Nous faisons ce matin le point sur la situation en Corée du Nord et j'ai le plaisir d'accueillir Madame Juliette Morillot. Vous êtes chercheuse, auteur d'ouvrages de référence sur la Corée du Nord, sur ses camps, ses dirigeants et son régime, ainsi que Monsieur Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique. Je vous remercie de vous être rendus disponibles pour cette audition.
La dégradation de la situation stratégique dans ce pays a été très rapide ces derniers mois. Le 29 novembre 2017 a eu lieu le dernier tir en date d'un missile balistique intercontinental de la Corée du Nord, mettant, selon la rhétorique du pays, la « totalité du continent américain » à sa portée, pas de plus vers un statut « d'État nucléaire ». Depuis septembre 2017, la Corée du Nord a procédé à plusieurs essais nucléaires et tirs de missile balistique, d'une puissance très conséquente, confirmant ainsi l'accélération du développement quantitatif et qualitatif de son arsenal.
Sommes-nous face à une nouvelle puissance nucléaire à part entière ? Quelle crédibilité accorder aux déclarations du dictateur Kim Jong-Un ? Comment ce pays parvient-il à progresser aussi rapidement dans le domaine nucléaire? Quels États jouent ou ont joué un jeu dangereux ?
Les résolutions successives au Conseil de Sécurité sont venues durcir des sanctions qui frappent désormais plus de 90 % des exportations et une cinquantaine de personnes ou entités. Pourtant, au-delà d'une unanimité de façade, la Chine et la Russie, en défendant le « double gel », à la fois du programme nucléaire nord-coréen et des exercices militaires entre les États-Unis et la Corée du Sud, visent en fait à affaiblir la présence américaine dans la région. Vous pourrez peut-être nous expliquer quel jeu joue la Chine qui n'a pu retenir son allié coréen et qui souhaite éviter son effondrement ?
L'équilibre régional paraît très fragile. Le Japon, Hawaï sont directement concernés par les menaces nord-coréennes. L'Europe, les intérêts stratégiques français ne sont plus hors de portée. La dissuasion élargie américaine est directement défiée. Une guerre nucléaire par accident peut-elle se déclencher dans la péninsule coréenne ? Les déclarations de M. Trump sur « rocket man » et la polémique sur la capacité des généraux américains à désobéir à un ordre de feu nucléaire fragilisent globalement l'équilibre de la dissuasion.
Vous nous direz aussi s'il faut voir dans la récente reprise du dialogue intercoréen les effets des sanctions ou le début d'une nouvelle période ? L'annonce en ce début d'année de la reprise des réunions intercoréennes, et de la participation de la Corée du Nord aux prochains jeux olympiques de PyeongChang est évidemment un signe positif. Mais la question se pose : jusqu'où peut aller ce dialogue ?
Enfin, la question que nous nous posons tous : que peut faire notre diplomatie pour conforter le dialogue tout en renforçant le traité de non-prolifération, qui est la pierre angulaire des équilibres géostratégiques actuels ?