Intervention de Daniel Chasseing

Commission des affaires sociales — Réunion du 6 juin 2018 à 9h00
Proposition de loi relative au défibrillateur cardiaque — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Daniel ChasseingDaniel Chasseing, rapporteur :

Le taux de survie observé en France à la suite d'un arrêt cardiaque n'excède pas 8 %. Entre 40 000 et 50 000 personnes meurent ainsi chaque année dans notre pays d'un arrêt cardiaque. Beaucoup de ces décès appartiennent à la catégorie des « décès évitables » : les travaux scientifiques concluent unanimement à des gains majeurs en survie dès lors qu'une défibrillation est rapidement pratiquée.

Le succès de cette prise en charge repose sur la limitation du délai écoulé entre le début de l'arrêt cardiaque et le recours à la défibrillation. Selon le conseil français de réanimation cardio-pulmonaire, les taux de survie peuvent atteindre 70 à 85 % dès lors qu'une défibrillation est pratiquée dans les toutes premières minutes suivant l'arrêt cardiaque. Sans cela, la fibrillation cardiaque évolue vers l'asystolie, c'est-à-dire l'arrêt cardiaque complet.

La prise en charge des victimes passe par une lutte contre le temps. Chaque minute représente 10 % de chances de survie en moins, celles-ci devenant pratiquement nulles après 10 minutes. Or, lorsque l'on sait que le Samu ou les pompiers interviennent en 10 à 15 minutes en moyenne, en fonction des points de nos territoires, on comprend aisément que la mobilisation des témoins d'une scène d'arrêt cardiaque, le recours au massage cardiaque ainsi que la présence de dispositifs publics de défibrillation constituent des enjeux cruciaux pour le bon fonctionnement de la chaîne de survie.

Dans d'autres États, ou d'autres villes à l'étranger, dotés de programmes d'accès public à la défibrillation, des taux de survie bien supérieurs au taux français ont pu être observés. Selon la Croix-Rouge, le taux de survie après un arrêt cardiaque atteindrait 20 à 50 % dans les pays anglo-saxons dès lors que des défibrillateurs sont placés à la disposition du grand public.

Une étude américaine réalisée dans les années 2000 dans les casinos de Las Vegas, lieux où les accidents cardiaques sont nombreux pour des raisons que chacun pourra aisément imaginer, a démontré que l'accès à des défibrillateurs utilisés par du personnel formé permet d'atteindre un taux de survie de 74 %.

La mortalité par arrêt cardiaque n'est pas une fatalité ; encore faut-il se saisir des enjeux majeurs de santé publique que constituent l'accès rapide et effectif à un défibrillateur cardiaque et la démocratisation de son usage.

Depuis un décret de 2007, l'utilisation des défibrillateurs automatisés externes (DAE) est ouverte au grand public. Les DAE sont de petits appareils que l'on branche au moyen d'électrodes autocollantes sur le thorax du patient en arrêt cardiaque. Ils fonctionnent de manière autonome, en délivrant des instructions orales aux intervenants et en analysant le rythme cardiaque ; dès lors qu'ils détectent des battements anarchiques du coeur, c'est-à-dire une fibrillation, un choc électrique est déclenché. Le caractère automatisé des DAE en fait des équipements facilement utilisables par le grand public.

Des dispositifs de sensibilisation, voire de formation du grand public aux « gestes qui sauvent » ont par ailleurs été mis en place. Un arrêté de 2009 a prévu un dispositif d'initiation du grand public à l'utilisation des DAE en une heure. Si les DAE sont très faciles à manier, leur utilisation peut être rendue plus difficile par les situations d'urgence et de stress ; une formation est donc toujours bénéfique. L'enjeu demeure cependant d'assurer le passage de ces évolutions réglementaires dans les pratiques citoyennes.

L'insuffisante sensibilisation du grand public aux gestes de premier secours a été largement mise en avant par les interlocuteurs que j'ai rencontrés. Selon les conclusions du comité interministériel de la santé (CIS), seulement 20 % de la population française a suivi une formation aux gestes de premiers secours, et seuls 50 % des élèves en classe de troisième ont bénéficié de la formation « prévention et secours civiques de niveau 1 » (PSC1) ; c'est évidemment trop peu.

Le flou encadrant les obligations incombant aux collectivités publiques et privées s'agissant de l'équipement en DAE et de leur maintenance constitue un point d'achoppement majeur. Il n'existe en effet aucune obligation légale ou réglementaire imposant aux collectivités publiques ou aux établissements privés de disposer d'un défibrillateur. L'implantation des DAE repose dès lors sur les choix d'équipement spontanément effectués par des collectivités territoriales, des associations ou des acteurs privés. Selon les estimations des services ministériels, notre territoire compte actuellement 160 000 à 180 000 défibrillateurs en accès public.

Par ailleurs, si l'utilisation des défibrillateurs est assortie d'une obligation de maintenance, comme pour tout dispositif médical, le cadre juridique reste flou, et sa mise en oeuvre est rendue difficile par la complexité de la chaîne de distribution et d'exploitation des DAE. L'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM), dans un bilan de surveillance renforcée des DAE publié en 2017, concluait ainsi à un défaut de traçabilité de ces équipements.

Cette situation rend difficile la surveillance des équipements ainsi que la réalisation d'opérations de maintenance, pourtant indispensables. Les composants électroniques de certains appareils, installés à la suite du décret de 2007, commencent à vieillir. Les DAE accessibles au public sont bien trop souvent la cible de dégradations, voire de vols, de sorte qu'il est très probable qu'une large partie du parc des DAE installés sur le territoire français ne soit pas fonctionnelle.

Il ne suffit pas de sensibiliser la population à l'utilisation des DAE et d'en équiper les lieux publics ; encore faut-il qu'il soit possible, dans une situation par nature caractérisée par l'urgence, d'accéder rapidement à un équipement fonctionnel.

Or, à l'absence d'obligation légale ou réglementaire en matière d'équipement s'ajoute une absence d'obligation de référencement des appareils implantés. Il est dès lors impossible non seulement de s'assurer de la répartition homogène des DAE dans l'ensemble du territoire, mais encore et surtout de permettre à un témoin d'arrêt cardiaque de localiser le défibrillateur fonctionnel le plus proche. Cette situation est d'autant plus absurde que la plupart de nos concitoyens disposent de smartphones dont la fonction de géolocalisation pourrait sauver des vies.

Face à la carence de l'action publique, des initiatives privées ont vu le jour. L'association pour le recensement et la localisation des défibrillateurs (Arlod), créée en 2008, a mis en place une base de données en ligne visant à recenser de manière fiable l'ensemble des DAE présents sur le territoire national. Cette initiative est fortement dépendante de la bonne volonté des propriétaires ou des gestionnaires de DAE, l'alimentation du registre reposant sur leurs déclarations spontanées. À la date de publication du présent rapport, cette base comptait un peu plus de 26 000 DAE.

Au cours de mes auditions, les représentants d'applications mobiles m'ont expliqué que leurs outils proposaient, outre la localisation des défibrillateurs implantés à proximité d'une scène d'arrêt cardiaque, la géolocalisation de personnes volontaires et susceptibles de porter assistance à la victime avant l'arrivée des secours. L'intervention de ces « bons Samaritains » soulève un certain nombre de problèmes éthiques et juridiques, notamment en termes de responsabilité. Ils ne constituent cependant pas le sujet de notre texte. J'interrogerai la ministre, lors de notre débat en séance publique, sur les évolutions à introduire par voie réglementaire.

Quoi qu'il en soit, de l'aveu de leurs gestionnaires et responsables, les bases de données sont loin d'être fiables et exhaustives. De nombreux défibrillateurs sont nouvellement installés chaque jour, d'autres sont devenus hors d'usage, ou ont été déplacés, sans que ces informations fassent l'objet d'une recension obligatoire dans les bases de données.

La présente proposition de loi envisage de mieux encadrer les aspects les plus matériels du dispositif, en assurant l'accessibilité effective de la défibrillation cardiaque dans l'ensemble de notre territoire. Il s'agit de préciser les obligations incombant aux établissements recevant du public (ERP) en termes d'installation et de maintenance des équipements de défibrillation, et de créer une base nationale de données relatives aux lieux d'implantation des DAE.

Cette proposition de loi résulte d'une initiative et de travaux largement communs à l'Assemblée nationale et au Sénat. Le texte soumis à l'examen de notre assemblée, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 13 octobre 2016, est issu d'une proposition de loi déposée le 31 août 2016 par notre collègue sénateur Jean-Pierre Decool, alors député, et plusieurs de ses collègues. Un texte avait précédemment été déposé au Sénat, le ler avril 2015, par notre collègue Alex Türk, avant d'être repris par Jean-Pierre Decool à l'Assemblée le 21 octobre 2015.

La rédaction du texte, qui comptait au départ quatre articles, a très largement évolué. Elle ne compte plus que deux articles, dont un seul figurait dans la version initiale de la proposition de loi (article 3), et qui a été adopté dans une rédaction assez largement aménagée.

Cet article 3 crée une obligation d'équipement par un défibrillateur automatisé externe (DAE) pour certains types et catégories d'établissements recevant du public (ERP). Cette obligation est définie de manière souple, puisque la détermination des ERP concernés ainsi que les modalités d'application sont renvoyées à un décret en Conseil d'État. En outre, une distinction est établie entre les ERP et le site sur lequel ils se trouvent : plusieurs ERP implantés sur un même site peuvent satisfaire à l'obligation par l'installation d'un DAE commun. L'article prévoit aussi une obligation de maintenance des DAE installés, qui incombera aux propriétaires des ERP visés par le décret.

Ces dispositions corrigeront l'asymétrie sur laquelle repose le régime actuel. Alors que l'ensemble de nos concitoyens ont le droit d'utiliser un DAE depuis 2007, il n'existe pas d'obligation générale d'équipement dans les lieux publics. Cette évolution législative favorisera également les politiques de prévention et de prise en charge des arrêts cardiaques.

Cependant, il conviendra de se montrer particulièrement vigilant quant au périmètre des ERP qui sera retenu dans le cadre du décret en Conseil d'État. Aucune orientation générale n'est en effet prévue par le texte, de sorte que la généralisation de l'obligation d'équipement en DAE semble difficile à concrétiser. Certains lieux offrant un cadre propice à la survenue d'arrêts cardiaques devront impérativement figurer dans la liste retenue : je pense notamment aux piscines et aux enceintes sportives, sur lesquelles l'Académie nationale de médecine avait attiré l'attention des décideurs publics dans un rapport de 2013.

La répartition des responsabilités en matière de maintenance devra faire l'objet d'une nette clarification. Si le coût présumé d'un équipement généralisé des lieux publics en défibrillateurs a suscité des réticences, il faut rappeler qu'il reste relativement limité au regard du gain potentiel en termes de vies sauvées : selon la DGS, il faudrait compter 1 000 à 1 500 euros pour l'acquisition d'un défibrillateur neuf, et 120 euros par an pour en assurer la maintenance. L'assemblée des départements de France (ADF) m'a indiqué que les inquiétudes relayées par les élus locaux portaient surtout sur le nombre d'équipements à installer et sur leur lieu d'implantation, renvoyés à la voie réglementaire.

Le décret devra ménager des marges de souplesse afin que les élus locaux puissent prendre les mesures les plus appropriées en fonction de la configuration propre de leur territoire. Nous pourrons interroger la ministre sur les orientations retenues lors de la séance publique.

L'article 3 bis prévoit la création d'une base de données nationale permettant de renseigner les lieux d'implantation et l'accessibilité des DAE dans l'ensemble du territoire. Selon les informations fournies par les services ministériels, les exploitants d'équipements de défibrillation se verront appliquer une obligation de déclaration en ligne. Le contenu de la base de données ainsi constituée sera ouvert et réutilisable par le public, ce qui permettra d'alimenter des applications de géolocalisation. Cette base devra être le plus rapidement possible interconnectée avec les logiciels des Samu et des Sdis, afin que les opérateurs de régulation puissent indiquer aux appelants témoins d'un arrêt cardiaque l'éventuelle proximité d'un DAE.

Je tiens à saluer l'action et la détermination de nos deux collègues parlementaires du Nord, Jean-Pierre Decool et Alex Türk, qui se sont engagés depuis plusieurs années pour faire aboutir ce texte, et cela d'une manière très pratique, puisqu'ils ont consacré la majeure partie de leur réserve parlementaire - cet outil tant décrié - à l'équipement en défibrillateurs cardiaques des établissements de leur département, qui en compte aujourd'hui 4 000.

Et je vous demande donc, mes chers collègues, d'adopter sans modification cette proposition de loi. Il est de notre devoir de tout mettre en oeuvre pour encourager la citoyenneté et la solidarité de nos concitoyens dans de telles situations d'urgence.

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