Intervention de Jean-Pierre Decool

Réunion du 13 juin 2018 à 14h30
Utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre DecoolJean-Pierre Decool :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je dispose comme vous, très certainement, de quelques années de vie publique derrière moi, et j’observe à quel point les mentalités, les états d’esprit ont évolué.

Je me souviens que, dans les années quatre-vingt, lorsque nous évoquions les problèmes des quartiers difficiles, de l’économie souterraine, des zones de non-droit, nous nous faisions traiter de « sécuritaires ». Que d’inepties essuyées !

Pourtant, il suffisait de rappeler la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, laquelle affirme, dans son article II, le droit à la sûreté et proclame, dans son article XII, que « la garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique ». La sécurité n’est donc pas une nouveauté du XXIe siècle…

Avec les années, les problèmes d’insécurité ont évolué et les remèdes trouvent partiellement leur source dans le progrès des nouvelles technologies.

C’est ainsi que des dispositifs de caméras de vidéosurveillance, appelée pudiquement vidéoprotection – vous apprécierez la nuance sémantique –, ont été installés dans de nombreuses villes pour témoigner d’agressions, de vols sur la voie publique, avec les résultats que l’on connaît, pour servir les enquêtes et la recherche de la vérité.

Puis la nature de l’insécurité a changé. Ce ne sont plus seulement les citoyens qui en sont victimes, mais les forces de sécurité, cette force publique qui peut être physiquement agressée, mais aussi juridiquement accusée d’insulter, de porter des coups, voire de violer lors de contrôles de police ordinaires ou lors de transports de prisonniers. Et les plaintes contre les autorités se multiplient.

La police protectrice doit se protéger !

Les agents des services pénitentiaires doivent se justifier !

Les sapeurs-pompiers bénévoles ou professionnels, qui n’appartiennent pas aux forces de sécurité, doivent prévenir les éventuels dérapages, et le mot est modéré. La violente agression des pompiers en décembre 2017 à Wattrelos, dans le Nord, reste dans les mémoires. Une quinzaine d’individus agressèrent avec une violence inouïe, à l’aide de marteaux, des sapeurs-pompiers. Ces derniers étaient venus secourir ceux-là mêmes qui auraient pu être des proches des agresseurs.

Nous pouvons regretter, une fois de plus, que la technologie doive se substituer à la parole, à la confiance, au bon sens des hommes et des femmes, mais c’est ainsi. La société a changé et nous devons nous adapter.

Certains vont y voir une atteinte aux libertés publiques et d’autres une garantie de la sécurité. Les deux concepts ne sont pas incompatibles, et nous devons tenir compte des impératifs de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL.

Quel est donc l’intérêt de ce dispositif de caméras mobiles ?

Je veux être très pragmatique, très concret, en privilégiant l’efficacité sur l’idéologie, sur les partis pris.

Depuis 2012, les caméras mobiles sont expérimentées par les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale dans certaines zones de sécurité prioritaire afin de garantir les conditions légales des interventions. Puis, en 2016, la loi du 22 mars relative à la prévention et à la lutte contre les incivilités, contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs, modifiée par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, a créé un dispositif spécifique pour l’enregistrement audiovisuel des interventions des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP.

Enfin, la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale et son décret d’application du 23 décembre 2016 ont prévu un dispositif d’expérimentation pour les agents de la police municipale dans le cadre de leurs interventions.

Ce dispositif avait pour objectif de mener une expérimentation de deux ans se déroulant du 3 juin 2016 au 3 juin 2018, c’est-à-dire il y a tout juste dix jours. D’après le rapport d’évaluation qui nous a été transmis, 391 communes ont participé à l’expérience, donnant lieu à l’utilisation de 2 325 caméras.

À Quiévrechain, dans le Nord, territoire que je connais bien, un de nos plus jeunes maires, Pierre Griner, a équipé ses cinq agents de police municipale de ces caméras. Les témoignages des intéressés expriment, sans hésitation, une sorte de cri du cœur, que je traduis en ces termes : « Ne nous retirez pas nos caméras ! »

Certains affirment qu’elles devraient même être obligatoires. Pourquoi ? Quelles sont les raisons profondes d’une telle détermination ?

La police ne ressent plus ce lien de confiance qui devrait être naturel.

L’assermentation ? Un concept qui ne signifie plus grand-chose aux yeux de ceux qui sont considérés comme devant en bénéficier. Les personnels de sécurité n’y accordent plus de force, car ils se sentent avant tout fautifs, parfois soupçonnés. Les assermentés doivent toujours rendre des comptes et se justifier. C’est triste et ce n’est pas dans cette enceinte que nous en chercherons les origines.

Alors, heureuse caméra, qui dispose, dès lors, de trois qualités !

Toute parole ou tout geste à l’encontre des personnels de sécurité peuvent désormais être filmés. S’ils ont été victimes de violences, le doute n’est plus permis. Autant la parole peut être remise en cause, autant l’image vidéo ne peut pas être contestée. Elle est authentique et parle mille fois plus qu’un témoignage écrit, qui ne frappe pas. L’image a une force dont ne dispose pas la phrase.

La caméra exerce ensuite un véritable effet dissuasif : l’auteur d’une contestation exprimée avec plus ou moins de violence verbale ou gestuelle, à l’issue d’un contrôle, sait qu’il est filmé. Il aura tendance à s’incliner et à ne plus chercher la provocation. Il sait que la preuve de la vidéo ne lui permettra pas de contester les conditions de son interpellation.

Enfin, et c’est le troisième intérêt du système, l’agent n’est pas obligé de déclencher la caméra. C’est en fonction du caractère plus ou moins tendu de l’intervention qu’il apprécie la nécessité ou non de déclencher le système. Un policier me rappelait que, si les caméras de télévision peuvent créer des réactions violentes, les caméras mobiles ont visiblement un réel caractère dissuasif.

Alors, pour une fois que quelque chose fonctionne, tentons de l’utiliser et de l’étendre à d’autres professionnels, tels que les sapeurs-pompiers et les personnels pénitentiaires, et ce dans les règles fixées par les textes relatifs à la protection des données personnelles : les images ne sont pas conservées au-delà de six mois et seul le responsable du système a accès au dispositif.

Mes chers collègues, pardon pour ce catalogue de textes et d’expériences vécues.

La genèse de cette proposition est simple : des maires de mon département du Nord, et d’autres, souhaitaient équiper les pompiers de caméras-piétons. Ils ne se heurtaient pas vraiment à un vide juridique, mais plutôt à un flou juridique, qui les dissuadait de se lancer dans l’expérience.

Cette proposition de loi a donc pour objectif de lever les doutes, de clarifier cette zone d’ombre en étendant l’usage de ces caméras à ces nouvelles catégories. Il s’agit non pas de les faire bénéficier du retentissement médiatique, mais de leur ouvrir le dispositif d’encadrement dont les policiers municipaux disposent.

C’est la raison pour laquelle la commission a opportunément, me semble-t-il, précisé par amendement la nature des interventions pour les pompiers : le dispositif est possible lorsque se « produit ou est susceptible de se produire un incident de nature à mettre en péril leur intégrité physique ou celle d’un tiers », ce qui exclut naturellement le dispositif pour les interventions de nature médicale.

Il en est de même pour les services pénitentiaires, qui pourraient disposer d’un régime spécifique d’utilisation de ces caméras.

Enfin, je suis satisfait de constater qu’un article du texte de la commission permet de prolonger l’usage des caméras pour la police municipale.

Certains élus qui ont lancé cette expérimentation, prévue jusqu’au 3 juin dernier, je le rappelle, ne souhaitent pas interrompre le processus en attendant le vote du présent texte.

Il serait opportun, madame la ministre, que vous clarifiiez juridiquement le régime de ces expérimentations pour les mois à venir, c’est-à-dire au lendemain du 3 juin, afin de rassurer les maires et les personnels concernés. Ont-ils l’autorisation de continuer à filmer, alors que l’on sait que le temps législatif, démocratique, est parfois long, et qu’il faudra transmettre cette proposition de loi à l’Assemblée nationale dans le cadre de la navette parlementaire ?

Laissons les expériences se prolonger et attendons leurs bilans pour éventuellement réajuster le cadre juridique.

Pour conclure, il me semble que ce dispositif, qui n’est pas la solution miracle – nous en avons conscience –, permet à la fois de protéger le représentant de l’ordre, comme la personne qui aurait pu être abusée. L’équilibre entre liberté et sécurité est trouvé, ce qui répond aux préoccupations de la population, des forces de sécurité et des élus.

Je remercie ici mes collègues Dany Wattebled, rapporteur, et Philippe Bas, président de la commission des lois, de l’attention portée à cette problématique lors des travaux de la commission.

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