Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, dès lors qu’ici, nous dressons le constat qu’après le train de lois portant réformes territoriales, l’heure n’est pas à réitérer un nouveau big bang territorial, mais plutôt à observer ce qui fonctionne dans nos territoires et ce qui a un peu plus de mal, je veux remercier Philippe Bas, par ailleurs président de la commission des lois, et Bruno Retailleau de nous proposer aujourd’hui ce texte.
Celui-ci me paraît important, tant il épouse, dans un effort de pragmatisme, les problématiques que nous avons rencontrées, ici, au Sénat, qui sont aussi celles que nous avons constaté dans l’ensemble des territoires auprès desquels la mission de contrôle et de suivi de la mise en œuvre des dernières lois de réforme territoriale s’est rendue.
C’est bien là que réside la plus-value des travaux de cette mission : nous sommes à la fois à l’écoute de tous les élus des territoires et en capacité, au travers des préconisations que nous avons formulées, de faire œuvre utile, en proposant ce texte.
Pas de big bang territorial, disais-je… La philosophie de cette proposition de loi, mûrie à l’écoute des élus locaux, est donc très simple : améliorer sans perdre de temps ce qui doit l’être et, surtout, supprimer les entraves, gommer les culs-de-sac juridiques et rendre aux élus la liberté nécessaire pour administrer des territoires qu’ils connaissent, en définitive, mieux que quiconque.
Mais quel législateur serions-nous si nous restions indifférents à des dysfonctionnements manifestes, à des rigidités excessives, dont une écrasante majorité d’acteurs locaux dénoncent les méfaits ? Comme je l’évoquais, plusieurs des propositions sont des réponses pragmatiques, concrètes à ces difficultés de mise en application des différentes lois de réforme territoriale, tout particulièrement la fameuse loi NOTRe.
La première mesure importante – elle a été annoncée, ici même, au Sénat, le 17 juillet 2017, par le Président de la République, qui reprenait ainsi une proposition formulée par le président du Sénat Gérard Larcher – concerne la création de l’Agence nationale pour la cohésion des territoires.
Évoquée par M. le président de la commission des lois et inscrite au titre Ier de la proposition de loi, cette structure aura pour mission de rendre aux territoires, qui traversent parfois des difficultés lourdes, notamment dans les secteurs ruraux ou périurbains, des raisons de croire et d’espérer. Ce sera, en somme, « l’agence du quotidien » et elle pourra réellement changer la donne pour nos concitoyens qui vivent en marge des territoires métropolitains.
La commission des lois ayant délégué au fond l’examen de ce titre Ier à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, je laisserai le soin à mon collègue Louis-Jean de Nicolaÿ de nous indiquer les précisions bénéfiques qu’il a apportées, concernant les missions, l’organisation ou encore le fonctionnement de cette agence.
J’en viens rapidement à la question, cruciale, de la revitalisation de l’échelon communal et à l’assouplissement des conditions de la coopération intercommunale.
Non, je le dis avec force, la commune - le bloc communal - n’est pas une entité recroquevillée sur elle-même, dépassée par son époque. Les organisations, les schémas, les regroupements se font et se défont au gré des modes, mais les communautés humaines demeurent.
C’est au sein de la commune que se tisse le lien social le plus solide, le plus pérenne. C’est dans les villes et les villages que les femmes et les hommes font l’apprentissage de la solidarité, de la capacité à mener des projets communs, de la prise de responsabilités associatives ou électives, mais aussi des difficultés, bref, du fait qu’en plus d’être des habitants, ils peuvent investir pleinement leur condition de citoyen.
Si elle demeure favorable au mouvement de création des communes nouvelles, la commission des lois a préféré que les dispositions concernant le nombre des représentants d’une telle commune au conseil communautaire, ainsi que d’autres amendements déposés sur ce sujet fassent l’objet d’un examen plus exhaustif et approfondi à l’occasion de la discussion prochaine de la proposition de loi présentée par notre collègue Françoise Gatel.
S’agissant de l’intercommunalité, la commission des lois a souhaité concilier deux principes essentiels.
Le premier consiste à ne pas défaire les cartes intercommunales qui viennent d’être redessinées et que les communes tentent, autant que faire se peut et malgré les difficultés, d’assimiler.
Le second vise à redonner un peu d’oxygène à certaines communes, notamment pour permettre à celles qui connaissent les situations les plus complexes du fait de mariages forcés souvent unanimement reconnus, y compris au sein des EPCI, de s’en affranchir, tout en offrant aux intercommunalités, bien évidemment de manière encadrée, la capacité de surmonter ces blocages.
Nous avons donc apporté certains assouplissements aux conditions actuelles de la coopération intercommunale, en octroyant à un groupe de communes contiguës le droit de se retirer d’un EPCI pour constituer un nouvel établissement.
Mes chers collègues, en 2018, nous croyons encore – même plus que jamais – à la décentralisation, non pas comme un totem ou parce qu’elle serait inscrite dans notre Constitution, mais parce que tous, ici, nous avons constaté que les bonnes décisions sont celles qui coïncident avec la réalité.
Or la politique de l’emploi doit répondre à des situations hétérogènes à travers l’Hexagone : les publics sont disparates et les activités économiques varient fortement d’une région à une autre, de la ville à la ruralité, du nord au sud.
Voilà pourquoi, le président Philippe Bas y faisait référence s’agissant des régions, nous nous plaçons délibérément à contre-courant du mouvement de recentralisation de la formation professionnelle engagé par le Gouvernement.
Avec cette proposition de loi, nous voulons donner à la région les moyens de coordonner les acteurs publics de l’emploi et l’associer plus étroitement à la gouvernance de Pôle emploi.
De plus, la commission des lois a prévu divers mécanismes pour renforcer le rôle des régions dans le pilotage national de la politique d’enseignement supérieur et de recherche, ainsi que dans la gouvernance des établissements.
Nous avons pu avoir des débats antagonistes, ici même, au moment de la création des grandes régions. Je ne prétends surtout pas rouvrir ce débat aujourd’hui. Mais dès lors que cet outil existe, utilisons-le au service de l’efficacité et de la proximité et octroyons à nos régions des compétences additionnelles, qui leur permettront de remplir le rôle et l’ambition européenne qu’on leur a assignés, sans pour autant leur en donner les moyens !
Par ailleurs, nous assistons aujourd’hui, dans notre pays, à une baisse très sensible des vocations et de l’engagement civique. Ce désintérêt pour l’exercice des mandats locaux est un phénomène qui devrait inquiéter tous les démocrates que nous sommes et la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, qui conduit actuellement une réflexion sur ce sujet, fera prochainement des propositions.
Sans préjuger de ces conclusions, nous avons déjà souhaité apporter des réponses à deux motifs de préoccupation, régulièrement avancés par les élus : la difficulté de concilier leur mandat avec leur vie professionnelle et les risques juridiques qu’ils courent.
La commission des lois a donc adopté des dispositions visant à renforcer le statut des élus locaux, en facilitant la conciliation de l’exercice d’un mandat avec une profession salariée ou en réduisant les risques juridiques pesant sur eux.
Enfin, notre commission a approuvé diverses mesures destinées à améliorer le fonctionnement des collectivités territoriales. Ces mesures concernent notamment la délégation partielle de compétences, ainsi que d’autres dispositions techniques, circonstancielles, mais là aussi, très attendues par l’ensemble des élus.
Certes, je ne prétends pas émouvoir outre mesure cet hémicycle §en citant la faculté, que nous avons introduite, de percevoir un droit de timbre pour l’instruction des autorisations d’urbanisme.
Mais c’est pourtant là que réside, à mon sens, tout le bénéfice de ce texte : faire œuvre utile, concrète ; donner de l’air ; faciliter, tant que faire se peut, la tâche de celles et ceux qui, quotidiennement et au prix de lourds sacrifices, mettent leur énergie au service de nos concitoyens.
Nous le devons à leur engagement. Nous le devons à ces territoires, qui ne veulent être ni des musées ni des déserts. Nous le devons à la République, qui n’existerait pas sans les communes, véritables patries du quotidien, sans ces communautés de communes, départements et régions, où naissent les projets et s’exprime la solidarité.
Si le Sénat entend prouver dans les débats à venir qu’il joue un rôle indispensable dans nos institutions, c’est en légiférant, ici et maintenant, au service de nos territoires.