Cette proposition de loi fait suite à la mission commune d'information sur l'organisation, la place et le financement de l'Islam en France et de ses lieux de culte, dont le rapport a été présenté en juillet 2016 par nos collègues Nathalie Goulet et André Reichardt.
La proposition de loi vise deux objectifs principaux : d'une part, rendre obligatoire l'organisation sous le régime de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État pour toute association assurant l'exercice public d'un culte ou la gestion d'un lieu de culte et, d'autre part, restreindre, sous peine de sanctions pénales, la faculté de célébrer publiquement un culte aux seuls ministres du culte ayant reçu une formation délivrée par une instance cultuelle dont la représentativité serait reconnue par l'État.
La proposition de loi prévoit une application dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle pour les cultes ne relevant pas du régime concordataire, notamment l'islam. Elle comporte également un volet pénal.
Nos collègues constatent que l'organisation des musulmans en France diffère fortement de celle des cultes majoritaires, avec une absence de hiérarchie et de centralisation. Tout musulman peut guider la prière commune et la notion de ministre du culte n'existe pas. Cette situation exposerait le culte musulman à des dérives et à des pratiques regrettables.
Cette initiative répond à une réelle difficulté. Personne ne nie le constat, mais je m'interroge sur la constitutionnalité de cette proposition de loi ainsi que sur son efficacité.
La proposition de loi invite à rappeler les exigences constitutionnelles relatives au droit d'association, dispositions subtiles et extrêmement fragiles, ainsi que le principe constitutionnel de laïcité de la République.
Selon le premier principe en cause, la liberté d'association, une association ayant une activité cultuelle peut librement s'organiser selon la loi de 1901 ou selon celle de 1905. S'y ajoute le principe de liberté des cultes pour leur organisation. Plusieurs décisions du Conseil constitutionnel rappellent solennellement que la liberté d'association est un principe fondamental reconnu par les lois de la République. On ne peut contraindre une association à choisir l'un ou l'autre statut. En contrepartie du statut relevant de la loi de 1905 qu'elles choisissent volontairement, les associations bénéficient d'avantages fiscaux.
Concernant le principe de la liberté de culte, en janvier 2016, je rappelle que notre éminent collègue François Pillet a présenté un rapport sur la proposition de loi constitutionnelle de nos collègues du groupe RDSE, souhaitant inscrire les principes fondamentaux de la loi de 1905 à l'article 1er de la Constitution. La Constitution consacre le principe de laïcité, indissociable du principe de libre exercice des cultes. L'État doit ignorer les cultes tout en permettant leur libre exercice. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen affirme : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi. » L'article 1er de la Constitution dispose que la République est laïque, mais « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion » et « respecte toutes les croyances ».
Il s'agit donc d'interpréter des principes législatifs et constitutionnels. Pour faire simple, l'État doit ignorer les cultes - sans qu'il y ait aucune définition juridique des cultes ni de la notion de ministre du culte -, mais il doit permettre le libre exercice des cultes et la pratique religieuse de chacun. La protection de la liberté des cultes est aussi assurée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique ».
Je doute donc de la constitutionnalité de cette proposition de loi, hormis de l'article 2, qui prévoit l'extension du régime des lieux de culte aux locaux loués par une association cultuelle, point qui ne pose aucune difficulté.
Obliger les associations cultuelles à se soumettre à la loi de 1905, et relever ainsi d'un régime unique sous peine d'amende voire de dissolution de l'association en cas d'infraction, n'est pas justifié par un motif d'intérêt général et pourrait donc être contraire à la Constitution. La loi de janvier 1907 décrit très précisément les possibilités d'exercice du culte, selon trois modalités distinctes et librement choisies : une association relevant de la loi de 1901, une réunion sur initiative individuelle, qui relève de la loi de 1881 relative à la liberté de réunion, ou une association selon la loi de 1901 se conformant à la loi de 1905, ce qui présente des avantages et des obligations. Aucun motif d'intérêt général relevant de l'ordre public a priori me semble justifier d'imposer l'organisation du culte selon la seule loi de 1905.
La proposition de loi prévoit d'obliger tout nouveau ministre du culte ainsi que tout ministre du culte en exercice à suivre une formation qualifiante assurée par une instance cultuelle reconnue par l'État. Cela rentre dans un registre juridiquement impossible : si l'État doit ignorer les cultes mais garantir leur libre exercice, comment peut-il reconnaître ces cultes, et quels cultes ? Les druides, ministres d'un culte particulier en Bretagne, pourraient-ils être reconnus ? Cette formation devrait être dispensée et sanctionnée par une instance d'obédience cultuelle suffisamment représentative. L'État définirait par décret en Conseil d'État les critères de la représentativité de ce culte. Or ce champ est impossible à définir juridiquement... De plus, certaines religions n'ont pas de ministre du culte, notamment la religion musulmane. Ce serait une immixtion particulièrement grave de l'État dans le libre exercice et la libre organisation des cultes.
Un décret de 2017, qui impose aux aumôniers exerçant à la demande de l'État dans les armées, les hôpitaux ou les prisons de suivre une formation qualifiante, est l'objet d'un recours. Distinguons la formation obligatoire pour tout ministre du culte - qui inclut un volet religieux que l'État est censé ignorer - de l'obligation d'une formation civique pour les aumôniers militaires, des hôpitaux et des prisons, absolument nécessaire pour prévenir le risque de radicalisation dans les prisons. Un de mes amendements propose de fixer cette obligation dans la loi.
La proposition de loi introduit des peines différentes pour des infractions pénales similaires à des infractions existantes. Cette hétérogénéité des sanctions pose elle aussi un problème constitutionnel. Veillons à la cohérence des peines existantes, tout en ajoutant une circonstance aggravante lorsque l'infraction est commise dans le cadre de la célébration d'un culte, car le ministre du culte a une influence sur ses fidèles.
Reconnaissons la pertinence du constat de nos collègues Nathalie Goulet et André Reichardt, sans en adopter les remèdes, improbables juridiquement et non forcément efficaces. Un ministre du culte, même formé, peut toujours enfreindre la loi ! Si nous pouvions organiser les cultes par une formation obligatoire - mais nous ne le pouvons pas constitutionnellement -, certains cultes, disons occultes, pourraient se pratiquer sous prétexte de la liberté de réunion dans le domaine privé.
Je propose le respect des principes de liberté d'association et de liberté de culte tout en instaurant une obligation de formation civique pour les aumôniers salariés de l'État, ainsi que la création d'un conseil consultatif des cultes, auprès du ministre compétent, et qui pourra inclure des parlementaires.
Nous avons entendu en audition les représentants des cultes les plus visibles : juifs, musulmans, catholiques, bouddhistes, protestants et orthodoxes. Oui, la religion musulmane ne relève pas de l'organisation intellectuelle et matérielle des cultes présents en 1905, et ce texte met en avant des interrogations, notamment politiques, que nous pouvons nous poser sur la loi de 1905. On peut vénérer ce monument juridique, qui a permis cent ans de paix religieuse et civile, mais certains cultes provenant d'autres cultures ou de pratiques spirituelles différentes peuvent donner lieu à des réalités plus difficiles à gérer. En vertu de la Constitution et dans un souci d'efficacité, encourageons le dialogue entre l'État et les différents cultes, par la reconnaissance mutuelle et l'affirmation que chacun d'entre eux s'inscrit dans un cadre républicain. Faisons preuve d'exigence et de conviction.