Pour autant, là n’est pas selon nous la principale réussite de la commission mixte paritaire. Son succès, celui de ses acteurs, est d’avoir su conserver tous les apports du Sénat sur ce texte, qui ne sont pas des moindres : inscription de la lutte contre le réchauffement climatique dans les objectifs de la SNCF ; garantie de l’unité sociale par la création d’un même socle de droits au sein de l’ensemble du groupe ; extension de six à huit ans du délai durant lequel les salariés transférés aux nouveaux opérateurs pourront demander à réintégrer le statut en cas de réembauche au sein du groupe SNCF. Ce sont là des mesures qui devraient contribuer à éteindre l’incendie social et à rassurer les plus inquiets. Mais, parce que le temps législatif n’est pas toujours celui de l’acceptation sociale, nous sommes bien conscients, madame la ministre, qu’il vous faudra encore faire preuve de beaucoup de pédagogie. Une fois les écritures couchées sur le papier, il faut encore évangéliser…
Le Sénat a aussi apporté sa pierre sur des sujets plus techniques et pratiques, de la plus grande importance : le transfert des matériels roulants et des ateliers de maintenance, la vente des billets, le maintien d’un haut niveau de sécurité et de sûreté.
Mes chers collègues, j’ai gardé pour la fin le volet qui me tient le plus à cœur, et qui retient toute l’attention des représentants des territoires que nous sommes : celui de la desserte des zones rurales et de l’avenir de ce que l’on appelle « les petites lignes », au-delà des incertitudes qui pèsent sur certaines lignes TGV.
Je vous avoue avoir participé à nos discussions sans perdre de vue le risque qu’une telle réforme pouvait présenter pour la vitalité de nos territoires. L’ouverture à la concurrence, oui, mais pas à n’importe quel prix ni à n’importe quelles conditions. Il faut savoir que, quand une zone rurale perd son train, sans disposer d’une solution de rechange, elle sombre dans l’enclavement. Or l’enclavement – chacun en a bien conscience dans cet hémicycle – a des conséquences lourdes, rapides et irréversibles.
Les offres de mobilité peuvent et doivent être diverses et complémentaires, nous le savons. Mais, dans un contexte où l’avenir des lignes secondaires est incertain, l’entretien des routes problématique, les déplacements en voiture toujours plus lents et plus chers, les investissements verrouillés par des logiques comptables, les ruraux doutent désormais de tout. Comment croire que des usagers moins nombreux auront droit à la même offre, ou en tout cas à une offre adaptée et suffisante ?
Ces préoccupations ont été prises en compte dans le texte. Le Sénat a fermement réaffirmé le rôle de l’État pour préserver les dessertes d’aménagement du territoire. Ainsi, l’État pourra conclure des contrats de service public destinés à préserver les dessertes directes sans correspondance, même pour les lignes à grande vitesse. Il s’agit de garantir que l’ouverture à la concurrence dite « en open access » ne conduise pas à l’abandon pur et simple des dessertes moins rentables. De plus, les régions pourront contractualiser directement avec l’État et les opérateurs pour préserver les petites lignes. Enfin, le système de tarification est aussi conçu pour assurer une forme de péréquation entre les lignes les plus exploitées et celles qui le seront moins.
Ces garde-fous étaient indispensables. Ils sont désormais en place. Seront-ils suffisants ? Ce n’est pas certain. C’est pourquoi, à titre personnel, je m’étais abstenue sur ce texte en première lecture. Le groupe Union Centriste, quant à lui, a fait le pari pascalien d’y croire, mais croyance ne rime pas avec blanc-seing. Nous ne continuerons de croire que ce que nous verrons.
Maintenant que le temps législatif s’achève, s’annonce celui de la mise en œuvre de la réforme dans nos territoires. Si nous sommes favorables à l’ouverture à la concurrence et si nous en attendons beaucoup, nous serons cependant extrêmement vigilants à ce que la présente réforme ne se traduise pas, in fine, par un nouveau coup porté à la ruralité.