Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 13 juin 2018 à 14h30
Utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « Ce que Foucault sent, c’est que le pouvoir va devoir procéder autrement, beaucoup plus souplement, insidieusement, et en faisant une sorte d’échange : on troque une partie de notre liberté au nom d’une vie plus fluide. Il anticipe le fait qu’on passe d’un régime disciplinaire à un régime plus normatif. » C’est ce qu’explique Alain Damasio, romancier et auteur de La Zone du dehors.

« On troque une partie de notre liberté au nom d’une vie plus fluide », et même si fluide que ce genre de texte ne suscite désormais plus le moindre froncement de sourcils en commission des lois.

Sous couvert de pacification des relations entre l’État et ses administrés, on nous propose aujourd’hui d’étendre un dispositif jusque-là réservé aux forces de l’ordre – police nationale et gendarmerie – à d’autres agents de la fonction publique : policiers municipaux, d’abord, puis sapeurs-pompiers et agents de l’administration pénitentiaire.

L’extension du dispositif à la police municipale, dont l’expérimentation vient de s’achever, présenterait un « bilan très positif », selon Gérard Collomb. Nous regrettons que le rapport d’évaluation n’ait été rendu public qu’hier en début de soirée. Au-delà d’un évident satisfecit ministériel, ce rapport est – j’en juge après une lecture, je dois le dire, rapide – de nature à soulever un certain nombre de questions que nous ne pourrons, à l’évidence, pas aborder cet après-midi.

Je rappellerai que, pour notre part, nous n’étions pas favorables à cette expérimentation. Nous jugeons que sa pérennisation n’est pas souhaitable, comme nous avons eu l’occasion de le dire lors de la discussion de notre proposition de loi relative à la lutte contre les contrôles au faciès.

Le dispositif n’est pensé que du point de vue des agents en exercice, et non dans le but de protéger également les citoyens et, dans le cas de l’administration pénitentiaire, les usagers du service public. Les caméras mobiles sont allumées et éteintes par les agents qui les portent, donc lorsqu’ils le souhaitent.

Se pose alors la question du but de l’opération : s’agirait-il d’avoir des éléments de preuve pour porter plainte contre son interlocuteur, sans que celui-ci puisse s’en défendre ? « Surveiller et punir », donc, puisque les images qui seront transmises aux magistrats seront celles qui seront filmées par une seule et même partie.

La question du traitement des images est aussi importante : ces caméras sont souvent présentées comme un outil prétendument économique pour l’apaisement des relations entre forces de l’ordre et population, mais des moyens devront être donnés au personnel qui traitera les données filmées. Dès lors, ne vaudrait-il pas mieux consacrer ces moyens au traitement des causes profondes de la délinquance, par exemple en déployant une véritable police de proximité partout sur le territoire et en repensant notre politique carcérale ?

Enfin se pose la question de la protection des données personnelles. Il est prévu qu’elles soient détruites au bout de six mois, hors le cas où elles seront utilisées dans le cadre d’une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire. Dans ces derniers cas, en revanche, nulle mention des délais. Qu’en est-il ?

La vidéosurveillance « constitue le premier pilier de ce qu’on peut appeler la “société de surveillance” » : l’acuité des propos d’Alex Türk, ancien sénateur et président de la CNIL, est intacte, quoi qu’en disent les auteurs de la proposition de loi.

Dans un contexte de tout-sécuritaire et de réduction des dépenses publiques, la proposition qui nous est faite ne répond pas aux inquiétudes bien réelles et légitimes des professionnels, mais comporte de multiples risques de dérives. Ainsi, après la police, les pompiers et les personnels de l’administration pénitentiaire, pourquoi pas, demain, les personnels hospitaliers, qui sont régulièrement pris à partie, ou encore les instituteurs ou les professeurs dans certains établissements scolaires ?

C’est un leurre de vouloir résoudre par la technologie le problème du manque de moyens budgétaires. D’autres réponses existent, mais elles exigent de réorienter les politiques sécuritaires et d’austérité déjà engagées.

Les sapeurs-pompiers ne seront pas moins pris à partie avec une caméra mobile installée sur leur uniforme.

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