Je vais brièvement vous présenter les résultats du contrôle que j'ai réalisé sur l'action de la CIVS. Il s'agit d'une commission administrative placée auprès du Premier ministre, dont la création remonte à la fin de 1999. Elle est chargée de traiter les demandes individuelles de réparation des spoliations qui lui sont adressées par les victimes et les ayants-droit en accordant des indemnisations ou en promouvant des restitutions.
Sa création, intervenue dans un contexte national marqué par les suites de la déclaration du président Jacques Chirac sur le rôle de la France pendant l'Occupation, résulte de l'une des recommandations de la mission présidée par Jean Mattéoli qui, à partir de 1997, a repris le dossier des spoliations antisémites. Le retour de ce dossier s'inscrivait lui-même dans un contexte international marqué par un flux très nourri de plaintes relatives à des spoliations rémanentes.
Il peut sembler un peu curieux de s'intéresser à la CIVS dans la mesure où la charge budgétaire que représente la commission n'est plus aujourd'hui que de 7 millions d'euros, à comparer avec des dépenses d'indemnisation qui, depuis sa création, ont dépassé 500 millions d'euros.
Cependant, un bilan est d'autant plus justifié que le maintien de la commission paraît avoir été remis en cause lors d'une réunion interministérielle tenue au premier trimestre. Ce type de projet n'est pas nouveau puisque, dès 2009, la suppression de la commission avait été envisagée. Elle avait été finalement écartée et on doit s'en féliciter puisqu'aussi bien, depuis, plus de 70 millions d'euros d'indemnisation ont été accordés aux demandeurs. La suppression de la CIVS, si elle était intervenue, aurait été une faute, et elle le serait encore aujourd'hui même s'il convient de mieux adapter la CIVS aux enjeux présentés par la dette de réparation rémanente.
Permettez-moi un bref retour en arrière à l'époque où la création de la CIVS a été décidée. Au terme d'un travail de très grande ampleur présenté dans un rapport de plus de 3 000 pages, la mission Mattéoli a abouti à des conclusions inédites établissant l'ampleur de la dette de réparation des spoliations antisémites. Cette dette résultait d'un solde entre les spoliations massives commises pendant l'Occupation et des réparations, certes importantes, mais incomplètes intervenues après la Libération. Au fond, c'est cette dette rémanente qui a justifié la création de la CIVS. Je ne vais pas entrer dans les détails, vous renvoyant au rapport écrit. Mais, je voudrais faire ressortir quelques faits saillants dans la mesure où ils exercent encore aujourd'hui une influence sur l'activité de la CIVS.
Premier élément : la spoliation a été massive tant par les personnes touchées que du point de vue de leurs possessions. Ce fut réellement une persécution par les préjudices. Spoliations matérielles, spoliations financières aussi. Aryanisation économique, mais également confiscation des appartements et des baux, blocage des comptes, toute la gamme en somme.
Deuxième élément : les réparations mises en oeuvre après la Libération n'ont pas été négligeables, mais elles n'ont pas permis de restaurer pleinement les victimes dans leurs droits de sorte qu'une dette nette certaine de réparation subsistait à l'issue de la courte période pendant laquelle les victimes purent bénéficier de procédures spéciales. La brièveté des délais accordés alors que la situation était des plus confuses, certaines exigences disproportionnées avec les possibilités des victimes, la portée limitée de certains mécanismes de réparation se sont conjugués pour limiter le retour à une pleine justice. Par ailleurs, de très graves erreurs, je dirais même des fautes, ont pu être alors commises. J'en exposerai une, dont les prolongements jettent une ombre portée sur une dimension très forte d'enjeux de la réparation des spoliations antisémites. Elle est intervenue dans le domaine des oeuvres d'art. À la suite de la Libération, quelque 60 000 objets d'art et de culture sont revenus en France et placés sous la responsabilité du ministère des Affaires étrangères. Une partie seulement de ces objets, sans doute 45 000, ont été restitués par une commission des récupérations artistique. Ceci fait là aussi dans de très brefs délais, les oeuvres restantes ont connu le sort suivant. Un peu plus de 2 000 ont été réservées par une commission des choix artistiques. Ces oeuvres sont désormais connus sous le nom de MNR, sigle qui signifie « Musées nationaux récupération ». Le reliquat, soit un peu plus de 14 000 objets, a été remis au service des Domaines, qui, les a vendus. Or, ces oeuvres étaient sans doute pour l'essentiel des objets massivement spoliés. Il est aisé d'en tirer la conclusion qui s'impose. La France a massivement vendu des oeuvres spoliées. Il faut ajouter que toute cette affaire de restitution artistique a été marquée par des incidents très graves sur lesquels la lumière n'a été que très partiellement faite.
Dernier élément : l'état de nos connaissances. Les travaux de la mission Mattéoli ont abouti à une certitude. La dette de réparation restant à la fin des années 90 demeurait élevée, d'autant plus que, depuis le début des années 50, rien n'avait été accompli pour la réduire.
Cependant, la mission avait concédé que ses travaux comportaient des insuffisances. Elle avait recommandé un approfondissement systématique des études, recommandation qui n'a pas été suivie d'effets.
En revanche, des études ponctuelles doivent être évoquées parce ce qu'elles ont pu révéler des contours de la dette de réparation subsistante. Je mentionne, en particulier, les travaux relatifs aux circuits de la spoliation artistique qui ont permis de renouveler le regard sur ces spoliations et ont confirmé l'existence d'un très vaste « musée disparu ». Il faut également mentionner les travaux réalisés sur le rôle de la Caisse des dépôts et consignations, à sa demande, qui ont permis d'inventorier pour la première fois le problème des comptes en déshérence.
J'en viens à mes observations sur la commission. Le bilan de la CIVS permet d'établir son utilité, mais conduit à faire ressortir certaines faiblesses.
Utile, la CIVS l'a certainement été en permettant d'attribuer une réparation à plus de 47 000 victimes ou ayants-droit. Le niveau des indemnisations a atteint plus de 500 millions d'euros, dont une partie n'a pas impacté le budget de l'État, puisqu'elle a été supportée par les banques du fait de l'accord conclu entre la France et les États-Unis à Washington en 2001.
Utile, la CIVS l'est encore, parce qu'elle a permis de compléter les indemnisations trop étroites accordées dans le cadre d'autres procédures, en particulier dans le cadre de la procédure mise en oeuvre tardivement en Allemagne. La CIVS a ainsi accordé plus de 72 millions d'euros au titre des compléments d'indemnisation.
Utile, la CIVS l'est toujours, nonobstant la réduction des indemnisations qu'elle prononce. Elle rend encore un nombre significatif de recommandations, et, surtout, elle est encore saisie chaque année de dossier aux enjeux individuellement très élevés.
Je conclus sur les apports de la CIVS en indiquant que la commission est considérée comme la manifestation probante que la France respecte ses engagements internationaux, ce qui n'est pas rien.
Face à l'actif de la CIVS, il faut néanmoins évoquer des faiblesses.
J'évoquerai d'abord un regret lié au choix de ne pas indemniser les pertes de revenus liées aux interdictions professionnelles, qui ont pourtant considérablement pénalisé leurs victimes.
Par ailleurs, certaines méthodes d'évaluation des préjudices ont pu être contestées. Il en va ainsi de l'estimation aux conditions économiques de la période où est intervenue la spoliation. Du fait de la création tardive de la commission, le préjudice n'a pu être indemnisé que des années après la commission des faits, l'évaluation à la date de la spoliation, pendant une période très troublée, conduit à minorer les indemnités versées par rapport à un choix alternatif.
Autre motif d'insatisfaction, l'existence d'un stock de demandes encore élevé et, plus encore, l'inclusion dans ce stock de demandes très anciennes. La plus vieille affaire date de 2002, ce qui est évidemment beaucoup trop.
Le volet le plus critiquable de l'action de la commission semble être celui des objets d'art et de culture.
Il a certes donné lieu au prononcé de 35,8 millions d'euros d'indemnisations, mais, outre que ces indemnités sont un peu en trompe-l'oeil, elles ne peuvent occulter le problème majeur de la réparation de ces spoliations, à savoir le très maigre bilan des restitutions.
3 070 indemnisations ont été accordées pour 35,8 millions d'euros, donc, mais, en réalité, deux indemnisations ont, à elles seules, mobilisé plus de 30 millions d'euros. C'est dire que la plupart des dossiers ont donné lieu à des indemnités dérisoires, révélant sans doute que les indemnisations accordées par la CIVS n'ont intéressé que des objets de peu de valeur.
Trompe-l'oeil, mais aussi cache-misère, dans la mesure où, dans le domaine des spoliations artistiques, c'est bien la restitution qui est le moyen de réparation approprié. L'indemnisation ne satisfait pas le demandeur et elle ne peut satisfaire l'intérêt public. Elle conduit en effet à consacrer des détentions qui, pour un assez grand nombre, sont gravement illégitimes ou proviennent de transactions qui n'auraient jamais dû être conclues. Il est choquant que le contribuable soit ainsi amené à financer de telles détentions.
Il faut le constater, les restitutions effectuées sous l'égide de la CIVS ont été particulièrement peu nombreuses. Au début de mon travail, on n'en comptait qu'une douzaine. Quelques autres sont intervenues depuis.
Mais, le bilan est famélique, et ce quelle que soit la référence à la dette de réparation que l'on choisit.
La plus immédiatement utilisée, ce sont les MNR, soit, je le rappelle, plus de 2 000 oeuvres en dépôt dans les musées nationaux. La situation de ces oeuvres, dont l'analyse n'a longtemps pas été faite, défie l'entendement, alors même qu'elles ont été placées auprès des musées nationaux pour être restituées. Quand on ajoute qu'un certain nombre d'entre elles ont purement et simplement disparu, on reste sans voix. Mais, en réalité, la référence qui conviendrait est beaucoup plus large.
J'en viens à mes recommandations. J'en exposerai quelques-unes.
J'indique au préalable que, pendant le cours de mes travaux, le Congrès des États-Unis a voté une loi bipartisane, portée par deux sénateurs éminents, qui vise à vérifier le respect de leurs engagements par les États signataires de la déclaration de Térézin du 30 juin 2009 sur le devoir de réparation des spoliations antisémites. La France doit reprendre l'initiative.
Il s'agit, pour l'essentiel, de créer une « CIVS augmentée », l'inaction n'étant pas une option.
Ce serait d'abord une CIVS capable d'une démarche plus active, ce qui implique un élargissement de la mission.
Il s'ensuit une proposition majeure, celle de doter la CIVS d'une capacité plus large d'intervention, ce qui suppose de la doter d'une capacité d'autosaisine. La constitution au sein de la CIVS d'un collège réunissant les parties prenantes de la réparation des spoliations permettrait d'incarner la haute valeur morale de sa mission.
Par ailleurs, en relation avec l'élargissement de sa mission, il convient de doter la CIVS des moyens de créer les conditions d'une pleine réussite de la mission d'apurement de la dette de réparation subsistante.
Il faut que la commission puisse bénéficier d'une meilleure information sur celle-ci. Je recommande, en particulier, que la CIVS puisse être destinataire d'une obligation de signalement, adaptée à son objet, décalquée des obligations faites aux professionnels dans le cadre des régulations mises en oeuvre par le conseil des ventes volontaires et par Tracfin.
En outre, le travail sur les données doit être radicalement amélioré, ce qui suppose une mise à niveau de la connaissance sur la provenance des biens pour lesquels il existe une forte présomption d'incomplétude de cette connaissance. Pour les objets d'art et de culture, des recherches de provenance doivent être entreprises incessamment sur les collections publiques, mais aussi sur les grands fonds privés. L'accès aux archives pertinentes doit être facilité, un large droit de communication étant aménagé au profit de la commission.
Il convient également d'aménager les suites données à la découverte d'oeuvres spoliées. Deux obstacles à des restitutions effectives doivent être levés. L'inaliénabilité des collections publiques prévue au code du patrimoine doit être mise de côté lorsque l'origine spoliatrice est clairement établie. Par ailleurs, la recherche des ayants droit, qui peut receler d'immenses difficultés, doit pouvoir être favorisée par la constitution de sites consultables par Internet, sur le modèle du site Ciclade tenu par la Caisse des dépôts et consignations dans le prolongement de la loi sur les comptes en déshérence.
Enfin, il convient de structurer fortement l'échelon international. J'ai mentionné l'initiative du Congrès des États-Unis. Je souhaite que la France puisse prendre l'initiative d'une institutionnalisation de la coopération internationale sur le modèle du GAFI, afin d'exercer l'action coordonnée et volontariste dans un domaine qui, par nature, a une forte dimension internationale.