Sur ces questions sensibles, je crois que nous serons tous d’accord, au sein de la Haute Assemblée, pour souligner qu’on ne saurait se soumettre au diktat de l’image et de la peur. Oui, pour penser des solutions pertinentes au défi migratoire, il convient de se fonder sur une analyse objective de la situation.
Aussi commencerai-je ce discours en vous livrant quelques données précises, tout d’abord sur la situation européenne.
Après avoir atteint des sommets historiques, les demandes d’asile sur le continent européen, dont le nombre était de 1, 3 million en 2015 et de 1, 2 million en 2016, ont diminué de moitié l’année dernière pour s’établir à 600 000.
Les franchissements illégaux des frontières extérieures de l’espace Schengen s’établissent, eux, à un niveau certes élevé – on en a dénombré 205 000 en 2017 selon l’agence FRONTEX –, mais sans commune mesure avec les chiffres constatés il y a encore quelque temps – 1, 8 million de franchissements ont été recensés en 2015.
Toutefois, il convient de demeurer vigilant, car on constate depuis quelques mois une forte recrudescence des flux migratoires sur la route orientale et sur la route occidentale. Par ailleurs, un épisode comme celui que nous avons vécu la semaine dernière avec l’Aquarius a révélé que la route migratoire de Méditerranée centrale, si elle est moins empruntée qu’auparavant, demeure très active.
La crise migratoire en Europe est donc loin d’être terminée.
En France, la situation est encore plus préoccupante, car on observe une évolution à contre-courant de celle que je viens de décrire.
Le nombre de demandes d’asile dans notre pays était de 100 000 en 2017, en hausse de 17 % par rapport à l’année précédente. Pour mémoire, il était de 50 000 en 2010.
Notre territoire est de plus en plus exposé à des flux secondaires de dizaines de milliers de personnes qui, s’étant vu refuser l’asile dans un autre pays européen, viennent tenter leur chance sur notre sol. Les conséquences de cette situation, vous les vivez au quotidien dans vos territoires.
Notre dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile est saturé, alors même que le nombre de places disponibles a doublé en quelques années, passant de 44 000 en 2012 à 80 000 aujourd’hui. En parallèle, le système d’hébergement d’urgence, dont la capacité a elle aussi doublé, passant de 80 000 à 138 000 places, ne permet pas d’absorber la demande.
Résultat : au cœur de nos villes, grandes et moyennes, se multiplient des campements de fortune où, pour les migrants, les conditions de vie sont très difficiles, et qui, pour les riverains, sont hélas générateurs d’importantes nuisances, voire de troubles à l’ordre public,
Telle est la réalité, mesdames, messieurs les sénateurs, telle que la vivent nos concitoyens. Il nous faut avoir le courage de la décrire, de la regarder en face, car il n’est possible d’agir qu’à partir de ce constat objectif.
Agir, c’est ce que le Président de la République et le Gouvernement ont fait depuis un an en travaillant en Afrique, auprès des pays d’origine des migrations. Le Président de la République a ainsi pris des initiatives fortes pour contribuer à stabiliser le continent africain et pour éviter que n’y naissent de nouveaux conflits qui seraient nécessairement porteurs de nouvelles migrations.
La France et l’Union européenne s’engagent pour donner un avenir à la jeunesse africaine, notamment au travers de l’aide au développement – telle était la teneur du discours du Président de la République à Ouagadougou.
Nous sommes également en pointe pour lutter contre les réseaux de passeurs. Il ne faut pas croire en effet que les migrations sont exclusivement des mouvements spontanés. Elles sont aussi le fruit de l’action de trafiquants d’êtres humains, souvent liés au crime, au commerce des armes, voire au terrorisme, qui dépouillent les migrants de tous leurs biens, les font passer par des routes dangereuses au cœur du désert, les placent dans des camps en Libye, avant de leur faire tenter une traversée plus que périlleuse de la Méditerranée. Contre cela, oui, nous nous devons de lutter, et nous luttons.
La France est par ailleurs très active aux portes de l’Union européenne, grâce à l’action résolue conduite par le ministre d’État, ministre de l’intérieur, pour faire en sorte que les ressortissants de pays comme l’Albanie qui bénéficient d’une exemption de visa ne détournent pas cette facilité pour demander l’asile en Europe, alors même que leur taux de protection est extrêmement faible, aux alentours de 5 %. Nous avons obtenu de premiers résultats puisque la demande albanaise a baissé d’un tiers entre les premiers mois de 2017 et les premiers mois de 2018.
Enfin, nous travaillons aussi avec nos partenaires européens, même si le récent contexte politique complexifie notre action, afin que se développe une véritable solidarité européenne en matière d’accueil des demandeurs d’asile.
Il convient donc, mesdames, messieurs les sénateurs, d’agir à l’échelon international, car la réponse au défi migratoire est et sera nécessairement globale.
Mais si la France est aujourd’hui à contre-courant des autres nations européennes, avec une demande en hausse quand celle-ci baisse partout ailleurs, c’est parce que notre système d’asile et d’immigration est perfectible.
Depuis un an, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures fortes pour améliorer ce dernier. Je rappelle que le renforcement des moyens des services des étrangers des préfectures, la création dans chaque grande région de centres d’accueil et d’examen des situations, les CAES, les efforts consentis par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, et la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, ont d’ores et déjà permis de réduire de quatorze mois à onze mois le délai moyen d’instruction de la demande d’asile.
La mobilisation des équipes préfectorales a permis d’augmenter de 9 % par rapport à l’an dernier le nombre d’éloignements. Quant à l’adoption de la proposition de loi Warsmann, elle a permis de sécuriser le cadre juridique des transferts « Dublin », lesquels sont en hausse de 60 %.
Toutefois, il faut aujourd’hui aller plus loin.
Lors de la campagne présidentielle, le Président de la République avait pris l’engagement fort de réduire à six mois en moyenne le délai d’instruction de la demande d’asile. Il voulait, soulignait-il, permettre à ceux qui obtiendront une protection de commencer rapidement leur parcours d’intégration dans la société française et, en même temps, faire en sorte que les personnes déboutées puissent être éloignées du territoire sans avoir perdu leurs liens avec leur pays d’origine.
Tels sont les objectifs du Gouvernement en présentant ce texte.
Le présent projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a fait l’objet d’une large adoption par les députés le 22 avril dernier. À l’issue de débats qui se sont tenus pendant près d’une semaine, les députés sont parvenus à l’adoption d’un texte que nous considérons comme équilibré.
Le projet de loi a ensuite été largement amendé lors de son examen le 6 juin par la commission des lois sénatoriale, dont je veux saluer le rapporteur, François-Noël Buffet.
Certains enrichissements vont dans le bon sens, et le Gouvernement proposera qu’ils soient conservés.
Il est en revanche des mesures qui, de nature à remettre en cause l’équilibre du texte entre humanité et efficacité, recevront de notre part un avis défavorable. Sur les points les plus symboliques, le Gouvernement a déposé des amendements qui tendent soit à revenir à l’esprit du texte initial, soit à supprimer certaines dispositions avec lesquelles il ne peut être en accord. Nous ne désespérons pas, à l’occasion de l’examen de ce texte en séance publique cette semaine, de vous convaincre, mesdames, messieurs les sénateurs.
La commission des lois a, par exemple, souhaité supprimer les dispositions portant d’un à quatre ans la durée de validité des titres de séjour délivrés aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux apatrides et revenir sur la possibilité pour les frères et les sœurs d’un réfugié mineur – je parle bien d’un réfugié reconnu comme tel au titre de l’asile – de le rejoindre.
Un procès nous a été fait à ce sujet à l’Assemblée nationale, aussi je voudrais préciser que cette mesure ne concernera que les mineurs réfugiés, c’est-à-dire quelques centaines de mineurs par an, et rappeler qu’il ne faut pas confondre ce public avec les mineurs non accompagnés, pris en charge par les conseils départementaux au titre de l’aide sociale à l’enfance. La portée de cette disposition ne doit donc pas être surestimée.
Le Gouvernement ne peut évidemment accepter sa suppression, car c’est la grandeur de la France que de proposer de telles mesures, qui ciblent les personnes les plus vulnérables et sont conformes à la grande tradition d’accueil de notre pays.