Article 3
Les amendements identiques n° 6 et 17 suppriment l'article 3 : ils vont à l'encontre des objectifs de la proposition de loi en revenant sur l'aménagement de la réduction pour âge du donateur en cas de transmission d'entreprise. Avis défavorable.
Je m'insurge contre ce raisonnement : cette proposition de loi est d'inspiration libérale. Or, cet article fixe un cadre trop rigide en favorisant les moins de 65 ans et en pénalisant les personnes âgées de plus de 65 ans, qui vont se retrouver dans une situation moins favorable qu'aujourd'hui.
Comme Jean-Marc Gabouty, j'estime qu'il ne faut pas aboutir à des effets contraires au but recherché. Il s'agit bien de faciliter la transmission d'entreprise, quel que soit l'âge du donateur.
Les dispositions de l'article 3 doivent être lues de façon conjointe avec celles de l'article 8, concernant la réduction d'impôt dite « Dutreil ». Le taux de fiscalisation résultant de l'application combinée de ces deux articles sera inférieur à celui actuellement en vigueur en raison de la majoration du taux de l'exonération qui serait porté à 90 %. Cette proposition de loi favorise donc, au total, la transmission d'entreprise avant 65 ans sans pénaliser les personnes plus âgées.
Les amendements n° 28 rectifié, 19 et 18 sont en discussion commune : chacun à leur manière, ils assouplissent le cadre actuel en maintenant à 50 % la réduction pour les transmissions faites après 65 ans ou en la portant à 60 %. Outre leur coût supplémentaire pour les finances publiques, ces amendements ne me paraissent pas justifiés dans la mesure où, comme je l'ai déjà souligné, les articles 3 et 8 combinés allègent déjà la fiscalité applicable à ces donations par rapport au droit en vigueur. Je propose donc de donner un avis défavorable.
Pouvez-vous donner quelques chiffres pour que l'on comprenne mieux ? D'après ce que vous dites, les réformes prévues aux articles 3 et 8 de la proposition de loi coûteront plus cher aux finances publiques puisqu'elles seront plus favorables aux contribuables : en avez-vous chiffré le montant ?
Reste une discrimination selon que l'on a moins ou plus de 65 ans. Une chanson de Tino Rossi disait que la vie commence à 60 ans...
Certes ! Venant du monde de l'entreprise, je connais beaucoup de créateurs et de repreneurs d'entreprises qui sont d'anciens cadres salariés et qui se sont lancés dans l'aventure à plus de 55 ans, ce qui leur laisse peu de temps pour prévoir la transmission de leur entreprise, surtout lorsque les héritiers sont encore mineurs. Je suis favorable à un capitalisme familial plutôt qu'à un capitalisme de fonds de pension qui ne paye pas d'impôt sur la fortune et qui défiscalise à tout-va.
La flat tax s'appliquera-t-elle avant ou après la cession d'entreprise ? Y aura-t-il un abattement avant que n'intervienne la flat tax ?
On demande aux gens de travailler plus vieux et, ici, on institue une discrimination précoce qui n'existait pas auparavant. Nous régressons. Il faut vous avouer que je suis chef d'entreprise, que j'ai 69 ans et que je n'ai pas achevé mon opération de transmission...
On peut transmettre son entreprise tout en continuant à y travailler.
Actuellement, le taux global d'imposition se monte à 3,1 % pour les 65 à 70 ans pour une donation d'une entreprise dont la valeur est de 10 millions d'euros, Avec ce texte, elle ne sera plus que de 1 % environ, soit trois fois moindre.
Si nous réduisions encore le taux global d'imposition, le coût pour les finances publiques ne serait pas négligeable, même s'il est très difficile à estimer. Nous ne disposons en effet d'aucune donnée statistique fiable. Le dispositif Dutreil est évalué 500 millions d'euros, mais ce n'est qu'un ordre de grandeur.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 28 rectifié.
La commission demande le retrait des amendements n° 19 et 18.
Article additionnel après l'article 3
L'amendement n° 25 a déjà été examiné par la commission des finances : lors de l'examen du projet de loi de finances, elle avait demandé son retrait au motif que des avantages fiscaux dérogatoires existaient déjà, notamment le pacte Dutreil dans le cadre de transmission familiale ou l'article 793 du code général des impôts pour les mutations, familiales ou non, portant sur des parts de groupements fonciers agricoles ou de groupements agricoles fonciers correspondant à des immeubles donnés à bail à long terme ou à bail cessible.
Dans la continuité de l'avis de la commission, je souhaite le retrait. Sinon, avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 25 et, à défaut, y sera défavorable.
L'amendement n° 26, qui traite des terres agricoles, remet en cause le périmètre de l'IFI : je ne suis pas certaine que ce soit l'objet de la proposition de loi. En outre, si le propriétaire exploite ses terres, il s'agit d'un bien professionnel et l'exonération est totale. S'il en est le propriétaire sans les exploiter, l'exonération s'élève déjà à 75 %. Retrait ou avis défavorable.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 26 et, à défaut, y sera défavorable.
Article 6
L'amendement n° 21 est contraire à l'objet de cet article : il revient sur l'élargissement du paiement échelonné de l'impôt sur les plus-values de long terme aux entreprises dont le chiffre d'affaire est compris entre 2 et 10 millions. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 21.
Article 7
L'amendement n° 8 écrase l'article 7 et il ne me paraît pas en lien direct avec le texte dont nous discutons. Avis défavorable.
L'économie, ce n'est pas que l'entreprise : les salariés et les collectivités sont aussi concernés, d'autant que ces dernières aident le monde économique sur leurs territoires. Des critères de transparence et d'évaluation sont nécessaires. Le lien avec le texte me semble donc, bien au contraire, établi !
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 8.
Je souhaite le retrait de l'amendement n° 22 qui me paraît découler d'une lecture incomplète de l'article 199 terdecies-0 B du code général des impôts : si cet amendement était adopté, il faudrait conserver ad vitam aeternam les titres pour ne pas remettre en cause le crédit d'impôt. L'article 199 terdecies-0 B précise déjà que si les titres sont vendus moins de cinq ans après leur acquisition, le crédit d'impôt est repris et le bénéfice du crédit d'impôt disparait pour le futur en cas de cession à l'issue du délai de 5 ans prévu par la loi.
La commission demande le retrait de l'amendement n° 22 et, à défaut, y sera défavorable.
Article 8.
Avis défavorable sur l'amendement n° 9, qui substitue aux assouplissements apportés au pacte Dutreil un crédit d'impôt pour les banques au titre des avances remboursables ne portant pas intérêt consenties pour la reprise d'une entreprise. Or la modernisation du « Dutreil » paraît aujourd'hui indispensable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 9.
L'amendement n° 16 rectifié revient sur les dispositions adoptées la semaine dernière par notre commission et réduit la durée totale de conservation des titres, qui passerait de 10 ans à 8 ans : à trop assouplir le dispositif Dutreil, nous risquons une inconstitutionnalité. J'aurais d'ailleurs souhaité une analyse du Conseil d'État pour éclairer nos débats. Comme nous avons déjà divisé la fiscalité par trois, je propose de nous en remettre à la sagesse du Sénat. À titre personnel, je voterai contre l'amendement.
Cet amendement est porté à la fois par la Délégation aux entreprises et par les auteurs de la proposition de loi. Le but de cette loi est sauver les entreprises, notamment les ETI. Si la fiscalité applicable aux TPE est très faible, tel n'est pas le cas pour les ETI. Dans les pays voisins, aucune imposition ne pèse sur les transmissions des actions de ces entreprises, actions qui sont, je le rappelle, non cotées. En France, elle se monte à 11 % pour les successions et à 5,5 % pour les donations : c'est rédhibitoire lorsque les montants sont importants. En outre, il s'agit de payer des impôts sur des sommes virtuelles, puisque les actions ne sont pas cessibles. Parfois, il n'y a pas d'autre choix que de vendre l'entreprise. En passant de six à huit ans, nous avons allongé les délais de détention des actions de l'entreprise, en contrepartie des 90 % d'exonération. En revanche, il ne nous apparaît pas opportun de passer de huit à dix ans. Nous proposons donc d'en revenir à notre texte initial : nous verrons bien ce qu'en dira le Conseil constitutionnel, dont les décisions sont parfois surprenantes.
Je suis favorable à cet amendement qui nous est présenté après un long travail de la Délégation aux entreprises.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 16 rectifié.
Dans le texte initial, les auteurs de la proposition de loi avaient proposé une définition de la holding animatrice spécifique au dispositif Dutreil. La semaine dernière, nous avons adopté une définition commune à la holding animatrice en reprenant la définition actuelle, complétée par deux ajouts relatifs aux points récemment tranchés par la jurisprudence : possibilité pour la holding d'être animatrice sans animer la totalité de ses participations et possibilité pour deux holdings de co-animer un groupe. L'amendement n° 29 assouplit considérablement la définition de la holding animatrice en introduisant des critères qui ne semblent pas assez précis. Je propose donc de rendre un avis défavorable, d'autant que certains critères diffèrent de la jurisprudence de la Cour de cassation. Pour ne prendre qu'un exemple, une holding serait désormais présumée animatrice dès lors qu'elle procure à ses filiales « des prestations de services de nature administrative, comptable, financière, juridique, immobilière ou de toute autre nature » et ce alors même que la jurisprudence n'a jamais considéré que ce critère soit suffisant pour établir à lui seul le caractère animateur de la holding.
Je vous propose de nous en tenir à la rédaction de la commission des finances.
Le sujet est complexe : l'administration fiscale donne des interprétations variables des holdings animatrices. C'était d'autant plus grave lorsque l'ISF était en vigueur. La Délégation aux entreprises a repris la proposition du Conseil supérieur du notariat et du Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables. Nous avons également tenu compte de la jurisprudence de la Cour de cassation. Nous souhaitons revenir à notre texte.
Des règles claires sont nécessaires. Les spécialistes du montage fiscal ou social utilisent le flou des textes. Le Conseil national des barreaux appelle de ses voeux une définition claire de la société animatrice. Ce serait plus sain que d'attendre de l'administration fiscale qu'elle s'érige en arbitre, d'autant que ses interprétations varient. Cet amendement complète utilement l'article 8.
Je suis d'accord avec les orateurs précédents. Le Conseil national des barreaux a proposé une définition que la Délégation a reprise à son compte. Lors de la dernière loi de finances, j'avais d'ailleurs déposé un amendement en ce sens. Il est urgent de rétablir la sécurité juridique : cette notion est essentielle, mais elle n'est pas définie ! On ne peut s'en remettre à la jurisprudence de la Cour de cassation : il nous revient d'écrire la loi.
Demain, j'inviterai le Gouvernement à réactiver un groupe de travail qui s'est arrêté en 2014 et qui devait donner une définition précise des holdings animatrices. La définition que nous avons adoptée la semaine dernière purge les deux cas de conflits récurrents entre l'administration et les contribuables. Laissons les services de l'administration fiscale se pencher sur cette question.
Je crains que nous n'avancions guère si nous laissons l'État travailler sur cette définition. D'année en année, la parution de la circulaire est reportée.
Présentons l'amendement : nous verrons bien la réaction du Gouvernement qui risque de s'y opposer.
Il ne s'agit que d'une proposition de loi sénatoriale, destinée à évoluer et dont nous ne connaissons pas l'avenir à l'Assemblée nationale. Votons cet amendement qui servira de base de travail lors de la prochaine loi de finances ou du prochain groupe de travail.
La loi ne doit pas tout dire. Je demanderai demain à la ministre de réactiver le groupe de travail pour disposer d'un cadre réglementaire précis. La définition présentée dans cet amendement ne me semble pas suffisamment robuste. Je demeure donc très réservée à l'égard de cet amendement.
La commission émet un avis favorable à l'amendement n° 29.
Article additionnel après l'article 8
L'amendement n° 27 prévoit un rapport sur la transmission d'entreprise en cas de décès : comme je vous l'ai dit la semaine dernière, il n'existe aucune statistique en ce domaine. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 27.
Article 11
Je suis défavorable à l'amendement n° 10 car il est contraire à l'objet de l'article 11 : il fait subsister une différence de taux de droit d'enregistrement très significative entre les actions et les parts sociales. En outre, l'objectif poursuivi, consistant à favoriser les reprises internes, est déjà atteint par plusieurs autres dispositions de la proposition de loi, en particulier les articles 17 et 18.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 10.
L'amendement n° 23 alourdit considérablement la fiscalité qui pèse sur les cessions d'actions, qui serait multipliée par 30. Par le passé, les taux avaient été réduits significativement pour éviter la non-déclaration des cessions, ce qui privait l'État de recettes fiscales et fragilisait juridiquement les cessions. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 23.
L'amendement de coordination n° 32 est adopté.
Article 12
L'amendement n° 11 supprime un dispositif utile pour encourager le réinvestissement des plus-values dans l'économie, en particulier dans les PME. Avis défavorable.
La commission émet un avis défavorable à l'amendement n° 11.
L'amendement de coordination n° 33 est adopté.
Article 13
La semaine dernière, je vous avais exposé les difficultés de mise en oeuvre de cet article. Nous l'avions néanmoins adopté sous réserve qu'une meilleure rédaction soit proposée pour éviter de tomber sous le coup de l'article 40. Tel n'a pas été le cas, d'où les amendements de suppression n° 4 et 12 auxquels je suis favorable. Je propose d'ailleurs moi-même un amendement de suppression, le n° 34.
Demain, j'inviterai Mme la ministre à s'intéresser à la question de la transmission des entreprises agricoles, que ce soit dans la loi issue des États généraux de l'alimentation ou dans le projet de loi de finances.
Les organisations représentatives des agriculteurs considèrent que cet article crée trop de disparités dans les statuts. Il convient de poursuivre le travail, mais aussi de supprimer cet article qui se révèle dangereux.
Article 18
Les amendements identiques n° 15 et 24 suppriment l'alinéa 3 : ils maintiendraient donc la condition relative à la conclusion préalable d'un accord d'entreprise pour le bénéfice du crédit d'impôt pour reprise interne.
Cet article assouplit les conditions d'octroi du crédit d'impôt mais en aucun cas ne revient sur la nécessité d'un accord d'entreprise, qui pourra intervenir postérieurement au crédit d'impôt. Il s'agit ici d'un simple assouplissement de calendrier pour éviter de freiner la transmission d'une entreprise. Avis défavorable.
Notre collègue Marc Laménie, rapporteur spécial des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et lien avec la Nation », va nous présenter une communication sur le bilan de l'action de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS).
Je vais brièvement vous présenter les résultats du contrôle que j'ai réalisé sur l'action de la CIVS. Il s'agit d'une commission administrative placée auprès du Premier ministre, dont la création remonte à la fin de 1999. Elle est chargée de traiter les demandes individuelles de réparation des spoliations qui lui sont adressées par les victimes et les ayants-droit en accordant des indemnisations ou en promouvant des restitutions.
Sa création, intervenue dans un contexte national marqué par les suites de la déclaration du président Jacques Chirac sur le rôle de la France pendant l'Occupation, résulte de l'une des recommandations de la mission présidée par Jean Mattéoli qui, à partir de 1997, a repris le dossier des spoliations antisémites. Le retour de ce dossier s'inscrivait lui-même dans un contexte international marqué par un flux très nourri de plaintes relatives à des spoliations rémanentes.
Il peut sembler un peu curieux de s'intéresser à la CIVS dans la mesure où la charge budgétaire que représente la commission n'est plus aujourd'hui que de 7 millions d'euros, à comparer avec des dépenses d'indemnisation qui, depuis sa création, ont dépassé 500 millions d'euros.
Cependant, un bilan est d'autant plus justifié que le maintien de la commission paraît avoir été remis en cause lors d'une réunion interministérielle tenue au premier trimestre. Ce type de projet n'est pas nouveau puisque, dès 2009, la suppression de la commission avait été envisagée. Elle avait été finalement écartée et on doit s'en féliciter puisqu'aussi bien, depuis, plus de 70 millions d'euros d'indemnisation ont été accordés aux demandeurs. La suppression de la CIVS, si elle était intervenue, aurait été une faute, et elle le serait encore aujourd'hui même s'il convient de mieux adapter la CIVS aux enjeux présentés par la dette de réparation rémanente.
Permettez-moi un bref retour en arrière à l'époque où la création de la CIVS a été décidée. Au terme d'un travail de très grande ampleur présenté dans un rapport de plus de 3 000 pages, la mission Mattéoli a abouti à des conclusions inédites établissant l'ampleur de la dette de réparation des spoliations antisémites. Cette dette résultait d'un solde entre les spoliations massives commises pendant l'Occupation et des réparations, certes importantes, mais incomplètes intervenues après la Libération. Au fond, c'est cette dette rémanente qui a justifié la création de la CIVS. Je ne vais pas entrer dans les détails, vous renvoyant au rapport écrit. Mais, je voudrais faire ressortir quelques faits saillants dans la mesure où ils exercent encore aujourd'hui une influence sur l'activité de la CIVS.
Premier élément : la spoliation a été massive tant par les personnes touchées que du point de vue de leurs possessions. Ce fut réellement une persécution par les préjudices. Spoliations matérielles, spoliations financières aussi. Aryanisation économique, mais également confiscation des appartements et des baux, blocage des comptes, toute la gamme en somme.
Deuxième élément : les réparations mises en oeuvre après la Libération n'ont pas été négligeables, mais elles n'ont pas permis de restaurer pleinement les victimes dans leurs droits de sorte qu'une dette nette certaine de réparation subsistait à l'issue de la courte période pendant laquelle les victimes purent bénéficier de procédures spéciales. La brièveté des délais accordés alors que la situation était des plus confuses, certaines exigences disproportionnées avec les possibilités des victimes, la portée limitée de certains mécanismes de réparation se sont conjugués pour limiter le retour à une pleine justice. Par ailleurs, de très graves erreurs, je dirais même des fautes, ont pu être alors commises. J'en exposerai une, dont les prolongements jettent une ombre portée sur une dimension très forte d'enjeux de la réparation des spoliations antisémites. Elle est intervenue dans le domaine des oeuvres d'art. À la suite de la Libération, quelque 60 000 objets d'art et de culture sont revenus en France et placés sous la responsabilité du ministère des Affaires étrangères. Une partie seulement de ces objets, sans doute 45 000, ont été restitués par une commission des récupérations artistique. Ceci fait là aussi dans de très brefs délais, les oeuvres restantes ont connu le sort suivant. Un peu plus de 2 000 ont été réservées par une commission des choix artistiques. Ces oeuvres sont désormais connus sous le nom de MNR, sigle qui signifie « Musées nationaux récupération ». Le reliquat, soit un peu plus de 14 000 objets, a été remis au service des Domaines, qui, les a vendus. Or, ces oeuvres étaient sans doute pour l'essentiel des objets massivement spoliés. Il est aisé d'en tirer la conclusion qui s'impose. La France a massivement vendu des oeuvres spoliées. Il faut ajouter que toute cette affaire de restitution artistique a été marquée par des incidents très graves sur lesquels la lumière n'a été que très partiellement faite.
Dernier élément : l'état de nos connaissances. Les travaux de la mission Mattéoli ont abouti à une certitude. La dette de réparation restant à la fin des années 90 demeurait élevée, d'autant plus que, depuis le début des années 50, rien n'avait été accompli pour la réduire.
Cependant, la mission avait concédé que ses travaux comportaient des insuffisances. Elle avait recommandé un approfondissement systématique des études, recommandation qui n'a pas été suivie d'effets.
En revanche, des études ponctuelles doivent être évoquées parce ce qu'elles ont pu révéler des contours de la dette de réparation subsistante. Je mentionne, en particulier, les travaux relatifs aux circuits de la spoliation artistique qui ont permis de renouveler le regard sur ces spoliations et ont confirmé l'existence d'un très vaste « musée disparu ». Il faut également mentionner les travaux réalisés sur le rôle de la Caisse des dépôts et consignations, à sa demande, qui ont permis d'inventorier pour la première fois le problème des comptes en déshérence.
J'en viens à mes observations sur la commission. Le bilan de la CIVS permet d'établir son utilité, mais conduit à faire ressortir certaines faiblesses.
Utile, la CIVS l'a certainement été en permettant d'attribuer une réparation à plus de 47 000 victimes ou ayants-droit. Le niveau des indemnisations a atteint plus de 500 millions d'euros, dont une partie n'a pas impacté le budget de l'État, puisqu'elle a été supportée par les banques du fait de l'accord conclu entre la France et les États-Unis à Washington en 2001.
Utile, la CIVS l'est encore, parce qu'elle a permis de compléter les indemnisations trop étroites accordées dans le cadre d'autres procédures, en particulier dans le cadre de la procédure mise en oeuvre tardivement en Allemagne. La CIVS a ainsi accordé plus de 72 millions d'euros au titre des compléments d'indemnisation.
Utile, la CIVS l'est toujours, nonobstant la réduction des indemnisations qu'elle prononce. Elle rend encore un nombre significatif de recommandations, et, surtout, elle est encore saisie chaque année de dossier aux enjeux individuellement très élevés.
Je conclus sur les apports de la CIVS en indiquant que la commission est considérée comme la manifestation probante que la France respecte ses engagements internationaux, ce qui n'est pas rien.
Face à l'actif de la CIVS, il faut néanmoins évoquer des faiblesses.
J'évoquerai d'abord un regret lié au choix de ne pas indemniser les pertes de revenus liées aux interdictions professionnelles, qui ont pourtant considérablement pénalisé leurs victimes.
Par ailleurs, certaines méthodes d'évaluation des préjudices ont pu être contestées. Il en va ainsi de l'estimation aux conditions économiques de la période où est intervenue la spoliation. Du fait de la création tardive de la commission, le préjudice n'a pu être indemnisé que des années après la commission des faits, l'évaluation à la date de la spoliation, pendant une période très troublée, conduit à minorer les indemnités versées par rapport à un choix alternatif.
Autre motif d'insatisfaction, l'existence d'un stock de demandes encore élevé et, plus encore, l'inclusion dans ce stock de demandes très anciennes. La plus vieille affaire date de 2002, ce qui est évidemment beaucoup trop.
Le volet le plus critiquable de l'action de la commission semble être celui des objets d'art et de culture.
Il a certes donné lieu au prononcé de 35,8 millions d'euros d'indemnisations, mais, outre que ces indemnités sont un peu en trompe-l'oeil, elles ne peuvent occulter le problème majeur de la réparation de ces spoliations, à savoir le très maigre bilan des restitutions.
3 070 indemnisations ont été accordées pour 35,8 millions d'euros, donc, mais, en réalité, deux indemnisations ont, à elles seules, mobilisé plus de 30 millions d'euros. C'est dire que la plupart des dossiers ont donné lieu à des indemnités dérisoires, révélant sans doute que les indemnisations accordées par la CIVS n'ont intéressé que des objets de peu de valeur.
Trompe-l'oeil, mais aussi cache-misère, dans la mesure où, dans le domaine des spoliations artistiques, c'est bien la restitution qui est le moyen de réparation approprié. L'indemnisation ne satisfait pas le demandeur et elle ne peut satisfaire l'intérêt public. Elle conduit en effet à consacrer des détentions qui, pour un assez grand nombre, sont gravement illégitimes ou proviennent de transactions qui n'auraient jamais dû être conclues. Il est choquant que le contribuable soit ainsi amené à financer de telles détentions.
Il faut le constater, les restitutions effectuées sous l'égide de la CIVS ont été particulièrement peu nombreuses. Au début de mon travail, on n'en comptait qu'une douzaine. Quelques autres sont intervenues depuis.
Mais, le bilan est famélique, et ce quelle que soit la référence à la dette de réparation que l'on choisit.
La plus immédiatement utilisée, ce sont les MNR, soit, je le rappelle, plus de 2 000 oeuvres en dépôt dans les musées nationaux. La situation de ces oeuvres, dont l'analyse n'a longtemps pas été faite, défie l'entendement, alors même qu'elles ont été placées auprès des musées nationaux pour être restituées. Quand on ajoute qu'un certain nombre d'entre elles ont purement et simplement disparu, on reste sans voix. Mais, en réalité, la référence qui conviendrait est beaucoup plus large.
J'en viens à mes recommandations. J'en exposerai quelques-unes.
J'indique au préalable que, pendant le cours de mes travaux, le Congrès des États-Unis a voté une loi bipartisane, portée par deux sénateurs éminents, qui vise à vérifier le respect de leurs engagements par les États signataires de la déclaration de Térézin du 30 juin 2009 sur le devoir de réparation des spoliations antisémites. La France doit reprendre l'initiative.
Il s'agit, pour l'essentiel, de créer une « CIVS augmentée », l'inaction n'étant pas une option.
Ce serait d'abord une CIVS capable d'une démarche plus active, ce qui implique un élargissement de la mission.
Il s'ensuit une proposition majeure, celle de doter la CIVS d'une capacité plus large d'intervention, ce qui suppose de la doter d'une capacité d'autosaisine. La constitution au sein de la CIVS d'un collège réunissant les parties prenantes de la réparation des spoliations permettrait d'incarner la haute valeur morale de sa mission.
Par ailleurs, en relation avec l'élargissement de sa mission, il convient de doter la CIVS des moyens de créer les conditions d'une pleine réussite de la mission d'apurement de la dette de réparation subsistante.
Il faut que la commission puisse bénéficier d'une meilleure information sur celle-ci. Je recommande, en particulier, que la CIVS puisse être destinataire d'une obligation de signalement, adaptée à son objet, décalquée des obligations faites aux professionnels dans le cadre des régulations mises en oeuvre par le conseil des ventes volontaires et par Tracfin.
En outre, le travail sur les données doit être radicalement amélioré, ce qui suppose une mise à niveau de la connaissance sur la provenance des biens pour lesquels il existe une forte présomption d'incomplétude de cette connaissance. Pour les objets d'art et de culture, des recherches de provenance doivent être entreprises incessamment sur les collections publiques, mais aussi sur les grands fonds privés. L'accès aux archives pertinentes doit être facilité, un large droit de communication étant aménagé au profit de la commission.
Il convient également d'aménager les suites données à la découverte d'oeuvres spoliées. Deux obstacles à des restitutions effectives doivent être levés. L'inaliénabilité des collections publiques prévue au code du patrimoine doit être mise de côté lorsque l'origine spoliatrice est clairement établie. Par ailleurs, la recherche des ayants droit, qui peut receler d'immenses difficultés, doit pouvoir être favorisée par la constitution de sites consultables par Internet, sur le modèle du site Ciclade tenu par la Caisse des dépôts et consignations dans le prolongement de la loi sur les comptes en déshérence.
Enfin, il convient de structurer fortement l'échelon international. J'ai mentionné l'initiative du Congrès des États-Unis. Je souhaite que la France puisse prendre l'initiative d'une institutionnalisation de la coopération internationale sur le modèle du GAFI, afin d'exercer l'action coordonnée et volontariste dans un domaine qui, par nature, a une forte dimension internationale.
Je remercie notre collègue Marc Laménie de la qualité de son travail. C'est un des grands scandales de l'histoire de notre République. Les recherches n'ont pas été faites par les musées nationaux. Quant aux comptes bancaires, il a fallu attendre très longtemps. J'ai l'impression que l'on attend que ce sujet ne soit plus d'actualité, avec la disparition des derniers survivants ou de leurs descendants directs. La France ne fait pas ce qu'il faut.
Je m'associe aux remerciements de notre rapporteur général. La façon dont la République a traité ce problème a longtemps été scandaleuse. A-t-on une idée de la valeur des encours des comptes bancaires spoliés ? A-t-on une idée de l'horizon au terme duquel toutes les réparations auront été mises en oeuvre ?
Pour plagier Georges Brassens, je dirai que « le temps ne fait rien à l'affaire », un scandale reste un scandale. A-t-on un inventaire exhaustif des oeuvres encore en déshérence ?
J'ai entendu que la France avait vendu des oeuvres spoliées ? Comment est-ce possible ? Y en aurait-il dans les ports francs de Genève ? Il faut dire que la Suisse a eu une attitude assez trouble à ce sujet.
Je remercie le rapporteur spécial pour son rapport et j'ai une pensée pour les travaux de notre ancienne collègue Corinne Bouchoux, qui font autorité, et qui pourraient nous inspirer pour traiter ce problème.
Je remercie à mon tour notre collègue Marc Laménie.
Est-ce que les ventes à vil prix sont considérées comme des spoliations ?
La CVIS peut-elle jouer le rôle d'archiviste pour nous permettre d'avoir accès à une meilleure information ?
J'ai vu récemment un documentaire sur les relations de Gabrielle Chanel avec la famille Wertheimer sous l'Occupation. C'était assez instructif sur la façon dont nombre de nos compatriotes, dont certains illustres, ont pu se comporter durant cette période.
J'ai un sentiment d'amertume et de honte quand j'apprends que la France a osé vendre des biens spoliés. Il serait tout à son honneur de faire maintenant avancer cette cause.
C'est un travail très intéressant qu'a mené Marc Laménie.
A-t-on une idée sur les logements ? Quels sont les moyens humains et financiers de la CIVS ?
Quelles conséquences ont été tirées du rapport très précis de Corinne Bouchoux ? Je suis sidéré d'apprendre qu'il reste à réparer des confiscations bancaires.
Je n'imaginais pas l'ampleur de la dette de réparation au début de mes travaux.
Il est de plus en plus compliqué de retrouver tous les ayants droit, car d'autres pays sont concernés.
Philippe Dallier, il est très difficile d'estimer le montant des sommes en cause. Il faut encore mener des travaux d'investigation en y mettant les moyens adéquats.
Éric Bocquet, vous avez raison, le travail de Corinne Bouchoux était remarquable. Il nous a d'ailleurs aidés dans nos recherches et j'ai eu des échanges avec notre ancienne collègue. Il semble que les Allemands pensent qu'il y aurait 50 000 oeuvres concernées dans leurs musées. Du côté de la France, aucune estimation n'est disponible et pour cause, nous ne nous sommes pas donné les moyens d'un tel inventaire.
Gérard Longuet, les ventes à vil prix sont effectivement considérées comme des spoliations.
Thierry Carcenac, je n'ai pas les chiffres précis sur les logements et là encore il nous faut avancer dans cette connaissance.
Alain Houpert, Emmanuel Capus, le problème est d'arriver à mieux identifier les préjudices. En tout cas, je vous remercie tous de l'attention que vous avez portée à ce sujet qui a tant concerné la France et sur lequel elle doit se montrer pleinement responsable. Quant aux moyens de la CIVS, il faudra les adapter à sa nouvelle mission.
La commission des finances donne acte de sa communication à M. Marc Laménie, rapporteur spécial, et en autorise la publication sous la forme d'un rapport d'information.
Nous recevons ce matin M. Robert Ophèle, président de l'Autorité des marchés financiers, pour nous présenter son rapport au Président de la République et au Parlement, établi en application de l'article L. 621-19 du code monétaire et financier.
Nous avons le plaisir de l'entendre pour la première fois dans ses nouvelles fonctions, après l'audition préalable à sa nomination, que nous avions menée le 17 juillet l'année passée.
Conformément à l'article 22 de la loi du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, je rends compte devant votre commission de l'activité 2017 de l'Autorité des marchés financiers (AMF). J'évoquerai également quelques grands enjeux de régulation financière auxquels nous sommes confrontés.
Comme vous le savez, le code monétaire et financier donne à l'AMF la mission de veiller à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers et tous autres placements donnant lieu à appel public à l'épargne, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés financiers. Pour ce faire, elle travaille naturellement en étroite collaboration avec l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) - nous partageons de nombreuses responsabilités -, ainsi qu'avec ses homologues étrangers, bilatéralement ou dans le cadre de l'Autorité européenne des marchés financiers, communément appelée ESMA, ou de l'Organisation internationale des commissions de valeurs.
Pour exercer ses missions, l'AMF est structurée comme suit : quatre départements opérationnels ciblés et quatre départements transversaux.
Le premier pôle s'intéresse aux opérations et aux informations données par les sociétés cotées ; le deuxième pôle, c'est ce que l'on appelle le département des marchés, qui surveille les transactions sur les marchés ; le troisième pôle, c'est le département de la gestion d'actifs, qui réglemente et surveille la gestion collective ; le quatrième pôle, c'est le département des relations avec les particuliers, qui suit la commercialisation des produits.
Je serai plus bref sur les quatre départements transversaux. La direction internationale, qui porte la voix de l'AMF dans les enceintes internationales et structure les relations bilatérales ; le département des enquêtes et contrôles sur les possibles abus de marché ; la direction juridique, qui a une cellule indépendante dédiée au soutien de la commission des sanctions de l'AMF ; enfin, il y a la direction support, qui représente près de 20 % des effectifs de l'autorité.
Je voudrais maintenant revenir sur les quatre défis qui nous avons à relever.
Il y a d'abord l'enjeu de la supervision européenne, puis l'enjeu lié à la mise en place de nombreuses réglementations nouvelles dans le domaine financier, ensuite l'enjeu de l'innovation financière, avec les problèmes soulevés par la commercialisation de produits toxiques, et, enfin, l'enjeu d'une filière répressive à l'épreuve de la protection des données.
Vous le savez, l'émergence d'une véritable supervision européenne des marchés de capitaux constitue un de nos principaux axes stratégiques. Elle est indispensable à l'institution d'une véritable union des marchés de capitaux, et elle est nécessaire pour que l'Union européenne (UE) soit un ensemble cohérent face aux pays tiers, au premier rang desquels figurera prochainement le Royaume-Uni. Cela passe nécessairement par un renforcement du rôle de l'ESMA en tant que superviseur direct, plus généralement en tant qu'autorité effectivement capable d'imposer aux autorités nationales une mise en oeuvre homogène de règles communes, et, enfin, en tant qu'interlocuteur principal des autorités des pays tiers, en particulier dans le cadre d'accords d'équivalence. Des propositions de la Commission européenne vont dans cette direction : il y a un projet de réforme des trois autorités de supervision sectorielle européenne qui revisite les pouvoirs, la gouvernance et les moyens de l'ESMA, et un projet de réforme de la réglementation EMIR (European market and infrastructure regulation), qui revisite les modalités de supervision des chambres de compensation de l'UE et des chambres de compensation des pays tiers qui seraient considérées comme équivalentes.
Or ces deux projets, pourtant d'une ambition modeste - on est très loin de la constitution du mécanisme de supervision unique bancaire -, ne recueillent qu'un soutien modéré des pays membres, la plupart d'entre eux privilégiant en fait le statu quo, qui assoit leur légitimité nationale. On risque donc d'aboutir tardivement à des réformes limitées qui ne permettront pas de mettre fin aux interprétations nationales contradictoires des réglementations européennes ni d'avoir une approche européenne cohérente des relations avec le Royaume-Uni.
Cela vaut naturellement en premier lieu pour la gestion d'actifs et la fourniture des services d'investissement. Plus généralement, le Brexit, qui devrait avoir un rôle d'électrochoc pour revoir en profondeur l'architecture institutionnelle et faire de l'UE une zone financière cohérente attractive et puissante, ne joue pas vraiment ce rôle actuellement.
C'est regrettable, car l'Union a beaucoup à perdre à un moment où son principal centre financier la quitte et où le dynamisme des grands établissements américains n'a jamais été aussi affirmé.
J'en viens aux réglementations concernant les marchés financiers, dont l'élaboration puis la mise en oeuvre se sont trouvées décalées par rapport aux réglementations concernant les établissements de crédit et les assurances. On arrive sur les marchés financiers avec un décalage et une accumulation de nouvelles réglementations qui bouleversent en profondeur l'exercice du métier de la finance.
Nous avons la directive sur les marchés d'instruments financiers 2014/65/EU dite « MIFID 2 » (Markets in Financial instruments Directive), qui est destinée à améliorer le fonctionnement des marchés financiers en améliorant la transparence et l'information lors la commercialisation de produits financiers. Ce texte a été voté, mais il y a aussi les projets non finalisés, car toujours dans la main du législateur : c'est le cas du crowdfunding, de la cotation des PME, de la résolution des chambres de compensation, ou encore du régime prudentiel des entreprises d'investissement.
Il faut néanmoins toujours avoir en tête leur objectif : rendre les marchés plus efficaces, en améliorant la transparence et les mécanismes de formation des prix ; rendre les intervenants plus résistants face aux chocs et mieux protéger les investisseurs in fine ; favoriser l'émergence de l'Union des marchés de capitaux.
À côté de succès évidents, on peut rester perplexes devant certaines évolutions. Je vais prendre le cas de MIFID 2, qui est une réforme d'une ampleur considérable. Son ambition est de ramener sur des structures plus transparentes les transactions et de réduire la place des transactions de gré à gré et des dark pools, systèmes privés d'échanges de valeurs mobilières. Cette réduction est effectivement intervenue, mais elle ne s'est pas faite au profit de plateformes multilatérales classiques et, en particulier, au profit des plateformes réglementées. Elle s'est faite au bénéfice d'internalisateurs systématiques, ceux que l'on appelle des teneurs de marché, qui, en principe, mettent leurs comptes propres en face des opérations des clients, au contraire des plateformes multilatérales, dans lesquelles les offres et les demandes sont appariées. On assiste à l'émergence de nouvelles techniques d'enchères. Je ne suis pas sûr, à ce stade, que la transparence y ait gagné.
Le troisième enjeu que je voulais mentionner ce matin, c'est l'équilibre à trouver entre l'encouragement nécessaire de l'innovation et la lutte contre les placements toxiques.
En 2017, nous avons pu récolter dans ces matières les premiers fruits du nouveau cadre réglementaire introduit par la loi Sapin II - l'interdiction de la publicité, en particulier, pour les options binaires et pour les contrats de différence (CFD) à fort effet de levier -, ainsi que des efforts effectués par l'AMF, largement relayés par les médias, pour alerter et éduquer les épargnants. Mais c'est un terrain sur lequel les offres se renouvellent sans cesse, et, après la vague du Forex, après la vague du diamant d'investissement, les crypto-actifs ont pris le relais. Au cours des quatre premiers mois de l'année, sur les plus de 4 000 demandes traitées par notre centre « épargne infos service », 700 ont concerné les crypto-actifs, avec près de 250 réclamations ou signalements faisant état de 9 millions d'euros de pertes.
Nous nous réjouissons donc que l'ESMA ait décidé de mobiliser, pour les options binaires à compter du 3 juillet et pour les CFD les plus risqués à compter du 1er août, les nouveaux pouvoirs introduits par MIFID 2, qui permettent à l'autorité européenne d'interdire de façon temporaire, en l'espèce trois mois, la commercialisation de produits financiers dangereux. Le même texte donne d'ailleurs ce pouvoir d'interdiction de commercialisation aux autorités nationales, mais sans son caractère temporaire ; nous verrons donc le moment venu comment nous prendrons le relais de l'ESMA, mais je n'exclus pas que certains pays suppriment tout simplement l'interdiction sur leur territoire.
Je profite de ma présence devant votre commission pour plaider en faveur d'une extension du champ d'application des dispositions de la loi Sapin II, qui, au-delà du Forex et des options binaires, nous permettrait de demander également le blocage de l'accès aux sites proposant de façon illicite des investissements en biens divers.
Le dernier enjeu, c'est la menace que constitue pour notre filière répressive une application non proportionnée des dispositions relatives à la protection des données individuelles. Le Conseil constitutionnel a considéré en juillet 2017 - en fait, il l'avait déjà dit clairement en 2015 - que l'encadrement par la loi du recours par l'AMF aux données de connexion, les fadettes, n'était pas suffisant pour garantir la protection des droits individuels. Il a laissé à l'État jusqu'à la fin de cette année, donc presque 18 mois, pour mettre en place un cadre adapté. Le projet est désormais techniquement finalisé et il y a, j'y insiste, urgence à prendre les mesures qui permettront de conserver cette source précieuse d'indices permettant de poursuivre les délits d'initiés.
De même, il importe que les échanges de données que nous avons avec les autorités des pays tiers dans le cadre de nos enquêtes respectives perdurent dans le cadre de la nouvelle réglementation européenne issue du « Règlement général sur la protection des données » (RGPD), qui est entrée en vigueur le mois dernier. Nous suivons de près l'issue des travaux menés entre l'Organisation internationale des commissions de valeurs et l'autorité européenne qui a désormais en charge la protection des données, pour normaliser le cadre dans lequel se situe nos échanges. Nous analyserons de façon extrêmement précise la version finale, qui est parue hier, des lignes directrices concernant la portée des dérogations, en particulier la dérogation « pour motif important d'intérêt public ». Nous devons vraiment veiller collectivement à ce que la réglementation des données personnelles ne fasse pas le lit de la délinquance financière.
Je vous remercie de cet exposé, qui complète utilement le rapport de l'AMF. J'ai trois questions à vous poser. La première concerne l'application de la règle non bis in idem, qui a interdit de poursuivre des agissements illégaux sur un plan à la fois administratif et judiciaire. Ce sujet va être prochainement d'actualité avec la discussion du projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, où nous aurons à traiter du « verrou de Bercy ». Quel bilan tirez-vous de la nouvelle procédure ? Dans les annexes de votre rapport, je vois que des affaires transmises à la justice en 2004 et 2006 ont été jugées respectivement en 2017 et en 2015. Le bilan judiciaire n'est donc pas très brillant. Pour ma part, je persiste à penser que la sanction administrative est parfois plus efficace que la sanction judiciaire, même si cette dernière, notamment les peines d'emprisonnement, le plus souvent avec sursis, a aussi des vertus dissuasives.
Ma deuxième question porte sur les produits exotiques. Est-ce que vous pensez que l'interdiction de la publicité est efficace et quel bilan tirez-vous de la fermeture des sites qui en proposent ?
Enfin, ma dernière question porte sur le Brexit. Est-ce que vous considérez qu'aujourd'hui la France a un dispositif suffisamment attractif ? Nous avons pu constater que des sociétés 100 % asiatiques pouvaient avoir un agrément luxembourgeois pour accéder librement au marché européen, sans réelle présence dans l'UE.
M. Vincent Éblé, président. - Je souhaite vous interroger sur ce qu'il est convenu de désigner par un magnifique anglicisme, je veux parler du crowdfunding. En bon français, on parlera de financement participatif.
La Commission européenne a publié au printemps dernier une proposition de règlement européen qui devrait permettre la mise en oeuvre transfrontière d'offres de financement participatif. Cette proposition apparaît néanmoins en retrait sur certains points par rapport au cadre législatif français, puisqu'elle fixe, par exemple, un plafond de 1 million d'euros par offre sur 12 mois dans toute l'Union européenne. Est-ce que vous pouvez nous éclairer sur les négociations en cours et sur la position défendue par l'AMF ?
Mon second sujet concerne les fadettes. En juillet dernier, le Conseil constitutionnel a décidé de retirer à l'AMF le droit d'accéder aux fadettes dans le cadre de ses enquêtes, estimant que la procédure n'était pas assortie de garanties suffisantes. Un délai a toutefois été laissé au législateur pour remédier à l'inconstitutionnalité constatée d'ici au 31 décembre 2018. Or nous sommes déjà en juin. Faut-il craindre que le délai soit dépassé ? Quel est selon vous le bon véhicule législatif ? Nous avions pensé à la loi « PACTE », mais sa présentation est sans cesse reportée. Si l'on ne parvenait pas à régler cette question dans les délais, quelles pourraient être les conséquences sur les enquêtes en cours ?
Enfin, pouvez-vous nous présenter l'évolution de vos moyens humains et financiers et les comparer aux moyens et compétences dont disposent les autres autorités de régulation de l'Union européenne ?
S'agissant de la règle non bis in idem, l'affaire a débuté par une décision de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Nous avons, à la suite de cette décision, défini une nouvelle procédure : dès qu'un dossier est prêt pour être présenté à la commission des sanctions, nous le soumettons au parquet national financier (PNF), qui l'accepte ou non. La possibilité d'encourir une peine privative de liberté s'avère dissuasive. Depuis que cette procédure a été mise en place, le PNF a accepté un dossier.
Sur une vingtaine. Toutefois la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a aussi rendu une décision récemment, qui ne va pas dans le même sens que la CEDH...La célérité de la procédure après la détection du fait litigieux est un élément essentiel de son efficacité. Or les éléments qui ralentissent la procédure sont nombreux. Beaucoup de dossiers ont en effet une dimension internationale : il faut du temps pour collecter l'information et mener l'instruction de l'affaire.
L'interdiction de la publicité sur les produits exotiques a constitué une étape importante. Les publicités illégales ont fortement diminué. Nous avons détecté moins de vingt publicités illicites depuis le début de l'année. Lorsque nous en détectons une, nous lançons une injonction pour faire fermer le site ; en cas de refus, nous saisissons la justice. Toutefois, nous n'avons ce pouvoir de fermeture de site qu'à l'égard des publicités pour des produits financiers. L'imagination étant sans limite, il est facile d'adosser les produits à des sous-jacents divers comme des diamants ou des crypto-actifs, et il serait utile de pouvoir intervenir aussi sur les biens divers.
Nous avons aussi le pouvoir depuis le début de l'année d'interdire la commercialisation de certains produits dangereux. Nous privilégions à cet égard la voie européenne, beaucoup plus efficace car la plupart des plateformes ne sont pas localisées en France. Cette faculté est très efficace et nous souhaitons pouvoir aller encore un peu plus loin dans cette voie.
Nos contacts avec les intermédiaires financiers montrent que la place de Paris et la France sont attractives. Il y a un débat très virulent au niveau européen pour déterminer la nature et l'étendu des activités qu'il faut localiser au sein de l'Union européenne pour bénéficier du passeport permettant de commercialiser ses services dans l'ensemble de l'Union : suffit-il de localiser une simple adresse et d'y tenir une fois par an la réunion du conseil d'administration ? Ce sujet est très sensible, en particulier pour la gestion collective : pour commercialiser les Organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), il faut avoir des fonds immatriculés dans l'Union et la société de gestion doit être localisée dans l'Union. Si la localisation dans l'Union revient à y posséder un bureau en effectuant la gestion depuis une place extérieure, comme Londres par exemple, ce n'est pas satisfaisant. C'est aussi une question de maîtrise des risques. C'est pour cela que nous voulons donner à l'ESMA le pouvoir de définir un degré d'exigences minimales en matière d'installation, valables pour tous les pays, avec une capacité de contrôle. Cette idée a été perçue par certains de nos partenaires comme une forme d'ingérence dans les prérogatives nationales...La directive concernant les OPCVM est, en effet, une directive d'harmonisation minimale. Avec le Brexit, cette question devient encore plus sensible, mais la France ne baissera pas ses exigences. Pour nous, l'installation en Europe implique l'implantation d'un nombre substantiel d'activités. Les intermédiaires financiers sérieux ne souhaitent d'ailleurs pas avoir un superviseur qui accepte des contraintes trop légères. Vu les incertitudes qui entourent le Brexit, les banques n'ont pas encore défini la taille des équipes qu'elles localiseront dans l'Union européenne et pour certaines d'entre elles à Paris.
Le crowdfunding est révélateur du fonctionnement de l'innovation en Europe. Des initiatives en matière de crowdfunding ont été prises dans différents pays, puis on a pris conscience, après un certain temps, qu'un cadre européen serait plus pertinent : pouvoir récolter de l'épargne dans toute l'Union européenne pour financer des projets dans toute l'Union permettrait aux plateformes d'atteindre la taille critique pour devenir des intermédiaires forts. Le projet qui est sur la table, à l'évidence, ne le permet pas, avec un seuil à un million d'euros maximum par projet. La directive relative au prospectus prévoit que les États sont libres de fixer le seuil au-delà duquel ils peuvent exiger un prospectus, dans une fourchette comprise entre un million d'euros et huit millions d'euros. En France le seuil était à cinq millions d'euros, nous l'avons relevé à huit millions d'euros. Je rappelle qu'un prospectus est un document conséquent de plusieurs centaines de pages ; en-deçà du seuil, nous exigeons un document simplifié, contenant les informations essentielles. Ainsi pour le crowdfunding, le droit européen s'est calé sur la limite basse de la directive, à savoir un million d'euros. En France le seuil est actuellement à 2,5 millions d'euros lorsqu'il ne s'agit pas de prêts. Vu notre expérience du financement participatif, nous pensons que nous aurions avantage à aligner le seuil sur celui des prospectus, c'est-à-dire huit millions d'euros.
S'agissant des fadettes, l'AMF a préparé un texte robuste, prêt à être intégré dans tout support législatif qui serait approprié. Le projet de loi « PACTE » pourrait en être un, mais il n'est pas sûr qu'il puisse être voté avant la fin de l'année. On pourrait aussi envisager une proposition de loi ou son inclusion dans un texte sur la fraude fiscale qui sera examiné en juillet au Sénat.
Il faut toutefois veiller à ce qu'il y ait un lien avec l'objet du texte.
En tout cas, l'AMF est prête. Son texte remplit toutes les exigences du Conseil constitutionnel.
Depuis la décision du Conseil constitutionnel, nous avons réduit au maximum le recours aux fadettes, mais nous ne pourrons plus y recourir après la fin de l'année sans évolution législative. Les fadettes, qui permettent de retracer les échanges entre des personnes, sans toutefois les écouter, sont indispensables pour prouver d'éventuels délits d'initiés : montrer qu'une personne possédant une information privilégiée a appelé une personne qui a, par la suite, réalisé une opération financière douteuse, constitue un élément important dans un faisceau d'indices.
Il y a donc un risque que les enquêtes en cours soient annulées au motif de l'inconstitutionnalité du recours aux fadettes ?
En effet.
S'agissant du budget, les comptes de l'AMF ont été clôturés en perte de sept millions d'euros en 2017. Dans la loi de finances pour 2018, le législateur nous a donné la capacité de percevoir des contributions volontaires. Nous sommes en train de réaliser un projet informatique d'ampleur qui modifiera la manière dont on échange avec l'industrie de la gestion. Nous avons signé avec l'Association française de la gestion financière (AFG) un contrat selon lequel les gestionnaires nous verserons six millions d'euros par an pendant cinq ans, ce qui couvrira le coût de ce projet et augmentera les recettes conservées par l'AMF. Je rappelle que les contributions que nous prélevons sur nos assujettis sont supérieures au plafond que le législateur nous autorise à conserver ; nous en reversons donc une grande partie au budget général de l'État. Il restera donc toujours une perte d'un million d'euros. Nos besoins en informatique étant importants, notre dotation aux amortissements est amenée à augmenter au cours des années à venir. C'est pourquoi j'ai engagé un dialogue avec l'État pour définir un cadre financier pluriannuel. Sans cela, nous serons à nouveau en perte les années prochaines, ce qui n'est pas admissible et nous forcerait à revoir nos moyens. La comparaison avec nos homologues étrangers est éclairante. L'AMF dispose de 470 agents. Au Royaume-Uni, la Financial Conduct Authority (FCA) a 3700 agents, et en a recruté 620 depuis 2014. Quant à la Prudential Regulation Authority (PRA), elle en compte 1400, contre 1000 pour l'ACPR en France. Les superviseurs britanniques ont beaucoup recruté pour assurer la crédibilité de la place britannique. La Commission nationale pour les sociétés et les opérations de Bourse (Consob) en Italie, qui a des missions similaires aux nôtres, a des moyens supérieurs, de l'ordre de 20 %. En Allemagne, la BaFin supervise à la fois les banques, les assurances, et les marchés financiers. Ses effectifs sont aussi beaucoup plus nombreux, de l'ordre de 50 % sur la supervision des marchés financiers. Son modèle est différent : là où nous recrutons pour des durées déterminées des personnes ayant déjà une expérience professionnelle, la BaFin recrute des fonctionnaires et ses fonctions support sont mutualisées.
Il est toujours intéressant d'entendre l'AMF qui connaît mieux que quiconque le monde de la finance et ses turpitudes... Pensez-vous, dix ans après la dernière crise financière mondiale, dont on paie encore les conséquences, ne serait-ce qu'à travers l'aggravation de l'endettement des États, que la situation se soit assainie, que toutes les mesures ont été prises, que tous les risques ont été évacués ? Certains économistes soulignent le risque d'une nouvelle crise financière : 340 000 milliards de dollars sont en circulation dans le monde, soit quatre fois le PIB mondial ; la finance parallèle, le shadow banking, représente 45 000 milliards de dollars d'encours et échappe à tout contrôle. La moitié des activités financières dans le monde sont gérés de cette manière et ce secteur est en plein développement. Quelle est votre coopération avec certains États connus pour leur opacité en matière financière comme le Luxembourg, la Suisse ou les îles Caïmans ?
Alain Minc disait en 2007, quelques mois avant l'éclatement de la crise de Lehman Brothers, que tous les voyants étaient au vert... Il a déclaré récemment qu'il ne s'attendait pas à une réédition de la crise de 2007 mais plutôt à une secousse boursière, dont les plus malins profiteront... On note des facteurs de déstabilisation des marchés financiers ces dernières années : l'assouplissement quantitatif des banques centrales, qui a entraîné une explosion de la masse monétaire en circulation dans le monde, le Brexit, etc. M. Jean-Claude Trichet a déclaré en janvier 2018 qu'une grave crise financière pointait à l'horizon : selon lui, les explosifs sont là et il ne manque que le détonateur. Qu'en pensez-vous ? De nouvelles bulles sont en création, sur la dette étudiante, le gaz de schiste, etc. L'intelligence artificielle constitue un autre facteur de risques. En même temps, les États et les entreprises privées sont fortement endettés. En cas de crise, les États auront-ils les moyens d'intervenir ?
Ma question portera sur l'attractivité de la place de Paris. Vous avez dit que vous ne comptiez pas baisser vos exigences en matière réglementaire. Cela a-t-il des conséquences pour notre compétitivité vis-à-vis de nos voisins ? Estimez-vous que l'on fait le nécessaire pour attirer les acteurs financiers qui sont susceptibles de quitter Londres après le Brexit ?
Ensuite, considérez-vous que les marchés financiers sont attractifs pour les Français et les entreprises françaises ? Nos concitoyens sont-ils réconciliés avec la bourse ? Combien d'entreprises s'introduisent-elles en bourse pour financer leur développement ?
Vous avez évoqué la volonté de la France de réformer l'ESMA mais la France est isolée en Europe sur le sujet. J'ai l'impression que nous sommes dans une impasse. Avez-vous des stratégies de repli ? Ou bien faudra-t-il attendre les élections européennes ?
Chaque année, 1,4 milliard de transactions sont déclarées à l'AMF. Comment parvenez-vous à les contrôler ?
Votre mission consiste aussi à protéger les épargnants, et les entreprises, contre les produits hautement risqués. Comment faites-vous pour informer et aider les Français qui souhaitent investir ? En particulier, comment diffusez-vous l'information dans tous les territoires ?
Le shadow banking ne rime pas avec finance dérégulée. Le shadow banking correspond au financement par endettement des entreprises auprès d'acteurs autres que les banques. En France il s'agit pour l'essentiel d'OPCVM et des fonds alternatifs, qui sont en progression. Comme les OPCVM sont des fonds ouverts, ils sont soumis à des règles spécifiques de partage des risques pour permettre leur fermeture ou instaurer des gates, qui ont pour fonction de limiter les demandes de remboursement, afin d'éviter la propagation des crises due à la panique et à l'effet boule de neige. Le shadow banking appelle de fait une attention permanente car l'ouverture des fonds rend possible des mouvements brusques et rapides de l'épargne. Cela exige un suivi coordonné au niveau mondial : c'est la mission du Financial Stability Board (FSB) et de l'International Organization of Securities Commissions (IOSCO). La Chine a d'ailleurs rejoint les pays qui contribuent à l'alimentation des donnés sur le shadow banking. Les marchés financiers sont par nature risqués et peuvent être victimes de chocs divers, y compris d'origine exogène, à l'image des mesures protectionnistes. Des mesures ont été prises pour endiguer la propagation des chocs. Il est vrai que le volume des liquidités a considérablement augmenté. La Banque centrale européenne a ainsi injecté 2 000 milliards d'euros au titre du quantitative easing. En permanence, nous cherchons à détecter les bulles ou les surévaluations des différents actifs, comme l'immobilier, ou encore les actions, par exemple, qui atteignent actuellement aux États-Unis des niveaux sans précédent. Nous disposons d'outils macroprudentiels et le Haut Conseil de stabilité financière, où je siège en tant que président de l'AMF, étudie chaque trimestre la possibilité d'activer ces outils pour limiter les risques pour le système financier : ainsi nous avons pris des mesures pour limiter l'exposition des banques auprès des grandes entreprises trop endettées. L'endettement des acteurs publics et privés est en effet élevé.
Nous déployons tous les efforts pour assurer l'attractivité de la place de Paris. Il ne faut pas surestimer le rôle du superviseur : il peut agir soit en choisissant de faciliter de manière excessive les implantations, soit en renvoyant l'image d'une expertise et d'une compétence propres à rassurer les maisons-mères. La France mise là-dessus et sur sa capacité à dialoguer avec les autorités américaines ou britanniques. Je crois fondamentalement que dans le cadre de l'Europe à 27, la finance sera multipolaire, répartie entre des places diverses, chacune avec ses avantages et ses faiblesses : Francfort, Paris, Dublin, Amsterdam, le Luxembourg, etc. Paris a beaucoup d'atouts. Je ne pense pas que notre approche réglementaire soit excessive au point de constituer un handicap. Le Luxembourg a des avantages compétitifs forts : l'usage de l'anglais, une approche anglo-saxonne du droit, un secteur de la gestion d'actifs très développé, qui a conduit d'ailleurs les autorités luxembourgeoises à se montrer de plus en plus exigeantes... La création d'une autorité européenne forte nous semble être la seule solution. L'ESMA peut émettre des opinions sur les questions de délégations et d'externalisations, mais elles ne sont pas contraignantes. Cela ne va pas ! Il n'est pas normal que des produits puissent entrer sur le marché européen en obtenant le passeport européen dans un pays où les règles du jeu ne sont pas les mêmes. En cas de blocage, l'art de la négociation consiste à rechercher des compromis - encore faut-il qu'ils ne vident pas le projet de sa substance. Nous en recherchons. La notion de délégation a été un point de blocage, notamment auprès des Luxembourgeois ou des Irlandais, tandis que les Britanniques nous accusent de vouloir capter leurs entreprises. L'enjeu est simplement d'harmoniser les règles. Nous avons fait des propositions. La négociation se poursuit.
Quelle est l'attractivité de la bourse ? Nous avons observé en 2017 un petit frémissement du nombre des introductions en bourse. La dynamique semble se confirmer en 2018 mais le mouvement n'est pas massif. Les entreprises de taille moyenne qui veulent renforcer leurs fonds propres pour se développer ont le choix entre le recours à des fonds de private equity c'est-à-dire du capital-investissement ou l'introduction en bourse. On a besoin des deux. À terme le private equity aboutira à une entrée en bourse lorsque l'investisseur voudra se désengager. À court terme, l'entreprise doit pouvoir choisir la solution la plus avantageuse.
Monsieur Laménie, nous utilisons toutes les possibilités offertes par l'intelligence artificielle pour analyser les informations à notre disposition, ainsi que les moyens de communication modernes pour informer et sensibiliser le plus de personnes aux risques. Nous menons ainsi des campagnes par Internet. Nous avons noué avec la Banque de France un partenariat. En lien avec ses équipes locales, nous pouvons ainsi contrôler régulièrement les conseillers en investissement financier.