Intervention de Jean-Yves Le Drian

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 24 janvier 2018 à 16h30
Situation des chrétiens d'orient et des minorités au moyen-orient — Audition de M. Jean-Yves Le drian ministre de l'europe et des affaires étrangères

Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères :

Merci.

Je tiens à vous redire tout le plaisir que j'ai à chaque fois que je suis auditionné par votre commission.

Je suis heureux d'entendre les premiers résultats de la mission effectuée par le groupe de liaison sur les minorités et les chrétiens au Moyen-Orient.

Je suis pour ma part convaincu de l'utilité de cette diplomatie de terrain, qui complète opportunément la diplomatie officielle que je suis amené à mener.

Je veux vous dire aussi que la situation des minorités religieuses, d'une manière générale, et chrétiennes en particulier, est une préoccupation ancienne de notre politique étrangère.

On ne peut traiter cette question sans se référer brièvement à l'Histoire. Les membres du groupe la connaissent certainement, mais il faut la rappeler. La protection de ces minorités est en effet un sujet sur lequel notre diplomatie s'inscrit dans un temps long. C'est un domaine dans lequel le passé nous oblige.

Cette relation remonte au traité des Capitulations, conclu en 1536 entre le roi François Ier et le sultan Soliman le Magnifique. Dans le cadre de l'alliance franco-ottomane, la France s'est vue reconnaître le droit et la responsabilité de la protection des chrétiens de l'Empire ottoman. C'est dans ce cadre que la France est devenue un acteur majeur au Proche-Orient et que les congrégations françaises ont été nombreuses à ouvrir des institutions sociales ou éducatives au service des chrétiens d'Orient.

Je veux aussi rappeler le succès remarquable de l'exposition sur les chrétiens d'Orient à l'Institut du monde arabe. J'ai eu l'opportunité de la visiter : elle montre bien la sensibilité française à l'égard des chrétiens d'Orient dans l'Histoire.

Cet héritage, dont nous sommes porteurs, s'est enrichi au fil du temps d'autres affinités. Je pense en particulier aux communautés juives du Moyen-Orient, arrimées à l'espace francophone par le réseau d'enseignement de l'Alliance israélite universelle fondée en 1860 à Paris par Adolphe Crémieux.

Je pense également à l'amitié particulière qui nous lie au peuple kurde, renforcée par la fraternité d'armes contre Daech, Cette amitié a guidé au cours des derniers mois les efforts impulsés par le Président de la République pour accompagner une reprise du dialogue entre Bagdad et Erbil, après la crise ouverte par le référendum kurde d'indépendance du 25 septembre dernier.

J'ai eu l'occasion de m'y rendre et de rencontrer le président Barzani pour lui dire que nous ne souhaitions pas qu'il s'engage dans une telle aventure. Il l'a fait cependant et a, du coup, un peu disparu de la scène, remplacé par son cousin, également appelé Barzani, qui a été nommé premier ministre.

Les deux premiers ministres, MM. al-Abadi et Barzani, se sont rencontrés cette semaine. Tout laisse à penser que nous connaîtrons de nouvelles avancées dans ce domaine. Je rencontrerai demain à Davos le premier ministre Barzani pour établir avec lui des liens nouveaux. Il semble que les choses aillent mieux dans son pays.

Dans le cours de cette longue histoire, l'émergence de Daech a constitué un tournant - à dire vrai dire une rupture. L'organisation terroriste, vous le savez, a particulièrement ciblé dans ses exactions les minorités religieuses d'Irak et de Syrie - chrétiens de toutes confessions, Yézidis, Shabaks, Mazdéens. La destruction fait partie intégrante de son projet totalitaire. L'exode provoqué par ce choc aboutit à ce résultat que l'on aurait pu croire impossible il y a dix ou quinze ans : l'épuisement de communautés millénaires au centre même de leur histoire.

Chacun pense ici bien sûr au calvaire de milliers de femmes yézidies, vendues sur des marchés d'esclaves, violées, livrées à la tyrannie de brutes djihadistes. J'ai reçu au Quai d'Orsay l'une de ces survivantes, Mme Nadia Mourad, dont le témoignage a ému le monde. Son sort a été partagé par de nombreuses autres femmes. Certaines sont mortes ou ont disparu. Les autres essaient, avec les difficultés que l'on imagine, de se reconstruire.

On débat, avec une compréhension qui, parfois, m'étonne, de la question des « revenants ». Ceux qui se rendaient à Mossoul ou à Raqqa n'y allaient pas pour faire du tourisme ! Je l'ai déjà dit sous la mandature précédente : ceux qui combattaient avec Daech étaient et sont nos ennemis, quelle que soit leur nationalité. Je le répète, car j'entends et je lis des choses qui m'étonnent sincèrement.

Daech, dans son entreprise de table rase culturelle, n'a pas ciblé que les hauts lieux du patrimoine préislamique - Palmyre ou Hatra, pour ne citer que les plus emblématiques. Le patrimoine chrétien, souvent très ancien dans cette région qui est le berceau du christianisme, a également été visé. Je pense au monastère Saint-Élie de Mossoul, le plus ancien d'Irak, démantelé à coups de bulldozer. Je pense aussi au monastère des saints Behnam et Sarah, près de Qaraqosh, dynamité en 2015, et à tous les lieux de culte détruits ou profanés dans la région.

La rage iconoclaste de Daech ne s'est pas cantonnée aux minorités. Les tombes des prophètes Jonas et Daniel, communs aux trois monothéismes, des mosquées anciennes, des sanctuaires soufis, des sépultures islamiques ont également été saccagés.

Mais, dans le cas des minorités, ce sont les communautés elles-mêmes que l'on a cherché à effacer, avec leur patrimoine. De fait, c'est toute une trame humaine, tissée au cours des siècles, qui se trouve aujourd'hui déchirée, effilée, rapiécée. Je pense en particulier à la plaine de Ninive, au Nord-Est de Mossoul, naguère exemplaire de la diversité irakienne. Berceau de la communauté assyrienne d'Irak, dont Qaraqosh est la « petite Jérusalem », elle abrite également des populations yézidies et shabaks, ainsi que des Arabes, des Kurdes musulmans et une communauté chrétienne.

Avec l'offensive de Daech au printemps 2014, les minoritaires ont fui vers le Nord. Ceux qui n'ont pu le faire ont subi les exactions, les massacres et les déportations. Dès lors se pose la question de leur retour. J'y reviendrai.

Aujourd'hui, Daech est en passe d'être vaincue sous la forme territoriale. Je partage votre avis, monsieur le président : cela ne signifie pas que la menace ait disparu. L'organisation a renoué avec une forme de terrorisme asymétrique. Dans ce type de stratégie terroriste, les minorités et leurs lieux de culte représentent des cibles privilégiées. J'en veux pour preuves les attaques successives qui ont endeuillé la communauté copte d'Égypte, la plus importante - 8 millions à 10 millions de personnes - dans une église d'Alexandrie, le dimanche des rameaux, le 25 mai contre un bus de pèlerins dans la province de Minya, puis contre une église de la banlieue du Caire, le 30 décembre.

À chaque fois que je me rends au Caire, je tiens à rencontrer Sa Sainteté Tawadros II, le pape des Coptes. Il est très important de pouvoir conserver une relation directe avec lui. J'ai ainsi permis de renforcer la sécurité des chrétiens. J'espère avoir un échange assidu et régulier avec les autorités égyptiennes pour la protection des communautés chrétiennes d'Égypte, et conserver une relation très forte entre celles-ci et l'université islamique d'El Azhar. À chaque opportunité qui m'est donnée, je provoque des rencontres au Caire à cette fin.

Depuis 2014 et l'invasion de la plaine de Ninive par Daech, la France compte parmi les pays qui se sont le plus mobilisés en faveur des victimes de ces exactions. La France s'est beaucoup investie en matière de défense du pluralisme au Proche-Orient et au Moyen-Orient.

Cette mobilisation, il faut le souligner, s'est opérée sans discrimination, au profit de toutes les minorités menacées, y compris, parmi les musulmans, les chiites en pays sunnites et les sunnites en pays chiite, car il existe aussi des musulmans persécutés.

En République islamique d'Iran, où il reste contre toute attente une communauté juive iranienne, les chrétiens sont plutôt mieux traités que dans beaucoup de pays de la région, et les zoroastriens ont traversé les siècles, mais ce sont les musulmans hétérodoxes qui sont réprimés.

Notre politique dans ce domaine se veut inclusive, fidèle à notre histoire et conforme à notre conception universaliste des droits de l'homme, dans une région où cette conception ne fait pas consensus.

Comme l'a rappelé le Président de la République lorsqu'il a inauguré, le 25 septembre dernier, l'exposition sur les chrétiens d'Orient en compagnie du président Aoun : « Partout où des minorités défendent leur foi, la France est à leurs côtés (...) parce que nous croyons au pluralisme ».

Si nous nous mobilisons ainsi, c'est pour trois raisons essentielles, et d'abord par fidélité envers des populations historiquement proches de nous et de notre culture, souvent francophones, par cohérence également avec notre approche universaliste des droits de l'homme, enfin parce que nous sommes convaincus que la diversité humaine, religieuse et culturelle est une part essentielle de l'identité du Moyen-Orient, et qu'il ne sera pas possible d'assurer la paix et la stabilité dans cette région si cette diversité se délite ou disparaît. C'est d'ailleurs une des dimensions de notre soutien au Liban.

C'est dans cet esprit que la France s'est employée, dès 2015, à mobiliser la communauté internationale sur la question des minorités, parallèlement à notre combat contre Daech.

La France a d'abord profité de sa présidence du Conseil de sécurité, sous le quinquennat précédent, pour convoquer une réunion extraordinaire au niveau ministériel, le 27 mars 2015. Nous avons initié sur cette question, en septembre 2015, une conférence internationale à Paris, coprésidée par la Jordanie. Le but est d'internationaliser la question des minorités chrétiennes au Moyen-Orient. Cela semble évident a priori, encore faut-il qu'un État s'y emploie. C'est ce que nous avons fait.

De cette réflexion est sorti un plan d'action qui fait désormais référence et autorité. Il énonce les mesures à prendre dans les domaines humanitaire, politique, patrimonial et judiciaire, pour créer les conditions d'un retour des membres de ces communautés.

L'Espagne en a organisé le suivi avec la conférence de Madrid en mai 2017. La Belgique prépare une nouvelle conférence qui se tiendra au premier semestre 2018.

Par ailleurs, un fonds de soutien aux victimes des violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient a été créé en 2015. Il appuie des projets mis en oeuvre notamment par des ONG françaises au profit des communautés menacées. Il contribue à assurer une présence et une visibilité de notre pays au sein de ces communautés.

Ce fonds a déjà engagé 15 millions d'euros sur 60 projets, principalement sur l'aide humanitaire, mais aussi en faveur de mesures visant au déminage et, plus spécifiquement, à l'égard des Yézidis. Il reste 5 millions d'euros à engager en 2018. J'ai demandé que soient rapidement déterminées les modalités de la poursuite de notre aide.

J'ajoute que nous avons pris des initiatives en faveur du patrimoine du Moyen-Orient. Le président Hollande avait présidé une conférence internationale à Abou Dhabi en décembre 2016, sous la coprésidence de la France et des Émirats arabes unis. Ceci a débouché sur la création du Fonds d'aide à la rénovation du patrimoine détruit dans les zones de conflit (ALIPH), qui pourrait permettre un redressement des oeuvres touchées par les combats, en particulier dans la zone où vous vous êtes rendus.

Depuis 2014, la situation sur le terrain a considérablement évolué. Elle s'est améliorée dans la plaine de Ninive depuis la reprise de Mossoul. À Qaraqosh, 50 % de la population est revenue. La campagne de déminage est achevée, mais nous devons poursuivre et amplifier notre effort de stabilisation en direction des régions d'origine des minorités qui sont souvent celles où les destructions ont été les plus importantes, où le taux de retour est le plus faible et où le combat pour le déminage reste la première urgence, notamment dans la région du mont Sinjar, zone yézidie.

À titre d'exemple, depuis 2016, avec notre appui financier, près de 2 000 engins explosifs ont été détruits ou retirés sur une surface couvrant 750 000 m² à Sinuni et dans 23 villages alentour, bénéficiant directement aux résidents yézidis.

Il s'agit plus largement de garantir aux populations locales un retour en toute sécurité dans leurs zones.

Vous l'avez indiqué, une conférence aura lieu en février au Koweït, consacrée à la reconstruction de l'Irak. J'y serai moi-même présent. Le Président de la République a déjà décidé de doubler nos crédits de coopération en faveur de l'Irak.

Je me permets de faire à cet égard quelques observations par rapport aux interrogations de Dominique de Legge. Il importe que les élections irakiennes se déroulent dans les meilleures conditions. Je ne suis pas certain, aujourd'hui, alors qu'on pouvait le penser il y a encore quelque temps, de la victoire du premier ministre al-Abadi. L'accord passé avec le mouvement de mobilisation populaire a en effet été rompu, et si ce mouvement rejoint Nouri al-Maliki, on risque de très mauvaises surprises.

Il faut également que l'aide internationale à la reconstruction pour l'Irak puisse être rapidement mobilisée et visible de l'ensemble de la population, afin d'éviter que, par désespoir, les sunnites, se sentent non reconnus et ne tombent dans une nouvelle forme de terrorisme. Il est urgent d'agir. La France jouera son rôle.

Après avoir donné pour la guerre, il faut aussi donner pour la paix. C'est là une démarche marchande qui ne constitue pas ma première préoccupation, mais cela vaut la peine de le rappeler.

Il faut rapidement envoyer des signes très forts en matière de dispensaires, de déminage, d'eau potable, pour permettre aux minorités de réinvestir leurs lieux de vie et retrouver la sérénité. C'est possible, mais il faut que chacun y consacre suffisamment.

Pour ce qui concerne la reconstruction, nous veillons que nos crédits puissent être affectés à des projets liés aux villes chrétiennes de Karamlech et Qaraqosh, en soutenant les micro-entrepreneurs, la création de dispensaires ou d'écoles. Le centre de crise et de soutien du ministère des affaires étrangères est très vigilant à cet égard. J'ai bien noté votre observation sur l'insuffisante reconnaissance des ONG françaises. Je vais me pencher sur ce point car, lors de mon déplacement au Koweït, il est également prévu que je me rende en Irak rencontrer les autorités et leur apporter une forme de soutien.

Une nouvelle période s'ouvre donc en Irak, et peut-être en Syrie.

La Syrie connaît actuellement une période très grave. On se trouve confronté à trois risques majeurs. Le premier, c'est l'entrée des Turcs dans Afrine, qui compte 400 000 habitants, dont des Kurdes du PYG. Certains de vous connaissent bien les « différentes nuances de Kurdes ». Il existe des Kurdes irakiens, iraniens, syriens, plus ceux du PKK. Tout cela ne forme pas un ensemble homogène. Cette pénétration se fait manifestement avec la complicité des Russes. On ne sait pas jusqu'où, mais c'est très préoccupant.

Par ailleurs, dans la zone de Ghouta Est, le régime encercle les populations de l'intérieur.

Enfin, dans la zone d'Idlib, qui compte 2,5 millions d'habitants, les bombardements de l'armée de Bachar al-Assad ont commencé, avec le soutien des Russes, par voie aérienne. On dénombre trois zones de conflit. Ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire lors de l'une de mes dernières auditions, une fois Daech éliminé ou partiellement éliminé, d'autres conflits sous-jacents vont apparaître. On le voit entre les Turcs et les Kurdes, mais il y en aura peut-être entre Turcs et arabes ou entre le Hezbollah et Israël.

Nous sommes devant une situation particulièrement difficile, la zone nord-est étant tenue par les Kurdes des forces démocratiques syriennes (FDS) avec le soutien de la coalition.

Par ailleurs se tient demain à Vienne une réunion de la dernière chance, sur la base du processus onusien, avant que ne se retrouve à Sotchi, le 29 de ce mois, une conférence nationale syrienne supposée représenter l'ensemble des acteurs syriens, sélectionnés par le régime et par les Russes.

Il s'agit d'une semaine cruciale. Nous-mêmes - cela semble maintenant semi-officiel - avons tenu une réunion hier soir avec Rex Tillerson, Boris Johnson et les ministres des affaires étrangères saoudien et jordanien pour essayer d'avancer sur une position commune, afin d'aider M. de Mistura, négociateur des Nations unies, à avancer dans les jours qui viennent. Nous allons essayer de la faire partager à d'autres partenaires.

Il est indispensable que le règlement politique irakien comporte une solution inclusive intégrant l'identité des communautés chrétienne, yézidie, kurde et sunnite. Je crois qu'ils y sont prêts. C'est la logique que veut développer M. al-Abadi. Il faudra que la solution politique fasse place à l'ensemble des communautés, kurdes ou chrétiennes, qui ont été habilement utilisées par Bachar al-Assad pour monter qu'il était ouvert. Je le dis comme je le pense. Peut-être n'avaient-elles pas le choix, mais cela signifie que tout le monde peut retrouver sa place dans un processus politique cohérent.

Nous nous sommes mis d'accord sur des élections mises en oeuvre sous l'autorité des Nations unies, une réforme de la Constitution qui permette l'existence d'un premier ministre fort, dans le respect de la représentation des différentes communautés, et des mesures de confiance afin que tout se déroule dans un environnement impartial.

Tout cela sera rendu public dans les heures qui viennent.

J'ajoute, s'agissant des questions liées à l'asile, que nous avons réalisé un effort particulier en faveur de l'acceptation des minorités venues de Syrie. Le 14 mars dernier, un protocole a été signé entre le ministère des affaires étrangères, le ministère de l'intérieur, la communauté de Sant'Egidio et la conférence des évêques de France, afin d'intensifier cet effort, l'assortissant d'un accueil supplémentaire.

Je considère qu'aux yeux de la France, l'avenir des chrétiens d'Orient et des autres minorités est en Orient, dès lors que leur sécurité est assurée. Cela signifie que leur avenir est aux côtés de leurs compatriotes musulmans. Notre action en leur faveur est donc inséparable de nos efforts pour accompagner l'émergence d'un islam ouvert et tolérant, compatible avec les libertés publiques et une conception universaliste des droits de l'homme.

Aussi est-il indispensable d'associer les chrétiens d'Orient et les autres minorités à nos initiatives. Rien ne serait pire que d'agir d'une manière qui fasse apparaître les minorités comme étrangères dans leur propre pays.

Un mot des minorités chrétiennes. Dans le Golfe, j'ai été extrêmement surpris, un jour que je me rendais à Riyad, d'y avoir été précédé par le patriarche maronite de Beyrouth, qui a été accueilli par le prince ben Salmane avec tous les honneurs dus à son rang. C'est la première fois que cela arrivait.

Il s'agit, dans les évolutions que veut initier le prince héritier d'Arabie saoudite pour découpler la monarchie du wahhabisme, d'un acte fort et extrêmement médiatisé.

Je suis également frappé de voir que d'autres, dont le Qatar, adoptent une politique de mieux-disant dans le dialogue interreligieux. Ce sont des éléments plutôt favorables pour la suite.

En ce qui concerne le Liban, notre position n'a pas changé : nous maintenons les accords de Taëf et la répartition des responsabilités des uns et des autres afin de maintenir dans ce pays les communautés chrétiennes, qui tiennent toute leur place dans l'ensemble compliqué, mais à nouveau stable, que forme ce pays.

Trois conférences internationales sur le Liban vont avoir lieu, une à Rome sur la question militaire, une sur les réfugiés et une autre à Paris concernant les enjeux économiques. La France sera présente à ces trois conférences, qui font suite au psychodrame qui s'est déroulé au moment du séjour de M. Hariri à Riyad.

S'agissant des « revenants », nos positions n'ont pas changé. Elles sont finalement assez simples, même si elles vont peut-être être amenées à bouger pour des raisons militaires et politiques.

Les combattants de Daech prisonniers en Irak - hommes ou femmes - sont soumis à la justice irakienne. Nous estimons que ceux qui ont combattu contre un pays doivent être jugés là où ils ont combattu. C'est un principe de base.

Je sais que la peine de mort s'applique en Irak. J'ai comme tout le monde appris qu'un réfugié allemand avait été condamné à mort. Il y a aujourd'hui dans le monde 14 Français condamnés à mort. On les suit de très près.

En Irak, la relation que nous avons avec M. al-Abadi fait qu'on lui dira notre posture à cet égard, même si la justice irakienne est indépendante. Les prisonniers qui se trouvent en Irak sont suivis de très près par notre consul général à Bagdad.

Le problème en Irak - comme ce sera le cas en Syrie - est celui des enfants. Ils bénéficient de la convention internationale des droits de l'enfant (CIDE). Nous en avons rapatrié plusieurs, en particulier les enfants de la famille de Mme Boughedir, qui a conservé avec elle sa fille de six mois. Ils sont suivis par un juge des enfants et une procédure spécifique leur est appliquée.

Il y aura sans doute d'autres prisonniers, les combats n'étant pas tout à fait terminés territorialement.

Pour la zone de Raqqa, tenue par les FDS et soutenue par la coalition, les choses sont plus compliquées. Il y a là plusieurs combattants français prisonniers, dont des familles et une soixantaine d'enfants en bas âge. Il s'agit d'une zone non stabilisée, où nous ne sommes pas présents militairement. Nous estimons que, pour l'instant, c'est au Comité international de la Croix-Rouge de s'en charger. Nous sommes en relation avec eux pour identifier les lieux où se trouvent des combattants français qui, pour certains, passent par des avocats, en relation avec leur famille, en France, et se manifestent auprès des médias français. C'est ce qui expliquait mes interrogations au début de mon propos.

Nous veillons à ce qu'ils ne soient pas victimes de sévices et qu'ils puissent ensuite entrer dans une procédure judiciaire. Si des enfants sont identifiés, c'est le Comité international de la Croix-Rouge qui met en oeuvre la CIDE.

Toute la question est de savoir si l'ensemble des acteurs vont trouver ou non une solution de judiciarisation, ce qui soulève d'autres questions.

En effet, s'il existe un outil de judiciarisation potentiel, cela signifie qu'on est en train de créer l'embryon d'un État partiel en Syrie. Or, le processus politique n'a pas commencé. Cela fera partie du dispositif politique. Dans l'intervalle, c'est le Comité international de la Croix-Rouge qui doit remplir les deux missions.

Voilà où nous en sommes.

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