Ce projet de loi est le fruit de la volonté forte exprimée par le Président de la République lors de son discours du 25 novembre 2017, à l'occasion de la Journée internationale pour l'élimination des violences à l'égard des femmes, de lutter contre les violences sexuelles et sexistes. Ses dispositions s'inspirent des nombreux rapports relatifs à l'amélioration du droit des femmes et à la défense des enfants victimes. Je pense ici, entre autres, à l'excellent rapport de la Mission de consensus Flament-Calmettes, qui a travaillé sur la délicate question de l'adaptation de notre droit de la prescription en matière de crimes sexuels commis sur les mineurs.
Ce texte permet aussi de répondre à l'incompréhension suscitée par des affaires judiciaires récentes, dans lesquelles des fillettes de onze ans ont pu être considérées comme ayant consenti à des rapports sexuels avec des hommes majeurs. Ce projet de loi permet enfin, dans le contexte, qui a suivi l'affaire Weinstein, de libération de la parole, d'améliorer notre législation pour lutter contre toutes les formes de harcèlement, qu'il soit commis sur internet ou dans la rue.
Je sais que le Sénat a mené un travail de réflexion sur le sujet, qui a abouti à l'adoption d'une proposition de loi en mars dernier. Sur certains points, nos deux textes présentent des différences, notamment sur le recours à la notion de présomption de contrainte qui figure dans la proposition sénatoriale, là où le Gouvernement a fait le choix d'une disposition de nature interprétative. Mais les deux textes présentent également un certain nombre de similitudes : l'allongement de la prescription à trente ans, l'extension de la surqualification pénale de l'inceste aux viols et agressions sexuelles commis à l'encontre de majeurs, l'aggravation - de cinq à sept ans - de la peine d'emprisonnement encourue en matière d'atteinte sexuelle, l'aggravation des peines d'emprisonnement pour les délits de non-assistance à personne en danger ou de non-dénonciation de mauvais traitements, lorsque ces délits sont commis sur des mineurs de quinze ans. Il m'apparaît donc que, au-delà de nos divergences sur la présomption, qui semblent difficilement surmontables d'un point de vue juridique, nous devrions pouvoir nous rejoindre sur certains points.
Ce projet de loi renforce de façon significative notre arsenal législatif répressif en matière de lutte contre les violences sexuelles, d'une part, et de lutte contre toutes les formes de harcèlement, d'autre part. Je présenterai le premier point et Marlène Schiappa vous présentera le second.
L'article 1er allonge le délai de prescription de l'action publique pour les crimes sexuels commis sur des mineurs, le portant de vingt à trente ans à compter de la majorité de ces derniers. Cette modification est apparue indispensable afin de laisser davantage de temps aux victimes pour porter plainte et de faciliter la répression de tels actes, notamment lorsqu'ils sont incestueux. Cet allongement de la prescription est cohérent avec l'augmentation générale des délais de prescription opérée par la loi du 27 février 2017. Avant cette réforme, qui a porté la prescription de dix à vingt ans pour l'ensemble des crimes, la prescription des crimes sexuels sur mineurs était déjà de vingt ans, donc plus longue que la prescription de droit commun. Il n'est donc pas absurde de rétablir la différence qui préexistait entre la prescription des crimes de droit commun et celle des crimes sexuels sur mineurs. Cet allongement est ensuite utile pour donner aux victimes le temps nécessaire pour dénoncer les faits, en prenant notamment en compte les mécanismes de la mémoire traumatique, et éviter ainsi l'impunité de leurs auteurs. Le délai de trente ans commençant à courir à compter de la majorité de la victime, celle-ci pourra porter plainte jusqu'à l'âge de quarante-huit ans, au lieu de trente-huit ans actuellement. À l'Assemblée nationale, plusieurs amendements visant à rendre imprescriptibles les crimes sexuels commis sur des mineurs ont été repoussés. En effet, il apparaît que l'imprescriptibilité doit être limitée aux crimes qui, par nature, sont imprescriptibles, à savoir les crimes contre l'humanité, notamment le crime de génocide. Par ailleurs, le délai de trente ans que nous avons retenu est celui qui est déjà prévu par notre droit pour les crimes les plus graves autres que les crimes contre l'humanité, comme les crimes de guerre, d'eugénisme et de terrorisme. Enfin, une imprescriptibilité des crimes sexuels sur mineurs serait très vraisemblablement censurée par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 22 janvier 1999 sur le traité portant statut de la Cour pénale internationale, le Conseil n'a admis, en effet, l'imprescriptibilité que pour les crimes « touchant l'ensemble de la communauté internationale », ce qui n'est pas le cas des crimes commis à l'encontre des mineurs, en dépit de leur extrême gravité. C'est notamment pour ces raisons que le rapport Flament-Calmettes n'avait pas préconisé l'imprescriptibilité, mais plutôt un allongement de la prescription à trente ans. En revanche, le Gouvernement a donné un avis favorable sur un amendement des députés visant à compléter la liste des crimes pour lesquels la prescription est trentenaire, en y ajoutant le meurtre et l'assassinat en toutes circonstances, et pas seulement lorsque les faits sont accompagnés de tortures, dès lors que ces crimes sont commis sur des mineurs.
L'article 2, qui comprend trois mesures, est celui qui suscite le plus de débats. Tout d'abord, en matière de viol et d'agression sexuelle, il complète l'article 222-22-1 du code pénal : lorsque les faits sont commis sur la personne d'un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise peuvent résulter de l'abus de l'ignorance de la victime ne disposant pas de la maturité ou du discernement nécessaire pour consentir à ces actes. Ensuite, en matière d'atteintes sexuelles sur mineur de quinze ans, le texte double les peines encourues, à hauteur de dix ans d'emprisonnement et de 150 000 euros d'amende, lorsqu'un acte de pénétration sexuelle a été commis par le majeur. Enfin, en cas de comparution devant la cour d'assises pour des faits de viol sur mineur de quinze ans, la question subsidiaire sur la qualification d'atteintes sexuelles devra obligatoirement être soulevée par le président de la cour d'assises si l'existence d'une violence, contrainte, menace ou surprise est contestée. Lors de la discussion à l'Assemblée nationale, l'esprit des dispositions contenues dans cet article a été préservé ; en revanche, tous les amendements qui tendaient à créer une présomption légale ou à retenir un seuil spécifique de treize ans ont reçu un avis défavorable du Gouvernement et ils n'ont pas été adoptés. Pour quelles raisons avons-nous agi ainsi ? Éclairé par l'avis très précis et très ferme du Conseil d'État, le Gouvernement a retenu la seule solution juridique possible pour améliorer la lutte contre les infractions sexuelles commises sur des mineurs. Je le répète, notre volonté ferme est que l'ensemble de ces crimes soient effectivement punis. Cette solution juridiquement acceptable consiste à préciser la notion de contrainte morale ou de surprise lorsqu'une atteinte sexuelle est commise sur un mineur de quinze ans. Dans cette hypothèse, l'objectif est de favoriser le recours à la qualification de viol ou d'agression sexuelle. En outre, l'objectif est d'aggraver la répression des pénétrations sexuelles sur mineur lorsque celles-ci ne constituent pas un viol. Il n'est pas possible de prévoir des règles spécifiques pour les mineurs de treize ans, car il nous a semblé que la fixation d'un double seuil d'âge à quinze ans, pour préciser les notions de contrainte et de surprise, et à treize ans, dans d'autres cas, aboutirait à une réforme particulièrement complexe, illisible et incompréhensible pour l'opinion publique. Surtout la fixation d'un seuil de treize ans donnerait, à tort, l'impression qu'une atteinte sexuelle commise par un majeur sur un mineur plus âgé, ayant entre treize et quinze ans, serait licite, voire tolérable, ce qui n'est évidemment pas acceptable. C'est pourquoi nous avons jugé préférable que le code pénal ne fixe qu'un seul et unique seuil, celui de quinze ans.
Comme l'a relevé le Conseil d'État, l'institution d'une présomption irréfragable en matière criminelle serait contraire aux exigences constitutionnelles de respect de la présomption d'innocence. Si un tel mécanisme est acceptable en matière contraventionnelle, voire pour certains délits, il ne peut s'appliquer à des crimes. Ont également été rejetés les amendements visant à faire de l'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans un viol ou une agression sexuelle, sans condition de violence, menace, contrainte ou surprise, en raison des réserves appuyées du Conseil d'État sur la constitutionnalité d'une telle disposition.
Les députés ont utilement amélioré la rédaction de la disposition interprétative relative aux notions de contrainte et de surprise en préférant l'abus de la vulnérabilité à l'abus d'ignorance et en supprimant la référence trop incertaine à la maturité. Lorsque les faits sont commis sur un mineur de quinze ans, la contrainte morale et la surprise sont effectivement caractérisées par l'abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour consentir à ces actes. L'article 2 a, en outre, été complété par plusieurs dispositions. La définition du viol a tout d'abord été revue, afin que tout acte de pénétration permette de caractériser l'infraction, qu'il soit commis sur la personne de la victime ou sur l'auteur. Le viol sera ainsi constitué par un acte de pénétration de toute nature, commis sur ou avec la personne d'autrui. La notion d'inceste a, par ailleurs, été étendue aux victimes majeures, comme le prévoyait votre proposition de loi, ainsi qu'aux faits commis par un cousin germain, lorsque celui-ci a autorité sur la victime. En outre, les peines encourues pour le délit d'atteinte sexuelle sur mineur de quinze ans sans pénétration - soit en pratique des attouchements - ont été portées à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende. La définition du délit a été reformulée pour préciser que l'incrimination s'applique hors les cas de viol ou d'agression sexuelle. Il s'agit, là encore, d'une reprise de la proposition sénatoriale.
Plusieurs amendements ont, par ailleurs, permis d'enrichir utilement le cadre juridique en matière de répression des infractions sexuelles ou violentes. Les articles 2 bis et 2 bis B modifient le code de l'action sociale et des familles pour préciser que la politique de prévention du handicap mise en oeuvre par l'État, les collectivités territoriales et les organismes de protection sociale doit comprendre des actions de sensibilisation, de prévention et de formation concernant les violences, notamment sexuelles, à destination des professionnels et des personnes en situation de handicap. L'article 2 bis C aggrave les peines encourues à sept ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende pour le délit de non-assistance à personne en danger et à cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende pour celui de non-dénonciation de mauvais traitement ou d'infraction sexuelle lorsque la victime est un mineur de quinze ans, comme le prévoyait le texte sénatorial. L'article 2 bis D étend la communication d'informations issues du fichier des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes aux présidents d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), par l'intermédiaire des préfets, comme cela se fait pour les maires. Enfin, l'article 2 bis E prévoit, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi, la remise d'un rapport du Gouvernement sur les dispositifs locaux d'aide aux victimes d'infractions sexuelles et d'un rapport sur les dispositifs locaux d'aide à la mobilité de ces mêmes victimes.