Intervention de Louis-Jean de Nicolay

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 5 juin 2018 à 9h30
Proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale — Examen du rapport pour avis

Photo de Louis-Jean de NicolayLouis-Jean de Nicolay, rapporteur :

Cette proposition de loi relative à l'équilibre territorial et à la vitalité de la démocratie locale, déposée par MM. Philippe Bas, Bruno Retailleau et Mathieu Darnaud, comporte 24 articles, qui ont l'ambition d'apporter des réponses précises aux difficultés et aux fractures qui traversent nos territoires.

Notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a reçu une délégation au fond de la commission des lois pour traiter spécifiquement les sept premiers articles du texte, qui constituent le titre Ier de la proposition de loi et ont pour objet la création d'une Agence nationale pour la cohésion des territoires.

D'emblée, je tiens à saluer l'initiative de nos collègues du groupe Les Républicains, qui montre la détermination du Sénat à agir au service des territoires et à travailler de façon constructive en anticipant les projets du Gouvernement. Cette proposition de création d'une Agence nationale pour la cohésion des territoires arrive, en effet, au bon moment. Chacun a en tête l'expression de « France périphérique », qui s'est progressivement imposée dans le débat public à la suite des travaux du géographe Christophe Guilluy et qui vise à mettre en lumière la fracture qui s'est construite entre des métropoles dynamiques et des territoires ruraux et périurbains souffrant de multiples fragilités. Si la réalité est sans doute plus complexe, avec des inégalités grandissantes dans les métropoles, cette expression a eu le mérite de dresser un constat autour duquel s'est organisée la réflexion politique.

Les fractures françaises sont désormais nombreuses et bien connues : dans l'accès au numérique, avec un déploiement des réseaux à très haut débit en fibre optique et de téléphonie mobile qui ne permet pas d'assurer une couverture complète et satisfaisante du territoire à l'heure actuelle ; dans l'accès aux soins, avec la problématique des déserts médicaux ; dans l'accès aux services publics, qui matérialisent pourtant la solidarité nationale sur l'ensemble du territoire ; enfin, dans le domaine de la mobilité, une fracture qui complique la vie de nombreuses familles et accentue les inégalités sociales.

Dans ce contexte, nous sommes nombreux à demander, depuis longtemps, la création d'une Agence dédiée aux besoins des territoires ruraux et périurbains. Ainsi, le Président du Sénat avait évoqué cette idée il y a plus d'un an, avant que le Président de la République ne la fasse sienne lors de la Conférence nationale des territoires en juillet dernier au Sénat. De même, nous avions évoqué l'idée, avec le Président Hervé Maurey, dans notre rapport consacré à l'aménagement du territoire en 2017. C'était le sens de notre proposition n° 23, qui invitait le Gouvernement à s'appuyer sur les nouveaux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) pour reconstituer une capacité locale d'ingénierie et faciliter l'accès aux ressources et conseils de l'État dans une logique de guichet unique.

Depuis l'annonce du Président de la République, rien ou presque n'a changé. L'ancien préfet des Yvelines et ancien directeur général des collectivités locales au ministère de l'Intérieur, Serge Morvan, a été nommé à la tête du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) en avril dernier pour préfigurer le lancement de cette agence mais les échanges que j'ai eu avec le cabinet du ministre de la cohésion des territoires et le commissaire général lui-même montrent qu'aucun arbitrage n'a été rendu à ce stade sur la forme que revêtira cette agence et son organisation, notamment l'épineuse question de son statut juridique et du véhicule juridique nécessaire à sa création, qui emporte des conséquences quant à la capacité du Parlement à influer sur la construction de l'Agence. Le préfigurateur devrait rendre ses conclusions à la mi-juin et des arbitrages seront ensuite attendus au cours du mois de juillet. Il est dit que le sujet est très suivi à l'Élysée.

Je me félicite de la logique retenue dans la proposition de loi, qui vise à une déconcentration de la politique d'aménagement du territoire. L'Agence nationale pour la cohésion des territoires cristallise toutes les attentes pesant sur l'État en matière d'aménagement et elle doit jouer un rôle d'entraînement des territoires, c'est-à-dire être un acteur de terrain et pas simplement un prescripteur ou un agrégateur. Sa tâche est donc de mettre en cohérence les politiques de l'État dans les territoires ruraux et périurbains, de renforcer leur efficacité et leur efficience, d'organiser et de coordonner. Nous devons arrêter la multiplication des appels à projets et des contrats entre l'État et les collectivités pour se rapprocher du terrain : l'Agence devra donc partir des projets locaux, en matière de mobilité durable, d'alimentation saine, de nouveaux espaces collectifs consacrés au travail et aux loisirs et plus généralement d'équipements qui permettront à chacun de donner corps à son projet. Il s'agit d'une nouvelle méthode à développer.

Il importe aussi que cette agence ne soit pas un arbre de plus dans la forêt, si vous me permettez cette expression. La véritable plus-value de cette agence résidera dans sa capacité à agréger des acteurs existants et à les fédérer.

Enfin, cette agence doit apporter des solutions en ingénierie et c'est le point principal. La spécificité des territoires ruraux et périurbains est qu'ils ont un accès plus difficile à une capacité technique et financière, leur permettant de concrétiser leurs projets et de maîtriser les risques qui y sont associés. L'Agence nationale de la cohésion des territoires devra donc soutenir cette demande d'appui, de soutien et d'expertise.

Venons-en maintenant au contenu du texte. L'article 1er prévoit que cette agence, qui revêt la forme d'un établissement public national à caractère industriel et commercial (EPIC), a pour mission de « contribuer au développement économique et social des territoires ruraux et périurbains, en apportant un concours humain et financier aux collectivités territoriales », à leurs groupements et aux organismes publics ou privés qui conduisent des opérations d'intérêt public. Cela vise le maintien et le développement de services publics, d'infrastructures, de réseaux et de services de communications électroniques et la qualité de l'offre de soins.

L'article 2 précise le champ d'intervention de l'ANCT, qui sera constitué du territoire des communes et intercommunalités éligibles à la dotation d'équipement des territoires ruraux, soit plus de 34 000 communes et 1 100 établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre.

L'article 3 dispose que l'ANCT peut créer des filiales et détenir des participations dans des organismes intervenant dans son domaine de compétence.

L'article 4 vise à habiliter l'Agence à promouvoir à l'étranger son expertise en matière d'aménagement et de développement équilibré des territoires.

L'article 5 détermine la gouvernance de l'ANCT : elle sera administrée par un conseil d'administration composé en nombre égal de représentants de l'État et de représentants des collectivités territoriales et de leurs groupements. Il prévoit, en outre, que le représentant de l'État dans le département est le délégué territorial de l'ANCT.

L'article 6 fixe les recettes de l'agence, constituées de subventions de l'État et de la Caisse des dépôts et consignations, des produits de ses emprunts, de la rémunération de ses prestations de service et des produits financiers liés à son patrimoine.

Enfin, l'article 7 renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de préciser les modalités d'organisation et de fonctionnement de l'agence.

Sur ces dispositions, je vous proposerai des modifications, qui visent à préciser et ajuster le dispositif à plusieurs enjeux auxquels notre commission est particulièrement attentive.

À l'article 1er, mon amendement ajoute la revitalisation des centres-bourgs et centres-villes et la transition écologique à ses missions. La transition écologique me semble être une opportunité formidable de dynamisme pour les territoires, en ce qu'elle permet de réconcilier le social, l'humain et l'économique et de recréer une vie locale dans des lieux qui connaissent des difficultés sur le plan de l'attractivité et de la démographie.

À l'article 2, mon amendement vise à rappeler la nécessité pour l'ensemble des acteurs publics (État, établissements publics, collectivités territoriales et leurs groupements) de discuter ensemble et de se coordonner pour définir leurs stratégies de développement, en prenant notamment appui sur les schémas de planification et les instances de coordination résultant de la loi Notre du 7 août 2015. Il prévoit aussi la possibilité d'un rattachement futur de certains opérateurs qui évoluent sur des périmètres connexes et complémentaires avec celui de l'ANCT. Il s'agit ainsi d'éviter que l'Agence nationale de la cohésion des territoires s'inscrive uniquement dans une logique de juxtaposition avec les autres opérateurs, plutôt que de rationalisation.

Je vous proposerai aussi de supprimer l'article 4, relatif à l'action internationale de l'Agence. Cet axe de travail ne me semble pas prioritaire.

À l'article 5, je vous proposerai deux ajustements concernant la composition du conseil d'administration de la future agence, d'une part pour prévoir la présence de deux députés et deux sénateurs, ce qui me semble totalement justifié compte tenu de la vocation territoriale de l'Agence et, d'autre part, pour prévoir le respect des règles de parité hommes-femmes dans les nominations intervenant au conseil d'administration.

Enfin, à l'article 6, je vous proposerai de prévoir que toutes les recettes autorisées par les lois et règlements et qui pourraient s'avérer intéressantes à mobiliser au regard des missions de la future ANCT puissent lui être affectées. Je souhaite ici saluer la réflexion engagée par nos collègues Rémy Pointereau et Martial Bourquin, qui ont avancé l'idée de créer deux taxes spécifiquement dédiées à la revitalisation des centres-bourgs, dans leur proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres- bourgs. Ces outils pourraient utilement venir abonder l'Agence nationale de la cohésion des territoires.

En conclusion, ce texte s'impose comme une réponse à la lenteur du Gouvernement dans la mise en oeuvre de ce projet d'Agence, qui n'est pas un artifice mais une vraie bonne idée pour accompagner nos territoires dans leur développement.

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