Conformément à l'article 22 de la loi du 20 janvier 2017 portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, je rends compte devant votre commission de l'activité 2017 de l'Autorité des marchés financiers (AMF). J'évoquerai également quelques grands enjeux de régulation financière auxquels nous sommes confrontés.
Comme vous le savez, le code monétaire et financier donne à l'AMF la mission de veiller à la protection de l'épargne investie dans les instruments financiers et tous autres placements donnant lieu à appel public à l'épargne, à l'information des investisseurs et au bon fonctionnement des marchés financiers. Pour ce faire, elle travaille naturellement en étroite collaboration avec l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) - nous partageons de nombreuses responsabilités -, ainsi qu'avec ses homologues étrangers, bilatéralement ou dans le cadre de l'Autorité européenne des marchés financiers, communément appelée ESMA, ou de l'Organisation internationale des commissions de valeurs.
Pour exercer ses missions, l'AMF est structurée comme suit : quatre départements opérationnels ciblés et quatre départements transversaux.
Le premier pôle s'intéresse aux opérations et aux informations données par les sociétés cotées ; le deuxième pôle, c'est ce que l'on appelle le département des marchés, qui surveille les transactions sur les marchés ; le troisième pôle, c'est le département de la gestion d'actifs, qui réglemente et surveille la gestion collective ; le quatrième pôle, c'est le département des relations avec les particuliers, qui suit la commercialisation des produits.
Je serai plus bref sur les quatre départements transversaux. La direction internationale, qui porte la voix de l'AMF dans les enceintes internationales et structure les relations bilatérales ; le département des enquêtes et contrôles sur les possibles abus de marché ; la direction juridique, qui a une cellule indépendante dédiée au soutien de la commission des sanctions de l'AMF ; enfin, il y a la direction support, qui représente près de 20 % des effectifs de l'autorité.
Je voudrais maintenant revenir sur les quatre défis qui nous avons à relever.
Il y a d'abord l'enjeu de la supervision européenne, puis l'enjeu lié à la mise en place de nombreuses réglementations nouvelles dans le domaine financier, ensuite l'enjeu de l'innovation financière, avec les problèmes soulevés par la commercialisation de produits toxiques, et, enfin, l'enjeu d'une filière répressive à l'épreuve de la protection des données.
Vous le savez, l'émergence d'une véritable supervision européenne des marchés de capitaux constitue un de nos principaux axes stratégiques. Elle est indispensable à l'institution d'une véritable union des marchés de capitaux, et elle est nécessaire pour que l'Union européenne (UE) soit un ensemble cohérent face aux pays tiers, au premier rang desquels figurera prochainement le Royaume-Uni. Cela passe nécessairement par un renforcement du rôle de l'ESMA en tant que superviseur direct, plus généralement en tant qu'autorité effectivement capable d'imposer aux autorités nationales une mise en oeuvre homogène de règles communes, et, enfin, en tant qu'interlocuteur principal des autorités des pays tiers, en particulier dans le cadre d'accords d'équivalence. Des propositions de la Commission européenne vont dans cette direction : il y a un projet de réforme des trois autorités de supervision sectorielle européenne qui revisite les pouvoirs, la gouvernance et les moyens de l'ESMA, et un projet de réforme de la réglementation EMIR (European market and infrastructure regulation), qui revisite les modalités de supervision des chambres de compensation de l'UE et des chambres de compensation des pays tiers qui seraient considérées comme équivalentes.
Or ces deux projets, pourtant d'une ambition modeste - on est très loin de la constitution du mécanisme de supervision unique bancaire -, ne recueillent qu'un soutien modéré des pays membres, la plupart d'entre eux privilégiant en fait le statu quo, qui assoit leur légitimité nationale. On risque donc d'aboutir tardivement à des réformes limitées qui ne permettront pas de mettre fin aux interprétations nationales contradictoires des réglementations européennes ni d'avoir une approche européenne cohérente des relations avec le Royaume-Uni.
Cela vaut naturellement en premier lieu pour la gestion d'actifs et la fourniture des services d'investissement. Plus généralement, le Brexit, qui devrait avoir un rôle d'électrochoc pour revoir en profondeur l'architecture institutionnelle et faire de l'UE une zone financière cohérente attractive et puissante, ne joue pas vraiment ce rôle actuellement.
C'est regrettable, car l'Union a beaucoup à perdre à un moment où son principal centre financier la quitte et où le dynamisme des grands établissements américains n'a jamais été aussi affirmé.
J'en viens aux réglementations concernant les marchés financiers, dont l'élaboration puis la mise en oeuvre se sont trouvées décalées par rapport aux réglementations concernant les établissements de crédit et les assurances. On arrive sur les marchés financiers avec un décalage et une accumulation de nouvelles réglementations qui bouleversent en profondeur l'exercice du métier de la finance.
Nous avons la directive sur les marchés d'instruments financiers 2014/65/EU dite « MIFID 2 » (Markets in Financial instruments Directive), qui est destinée à améliorer le fonctionnement des marchés financiers en améliorant la transparence et l'information lors la commercialisation de produits financiers. Ce texte a été voté, mais il y a aussi les projets non finalisés, car toujours dans la main du législateur : c'est le cas du crowdfunding, de la cotation des PME, de la résolution des chambres de compensation, ou encore du régime prudentiel des entreprises d'investissement.
Il faut néanmoins toujours avoir en tête leur objectif : rendre les marchés plus efficaces, en améliorant la transparence et les mécanismes de formation des prix ; rendre les intervenants plus résistants face aux chocs et mieux protéger les investisseurs in fine ; favoriser l'émergence de l'Union des marchés de capitaux.
À côté de succès évidents, on peut rester perplexes devant certaines évolutions. Je vais prendre le cas de MIFID 2, qui est une réforme d'une ampleur considérable. Son ambition est de ramener sur des structures plus transparentes les transactions et de réduire la place des transactions de gré à gré et des dark pools, systèmes privés d'échanges de valeurs mobilières. Cette réduction est effectivement intervenue, mais elle ne s'est pas faite au profit de plateformes multilatérales classiques et, en particulier, au profit des plateformes réglementées. Elle s'est faite au bénéfice d'internalisateurs systématiques, ceux que l'on appelle des teneurs de marché, qui, en principe, mettent leurs comptes propres en face des opérations des clients, au contraire des plateformes multilatérales, dans lesquelles les offres et les demandes sont appariées. On assiste à l'émergence de nouvelles techniques d'enchères. Je ne suis pas sûr, à ce stade, que la transparence y ait gagné.
Le troisième enjeu que je voulais mentionner ce matin, c'est l'équilibre à trouver entre l'encouragement nécessaire de l'innovation et la lutte contre les placements toxiques.
En 2017, nous avons pu récolter dans ces matières les premiers fruits du nouveau cadre réglementaire introduit par la loi Sapin II - l'interdiction de la publicité, en particulier, pour les options binaires et pour les contrats de différence (CFD) à fort effet de levier -, ainsi que des efforts effectués par l'AMF, largement relayés par les médias, pour alerter et éduquer les épargnants. Mais c'est un terrain sur lequel les offres se renouvellent sans cesse, et, après la vague du Forex, après la vague du diamant d'investissement, les crypto-actifs ont pris le relais. Au cours des quatre premiers mois de l'année, sur les plus de 4 000 demandes traitées par notre centre « épargne infos service », 700 ont concerné les crypto-actifs, avec près de 250 réclamations ou signalements faisant état de 9 millions d'euros de pertes.
Nous nous réjouissons donc que l'ESMA ait décidé de mobiliser, pour les options binaires à compter du 3 juillet et pour les CFD les plus risqués à compter du 1er août, les nouveaux pouvoirs introduits par MIFID 2, qui permettent à l'autorité européenne d'interdire de façon temporaire, en l'espèce trois mois, la commercialisation de produits financiers dangereux. Le même texte donne d'ailleurs ce pouvoir d'interdiction de commercialisation aux autorités nationales, mais sans son caractère temporaire ; nous verrons donc le moment venu comment nous prendrons le relais de l'ESMA, mais je n'exclus pas que certains pays suppriment tout simplement l'interdiction sur leur territoire.
Je profite de ma présence devant votre commission pour plaider en faveur d'une extension du champ d'application des dispositions de la loi Sapin II, qui, au-delà du Forex et des options binaires, nous permettrait de demander également le blocage de l'accès aux sites proposant de façon illicite des investissements en biens divers.
Le dernier enjeu, c'est la menace que constitue pour notre filière répressive une application non proportionnée des dispositions relatives à la protection des données individuelles. Le Conseil constitutionnel a considéré en juillet 2017 - en fait, il l'avait déjà dit clairement en 2015 - que l'encadrement par la loi du recours par l'AMF aux données de connexion, les fadettes, n'était pas suffisant pour garantir la protection des droits individuels. Il a laissé à l'État jusqu'à la fin de cette année, donc presque 18 mois, pour mettre en place un cadre adapté. Le projet est désormais techniquement finalisé et il y a, j'y insiste, urgence à prendre les mesures qui permettront de conserver cette source précieuse d'indices permettant de poursuivre les délits d'initiés.
De même, il importe que les échanges de données que nous avons avec les autorités des pays tiers dans le cadre de nos enquêtes respectives perdurent dans le cadre de la nouvelle réglementation européenne issue du « Règlement général sur la protection des données » (RGPD), qui est entrée en vigueur le mois dernier. Nous suivons de près l'issue des travaux menés entre l'Organisation internationale des commissions de valeurs et l'autorité européenne qui a désormais en charge la protection des données, pour normaliser le cadre dans lequel se situe nos échanges. Nous analyserons de façon extrêmement précise la version finale, qui est parue hier, des lignes directrices concernant la portée des dérogations, en particulier la dérogation « pour motif important d'intérêt public ». Nous devons vraiment veiller collectivement à ce que la réglementation des données personnelles ne fasse pas le lit de la délinquance financière.