Nous vous remercions. Pour rassurer M. l'ambassadeur, nous sommes très proches des parlementaires allemands, avec qui la commission travaille depuis longtemps.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
- Présidence de M. Christian Cambon, président -
La réunion est ouverte à 16 h 30.
Monsieur le Ministre, merci de vous être rendu disponible pour cette audition, que nous avions programmée de longue date.
Nous avons souhaité pouvoir vous entendre sur la situation des chrétiens et des minorités d'Orient, au retour de la mission conduite en Irak par le président du groupe de liaison, Bruno Retailleau, qui s'excuse et est représenté par Dominique de Legge.
Vous le savez, la situation des chrétiens et, de façon générale, des minorités au Moyen-Orient, est et a toujours été une préoccupation du Sénat. Si, sur le plan militaire, des succès décisifs ont été obtenus en 2017 contre l'État islamique, les perspectives restent malheureusement très sombres pour les minorités du Moyen-Orient.
Je ne reviendrai pas en détail sur la succession de persécutions, massacres et exactions subies par ces communautés dans les dernières années. Les chiffres parlent d'eux-mêmes et permettent de mesurer la gravité de ce à quoi nous assistons. On estime qu'en une génération, la population chrétienne d'Irak a diminué de 75 % !
Il aura suffi quelques années pour remettre en cause l'existence de communautés dont la présence continue en Irak remonte à 20 siècles, aux origines même du christianisme.
Un second chiffre donne un ordre de grandeur du bouleversement que subit cette région : en un siècle, la part des chrétiens dans la population du Moyen-Orient serait passée de 25 % à moins de 4 %.
Naturellement, on pourrait revenir longuement sur chaque pays, où chaque situation présente ses propres difficultés, de l'Égypte, pays comptant la plus importante communauté chrétienne, entre 6 millions et 8 millions, au Liban, où la part de la communauté chrétienne est la plus importante - de l'ordre de 40 %.
On pourra également évoquer tous les efforts de la France dans ce dossier si douloureux, et nous vous entendrons avec beaucoup d'attention sur ce point.
Pour ma part, je m'interroge pour savoir comment protéger à l'avenir un peu mieux ces minorités, chrétiennes ou non, qui sont encore présentes dans ces pays. Quelles perspectives pour le retour des populations qui ont dû fuir ces dernières années ?
Plusieurs autorités chrétiennes, à des titres divers et dans différents cénacles, nous ont dit que le but de l'effort actuel n'était pas que les chrétiens puissent fuir, mais qu'ils reviennent au contraire et puissent demeurer - ce qui est très important.
Je profite de votre grande connaissance de la région et de ses dirigeants pour vous interroger, monsieur le ministre, sur la dimension politique du problème : y a-t-il encore, dans ces pays traumatisés par les guerres, le terrorisme, la pauvreté, la corruption, un espoir pour le vivre ensemble, et quel peut être le rôle de la France et de l'Europe, pour préserver ce qui peut l'être encore ?
Je veux enfin vous remercier d'avoir accepté cette audition et d'avoir organisé un déplacement sur le terrain de notre groupe de liaison.
Cette audition n'est pas filmée. Vous pourrez donc vous exprimer avec la plus grande des libertés.
Je passe la parole à Dominique de Legge, qui va s'exprimer à son tour au nom du groupe de liaison.
Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères et de la défense, mes chers collègues, Bruno Retailleau, président du groupe de liaison sur les chrétiens et les minorités au Moyen-Orient, m'a demandé de l'excuser, ayant dû retourner dans son département.
Il m'a demandé de vous rendre compte de la visite que nous avons effectuée avec Michel Boutant, ici présent, et Jacques Le Nay, en Irak et au Liban, du 5 au 10 janvier 2018.
Tout d'abord, merci, monsieur le ministre, d'avoir contribué à lever l'interdiction initiale des autorités irakiennes de nous rendre au nord de l'Irak, dans la plaine de Ninive, en passant par le Kurdistan. Cette interdiction était et est toujours motivée par les vives tensions entre le gouvernement central et la région autonome du Kurdistan, après le référendum sur l'indépendance.
Ne pas nous rendre dans cette partie du territoire où sont concentrés les chrétiens et d'autres minorités, comme les Yézidis, aurait fait perdre beaucoup d'intérêt à notre mission. Nous avons pu finalement passer par Erbil, mais avec l'engagement de ne pas rencontrer les autorités kurdes. Cette limitation était regrettable - bien que nous nous y soyons pliés.
L'objectif de ce déplacement était triple.
En premier lieu, il s'agissait de manifester l'intérêt et la solidarité du Sénat pour les communautés chrétiennes et les autres minorités d'Irak, victimes depuis longtemps des persécutions et, plus récemment, des crimes et exactions de Daech.
En deuxième lieu, il convenait d'évaluer les conditions du retour des réfugiés et déplacés du Kurdistan dans leurs villes et villages de la plaine de Ninive.
Enfin, nous devions visiter un certain nombre des réalisations d'ONG françaises, en partie financées sur les crédits du fonds de soutien que gère votre ministère.
Lors de ce déplacement, nous avons pu avoir des entretiens avec les autorités civiles et religieuses irakiennes et libanaises au plus haut niveau, rencontrer les acteurs locaux et dialoguer tant avec les familles chrétiennes encore réfugiées ou candidates au départ qu'avec celles qui se réinstallent dans leurs villes et leurs maisons, dans la plaine de Ninive.
Le groupe a également eu des entretiens avec les représentants des communautés yézidies et shabaks, ainsi qu'avec des associations qui rassemblent chrétiens et musulmans. Un rapport complet sur notre mission sera prochainement publié mais, d'ores et déjà, nous voulions vous faire part des six principaux enseignements.
En premier lieu, l'élimination de Daech dans sa dimension quasi-étatique et territoriale constitue bien sûr un point indéniablement positif, mais ne signifie pas l'éradication de la menace. Ses combattants n'ont pas tous été neutralisés ou arrêtés. Des cellules dormantes existent et de nombreux combattants ou activistes se sont « rasé la barbe » et fondu dans la population, dont il faut rappeler qu'une partie a soutenu l'organisation. Pour autant, ils sont toujours là. Le mode opératoire s'est modifié, se traduisant par une recrudescence des attentats sur le sol irakien. J'en veux pour preuve les trois attentats qui ont frappé Bagdad juste après notre départ. L'Europe et les alliés de l'Irak, dans cette lutte, sont plus que jamais des cibles potentielles.
Deuxième constatation : si une partie des populations déplacées est de retour, cela ne signifie pas que les conditions pérennes de sa réinstallation soient assurées, en particulier la sécurité et la gouvernance.
Ni l'une ni l'autre ne paraissent suffisamment assurées par le gouvernement central de l'Irak. Le sentiment qui domine est celui d'une grande fragilité, et donc du besoin de consolidation de la situation dans ses différentes composantes, sécuritaires comme politiques.
Ce retour concerne bien sûr les réfugiés qui n'avaient pas quitté l'Irak, mais aussi qui avaient choisi l'immigration. Aussi, monsieur le ministre, quelles sont les actions conduites par la France pour l'aide au retour ? Le groupe de liaison aimerait avoir une réunion de travail approfondi avec les services du ministère pour apprécier ces actions et voir les évolutions possibles.
Troisième constatation : la stabilité et la sécurité passent, pour l'Irak comme pour le Liban, par la tenue, en 2018, d'élections démocratiques, libres et transparentes dont les résultats seront déterminants. La question du statut des différentes composantes de la nation sera l'une des clés du futur de l'Irak et du maintien de sa diversité ethnique et culturelle. Le passage d'un statut d'inégalité, où certaines communautés sont tolérées, à celui d'une citoyenneté pleine et entière, est un enjeu essentiel pour la reconstruction de l'Irak. Il constitue une revendication ancienne et permanente de ces communautés. Peut-être pourrez-vous nous dire un mot de l'action de la France dans ce domaine.
Le quatrième point, évidemment central concerne la réconciliation, qui présuppose que justice soit rendue. Parmi les questions posées, celle du jugement des combattants étrangers est particulièrement d'actualité : où, comment et par qui ? Nous aimerions connaître la position de la France sur ce sujet.
Cinquième remarque : dans le contexte de la reconstruction, l'aide et le soutien de la communauté internationale sont particulièrement importants. Les conférences internationales pour la reconstruction qui sont annoncées à Koweït en février pour l'Irak, et à Rome et Paris pour le Liban - conférence du Cèdre - devront prendre en compte les intérêts de toutes les parties et de toutes les composantes de ces pays sur une base objective. Comment la France se positionne-t-elle notamment avec les autorités sur ce point ?
Enfin, dernière constatation, la France est présente dans la plaine de Ninive, au travers d'ONG remarquables, dont les actions sont en partie financées par votre ministère. Ces actions ne pourraient-elles revêtir un caractère plus officiel, soit au niveau de l'ambassade, soit au niveau du consulat général d'Erbil ? Il nous a semblé que, de ce point de vue, la visibilité de notre pays méritait d'être améliorée.
Sans doute le prochain déplacement du Président de la République en Irak sera-t-il l'occasion de témoigner sur place de la présence française - et s'il va à Mossoul encore davantage.
Je vous remercie.
Merci.
Je tiens à vous redire tout le plaisir que j'ai à chaque fois que je suis auditionné par votre commission.
Je suis heureux d'entendre les premiers résultats de la mission effectuée par le groupe de liaison sur les minorités et les chrétiens au Moyen-Orient.
Je suis pour ma part convaincu de l'utilité de cette diplomatie de terrain, qui complète opportunément la diplomatie officielle que je suis amené à mener.
Je veux vous dire aussi que la situation des minorités religieuses, d'une manière générale, et chrétiennes en particulier, est une préoccupation ancienne de notre politique étrangère.
On ne peut traiter cette question sans se référer brièvement à l'Histoire. Les membres du groupe la connaissent certainement, mais il faut la rappeler. La protection de ces minorités est en effet un sujet sur lequel notre diplomatie s'inscrit dans un temps long. C'est un domaine dans lequel le passé nous oblige.
Cette relation remonte au traité des Capitulations, conclu en 1536 entre le roi François Ier et le sultan Soliman le Magnifique. Dans le cadre de l'alliance franco-ottomane, la France s'est vue reconnaître le droit et la responsabilité de la protection des chrétiens de l'Empire ottoman. C'est dans ce cadre que la France est devenue un acteur majeur au Proche-Orient et que les congrégations françaises ont été nombreuses à ouvrir des institutions sociales ou éducatives au service des chrétiens d'Orient.
Je veux aussi rappeler le succès remarquable de l'exposition sur les chrétiens d'Orient à l'Institut du monde arabe. J'ai eu l'opportunité de la visiter : elle montre bien la sensibilité française à l'égard des chrétiens d'Orient dans l'Histoire.
Cet héritage, dont nous sommes porteurs, s'est enrichi au fil du temps d'autres affinités. Je pense en particulier aux communautés juives du Moyen-Orient, arrimées à l'espace francophone par le réseau d'enseignement de l'Alliance israélite universelle fondée en 1860 à Paris par Adolphe Crémieux.
Je pense également à l'amitié particulière qui nous lie au peuple kurde, renforcée par la fraternité d'armes contre Daech, Cette amitié a guidé au cours des derniers mois les efforts impulsés par le Président de la République pour accompagner une reprise du dialogue entre Bagdad et Erbil, après la crise ouverte par le référendum kurde d'indépendance du 25 septembre dernier.
J'ai eu l'occasion de m'y rendre et de rencontrer le président Barzani pour lui dire que nous ne souhaitions pas qu'il s'engage dans une telle aventure. Il l'a fait cependant et a, du coup, un peu disparu de la scène, remplacé par son cousin, également appelé Barzani, qui a été nommé premier ministre.
Les deux premiers ministres, MM. al-Abadi et Barzani, se sont rencontrés cette semaine. Tout laisse à penser que nous connaîtrons de nouvelles avancées dans ce domaine. Je rencontrerai demain à Davos le premier ministre Barzani pour établir avec lui des liens nouveaux. Il semble que les choses aillent mieux dans son pays.
Dans le cours de cette longue histoire, l'émergence de Daech a constitué un tournant - à dire vrai dire une rupture. L'organisation terroriste, vous le savez, a particulièrement ciblé dans ses exactions les minorités religieuses d'Irak et de Syrie - chrétiens de toutes confessions, Yézidis, Shabaks, Mazdéens. La destruction fait partie intégrante de son projet totalitaire. L'exode provoqué par ce choc aboutit à ce résultat que l'on aurait pu croire impossible il y a dix ou quinze ans : l'épuisement de communautés millénaires au centre même de leur histoire.
Chacun pense ici bien sûr au calvaire de milliers de femmes yézidies, vendues sur des marchés d'esclaves, violées, livrées à la tyrannie de brutes djihadistes. J'ai reçu au Quai d'Orsay l'une de ces survivantes, Mme Nadia Mourad, dont le témoignage a ému le monde. Son sort a été partagé par de nombreuses autres femmes. Certaines sont mortes ou ont disparu. Les autres essaient, avec les difficultés que l'on imagine, de se reconstruire.
On débat, avec une compréhension qui, parfois, m'étonne, de la question des « revenants ». Ceux qui se rendaient à Mossoul ou à Raqqa n'y allaient pas pour faire du tourisme ! Je l'ai déjà dit sous la mandature précédente : ceux qui combattaient avec Daech étaient et sont nos ennemis, quelle que soit leur nationalité. Je le répète, car j'entends et je lis des choses qui m'étonnent sincèrement.
Daech, dans son entreprise de table rase culturelle, n'a pas ciblé que les hauts lieux du patrimoine préislamique - Palmyre ou Hatra, pour ne citer que les plus emblématiques. Le patrimoine chrétien, souvent très ancien dans cette région qui est le berceau du christianisme, a également été visé. Je pense au monastère Saint-Élie de Mossoul, le plus ancien d'Irak, démantelé à coups de bulldozer. Je pense aussi au monastère des saints Behnam et Sarah, près de Qaraqosh, dynamité en 2015, et à tous les lieux de culte détruits ou profanés dans la région.
La rage iconoclaste de Daech ne s'est pas cantonnée aux minorités. Les tombes des prophètes Jonas et Daniel, communs aux trois monothéismes, des mosquées anciennes, des sanctuaires soufis, des sépultures islamiques ont également été saccagés.
Mais, dans le cas des minorités, ce sont les communautés elles-mêmes que l'on a cherché à effacer, avec leur patrimoine. De fait, c'est toute une trame humaine, tissée au cours des siècles, qui se trouve aujourd'hui déchirée, effilée, rapiécée. Je pense en particulier à la plaine de Ninive, au Nord-Est de Mossoul, naguère exemplaire de la diversité irakienne. Berceau de la communauté assyrienne d'Irak, dont Qaraqosh est la « petite Jérusalem », elle abrite également des populations yézidies et shabaks, ainsi que des Arabes, des Kurdes musulmans et une communauté chrétienne.
Avec l'offensive de Daech au printemps 2014, les minoritaires ont fui vers le Nord. Ceux qui n'ont pu le faire ont subi les exactions, les massacres et les déportations. Dès lors se pose la question de leur retour. J'y reviendrai.
Aujourd'hui, Daech est en passe d'être vaincue sous la forme territoriale. Je partage votre avis, monsieur le président : cela ne signifie pas que la menace ait disparu. L'organisation a renoué avec une forme de terrorisme asymétrique. Dans ce type de stratégie terroriste, les minorités et leurs lieux de culte représentent des cibles privilégiées. J'en veux pour preuves les attaques successives qui ont endeuillé la communauté copte d'Égypte, la plus importante - 8 millions à 10 millions de personnes - dans une église d'Alexandrie, le dimanche des rameaux, le 25 mai contre un bus de pèlerins dans la province de Minya, puis contre une église de la banlieue du Caire, le 30 décembre.
À chaque fois que je me rends au Caire, je tiens à rencontrer Sa Sainteté Tawadros II, le pape des Coptes. Il est très important de pouvoir conserver une relation directe avec lui. J'ai ainsi permis de renforcer la sécurité des chrétiens. J'espère avoir un échange assidu et régulier avec les autorités égyptiennes pour la protection des communautés chrétiennes d'Égypte, et conserver une relation très forte entre celles-ci et l'université islamique d'El Azhar. À chaque opportunité qui m'est donnée, je provoque des rencontres au Caire à cette fin.
Depuis 2014 et l'invasion de la plaine de Ninive par Daech, la France compte parmi les pays qui se sont le plus mobilisés en faveur des victimes de ces exactions. La France s'est beaucoup investie en matière de défense du pluralisme au Proche-Orient et au Moyen-Orient.
Cette mobilisation, il faut le souligner, s'est opérée sans discrimination, au profit de toutes les minorités menacées, y compris, parmi les musulmans, les chiites en pays sunnites et les sunnites en pays chiite, car il existe aussi des musulmans persécutés.
En République islamique d'Iran, où il reste contre toute attente une communauté juive iranienne, les chrétiens sont plutôt mieux traités que dans beaucoup de pays de la région, et les zoroastriens ont traversé les siècles, mais ce sont les musulmans hétérodoxes qui sont réprimés.
Notre politique dans ce domaine se veut inclusive, fidèle à notre histoire et conforme à notre conception universaliste des droits de l'homme, dans une région où cette conception ne fait pas consensus.
Comme l'a rappelé le Président de la République lorsqu'il a inauguré, le 25 septembre dernier, l'exposition sur les chrétiens d'Orient en compagnie du président Aoun : « Partout où des minorités défendent leur foi, la France est à leurs côtés (...) parce que nous croyons au pluralisme ».
Si nous nous mobilisons ainsi, c'est pour trois raisons essentielles, et d'abord par fidélité envers des populations historiquement proches de nous et de notre culture, souvent francophones, par cohérence également avec notre approche universaliste des droits de l'homme, enfin parce que nous sommes convaincus que la diversité humaine, religieuse et culturelle est une part essentielle de l'identité du Moyen-Orient, et qu'il ne sera pas possible d'assurer la paix et la stabilité dans cette région si cette diversité se délite ou disparaît. C'est d'ailleurs une des dimensions de notre soutien au Liban.
C'est dans cet esprit que la France s'est employée, dès 2015, à mobiliser la communauté internationale sur la question des minorités, parallèlement à notre combat contre Daech.
La France a d'abord profité de sa présidence du Conseil de sécurité, sous le quinquennat précédent, pour convoquer une réunion extraordinaire au niveau ministériel, le 27 mars 2015. Nous avons initié sur cette question, en septembre 2015, une conférence internationale à Paris, coprésidée par la Jordanie. Le but est d'internationaliser la question des minorités chrétiennes au Moyen-Orient. Cela semble évident a priori, encore faut-il qu'un État s'y emploie. C'est ce que nous avons fait.
De cette réflexion est sorti un plan d'action qui fait désormais référence et autorité. Il énonce les mesures à prendre dans les domaines humanitaire, politique, patrimonial et judiciaire, pour créer les conditions d'un retour des membres de ces communautés.
L'Espagne en a organisé le suivi avec la conférence de Madrid en mai 2017. La Belgique prépare une nouvelle conférence qui se tiendra au premier semestre 2018.
Par ailleurs, un fonds de soutien aux victimes des violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient a été créé en 2015. Il appuie des projets mis en oeuvre notamment par des ONG françaises au profit des communautés menacées. Il contribue à assurer une présence et une visibilité de notre pays au sein de ces communautés.
Ce fonds a déjà engagé 15 millions d'euros sur 60 projets, principalement sur l'aide humanitaire, mais aussi en faveur de mesures visant au déminage et, plus spécifiquement, à l'égard des Yézidis. Il reste 5 millions d'euros à engager en 2018. J'ai demandé que soient rapidement déterminées les modalités de la poursuite de notre aide.
J'ajoute que nous avons pris des initiatives en faveur du patrimoine du Moyen-Orient. Le président Hollande avait présidé une conférence internationale à Abou Dhabi en décembre 2016, sous la coprésidence de la France et des Émirats arabes unis. Ceci a débouché sur la création du Fonds d'aide à la rénovation du patrimoine détruit dans les zones de conflit (ALIPH), qui pourrait permettre un redressement des oeuvres touchées par les combats, en particulier dans la zone où vous vous êtes rendus.
Depuis 2014, la situation sur le terrain a considérablement évolué. Elle s'est améliorée dans la plaine de Ninive depuis la reprise de Mossoul. À Qaraqosh, 50 % de la population est revenue. La campagne de déminage est achevée, mais nous devons poursuivre et amplifier notre effort de stabilisation en direction des régions d'origine des minorités qui sont souvent celles où les destructions ont été les plus importantes, où le taux de retour est le plus faible et où le combat pour le déminage reste la première urgence, notamment dans la région du mont Sinjar, zone yézidie.
À titre d'exemple, depuis 2016, avec notre appui financier, près de 2 000 engins explosifs ont été détruits ou retirés sur une surface couvrant 750 000 m² à Sinuni et dans 23 villages alentour, bénéficiant directement aux résidents yézidis.
Il s'agit plus largement de garantir aux populations locales un retour en toute sécurité dans leurs zones.
Vous l'avez indiqué, une conférence aura lieu en février au Koweït, consacrée à la reconstruction de l'Irak. J'y serai moi-même présent. Le Président de la République a déjà décidé de doubler nos crédits de coopération en faveur de l'Irak.
Je me permets de faire à cet égard quelques observations par rapport aux interrogations de Dominique de Legge. Il importe que les élections irakiennes se déroulent dans les meilleures conditions. Je ne suis pas certain, aujourd'hui, alors qu'on pouvait le penser il y a encore quelque temps, de la victoire du premier ministre al-Abadi. L'accord passé avec le mouvement de mobilisation populaire a en effet été rompu, et si ce mouvement rejoint Nouri al-Maliki, on risque de très mauvaises surprises.
Il faut également que l'aide internationale à la reconstruction pour l'Irak puisse être rapidement mobilisée et visible de l'ensemble de la population, afin d'éviter que, par désespoir, les sunnites, se sentent non reconnus et ne tombent dans une nouvelle forme de terrorisme. Il est urgent d'agir. La France jouera son rôle.
Après avoir donné pour la guerre, il faut aussi donner pour la paix. C'est là une démarche marchande qui ne constitue pas ma première préoccupation, mais cela vaut la peine de le rappeler.
Il faut rapidement envoyer des signes très forts en matière de dispensaires, de déminage, d'eau potable, pour permettre aux minorités de réinvestir leurs lieux de vie et retrouver la sérénité. C'est possible, mais il faut que chacun y consacre suffisamment.
Pour ce qui concerne la reconstruction, nous veillons que nos crédits puissent être affectés à des projets liés aux villes chrétiennes de Karamlech et Qaraqosh, en soutenant les micro-entrepreneurs, la création de dispensaires ou d'écoles. Le centre de crise et de soutien du ministère des affaires étrangères est très vigilant à cet égard. J'ai bien noté votre observation sur l'insuffisante reconnaissance des ONG françaises. Je vais me pencher sur ce point car, lors de mon déplacement au Koweït, il est également prévu que je me rende en Irak rencontrer les autorités et leur apporter une forme de soutien.
Une nouvelle période s'ouvre donc en Irak, et peut-être en Syrie.
La Syrie connaît actuellement une période très grave. On se trouve confronté à trois risques majeurs. Le premier, c'est l'entrée des Turcs dans Afrine, qui compte 400 000 habitants, dont des Kurdes du PYG. Certains de vous connaissent bien les « différentes nuances de Kurdes ». Il existe des Kurdes irakiens, iraniens, syriens, plus ceux du PKK. Tout cela ne forme pas un ensemble homogène. Cette pénétration se fait manifestement avec la complicité des Russes. On ne sait pas jusqu'où, mais c'est très préoccupant.
Par ailleurs, dans la zone de Ghouta Est, le régime encercle les populations de l'intérieur.
Enfin, dans la zone d'Idlib, qui compte 2,5 millions d'habitants, les bombardements de l'armée de Bachar al-Assad ont commencé, avec le soutien des Russes, par voie aérienne. On dénombre trois zones de conflit. Ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire lors de l'une de mes dernières auditions, une fois Daech éliminé ou partiellement éliminé, d'autres conflits sous-jacents vont apparaître. On le voit entre les Turcs et les Kurdes, mais il y en aura peut-être entre Turcs et arabes ou entre le Hezbollah et Israël.
Nous sommes devant une situation particulièrement difficile, la zone nord-est étant tenue par les Kurdes des forces démocratiques syriennes (FDS) avec le soutien de la coalition.
Par ailleurs se tient demain à Vienne une réunion de la dernière chance, sur la base du processus onusien, avant que ne se retrouve à Sotchi, le 29 de ce mois, une conférence nationale syrienne supposée représenter l'ensemble des acteurs syriens, sélectionnés par le régime et par les Russes.
Il s'agit d'une semaine cruciale. Nous-mêmes - cela semble maintenant semi-officiel - avons tenu une réunion hier soir avec Rex Tillerson, Boris Johnson et les ministres des affaires étrangères saoudien et jordanien pour essayer d'avancer sur une position commune, afin d'aider M. de Mistura, négociateur des Nations unies, à avancer dans les jours qui viennent. Nous allons essayer de la faire partager à d'autres partenaires.
Il est indispensable que le règlement politique irakien comporte une solution inclusive intégrant l'identité des communautés chrétienne, yézidie, kurde et sunnite. Je crois qu'ils y sont prêts. C'est la logique que veut développer M. al-Abadi. Il faudra que la solution politique fasse place à l'ensemble des communautés, kurdes ou chrétiennes, qui ont été habilement utilisées par Bachar al-Assad pour monter qu'il était ouvert. Je le dis comme je le pense. Peut-être n'avaient-elles pas le choix, mais cela signifie que tout le monde peut retrouver sa place dans un processus politique cohérent.
Nous nous sommes mis d'accord sur des élections mises en oeuvre sous l'autorité des Nations unies, une réforme de la Constitution qui permette l'existence d'un premier ministre fort, dans le respect de la représentation des différentes communautés, et des mesures de confiance afin que tout se déroule dans un environnement impartial.
Tout cela sera rendu public dans les heures qui viennent.
J'ajoute, s'agissant des questions liées à l'asile, que nous avons réalisé un effort particulier en faveur de l'acceptation des minorités venues de Syrie. Le 14 mars dernier, un protocole a été signé entre le ministère des affaires étrangères, le ministère de l'intérieur, la communauté de Sant'Egidio et la conférence des évêques de France, afin d'intensifier cet effort, l'assortissant d'un accueil supplémentaire.
Je considère qu'aux yeux de la France, l'avenir des chrétiens d'Orient et des autres minorités est en Orient, dès lors que leur sécurité est assurée. Cela signifie que leur avenir est aux côtés de leurs compatriotes musulmans. Notre action en leur faveur est donc inséparable de nos efforts pour accompagner l'émergence d'un islam ouvert et tolérant, compatible avec les libertés publiques et une conception universaliste des droits de l'homme.
Aussi est-il indispensable d'associer les chrétiens d'Orient et les autres minorités à nos initiatives. Rien ne serait pire que d'agir d'une manière qui fasse apparaître les minorités comme étrangères dans leur propre pays.
Un mot des minorités chrétiennes. Dans le Golfe, j'ai été extrêmement surpris, un jour que je me rendais à Riyad, d'y avoir été précédé par le patriarche maronite de Beyrouth, qui a été accueilli par le prince ben Salmane avec tous les honneurs dus à son rang. C'est la première fois que cela arrivait.
Il s'agit, dans les évolutions que veut initier le prince héritier d'Arabie saoudite pour découpler la monarchie du wahhabisme, d'un acte fort et extrêmement médiatisé.
Je suis également frappé de voir que d'autres, dont le Qatar, adoptent une politique de mieux-disant dans le dialogue interreligieux. Ce sont des éléments plutôt favorables pour la suite.
En ce qui concerne le Liban, notre position n'a pas changé : nous maintenons les accords de Taëf et la répartition des responsabilités des uns et des autres afin de maintenir dans ce pays les communautés chrétiennes, qui tiennent toute leur place dans l'ensemble compliqué, mais à nouveau stable, que forme ce pays.
Trois conférences internationales sur le Liban vont avoir lieu, une à Rome sur la question militaire, une sur les réfugiés et une autre à Paris concernant les enjeux économiques. La France sera présente à ces trois conférences, qui font suite au psychodrame qui s'est déroulé au moment du séjour de M. Hariri à Riyad.
S'agissant des « revenants », nos positions n'ont pas changé. Elles sont finalement assez simples, même si elles vont peut-être être amenées à bouger pour des raisons militaires et politiques.
Les combattants de Daech prisonniers en Irak - hommes ou femmes - sont soumis à la justice irakienne. Nous estimons que ceux qui ont combattu contre un pays doivent être jugés là où ils ont combattu. C'est un principe de base.
Je sais que la peine de mort s'applique en Irak. J'ai comme tout le monde appris qu'un réfugié allemand avait été condamné à mort. Il y a aujourd'hui dans le monde 14 Français condamnés à mort. On les suit de très près.
En Irak, la relation que nous avons avec M. al-Abadi fait qu'on lui dira notre posture à cet égard, même si la justice irakienne est indépendante. Les prisonniers qui se trouvent en Irak sont suivis de très près par notre consul général à Bagdad.
Le problème en Irak - comme ce sera le cas en Syrie - est celui des enfants. Ils bénéficient de la convention internationale des droits de l'enfant (CIDE). Nous en avons rapatrié plusieurs, en particulier les enfants de la famille de Mme Boughedir, qui a conservé avec elle sa fille de six mois. Ils sont suivis par un juge des enfants et une procédure spécifique leur est appliquée.
Il y aura sans doute d'autres prisonniers, les combats n'étant pas tout à fait terminés territorialement.
Pour la zone de Raqqa, tenue par les FDS et soutenue par la coalition, les choses sont plus compliquées. Il y a là plusieurs combattants français prisonniers, dont des familles et une soixantaine d'enfants en bas âge. Il s'agit d'une zone non stabilisée, où nous ne sommes pas présents militairement. Nous estimons que, pour l'instant, c'est au Comité international de la Croix-Rouge de s'en charger. Nous sommes en relation avec eux pour identifier les lieux où se trouvent des combattants français qui, pour certains, passent par des avocats, en relation avec leur famille, en France, et se manifestent auprès des médias français. C'est ce qui expliquait mes interrogations au début de mon propos.
Nous veillons à ce qu'ils ne soient pas victimes de sévices et qu'ils puissent ensuite entrer dans une procédure judiciaire. Si des enfants sont identifiés, c'est le Comité international de la Croix-Rouge qui met en oeuvre la CIDE.
Toute la question est de savoir si l'ensemble des acteurs vont trouver ou non une solution de judiciarisation, ce qui soulève d'autres questions.
En effet, s'il existe un outil de judiciarisation potentiel, cela signifie qu'on est en train de créer l'embryon d'un État partiel en Syrie. Or, le processus politique n'a pas commencé. Cela fera partie du dispositif politique. Dans l'intervalle, c'est le Comité international de la Croix-Rouge qui doit remplir les deux missions.
Voilà où nous en sommes.
Merci de vos propos, monsieur le ministre, ainsi que pour votre franchise, à laquelle la commission est habituée.
Merci d'avoir rappelé les grands axes que la France s'est fixés pour aider les chrétiens d'Orient et assurer la pérennité de l'action du Gouvernement en la matière. Toutes les minorités font l'objet de la même attention de la part de la France. Tout est fait pour favoriser la mise en sécurité de ces communautés, aussi modestes soient-elles, et sauvegarder leur patrimoine.
Nous avons reçu un certain nombre d'autorités au Sénat : cette action est certainement appréciée et nous l'encourageons.
Il a été intéressant de resituer les drames que subissent les chrétiens d'Orient dans le contexte irako-syrien dont vous venez de nous dire qu'il connaît aujourd'hui même une évolution. Nous formons le voeu que les élections en Irak permettent de conforter M. al-Abadi, que nous avons reçu il y a quelque temps avec le président du Sénat. Tout le monde se souvient que M. al-Maliki n'a pas franchement aidé son pays à sortir des difficultés.
La parole est aux commissaires.
M. le ministre a déjà répondu à la question principale que je souhaitais poser : Daech a conduit une guerre contre les minorités, en Irak comme en Syrie - chrétiennes, yézidies. Ces minorités ont cependant été fortement aidées par les Kurdes qui, globalement, ont également participé aux combats de libération, en particulier à Raqqa et à Mossoul.
On pouvait subodorer depuis quelques années déjà que le règlement du conflit contre Daech générerait vraisemblablement un autre conflit opposant les Kurdes à beaucoup d'autres. Nous y sommes !
Hier, au moment des questions d'actualité au Gouvernement, deux interrogations ont été soulevées. J'ai été assez surpris de l'embarras des réponses qui ont été apportées - pour ne pas dire plus. Je peux le comprendre à la lumière de ce que vous venez de dire.
En début d'après-midi, j'ai rencontré monseigneur Mayarati, archevêque d'Alep, qui était dans nos murs.
Il se plaignait que les convois humanitaires qui vont en Syrie, français en particulier, se rendent principalement - je cite ses mots - « vers les terroristes ». Je lui ai demandé ce qu'il entendait par « terroristes ». S'agit-il uniquement des djihadistes, des combattants de la Syrie libre ? Sa réponse a été pour le moins évasive. On ne sait pas trop...
J'ai demandé quels étaient les rapports entre la minorité chrétienne en Syrie et le gouvernement de Bachar al-Assad. Là aussi, la réponse a été plutôt évasive.
Monsieur le ministre, lors d'un déplacement au Caire, mi-décembre, j'ai eu le privilège d'être reçu par le pape des Coptes, Tawadros II, alors qu'il venait de refuser de recevoir le vice-président américain Mike Pence.
Le fait qu'il accorde à un sénateur français une audience de plus d'une demi-heure me semble révélateur de l'image positive de la France, mais aussi de l'attente que suscite notre pays de la part des populations durement éprouvées ces dernières années. Nous avons de fait un rôle à jouer.
Les Coptes d'Égypte ont infiniment souffert pendant la présidence Morsi. Aujourd'hui, le maréchal al-Sissi est leur protecteur, et le pape Tawadros II m'a clairement confirmé le soutien de sa communauté au maréchal al-Sissi.
Hélas, cela n'empêche pas les attentats sanglants, on l'a encore vu le 29 décembre dernier. Cela n'évite pas non plus les menaces plus diffuses, plus ciblées, en raison de la pénétration des Frères musulmans dans tout le tissu de la société égyptienne et dans tous les rouages de ce pays.
De quelle manière la France pourrait-elle aider ou aide-t-elle déjà ce pays ami et son président allié de l'Occident à lutter à la fois contre le terrorisme, mais aussi contre l'infiltration islamiste, qui s'opère à tous les échelons de la société égyptienne ?
Beaucoup de choses ont été dites par Dominique de Legge, que j'accompagnais lors de la mission.
J'ai pu faire deux constats, tout d'abord dans la plaine de Nivive, après la rencontre de notre délégation avec le père Tabet et son comité de reconstruction de Qaraqosh, en présence de monseigneur Petros Mouche, archevêque syrien catholique de Mossoul et Qaraqosh, suivie de plusieurs visites aux familles de déplacés chrétiens réinstallés dans les habitations qui ont été réhabilitées.
Ce premier constat est selon moi très positif et encourageant, car il confirme une volonté de reconstruire une ville pillée et brûlée.
Le lendemain, 8 janvier, au camp d'Ashti II, à Erbil, nous avons rencontré le père Emmanuel et les familles déplacées de Mossoul. Ce constat est plus inquiétant à mes yeux. Ces familles, avec lesquelles nous nous sommes entretenus longuement, ont fui Mossoul, craignant pour leur vie et surtout celle de leurs enfants. Leurs maisons sont actuellement occupées par des voisins qui leur signifient par téléphone qu'elles n'ont plus rien à faire à Mossoul. Pour rien au monde ces familles déplacées ne veulent y retourner et voient leur planche de salut dans un accueil pas les pays de l'Union, et plus particulièrement la France.
Cela soulève beaucoup d'interrogations, qui ne sont certes pas faciles à résoudre : que peuvent faire la France et l'Europe ? Vous avez répondu à beaucoup de ces questions. C'est une situation difficile que celle des réfugiés de Mossoul. Nous avons appris comment ils ont été persécutés, et nous voudrions savoir comment les sécuriser pour rentrer chez eux, malgré l'occupation de leurs maisons, mais aussi surtout comment justice sera rendue dans leur pays.
Monsieur le ministre, même si j'ai bien entendu que l'avenir des chrétiens d'Orient est en Orient, dans le cadre des liens et de la protection multiséculaire de la France vis-à-vis de ces chrétiens d'Orient, des procédures particulières peuvent-elles être mises en oeuvre pour les accueillir et faciliter les demandes de visas, notamment humanitaires ?
Monsieur le ministre, je voudrais tout d'abord rendre hommage aux agents consulaires et à ceux de l'OFPRA qui étudient et reçoivent des visas humanitaires dans nos différentes représentations diplomatiques de la région.
N'y a-t-il pas un peu de frustration, une fois les dossiers considérés comme légitimes, à prendre connaissance des réponses très tardives du ministère de l'intérieur à propos de la délivrance des visas ? Combien de personnes ont-elles pu recevoir un visa et combien attendent une réponse, faute d'hébergement en France ?
Je sais que c'est un problème difficile, mais je ne crois pas qu'il soit très correct de laisser attendre une famille qui doit pouvoir légitimement venir en France. On me dit même que parfois, ces familles partent seules, sans avoir reçu de visa, dans la mesure où les réponses du ministère de l'intérieur n'arrivent pas.
Enfin, je suis toujours très gêné quand on parle des chrétiens d'Orient et des minorités. Il est vrai qu'ils ne sont pas majoritaires en chiffres, mais ce n'est pas la bonne expression, tant ils sont - comme les autres habitants du Moyen-Orient - des composantes essentielles et structurantes de la région et des États. On ne peut imaginer un Moyen-Orient sans eux. Je pense qu'il faut rester dans cette manière d'appréhender les choses.
Je trouve l'observation finale de M. Leconte pertinente. Je crois l'avoir dit dans mon propos.
L'avenir des chrétiens d'Orient est en Orient, et ils constituent une composante essentielle de l'ensemble de cette région, puisque le christianisme s'est d'abord développé en Orient, qui était chrétien avant l'Occident. D'une certaine manière, les chrétiens d'Orient sont donc chez eux en Orient, peut-être même plus que les chrétiens d'Occident sont chez eux en Occident !
Jacques Le Nay évoquait ceux qui veulent venir en France. Je me souviens être allé deux fois à Erbil en plein milieu de la crise rencontrer des populations chrétiennes et yézidies, dans des camps de réfugiés, qui demandaient à venir en France.
On peut le comprendre, mais l'avenir des chrétiens d'Orient est précisément en Orient. Il nous faut donc tenir ce discours de manière extrêmement claire, et avoir les éléments d'accompagnement nécessaires pour ce faire.
En matière de visas humanitaires, le fait que des mesures soient prises pour accélérer le traitement des demandes d'asile à titre humanitaire par le ministère de l'intérieur constitue un débat politique central. Le souci du Gouvernement est d'accélérer les procédures de demandes d'asile. C'est en effet un droit. Or jusqu'à présent, les délais étaient extrêmement longs. Il faut les accélérer.
Il n'y a pas de discrimination religieuse dans l'attribution des procédures d'asile, mais une attention particulière est portée aux chrétiens. Le traitement des demandes irakiennes et syriennes se fait surtout à partir de Beyrouth. On y porte l'attention nécessaire, tout en étant très clair sur les fondamentaux que je viens d'exprimer.
Pour ce qui est de Karamlech et Mossoul, il s'agit d'une procédure de stabilisation de l'Irak. On est sur un triptyque stabilisation-réconciliation-reconstruction. Pour le moment, on est encore dans la phase de stabilisation. Il faut passer à la phase de réconciliation. J'espère que c'est en cours. Il faudra, après le Koweït, passer à la phase de reconstruction. C'est indispensable.
La France s'est en particulier engagée sur la reconstruction de l'université de Mossoul. C'est un symbole très fort pour lequel nous voulons nous mobiliser, mais c'est encore un peu tôt. Je comprends les réserves, après avoir été occupé par Daech pendant plusieurs années, de ne pas voir les chrétiens revenir à Mossoul. Je pense que la justice sera rendue, et tous les espoirs vont vers une stabilisation plus active et plus forte de la part de l'Irak. Souhaitons qu'il n'y ait pas trop d'intrusions iraniennes dans le dispositif. C'est aussi un risque avec la candidature de M. al-Maliki.
Monsieur Le Gleut, concernant l'Égypte, je suis en faveur de M. al-Sissi. On me le reproche d'ailleurs dans certaines instances. Je ne renie pas mon soutien à ce président. C'est d'autant plus clair que, lorsqu'il faut lui dire certaines choses, on le fait, par exemple, alors qu'il est dans une phase d'exagération dans le cadre de sa politique de répression.
Sur le fond, il est vrai qu'il assure à l'égard de la communauté copte une présence vigilante et agit symboliquement. Il est allé rendre visite au pape Tawadros II après les attentats, en dépit de ce que pouvaient dire les Frères musulmans. Il faut donc aider M. al-Sissi. Je le dis clairement : si l'Égypte était en miettes, la sécurité globale de l'ensemble de la région serait épouvantable. Il faut lui parler, le voir, échanger, l'aider, faire en sorte que nos entreprises s'y installent. L'Égypte compte 90 millions d'habitants...
Je suis peut-être parfois trop actif de ce côté, mais c'est indispensable, y compris s'agissant du règlement du problème avec la Syrie. Il faut parler avec l'Égypte très régulièrement, même si l'on peut avoir des désaccords. Sur le fond, c'est tout à fait nécessaire.
Quant aux Kurdes, pour répondre à la question de Michel Boutant, ils ont été remarquables en Irak, à la fois dans leur accueil des communautés yézidies et chrétiennes, et dans leurs capacités de combat pour la reprise de Mossoul. Ils ont également été remarquables en Syrie.
La coalition n'ayant jamais envisagé d'envoyer des forces au sol, il fallait bien des acteurs pour prendre Raqqa, d'où sont venus les attentats. Ce sont les FSD du PYG, à dominante kurde, qui ont été très actives.
Il faut aussi comprendre que la Turquie a besoin de sécuriser sa frontière. C'est aussi notre propre intérêt, même à l'égard des potentiels « revenants ». On parle souvent des Français, mais il en existe partout. À un moment donné, Daech a compté 15 000 combattants étrangers. Ils n'ont pas tous été neutralisés.
C'est une situation très compliquée, dans laquelle il faut assurer les Kurdes de notre soutien. Pour ceux d'Irak, c'est plus simple que pour ceux des FDS. La Turquie a besoin d'un minimum de sécurité. Il en va aussi de la nôtre. Nous sommes sur une ligne de crête qui n'est pas simple. Ma mission est de mener la discussion le mieux possible.
On parle aux Turcs, on parle au général Mazlum, « patron » des FDS, pour faire en sorte que cela aboutisse, avec des jeux tactiques très compliqués de la part de tous les acteurs sur place.
C'est pourquoi le fait d'avoir un accord avec les Saoudiens, les Jordaniens, les Américains et les Britanniques sur un projet politique sur la Syrie depuis hier soir est une bonne chose. Je ne sais s'il va aboutir, mais il a au moins le mérite d'exister et de pouvoir rallier d'autres partenaires, en parlant aux Turcs et à l'opposition syrienne.
Nous ne faisons pas du départ de Bachar al-Assad le préalable à toutes discussions. Le préalable, c'est d'aller aux élections, d'appliquer la résolution 2254 du Conseil de sécurité, de réformer de la Constitution, et d'échanger des signes de confiance, dans le domaine humanitaire en particulier.
Dans la zone contrôlée par le régime, nous travaillons, en matière humanitaire, avec les Nations unies, qui se chargent de l'organisation. Dans les zones rebelles, nous aidons les Nations unies afin d'éviter les zones tenues par les djihadistes, et nous apportons l'aide humanitaire directement aux populations civiles.
On a orienté depuis le début de la guerre tous les groupes terroristes vers la région d'Idlib, pour en faire une espèce de « réserve ». On y trouve en effet beaucoup de groupes plutôt orientés vers Al-Qaïda. Il y a dans cette région 2,5 millions d'habitants qui ne sont pas tous terroristes. La stratégie de Bachar al-Assad et des Russes a consisté à regrouper progressivement tout le monde dans cette zone.
Les combats les plus spectaculaires ont été ceux d'Ersal, à la frontière entre le Liban et Damas, menés par Al-Qaida et Daech. L'armée libanaise a repris le territoire, et on a envoyé les combattants par cars dans la zone d'Idlib !
On justifie le fait d'empêcher l'aide humanitaire de parvenir dans ces zones pour empêcher Daech de prendre la relève d'Al-Qaida, mais lesdites zones comportent aussi des populations civiles non kurdes.
Merci, monsieur le ministre. Je crois exprimer le sentiment de chacun en renouvelant notre soutien aux efforts que vous déployez pour faire entendre la voix de la de France et agir dans le sens de la paix dans une région qui en a bien besoin.
Je remercie également le groupe de liaison sur les chrétiens d'Orient, qui réalise un travail extraordinaire, aux avant-postes du Sénat, pour nous informer de ce qui se passe sur le terrain.
La réunion est close à 17 heures 45.