Intervention de Jean-Pierre Corbisez

Réunion du 5 juin 2018 à 14h30
Nouveau pacte ferroviaire — Explications de vote sur l'ensemble

Photo de Jean-Pierre CorbisezJean-Pierre Corbisez :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous arrivons aujourd’hui au terme d’une réforme qui s’inscrit au cœur du quotidien des Françaises et des Français et concerne un service public historique, partie intégrante de notre patrimoine.

Cette réforme est complexe et sensible. Elle souligne la difficulté de concilier des intérêts et des attentes sinon contradictoires, à tout le moins incompatibles parfois. Je veux parler de ceux des usagers, des cheminots, des territoires, ou encore du marché.

Ainsi en est-il de l’attachement légitime de la commission aux enjeux d’aménagement du territoire et du développement durable, réaffirmés comme étant au cœur des missions de la SNCF, ou de ma sensibilité, partagée d’ailleurs sur toutes les travées, à la protection de ses salariés.

Dans le même temps, le secteur ferroviaire ne peut faire abstraction des mouvements qui animent notre monde, qu’il s’agisse des changements sociétaux, de l’évolution de notre contexte politique – je pense bien évidemment à l’Europe –, ou des transformations de notre environnement qu’il est de notre responsabilité partagée de protéger. Sur ce point, je salue la pugnacité des membres du groupe du RDSE, qui auront su renforcer en séance le texte issu des travaux de la commission par l’adoption d’un amendement.

Permettez-moi d’illustrer mon propos en rappelant le discours prononcé par François Mitterrand en 1990 à Clermont-Ferrand, à l’occasion de l’inauguration d’une nouvelle ligne. Il disait ceci : « Je crois à l’essor du chemin de fer, dès lors qu’il sait s’adapter à l’évolution des besoins et de la concurrence […] ; je crois à la capacité du secteur public pour mener de telles missions en alliant efficacité économique et progrès social. […] Mais […] une grande entreprise publique est aussi celle qui sait associer son personnel à ses propres progrès. »

Je souhaite souligner le travail remarquable mené par la commission, présidée par Hervé Maurey, et par son rapporteur, Gérard Cornu. La commission a su améliorer le texte de nos collègues députés, preuve, s’il en est, dirai-je avec un peu de provocation, comme mon collègue Olivier Jacquin, de l’intérêt d’un bicamérisme équilibré, et signe d’un Sénat en pleine vitalité et jouant complètement son rôle de législateur.

Notre assemblée a ainsi su répondre à un certain nombre d’inquiétudes exprimées ces dernières semaines, notamment au travers du mouvement de grève que nous connaissons actuellement.

On peut ainsi se féliciter de l’inscription dans le projet de loi de l’incessibilité du capital de la SNCF et de garanties certaines apportées à la protection des cheminots. Je n’en citerai que quelques-unes : réaffirmation du statut particulier des personnels, maintien des conventions et accords collectifs, inscription de garanties en cas de transfert d’activité et encadrement des modalités de rupture du contrat de travail en cas de refus du salarié, notamment en matière de mobilité professionnelle.

Certains, dont je fais partie, auraient souhaité aller encore plus loin, en particulier s’agissant des limites régionales de la mobilité. Les débats ne l’ont pas permis, mais le texte n’en constitue pas moins une réelle avancée pour les agents concernés en comparaison de sa version initiale.

Fidèle à son ADN, la Haute Assemblée a également renforcé la place des collectivités, tout comme celle des usagers, dans un certain nombre d’instances, y compris au bénéfice des personnes en situation de handicap.

Attachés à l’équilibre des pouvoirs, nous avons collectivement entériné sur de nombreux points le rôle prépondérant de l’ARAFER, afin que celle-ci puisse jouer pleinement son rôle de garant et de suivi de la mise en œuvre comme de l’impact de cette réforme.

Est renforcé également le rôle du Haut Comité du système de transport ferroviaire. Nous espérons toutes et tous, madame la ministre, que celui-ci puisse enfin se réunir. La vigilance s’imposera aussi au Sénat, puisque nous avons souhaité que le Gouvernement nous rende compte régulièrement de la situation, même si le rapporteur a raison de dire que trop de rapports tuent le rapport. Il aurait été intéressant que l’ARAFER actualise, tous les deux ans, son estimation du coût du transport ferroviaire pour les collectivités territoriales.

Enfin, soucieux de ne pas hypothéquer l’avenir, nous avons établi quelques principes financiers pour sécuriser l’évolution de la dette et assurer la soutenabilité pour les opérateurs de l’évolution des redevances.

Soulignons encore l’encadrement des dérogations à la concurrence ou du transfert des matériels roulants, même si mon groupe aurait souhaité aller plus loin dans l’intérêt des régions et ancrer l’égalité territoriale au cœur du texte. Car, madame la ministre, où se placera le curseur de la solidarité nationale ?

Alors que le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, propose de financer à hauteur de 50 % les coûts de rénovation de la ligne Abbeville-Le Tréport, l’État va-t-il se réfugier derrière la règle du retour sur investissement calculée par SNCF Réseau ou suivre la collectivité prête à s’engager ? Et je n’évoquerai pas la ligne Brive-Aurillac !

Que se passera-t-il pour les régions les plus pauvres sans péréquation favorable ? Nous devons, mes chers collègues, rester vigilants à ce qu’on ne crée pas des régions à deux vitesses.

Je terminerai par un élément qui me tient particulièrement à cœur en ma qualité d’élu local – j’espère que la commission mixte paritaire ne reviendra pas sur ce point –, à savoir la confirmation des contrats de service public de transport ferroviaire. Introduits en commission, ces contrats contribueront à préserver les dessertes TGV cruciales en matière d’aménagement et de dynamisme des territoires, pour des lignes moins rentables.

J’oserai une dernière citation, empruntée à Jules Renard, dont le père a travaillé à la construction de la ligne Laval-Caen : « Le train, l’automobile du pauvre. Il ne lui manque que de pouvoir aller partout. » N’abandonnons donc pas les lignes secondaires !

En conclusion, le groupe du RDSE votera à une large majorité en faveur de ce projet de loi.

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