Je suis heureuse de présenter notre projet de loi devant le Sénat, dont l'approche s'avère toujours précieuse. Il représente le fruit d'un travail engagé avant même l'élection du Président de la République, qui a qualifié l'égalité entre les femmes et les hommes de grande cause du quinquennat. Les attentes exprimées cet automne par les 55 000 participants au Tour de France de l'égalité ont confirmé notre ressenti : l'égalité réelle entre les femmes et les hommes est un voeu pieux si la société tolère que s'exercent massivement des violences sexistes et sexuelles. Le présent projet de loi constitue une réponse efficace et concrète à l'exigence de mieux condamner les infractions sexuelles, de mieux sanctionner les auteurs des violences et, ainsi, de mieux protéger les victimes, notamment mineures. Nous partageons tous le même objectif ! Ce consensus s'est exprimé dans les différents travaux dont le Gouvernement s'est inspiré pour élaborer le texte : la Mission de consensus menée l'an passé par Flavie Flament et Jacques Calmettes sur la prescription applicable aux crimes sexuels commis sur les mineurs ; les travaux parlementaires réalisés par la délégation aux droits des femmes et à l'égalité de l'Assemblée nationale, par les députés du groupe de travail sur la verbalisation du harcèlement de rue, ainsi que par le groupe de travail sénatorial sur les infractions sexuelles commises à l'encontre des mineurs ; enfin, la mission pluridisciplinaire d'experts installée par le Premier ministre.
Ces travaux ont mis en évidence un même constat : trop peu d'agresseurs sont poursuivis et donc punis pour leurs actes. Seulement 10 % des victimes de violences sexuelles portent plainte et seulement 10 % des plaintes aboutissent à des condamnations : 1 % des violeurs sont donc condamnés. Le projet de loi vise en conséquence à améliorer la sanction des violences sexistes et sexuelles, conformément à l'engagement pris par le Président de la République le 25 novembre 2017. Il représente ainsi un pilier de l'édifice que nous avons commencé à bâtir pour répondre à un triple objectif : mieux prévenir les violences, mieux accompagner les victimes et mieux sanctionner les agresseurs. D'autres mesures fortes le complètent, dont certaines correspondent à des préconisations de votre rapport sur les infractions sexuelles sur mineurs : l'ouverture, d'ici à la fin de l'année 2018, à titre expérimental, de dix centres de soins de psychotraumatismes pour les victimes de violences ; le lancement avant l'été d'une plateforme de signalement en ligne gérée par les forces de l'ordre pour informer et orienter les victimes ; le déploiement d'un plan de formation initiale et continue des professionnels du secteur public - forces de l'ordre, personnel soignant, magistrats, enseignants - conformément aux objectifs de la circulaire du 9 mars 2018 ; enfin, des dispositifs inscrits dans le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et élaborés en concertation avec les partenaires sociaux et les organisations patronales pour faire reculer les violences sexistes et sexuelles au travail. Cette dernière initiative se double d'un appel à projets d'un montant d'un million d'euros, financé sur le budget de mon secrétariat d'État, pour soutenir les initiatives locales de prévention des violences sexistes et sexuelles au travail et d'accompagnement des victimes. À cet égard, je souhaite rappeler fermement que nous n'avons pas diminué d'un seul centime les subventions allouées aux associations nationales de lutte contre les violences sexistes et sexuelles ; plusieurs ont même été augmentées, comme l'aide dont bénéficie le Collectif féministe contre le viol. En outre, le Gouvernement finance, à hauteur de 4 millions d'euros, une ambitieuse campagne de communication visant à sensibiliser et à responsabiliser nos concitoyens aux violences sexistes et sexuelles. Jamais un gouvernement n'a consacré autant de moyens au combat culturel contre les agissements sexistes, terreau de toutes les violences de notre société !
Nous avons trop longtemps fermé les yeux, nourrissant ainsi le sentiment d'impunité des agresseurs. Notre projet de loi porte l'ambition de mettre un terme à une situation indigne en améliorant le traitement judiciaire et sociétal des viols et des violences sexistes et sexuelles, notamment commis sur mineurs. Outre notre ambition de condamner davantage d'auteurs d'infractions sexuelles, nous souhaitons élargir la définition du harcèlement pour pénaliser les « raids numériques ». Les ateliers du Tour de France de l'égalité ont mis en exergue l'exposition des jeunes à de nouvelles formes de violence sexiste et sexuelle en ligne. Insultes, harcèlement moral et sexuel, menaces de viol ou de mort : les violences commises dans l'espace virtuel ont les mêmes conséquences sur la santé, comme sur la vie sociale et intime des victimes. L'article 3 du projet de loi adapte notre droit à la lutte contre les raids numériques. La définition du harcèlement ne le considère constitué que lorsque les propos ou les comportements sont répétés par une même personne. Désormais, la répétition pourra résulter de l'action unique mais concertée de plusieurs auteurs à l'encontre d'une même victime. Les plaintes en seront facilitées et internet cessera de représenter un espace de non-droit pour les harceleurs.
Le projet de loi sanctionne enfin, avec l'article 4, le harcèlement dit « de rue » en créant l'infraction d'outrage sexiste, conformément à l'engagement du Président de la République. Angle mort de notre droit positif, le harcèlement de rue entrave pourtant gravement la liberté des femmes. Imaginez que près de huit femmes sur dix déclarent craindre de sortir seule le soir dans la rue, d'après une récente étude de l'Institut français d'opinion publique (IFOP) et de la Fondation Jean Jaurès. Les femmes qui, dans leur trajet quotidien pour aller travailler, doivent se préoccuper de leur sécurité et élaborer des stratégies d'évitement, ne peuvent avoir l'état d'esprit de conquête nécessaire à leur réussite professionnelle ! Les jeunes femmes qui se rendent à l'université ne peuvent réussir sereinement leurs examens si, chaque jour, elles s'inquiètent de leur sécurité dans les transports en commun ! La vie quotidienne des femmes est gravement affectée par le harcèlement de rue. Pour mieux les protéger, le texte permet, avec l'infraction d'outrage sexiste, de réprimer les propos ou comportement à connotation sexiste ou sexuelle imposés à une personne, portant atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, ou créant à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante. L'amende maximale, s'agissant d'une contravention de quatrième classe, est fixée à 750 euros, pouvant faire l'objet de la procédure simplifiée de l'amende forfaitaire à 90 euros si elle est réglée immédiatement. Lorsque les faits seront commis avec circonstances aggravantes - sur un mineur de quinze ans ou dans les transports en commun par exemple -, la contravention sera de cinquième classe, punie d'une amende maximale de 1 500 euros ou de 3 000 euros en cas de récidive. Par ailleurs, les auteurs des faits pourront être condamnés à des peines complémentaires, comme l'obligation de suivre un stage contre le sexisme et de sensibilisation à l'égalité entre les femmes et les hommes. Ces comportements pourront être verbalisés en flagrant délit par les forces de police, notamment par la police de la sécurité du quotidien formée à cet effet. La reconnaissance de cette infraction permet de poser un interdit social clair : il est interdit d'intimider des femmes. Il s'agit non pas d'une incivilité trop longtemps tolérée, mais d'un comportement pénalement répréhensible !
Le Gouvernement a fait le choix de la responsabilité en s'engageant avec une détermination absolue dans la lutte contre les violences, notamment lorsqu'elles sont commises à l'encontre des plus fragiles. Notre projet de loi constitue une avancée essentielle pour répondre à cette exigence. Il sera complété des mesures précédemment évoquées et des dispositifs annoncés par le Premier ministre lors du comité interministériel pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, le 8 mars dernier. Nos concitoyens attendent que nous combattions avec la plus grande fermeté ceux qui portent atteinte à leur dignité, à leur sécurité et à leur liberté. Nous devons collectivement nous montrer à la hauteur de cette attente.