Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, parce qu’ils incarnent l’autorité de l’État, les agents publics sont de plus en plus victimes d’insultes, d’outrages, voire d’agressions dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions.
Depuis plusieurs années, le nombre d’agressions de policiers et de gendarmes ne cesse d’augmenter, atteignant des niveaux préoccupants. En 2016, 687 policiers ont été blessés par arme en mission et 1 984 gendarmes ont fait l’objet d’une agression. Outre leur nombre, c’est également la violence de ces agressions qui inquiète. Tout le monde ici se souvient de l’agression effroyable d’un groupe de policiers à Viry-Châtillon en 2016.
Les forces de sécurité intérieure ne sont toutefois pas les seules concernées par cette montée de violence. Alors même qu’ils assurent des missions de secours à personne, les sapeurs-pompiers sont également soumis à une agressivité croissante dans le cadre de leurs interventions. En 2016, 2 280 d’entre eux ont déclaré avoir été victimes d’une agression, soit une augmentation de 18 % par rapport à l’année précédente.
Les agressions physiques commises à l’encontre des personnels pénitentiaires sont également en hausse : plus de 4 000 surveillants sont blessés chaque année dans le cadre de leurs missions. Il faut ajouter à ce chiffre les quelque 12 000 agressions verbales dont ils sont victimes.
Face à ces actes intolérables, le législateur n’est pas resté inactif.
Récemment, la répression des actes commis à l’encontre des agents publics a été renforcée. Depuis 2017, les peines encourues pour outrage à personne détentrice de l’autorité publique ont ainsi été augmentées et alignées sur celles encourues pour les outrages à magistrat.
Des initiatives ont également été prises en matière préventive. Parmi celles-ci figure la mise en place des caméras mobiles, plus communément appelées « caméras-piétons ».
Ces caméras mobiles ont été initialement mises en œuvre à compter de 2013, et uniquement à titre expérimental, au bénéfice des agents de la police nationale. Elles ont été pérennisées pour l’ensemble des policiers et des gendarmes en 2016. Une expérimentation a été lancée, la même année, pour les agents de police municipale et les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP.
L’objectif de ces caméras est double. Il s’agit, d’abord, de mieux protéger les agents contre les accusations parfois excessives dont ils font l’objet. En cas de contentieux ou de contestation des conditions dans lesquelles s’est déroulée une intervention, les enregistrements vidéo constituent des éléments de preuve objectifs, susceptibles d’être utilisés dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Il s’agit, ensuite, face à la dégradation des relations entre les forces de l’ordre et une partie de la population, d’inciter les uns et les autres à une plus grande modération. Or l’usage de l’enregistrement audiovisuel est apparu comme un moyen d’apaiser les tensions.
Dans les faits, le recours aux caméras mobiles a démontré toute son utilité. L’effet modérateur sur le terrain a effectivement été ressenti. Le simple port d’une caméra par les agents a eu un effet dissuasif et parfois permis d’apaiser des situations tendues.
La proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Pierre Decool, qu’il nous revient aujourd’hui d’examiner, vise à étendre l’usage de ces caméras mobiles à d’autres catégories d’agents de sécurité dont les conditions d’intervention se dégradent chaque jour.
La commission des lois a validé, sur le principe, l’extension proposée à ces deux catégories d’agents. La protection de nos agents publics est devenue une nécessité. Les violences commises à leur égard constituent en effet une atteinte à notre République, ce que nous ne pouvons tolérer !
Notre commission a toutefois estimé nécessaire d’apporter plusieurs modifications à la proposition de loi, avec deux objectifs : d’une part, assurer la proportionnalité des dispositifs proposés et garantir le droit au respect de la vie privée et, d’autre part, adapter les dispositifs proposés aux besoins du terrain.
L’extension de l’usage des caméras mobiles aux sapeurs-pompiers n’allait pas de soi. Pour la première fois, en effet, l’usage de ces caméras serait étendu à des agents qui ne remplissent pas une mission de sécurité publique. Et nous nous sommes interrogés sur le point de savoir si l’atteinte au droit au respect de la vie privée est, dans ce cas, réellement proportionnée.
Parce que les sapeurs-pompiers incarnent, malgré tout, l’autorité publique, surtout celle de l’État, et parce qu’ils font l’objet d’agressions de plus en plus violentes, la commission des lois a estimé qu’une telle extension était possible, mais à condition de l’entourer de garanties suffisantes.
Elle a donc réécrit l’article 1er de la proposition de loi afin de définir un cadre plus précis et plus protecteur.
Le nouvel article retenu restreint, tout d’abord, l’usage des caméras individuelles aux seuls cas où « se produit ou est susceptible de se produire un incident de nature à mettre en péril leur intégrité physique ».
Il exclut, ensuite, la possibilité pour les sapeurs-pompiers de recourir aux caméras individuelles à l’occasion d’interventions à caractère médical, de manière à assurer le respect du secret médical.
Compte tenu des délais de lancement d’une telle expérimentation, notamment liés à la nécessité de passer des marchés publics pour l’acquisition des équipements, la durée de l’expérimentation sera allongée de deux ans à trois ans. Un rapport devrait également être remis par le Gouvernement au Parlement au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation.
Enfin, la rédaction adoptée par la commission prévoit que le décret d’application de l’article sera non seulement pris en Conseil d’État, mais qu’il interviendra aussi après avis motivé et publié de la Commission nationale de l’informatique et des libertés.
En ce qui concerne les surveillants pénitentiaires, la commission des lois ne s’est pas contentée de valider le dispositif proposé, elle l’a également étendu. Bien entendu, il ne s’agit pas d’étendre l’usage de ces caméras à tous les surveillants ni à toutes les missions qu’ils remplissent. Toutefois, l’usage des caméras mobiles pourrait se révéler utile dans le cadre des missions qui présentent un risque particulier d’incident ou d’évasion, soit en raison de leur nature – je pense, par exemple, aux missions des équipes régionales d’intervention et de sécurité appelées en cas de crise – soit en raison du niveau de dangerosité des détenus concernés – détenus violents ou radicalisés, notamment.
Il m’a d’ailleurs été rapporté que l’administration pénitentiaire avait déjà recours à des caméras mobiles. L’extension a donc, à tout le moins, le mérite de donner un cadre à ces pratiques !
En contrepartie de cette extension du champ de l’article 2, la commission des lois a estimé préférable de rendre le dispositif expérimental pour une durée de trois ans.
De plus, la commission des lois a souhaité profiter de cette proposition de loi pour pérenniser l’usage des caméras mobiles par les polices municipales.
L’expérimentation, lancée en 2016, a bien pris fin le 3 juin 2018, sans que le Gouvernement ait transmis le rapport d’évaluation dans les délais impartis. Nous nous trouvons désormais dans une situation de vide juridique, qui fragilise l’usage de ces caméras par les communes.
Cette situation, madame la ministre, nous la déplorons fortement, car elle place aujourd’hui les communes dans une position pour le moins complexe. Nous sommes chaque jour confrontés, sur le terrain, à des maires qui s’inquiètent de l’avenir de ce dispositif !
Vos services ont bien voulu me transmettre un rapport d’évaluation provisoire de cette expérimentation. Ce rapport dresse un bilan très positif de l’expérimentation conduite. Au total, 344 communes ont demandé à pouvoir se doter de ces caméras et 2 106 caméras ont été déployées. Le caractère dissuasif du port des caméras par les policiers municipaux, comme pour les forces de l’État, a été salué par la plupart des communes concernées.
Face à ce bilan positif, la commission des lois a décidé de compléter la proposition de loi afin de pérenniser le dispositif.
Nous espérons désormais, madame la ministre, que cette proposition de loi fera rapidement l’objet d’une discussion à l’Assemblée nationale pour que la situation des communes soit sécurisée aussi tôt que possible.