Je suis pharmacien ; j'ai enseigné dans le cadre du diplôme universitaire de phytothérapie et d'aromathérapie de la faculté de pharmacie de Marseille, jusqu'à ce qu'il disparaisse pour des raisons administratives et budgétaires.
J'ai aussi rédigé un cours sur l'aspect réglementaire de la question pour un organisme agréé par le conseil de l'ordre des pharmaciens pour la formation continue.
La pharmacie-herboristerie du père Blaize a été fondée à Marseille en 1815 par Toussaint Blaize, originaire des Hautes-Alpes, qui a enrichi son arsenal thérapeutique de plantes en provenance des quatre coins du monde grâce à l'activité du port de commerce de Marseille, florissant à l'époque. Six générations se sont succédé à la tête de cet établissement. Dès la troisième génération, les descendants ont complété leurs connaissances sur les plantes en se spécialisant en pharmacie.
Cet établissement a une particularité : là où une pharmacie traditionnelle fait plus de 80 % de son chiffre d'affaires sur le médicament, je ne fais que 0,4 %. J'ai coutume de dire que je suis la seule pharmacie exclusivement dédiée à la phytothérapie, plus particulièrement à l'herboristerie - ces deux notions sont d'ailleurs difficilement dissociables -, et, de facto, la seule herboristerie dans la légalité. La réglementation actuelle est très complexe et pleine d'aberrations. Je vous remercie de vous intéresser à ce sujet mais vous ouvrez en quelque sorte une boîte de Pandore. Je vous recommande, si je puis me permettre, de ne surtout pas ajouter de nouveaux textes à ceux qui existent déjà, au risque de créer un « Frankenstein réglementaire » ; mieux vaut remettre à plat certains éléments de l'actuelle réglementation.
Mon métier consiste à faire le lien entre la patient et sa pathologie, les médicaments qu'il prend, le cas échéant, et les plantes que je vais lui conseiller - c'est ma valeur ajoutée d'herboriste. Bon nombre de pharmaciens affichent leur qualité d'herboriste sur leur devanture alors qu'ils n'ont ni les connaissances ni même les produits. Même si je reste persuadé que le pharmacien, de par sa formation, est le mieux placé pour conseiller les patients, une formation complémentaire reste indispensable pour la pratique concrète de l'herboristerie au comptoir d'une pharmacie.
Les pharmaciens ont perdu leur monopole sur les plantes mais ils ne le savent pas : 34 plantes libérées en 1979, 148 en 2008 ; avec l'arrêté « plantes », plus de 500 plantes - d'aucuns parlent de 900 - sont enregistrables sur le portail de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), avec une mise sur le marché immédiate. N'importe quel industriel peut aujourd'hui mettre une plante sur le marché, qui peut se retrouver n'importe où. Par exemple, on retrouve les huiles essentielles en tête de gondole chez Gifi, qui a racheté le laboratoire Mességué, ou dans les stations-service. Or les huiles essentielles sont des principes actifs concentrés. Il suffit de 40 gouttes d'eucalyptus globulus pour provoquer des convulsions sévères.
La réglementation sur les huiles essentielles impose qu'elles soient présentées avec une fonction déterminée. Elles ne peuvent être vendues si elles ne sont pas classées dans une des quatre catégories suivantes : ingrédients pour cosmétiques ; ingrédients pour diffusion ; compléments alimentaires ; usages aromatiques. Mais la classification reste difficile à appliquer. Les blogueurs qui suivent la mode du « do it yourself » recommandent leur utilisation dans l'élaboration des cosmétiques faits maison, alors que la réglementation interdit techniquement aux pharmaciens de faire des mélanges d'huiles essentielles. Comment justifier une telle interdiction, notamment dans les 40 pharmacies de France qui disposent d'un préparateur autorisé ? D'autant que les pharmaciens sont en droit de refuser de pratiquer certaines ventes : j'ai par exemple refusé de vendre 100 grammes d'armoise à des parents qui souhaitaient soigner les coliques de leur bébé, en se fiant à ce qu'ils avaient lu sur l'Internet.
Le manque de réglementation nuit à tout le monde. Quand il s'agit des 148 plantes libérées, rien n'empêche de les vendre et chacun peut faire les mélanges qu'il veut. En revanche, seule une officine habilitée peut introduire une plante du monopole dans un mélange. C'est une aberration car je me fournis chez des pharmaciens qui dépensent jusqu'à 1 000 euros pour analyser chaque lot de plantes et mon officine est la seule à disposer d'un mélangeur de plantes. Même l'industriel qui a un stock de plantes et des mélangeurs à disposition, et qui est audité régulièrement par l'ANSM, n'est pas autorisé à pratiquer ce type de mélange.
Quant aux compléments alimentaires, les pharmaciens ont le droit d'en vendre mais pas de les préparer. Encore une fois, c'est absurde, car tout un chacun peut faire sa préparation dans sa cave, sous réserve de la déclarer. D'où la nécessité d'associer notamment l'ordre des pharmaciens aux discussions.
C'est sans doute par désintérêt que les pharmaciens ont perdu le monopole sur les plantes. L'herboristerie ne représente qu'une faible proportion de l'activité des officines traditionnelles et seulement 20 à 30 % de cette activité dans le cas d'une pharmacie spécialisée. Le monopole sur les huiles essentielles est passé aux industriels, alors même que leur principe actif est concentré ; idem pour les compléments alimentaires.
Il y a aussi un problème de coût : quand j'achète de la semence de fenouil en pharmacie, je la paie entre 14 et 20 euros le kilo car il faut intégrer le coût des contrôles. Et pourtant, il s'agit d'une plante libérée du monopole qui normalement ne vaut pas plus que 3 euros le kilo. Il faudrait développer le circuit court avec les producteurs et avec les herboristes et créer un diplôme complémentaire au diplôme de pharmacien. Enfin, ne nous illusionnons pas : certaines plantes ne pourront jamais réintégrer le monopole, dont la menthe, la verveine et le tilleul.