Intervention de François Pillet

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 11 juin 2018 à 18h30
Projet de loi renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes — Audition de mmes nicole belloubet garde des sceaux ministre de la justice et marlène schiappa secrétaire d'état chargée de l'égalité entre les femmes et les hommes

Photo de François PilletFrançois Pillet :

Personne ne pourra jamais soutenir - je l'espère en tout cas - que nous ne partageons pas avec fermeté le même objectif, surtout pas le Sénat, qui, historiquement et chronologiquement, a commis de nombreux rapports sur ce point, y compris sur le thème des violences en général. Ainsi a-t-il régulièrement contribué à améliorer la législation sur les violences intrafamiliales. Pour autant, je formulerai deux observations.

J'adhérerai certainement à la nouvelle définition du viol, qui permettra de mettre fin à quelques curieuses décisions de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Toutefois, quand viendra l'heure du bilan, dans quelques années, il ne faudrait pas que notre combat semble avoir été engagé pour satisfaire notre bonne conscience. Le projet de loi apportera-t-il réellement des progrès aux victimes ?

Concernant l'allongement du délai de prescription, comme vous l'avez indiqué à juste titre, madame la garde des sceaux, dans tous les cas, le problème, c'est la preuve. Quand les témoins ont oublié, ou ont voulu oublier, quand ils sont morts, quand il n'y a plus aucune trace matérielle de l'agression, donnerons-nous vraiment une arme supérieure aux victimes en faisant passer le délai à trente ans ? Pour ma part, je ne le pense pas. Il y a là un risque supérieur, celui du dépérissement de la preuve, avec deux conséquences : la première au détriment des victimes qui, après avoir rouvert leurs blessures, risquent de s'entendre dire que la preuve n'est pas rapportée, et se retrouveront victimes une seconde fois ; la seconde au détriment des innocents, qui, en dépit du non-lieu ou de l'acquittement, ne pourront démontrer leur innocence puisque les preuves auront été effacées, et l'opprobre demeurera. Cette disposition ne me semble donc pas constituer un progrès. Il importe que les victimes libèrent leur parole le plus rapidement possible. Récemment, mon collègue François-Noël Buffet a envisagé la possibilité de faire en sorte que le traumatisme qui vous fait oublier pendant une certaine période de votre vie ce dont vous avez été victime conduise à une interruption de prescription, ce qui serait de nature à favoriser plus l'intérêt des victimes. Veillons à ce que l'allongement du délai n'ait pas pour conséquence d'aggraver les choses.

Par ailleurs, le Gouvernement aurait pu prendre la responsabilité de créer la contravention sans en passer par la loi, d'autant que, dans un avenir prochain, il nous sera proposé de faire en sorte que ce type d'amendements soit irrecevable d'office. Mais surtout, cette contravention existe déjà. L'injure sexiste, c'est une expression outrageante. S'il faut faire un peu d'orfèvrerie juridique et rédactionnelle, pourquoi pas ? Mais ne disons pas à tout-va que l'on va régler le problème, alors que tous les policiers affirment que cette disposition serait absolument inapplicable. Évitons de nous donner un peu trop bonne conscience en donnant l'illusion aux victimes que l'on va mieux traiter leur situation ! La situation catastrophique qu'elles connaissent ne se résoudra qu'en leur permettant, nous en sommes tous d'accord, psychologiquement et sociologiquement, de libérer leurs paroles. Encore faudrait-il plus de moyens budgétaires que prévu dans les lois de programmation.

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