Intervention de André Gattolin

Commission des affaires européennes — Réunion du 14 juin 2018 à 9h00
Recherche et propriété intellectuelle — Supercalculateur européen : proposition de résolution européenne et avis politique de mm. andré gattolin claude kern pierre ouzoulias et cyril pellevat

Photo de André GattolinAndré Gattolin :

L'audition de Thierry Breton nous a conduits à ajouter deux paragraphes à notre proposition de résolution. Certains de ses propos étaient frappants : il a insisté sur le fait que l'Europe était trop naïve et ne protégeait pas assez ses entreprises. L'argent est versé à des laboratoires ou à des entreprises qui travaillent en réalité pour des grands groupes non européens. La technologie développée grâce aux fonds européens part vers les États-Unis ou la Chine. Dans un secteur aussi stratégique, nous devons protéger et soutenir nos laboratoires et entreprises. Les autres grandes puissances ne s'en privent pas ! L'argent européen doit aller aux acteurs européens. Nous avons trop longtemps tenu un discours d'ouverture du marché, de concurrence, de coopération joyeuse et amicale entre grandes puissances....

La dimension de défense est effectivement très forte. Même le Royaume-Uni ne fait pas totalement confiance à une technologie sous domination américaine ou d'un État tiers... Theresa May a été contrainte par sa majorité à céder sur le Brexit « dur ». Nous ne pouvons nous réjouir du Brexit. ATOS a 16 000 employés outre-Manche, et Thierry Breton a insisté sur le fait qu'il ne peut pas se permettre de perdre tous ces talents.

Il est essentiel de renforcer une industrie européenne et de développer nos acteurs français. Nous avons des scientifiques de haut niveau. Comment les garder s'il n'y a pas de projet industriel pour suivre la phase de recherche ? Les chercheurs risquent de s'éparpiller pour aller travailler dans des entreprises concurrentes qui les valoriseront.

Ces supercalculateurs ne sont pas de simples machines : il faut mettre en place des milliers de logiciels complexes. Ils produisent du temps-calcul. Je m'étais révolté il y a trois ans contre la décision du Gouvernement de couper dans les réserves d'investissement de Météo France, qui devaient lui servir à acquérir ces nouveaux ordinateurs. Dans un ou deux ans, les siens seront obsolètes... David Cameron, alors Premier ministre, avait financé l'achat d'un supercalculateur spécialisé destiné au service de la météo britannique, pour 264 millions d'euros, ce qui leur donne une excellente capacité d'anticipation des accidents météorologiques. Avec un calculateur qui prendrait en compte l'artificialisation des sols, il serait possible de prévoir les risques d'accident de façon très précise.

Ces ordinateurs produisent du flux permanent - les données météo, par exemple - et peuvent faire des simulations complexes, utiles pour le secteur industriel. Le secteur de la cybersécurité, qui nécessite des calculs de risques, sera un très gros consommateur de données.

Il faut sanctuariser ce projet, et pour une fois l'approche de la Commission est pragmatique et de long terme. Sur les 9,2 milliards d'euros affectés au programme numérique dans le prochain cadre pluriannuel financier, 2,7 milliards seront consacrés aux supercalculateurs, 2,5 milliards à l'intelligence artificielle et 2 milliards à la cybersécurité. L'intelligence artificielle est stratégique : elle se développera avec des moyens de recherche importants et des capacités décentralisées dans chacune des entreprises. Sans supercalculateur, il n'y a ni indépendance, ni souveraineté, ni capacité à garder une entreprise compétitive. La simulation est essentielle si l'on veut rester compétitifs, pour contrer par exemple la Chine, qui a décidé de lancer une gamme d'avions de transport - les futurs concurrents de Boeing et d'Airbus.

Les acteurs que nous avons rencontrés pendant nos auditions, qui forment en quelque sorte « l'équipe France », ont insisté sur la qualité de nos talents - des chercheurs potentiellement nobélisables - mais ont souligné la nécessité d'engager des formations spécifiques. Il est essentiel que des machines soient implantées dans notre pays. Ces machines exigent des compétences humaines, des niveaux élevés d'ingénierie et des logiciels spécifiques : c'est une usine humaine !

La question des arbitrages européens est importante dans le futur cadre financier pluriannuel. Il faut aussi avancer sur la question des ressources propres. Le montage est ici intéressant : une partie du projet est financée par d'autres États. À l'origine, le projet était porté par sept pays, les plus importants - France, Allemagne, Italie, Espagne... Nous risquions donc d'être en situation de minorité lors des discussions au Conseil. Aujourd'hui, quinze États sont concernés, dont la Bulgarie ; ce n'est pas anodin, car la commissaire chargée du dossier Mariya Gabriel est bulgare. Il faut éviter un coup de Trafalgar !

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