J'ai commencé par suivre Jean-Marie Pelt pendant une trentaine d'années avant d'exercer comme pharmacien responsable d'un laboratoire d'analyses médicales au Yémen, où j'ai pu mener des enquêtes auprès des guérisseurs. Je connais donc bien les pratiques traditionnelles.
De retour en France, j'ai dirigé le laboratoire de recherches de Jean-Marie Pelt à l'université de Metz, dont l'objet était d'étudier l'efficacité de plantes recommandées par des guérisseurs sur des modèles pharmacologiques, animaux ou sur cultures cellulaires.
Enfin, j'ai repris une officine familiale, dans laquelle j'ai beaucoup développé la phytothérapie et l'aromathérapie. J'ai également été expert à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), à la fois sur les plantes chinoises et sur les dossiers de médicaments allégés. Je suis aussi intervenu sur les problématiques relatives aux outre-mer, pour la reconnaissance de leurs plantes médicinales, et sur les plantes africaines.
Il y a deux types de traditions médicales. D'abord, les traditions écrites, issues des grandes médecines savantes, qui ont su séparer science et religion, comme les médecines grecque, indienne, chinoise, arabo-persane. On a des textes et des pharmacopées datant de 2 000 ans, où l'on retrouve l'usage et la description des plantes. Ensuite, toutes les traditions orales venant d'Afrique, des Amériques, d'Océanie, pour lesquelles un travail de recensement important doit être fait, puisqu'il n'y a pas de traces écrites. C'est un patrimoine à sauvegarder.
Pourquoi un tel engouement pour l'herboristerie et la phytothérapie ? Beaucoup pensent que ces thérapies sont plus naturelles et favorisent une approche personnalisée dans laquelle on soignerait le malade et pas seulement la maladie. Par ailleurs, elles comportent un aspect préventif. Les effets secondaires des médicaments sont aussi redoutés. Il faut enfin reconnaître une pertinence exceptionnelle des savoirs des guérisseurs. Dans 80 % des cas - chez l'animal car on manque de travaux chez l'homme -, on a une efficacité comparable à celle de médicaments de référence.
Force est de constater, également, la réussite des petits producteurs de plantes médicinales, qui sortent des produits de qualité. Il y a beaucoup de demandes pour ces circuits courts.
Il y a un besoin des patients mais pas assez de répondant. Les cinq diplômes universitaires dans lesquels j'interviens sont pleins, mais ce n'est pas suffisant.
Le circuit pharmaceutique est bien rodé. Voilà des siècles que les plantes médicinales font partie des outils de travail des médecins et des pharmaciens. La plante pharmaceutique doit répondre à un cahier des charges rigoureux et précis, qui est la monographie de contrôle de la pharmacopée européenne ou française. On en contrôle l'efficacité, par le biais de travaux précliniques ou cliniques, mais aussi la sécurité et la toxicité, en évaluant par exemple la mutagénèse ou la cancérogénèse. Enfin, les indications thérapeutiques sont désormais encadrées au niveau européen, grâce au consensus qui a résulté des travaux de l'European medicines agency (EMA) et du Committee on Herbal Medicinal Products (HMPC).
Alors que la pharmacopée est restée inchangée pendant des décennies, 46 nouvelles plantes sont arrivées d'outre-mer, depuis 2015, avec des potentialités nouvelles, ainsi que 60 plantes de Chine. J'ai d'ailleurs fait partie des pionniers dans ce domaine.
S'agissant de l'interaction avec les médicaments, on en est un peu aux balbutiements. Il faut se fier au savoir-faire du pharmacien. Par exemple, le millepertuis, qui est une plante très banale à effet antidépresseur, peut avoir des interactions gênantes avec la pilule contraceptive.
Quant à l'herboristerie, le diplôme s'est éteint en 1941, époque à laquelle on considérait que la formation du pharmacien était largement suffisante pour assumer la prescription de plantes. Or, petit à petit, les médicaments conditionnés ont remplacé les plantes de sorte que les pharmaciens répondent désormais moins à la demande en herboristerie. Ils reçoivent bien une formation initiale, mais les connaissances doivent être réactualisées : chaque année, on ne recense pas moins de 1 000 publications sur les plantes dans les revues internationales.
Faut-il rétablir un diplôme d'herboristerie ? On répondrait ainsi à une demande du public et l'on renforcerait les filières de culture des plantes aromatiques et médicinales des petits producteurs. En effet, les pharmaciens ne peuvent distribuer que des plantes conformes à la monographie européenne, plantes dont les petits producteurs ne peuvent pas forcément assumer le coût. Les filières courtes sont ainsi quasiment exclues.
Il faudrait harmoniser les contenus de la formation. En France, plusieurs écoles, comme l'Ecole des plantes, dispensent déjà un enseignement de qualité. On manque cependant d'un contrôle exercé par les universités et les laboratoires de pharmacognosie.
Le cahier des charges à élaborer pour garantir la qualité des produits doit être assez sévère, mais pas trop, afin que les petits producteurs aient accès au marché.
Enfin, 148 plantes ont été libérées du monopole. Faut-il en ajouter d'autres ? À mon sens, cette liste est suffisante. Assurons-nous déjà de bien connaître ces 148 plantes afin de les utiliser au mieux. J'ai entendu parler de 600, voire 900 plantes en compléments alimentaires. Cela ne me semble pas très raisonnable.
Voilà des décennies que les ultramarins réclament que leurs plantes médicinales soient enfin reconnues. On a longtemps craint que les populations autochtones ne s'en servent pour intoxiquer les colons. Récemment, la Martinique, la Guadeloupe et La Réunion ont pu faire inscrire des plantes dans la pharmacopée. Les pharmaciens locaux sont contents, mais les tisaneurs et les vendeurs traditionnels se voient opposer le monopole pharmaceutique. Il serait donc urgent de libérer ces 46 plantes du monopole, au moins dans les outre-mer.
Quant aux plantes chinoises et indiennes qui arrivent régulièrement, elles doivent être contrôlées et nous devons pouvoir mesurer les risques d'effets secondaires.
Il s'agit enfin de définir les allégations, car les étiquetages restent encore trop ambigus. Nous devons définir des positions claires, en lien avec notre conception du métier d'herboriste, acteur de la santé et du bien-être. Quelle place l'herboriste occupera-t-il aux côtés des médecins et des pharmaciens ? Il incombe aux pouvoirs publics de bien définir le rôle de chacun.
Bien sûr, les pharmaciens peuvent craindre un grignotage de leur monopole. Cependant, force est de constater qu'ils ne s'investissent pas assez dans l'herboristerie, laissant ainsi un espace à combler qui peut offrir des débouchés aux producteurs locaux. Chaque année, on importe 20 000 tonnes de plantes médicinales et la Chine est le premier producteur mondial. Or chacun sait ce qui peut arriver avec des plantes chinoises. On en a fait la triste expérience en 1995, avec des cancers et des néphropathies graves causées par des plantes frelatées en provenance de Chine.