Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique agricole européenne est à un tournant historique, peut-être plus important encore que celui qu’elle a connu dans les années 1990. Véritable politique fondatrice de l’Union européenne, elle en est depuis les années soixante le volet le plus intégré. Or c’est justement à l’heure où l’on parle d’une Europe en crise que la Commission européenne a délibérément choisi de sacrifier sa politique la plus européenne. Plus qu’une faute, c’est un véritable renoncement.
En proposant de réduire le budget de la politique agricole commune de plus de 40 milliards d’euros pour la prochaine période du cadre financier pluriannuel allant de 2021 à 2027, la Commission européenne a suscité l’indignation du monde agricole.
Ces chiffres, déjà très préoccupants, sont malheureusement présentés sous leur meilleur jour. Compte tenu de l’inflation que la Commission ignore volontairement, la baisse du budget de la politique agricole commune sera davantage de l’ordre de 12 % que des 5 % annoncés.
Les subventions directes seront sévèrement touchées par une coupe brutale de 8 %. Le deuxième pilier de la politique agricole commune, qui permet des investissements dans des projets d’avenir ruraux serait quant à lui amputé d’un quart de son budget par rapport à la période précédente.
Pour la France, cela entraînera concrètement une réduction de plus de 600 millions d’euros par an des aides directes de la PAC. Cela se traduira instantanément par une coupe sèche dans les revenus des agriculteurs. Comment peut-on le permettre, alors qu’un tiers des agriculteurs français ont des revenus très faibles ?
Il est d’ailleurs paradoxal pour un gouvernement français de défendre au niveau national une meilleure rémunération pour les agriculteurs dans un projet de loi que nous aurons à connaître d’ici à la fin du mois de juin, tout en laissant, au niveau européen, opérer des baisses drastiques et directes des revenus des agriculteurs.
Le commissaire européen Phil Hogan, décrivant ces perspectives budgétaires, a parlé d’un « résultat très équitable pour les agriculteurs ». Permettez-moi de lui répondre que, au regard de la situation de notre agriculture, ces paroles sont inacceptables, incroyables de la part du commissaire qui doit porter le projet de l’agriculture et de l’agroalimentaire au sein de l’Union européenne.
Il n’est pas question de contester la complexité de l’équation financière que la Commission européenne doit résoudre en établissant son cadre financier pluriannuel. Au regard de ses ambitions, l’Union européenne n’a pas assez de ressources. Or, tout en constatant que la perspective du Brexit ampute potentiellement son budget de 12 milliards d’euros, l’Union européenne aspire à accroître ses ambitions en répondant à de nouvelles priorités politiques, notamment en matière de défense ou de migrations.
Il est en revanche de notre devoir de dénoncer le fait que la Commission européenne finance ses nouvelles priorités en sacrifiant la PAC. On aurait pu imaginer une ambition budgétaire européenne bien plus forte tout en partant du socle de base, qui était la politique agricole commune. Cela donne l’amère impression que la Commission européenne la considère comme une vieille politique destinée à être abandonnée peu à peu. Croire cela, c’est témoigner d’une absence totale de vision à long terme.
La politique agricole commune est, mes chers collègues, la condition première de la souveraineté de l’Union européenne. Elle permet d’assurer l’indépendance et la sécurité alimentaires de tout un continent. C’est pourquoi elle revêt des enjeux géostratégiques essentiels au XXIe siècle. Tous les autres grands pays l’ont compris. Les efforts budgétaires en matière agricole des États-Unis, de la Chine, de l’Inde, de la Russie ont considérablement augmenté ces dernières années, avec de véritables perspectives et de véritables ambitions. L’Union européenne s’apprête à faire l’inverse.