’instaure un nouveau rapport à la consommation des contenus culturels.
Aujourd’hui, cette offre est-elle assez riche et accessible ? Non ! Le paysage industriel, notamment français, le montre : les difficultés de Deezer à trouver un accord avec les majors pour légaliser son activité témoignent de la tendance de ces derniers à verrouiller les catalogues.
Ces pratiques dépassent l’Hexagone : Anthony Maul, chercheur américain, rapporte qu’en 2003 Napster et Kazaa ont engagé une procédure devant la justice américaine contre les majors pour refus de vente. Et je ne parle pas des pratiques d’anti-interopérabilité.
Ce texte, s’il est adopté, garantira-t-il des pratiques industrielles plus honnêtes ?
Quant à la question de la rémunération de la création, on ne peut ignorer que la part du créateur sur la vente du produit de sa création est loin de la valeur de son travail. C’est le règne des rapports de force, baptisés « contractuels », qui ont peu à voir avec les pratiques de consommation de la culture.
Aussi, dans la mesure où la nature du diagnostic fondant le dispositif est en partie discutable et où son efficacité est loin d’être assurée, bien que le coût pour le contribuable ne soit pas négligeable, une période d’expérimentation et une évaluation au bout de deux ans sont incontestablement une garantie nécessaire.