La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.
La séance est reprise.
J’ai reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 18 juin 2018 portant convocation du Parlement en session extraordinaire à compter du 3 juillet 2018.
Le décret vous a été communiqué.
La conférence des présidents, qui se réunira demain à dix-neuf heures trente, établira le programme de la session extraordinaire.
Acte est donné de cette communication.
J’ai reçu de M. le Président de la République une lettre m’informant de sa décision de s’adresser, en application du deuxième alinéa de l’article 18 de la Constitution, aux membres du Parlement réunis à cet effet en Congrès le lundi 9 juillet prochain.
Le décret réunissant le Congrès a été publié au Journal officiel de ce jour et vous a également été communiqué.
Acte est donné de cette communication.
L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (projet n° 464, texte de la commission n° 553, rapport n° 552, tomes I et II, avis n° 527).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’entamer mon propos, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du ministre d’État, ministre de l’intérieur, en ouverture de cette séance publique. Elle s’explique naturellement puisque ce dernier est retenu avec le Président de la République à Berlin, où se tient un conseil des ministres franco-allemand, à l’ordre du jour duquel figure le défi migratoire.
Le contexte politique sur notre continent étant actuellement très instable, pour ne pas dire critique – le risque pour l’Union européenne est de se disloquer autour de la question des migrations –, vous comprendrez que la présence de Gérard Collomb à cette réunion de haute importance était indispensable et qu’il m’ait demandé de le représenter ici aujourd’hui. Il participera néanmoins à ce débat dès demain et sera présent pour la suite des travaux parlementaires au sein de votre assemblée.
Cela dit, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie qui vous est soumis est donc un texte très important.
Ce texte est très important, car il s’agit de permettre à toutes celles et à tous ceux qui fuient la guerre et la persécution d’être mieux accueillis en France, de voir leurs démarches facilitées et de commencer plus tôt leur parcours pour s’insérer dans la société française.
Ce texte est très important, car les mesures que nous allons examiner visent aussi à lutter contre l’immigration illégale, ce qui correspond, vous le mesurez dans vos territoires, à une aspiration forte exprimée par nos concitoyens, aspiration à laquelle nous devons répondre si nous ne voulons pas que, demain, tous les populismes grandissent encore dans notre pays.
Sur ces questions sensibles, je crois que nous serons tous d’accord, au sein de la Haute Assemblée, pour souligner qu’on ne saurait se soumettre au diktat de l’image et de la peur. Oui, pour penser des solutions pertinentes au défi migratoire, il convient de se fonder sur une analyse objective de la situation.
Aussi commencerai-je ce discours en vous livrant quelques données précises, tout d’abord sur la situation européenne.
Après avoir atteint des sommets historiques, les demandes d’asile sur le continent européen, dont le nombre était de 1, 3 million en 2015 et de 1, 2 million en 2016, ont diminué de moitié l’année dernière pour s’établir à 600 000.
Les franchissements illégaux des frontières extérieures de l’espace Schengen s’établissent, eux, à un niveau certes élevé – on en a dénombré 205 000 en 2017 selon l’agence FRONTEX –, mais sans commune mesure avec les chiffres constatés il y a encore quelque temps – 1, 8 million de franchissements ont été recensés en 2015.
Toutefois, il convient de demeurer vigilant, car on constate depuis quelques mois une forte recrudescence des flux migratoires sur la route orientale et sur la route occidentale. Par ailleurs, un épisode comme celui que nous avons vécu la semaine dernière avec l’Aquarius a révélé que la route migratoire de Méditerranée centrale, si elle est moins empruntée qu’auparavant, demeure très active.
La crise migratoire en Europe est donc loin d’être terminée.
En France, la situation est encore plus préoccupante, car on observe une évolution à contre-courant de celle que je viens de décrire.
Le nombre de demandes d’asile dans notre pays était de 100 000 en 2017, en hausse de 17 % par rapport à l’année précédente. Pour mémoire, il était de 50 000 en 2010.
Notre territoire est de plus en plus exposé à des flux secondaires de dizaines de milliers de personnes qui, s’étant vu refuser l’asile dans un autre pays européen, viennent tenter leur chance sur notre sol. Les conséquences de cette situation, vous les vivez au quotidien dans vos territoires.
Notre dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile est saturé, alors même que le nombre de places disponibles a doublé en quelques années, passant de 44 000 en 2012 à 80 000 aujourd’hui. En parallèle, le système d’hébergement d’urgence, dont la capacité a elle aussi doublé, passant de 80 000 à 138 000 places, ne permet pas d’absorber la demande.
Résultat : au cœur de nos villes, grandes et moyennes, se multiplient des campements de fortune où, pour les migrants, les conditions de vie sont très difficiles, et qui, pour les riverains, sont hélas générateurs d’importantes nuisances, voire de troubles à l’ordre public,
Telle est la réalité, mesdames, messieurs les sénateurs, telle que la vivent nos concitoyens. Il nous faut avoir le courage de la décrire, de la regarder en face, car il n’est possible d’agir qu’à partir de ce constat objectif.
Agir, c’est ce que le Président de la République et le Gouvernement ont fait depuis un an en travaillant en Afrique, auprès des pays d’origine des migrations. Le Président de la République a ainsi pris des initiatives fortes pour contribuer à stabiliser le continent africain et pour éviter que n’y naissent de nouveaux conflits qui seraient nécessairement porteurs de nouvelles migrations.
La France et l’Union européenne s’engagent pour donner un avenir à la jeunesse africaine, notamment au travers de l’aide au développement – telle était la teneur du discours du Président de la République à Ouagadougou.
Nous sommes également en pointe pour lutter contre les réseaux de passeurs. Il ne faut pas croire en effet que les migrations sont exclusivement des mouvements spontanés. Elles sont aussi le fruit de l’action de trafiquants d’êtres humains, souvent liés au crime, au commerce des armes, voire au terrorisme, qui dépouillent les migrants de tous leurs biens, les font passer par des routes dangereuses au cœur du désert, les placent dans des camps en Libye, avant de leur faire tenter une traversée plus que périlleuse de la Méditerranée. Contre cela, oui, nous nous devons de lutter, et nous luttons.
La France est par ailleurs très active aux portes de l’Union européenne, grâce à l’action résolue conduite par le ministre d’État, ministre de l’intérieur, pour faire en sorte que les ressortissants de pays comme l’Albanie qui bénéficient d’une exemption de visa ne détournent pas cette facilité pour demander l’asile en Europe, alors même que leur taux de protection est extrêmement faible, aux alentours de 5 %. Nous avons obtenu de premiers résultats puisque la demande albanaise a baissé d’un tiers entre les premiers mois de 2017 et les premiers mois de 2018.
Enfin, nous travaillons aussi avec nos partenaires européens, même si le récent contexte politique complexifie notre action, afin que se développe une véritable solidarité européenne en matière d’accueil des demandeurs d’asile.
Il convient donc, mesdames, messieurs les sénateurs, d’agir à l’échelon international, car la réponse au défi migratoire est et sera nécessairement globale.
Mais si la France est aujourd’hui à contre-courant des autres nations européennes, avec une demande en hausse quand celle-ci baisse partout ailleurs, c’est parce que notre système d’asile et d’immigration est perfectible.
Depuis un an, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures fortes pour améliorer ce dernier. Je rappelle que le renforcement des moyens des services des étrangers des préfectures, la création dans chaque grande région de centres d’accueil et d’examen des situations, les CAES, les efforts consentis par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, et la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, ont d’ores et déjà permis de réduire de quatorze mois à onze mois le délai moyen d’instruction de la demande d’asile.
La mobilisation des équipes préfectorales a permis d’augmenter de 9 % par rapport à l’an dernier le nombre d’éloignements. Quant à l’adoption de la proposition de loi Warsmann, elle a permis de sécuriser le cadre juridique des transferts « Dublin », lesquels sont en hausse de 60 %.
Toutefois, il faut aujourd’hui aller plus loin.
Lors de la campagne présidentielle, le Président de la République avait pris l’engagement fort de réduire à six mois en moyenne le délai d’instruction de la demande d’asile. Il voulait, soulignait-il, permettre à ceux qui obtiendront une protection de commencer rapidement leur parcours d’intégration dans la société française et, en même temps, faire en sorte que les personnes déboutées puissent être éloignées du territoire sans avoir perdu leurs liens avec leur pays d’origine.
Tels sont les objectifs du Gouvernement en présentant ce texte.
Le présent projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a fait l’objet d’une large adoption par les députés le 22 avril dernier. À l’issue de débats qui se sont tenus pendant près d’une semaine, les députés sont parvenus à l’adoption d’un texte que nous considérons comme équilibré.
Le projet de loi a ensuite été largement amendé lors de son examen le 6 juin par la commission des lois sénatoriale, dont je veux saluer le rapporteur, François-Noël Buffet.
Certains enrichissements vont dans le bon sens, et le Gouvernement proposera qu’ils soient conservés.
Il est en revanche des mesures qui, de nature à remettre en cause l’équilibre du texte entre humanité et efficacité, recevront de notre part un avis défavorable. Sur les points les plus symboliques, le Gouvernement a déposé des amendements qui tendent soit à revenir à l’esprit du texte initial, soit à supprimer certaines dispositions avec lesquelles il ne peut être en accord. Nous ne désespérons pas, à l’occasion de l’examen de ce texte en séance publique cette semaine, de vous convaincre, mesdames, messieurs les sénateurs.
La commission des lois a, par exemple, souhaité supprimer les dispositions portant d’un à quatre ans la durée de validité des titres de séjour délivrés aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux apatrides et revenir sur la possibilité pour les frères et les sœurs d’un réfugié mineur – je parle bien d’un réfugié reconnu comme tel au titre de l’asile – de le rejoindre.
Un procès nous a été fait à ce sujet à l’Assemblée nationale, aussi je voudrais préciser que cette mesure ne concernera que les mineurs réfugiés, c’est-à-dire quelques centaines de mineurs par an, et rappeler qu’il ne faut pas confondre ce public avec les mineurs non accompagnés, pris en charge par les conseils départementaux au titre de l’aide sociale à l’enfance. La portée de cette disposition ne doit donc pas être surestimée.
Le Gouvernement ne peut évidemment accepter sa suppression, car c’est la grandeur de la France que de proposer de telles mesures, qui ciblent les personnes les plus vulnérables et sont conformes à la grande tradition d’accueil de notre pays.
Le texte de la commission contient ensuite des mesures dont la portée opérationnelle ne me semble absolument pas garantie et qui emportent plus d’inconvénients juridiques que d’avantages. C’est le cas, par exemple, de la disposition selon laquelle le rejet de la demande d’asile vaudrait obligation de quitter le territoire français, ou OQTF. Celle-ci me semble entraîner une certaine confusion entre, d’une part, la portée de la décision prise par l’OFPRA ou la CNDA et, d’autre part, les prérogatives de l’autorité administrative.
J’ai également à l’esprit l’instauration de quotas, qui ne furent pas mis en œuvre sous de précédentes législatures, alors même que les occasions n’auraient pas manqué de le faire lors des nombreuses modifications du droit des étrangers dont le Parlement avait été saisi.
Comment le Gouvernement pourrait-il accepter une telle évolution ? La limitation du droit au regroupement familial que la mise en place de quotas occasionnerait est directement contraire à la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier à son article 8, qui reconnaît le droit à une vie familiale normale.
De même, vous proposez de supprimer l’aide médicale de l’État et de la remplacer par une aide médicale d’urgence, dont le panier de soins serait plus réduit. Sur ce sujet également, le Gouvernement ne saurait admettre une telle régression des droits des personnes qui aurait pour conséquence, en réduisant les soins accordés aux étrangers, fussent-ils en situation irrégulière, d’accroître les risques pour la santé publique en général.
Sur ces points, le Gouvernement marquera son opposition de manière ferme et déterminée.
Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, des mesures ont été adoptées par votre commission qui auraient pour conséquence d’allonger les délais d’instruction du droit d’asile et d’amoindrir l’efficacité des politiques d’éloignement, à l’inverse donc de deux objectifs que nous partageons pourtant avec la majorité sénatoriale.
J’ai à l’esprit, par exemple, le maintien à un mois du délai de recours devant la CNDA, que le Gouvernement souhaite faire passer à quinze jours. On ne peut à la fois chercher à réduire les délais d’instruction du droit d’asile – comme c’est votre cas, il me semble ! – et refuser cette mesure, qui a été très encadrée par l’Assemblée nationale.
La suppression de la possibilité de demander l’aide au retour pour les personnes en rétention est un autre sujet de désaccord. Il me paraît encore que l’on ne peut rejeter cette mesure, qui est de nature à augmenter significativement le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français, si l’on souhaite améliorer l’efficacité des politiques d’éloignement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’enjeu qui nous réunit aujourd’hui est tout à fait décisif pour la France et pour les Français, bien sûr, pour lesquels la question migratoire est une des préoccupations principales, mais, plus largement, pour l’avenir de l’Europe.
On voit quelles positions sont en présence.
Il y a d’abord ceux qui souhaitent accueillir tous ceux qui veulent venir et nient jusqu’à l’existence même des frontières. C’est là, chacun le comprend, une impasse, car l’Europe ne pourra jamais faire face, par exemple, au doublement de la population de l’Afrique.
Il y a ensuite ceux – ils sont de plus en plus nombreux en Europe et en France – qui rejettent tout accueil, y compris celui de personnes qui fuient la guerre et la persécution. Cela est en tout point contraire à l’histoire européenne et jamais nous n’accepterons que le droit d’asile soit remis en question.
La responsabilité de la France est de porter une ligne empreinte de fermeté et de justice, d’efficacité et d’humanité, fidèle aux valeurs de la République, fidèle aux valeurs de l’Europe, qui en a besoin.
Voilà l’enjeu à la hauteur duquel nous devons nous hisser. Nous sommes observés par les Français, par nos partenaires, par les peuples européens. Je suis convaincue, mesdames, messieurs les sénateurs, que nos débats seront à la mesure de cette responsabilité.
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, ce n’est pas la première fois que je monte à cette tribune pour parler d’asile et d’immigration.
Ce texte est le vingt-neuvième qui est présenté devant le Parlement sur cette thématique, dont seize projets de loi majeurs, les derniers datant de 2015 et de 2016.
À ce jour, nous n’avons pas encore pu mesurer les effets de ce qui avait alors été voté.
Dans son avis, le Conseil d’État a d’ailleurs affirmé que les conditions dans lesquelles ce texte arrivait n’étaient pas idéales : il est accompagné d’une étude d’impact incomplète et dépourvue d’une évaluation suffisante des textes précédents. J’ajoute que, pour la commission des lois, il est incomplet et technique, dénué de ligne politique suivie.
La préparation de ce projet de loi offrait pourtant l’occasion de prendre un peu de temps pour étudier dans le même mouvement l’asile et l’immigration, qui font pour la première fois l’objet d’un texte unique. Nous aurions pu également prendre un peu de temps pour tenir compte de l’intégration, par exemple. Cela n’a pas été le cas.
Les mesures relatives à l’asile se résument à une longue succession d’ajustements techniques et procéduraux ; celles qui concernent la lutte contre l’immigration irrégulière contiennent quelques adaptations bienvenues, visant notamment la vidéo-audience, que nous conservons.
En revanche, le volet « intégration » est réduit au minimum et nous semble se résumer à de l’affichage. La politique en la matière dépendra du sort que le Gouvernement compte réserver au rapport confié au député Aurélien Taché.
Sur le fond, les enjeux européens et internationaux des politiques migratoires sont totalement ignorés. Aucune mesure n’est prévue pour faire pression sur certains de nos partenaires, notamment pour l’obtention de laissez-passer consulaires ou pour encourager la participation de la France au mécanisme de solidarité européen. Enfin, la dimension migratoire de nos territoires ultramarins, de Mayotte en particulier, est éludée.
Les mineurs étrangers sont les grands absents du texte, qui ne contient aucune disposition susceptible de répondre aux problématiques posées par la crise de la prise en charge des mineurs non accompagnés, alors que les départements sont en première ligne et qu’ils ont besoin d’une action forte de l’État.
De même, ni le Gouvernement ni les parlementaires de la majorité à l’Assemblée nationale n’ont eu le courage de traiter la situation des mineurs placés en centre de rétention avec leur famille, ouvrant même la possibilité de les retenir trois mois, dans des lieux totalement inadaptés.
L’intégration est donc le parent pauvre de ce texte. La formation linguistique à destination des étrangers en situation régulière est en moyenne de 148 heures, contre 242 heures en 2012. Même si le Gouvernement doublait le nombre d’heures de français, nous serions très loin de l’Allemagne, qui dispense 600 heures de formation linguistique aux étrangers primo-arrivants et jusqu’à 900 heures aux réfugiés.
Enfin, le nombre de visites médicales effectuées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, a baissé de plus de 76 % entre 2016 et 2017, ce qui soulève un grave problème de santé publique, notamment dans les universités.
Je ne saurais continuer sans rappeler le contexte dans lequel nous nous trouvons. L’Europe a connu depuis 2015 une vague d’arrivées sur son territoire d’une ampleur inédite depuis la Seconde Guerre mondiale et le conflit de l’ex-Yougoslavie : un million et demi de personnes sont entrées en Europe en 2015 par la voie maritime, en Méditerranée. Depuis 2016, la pression migratoire s’est atténuée et le nombre de migrants a diminué d’un facteur cinq, grâce, notamment, aux opérations coordonnées par FRONTEX en Méditerranée, à l’entrée en vigueur de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie du 18 mars 2016, à la mise en place de hotspots et au programme temporaire de relocalisation destiné à soulager l’Italie et la Grèce.
À l’échelle de l’Europe, la demande de protection internationale subit une baisse comparable et s’est établie en 2017 à 706 000 demandes d’asile, une diminution de 43 % par rapport à 2016. Cette évolution numérique s’accompagne d’une reconfiguration géographique des principales routes de migration vers l’Europe. Les flux en Méditerranée centrale ont connu une diminution notable – moins 32 % entre 2016 et 2017. Il en va de même en Méditerranée orientale. En revanche, le flux passant par la Méditerranée occidentale est en nette augmentation.
Fortement exposée par sa situation géographique aux flux dits « secondaires » ou « de rebond » internes à l’Union européenne, la France connaît désormais une demande d’asile à la hausse, alors même que celle-ci tend à se stabiliser chez ses voisins : 100 412 demandes en 2017, soit une augmentation de 17, 1 % depuis 2016. De même, la délivrance de premiers titres de séjour a connu une hausse ininterrompue depuis 2012, particulièrement forte en 2016 et en 2017.
En conséquence, nos structures d’accueil connaissent une tension extrêmement forte. Seuls 60 % des demandeurs d’asile sont accueillis dans des structures dédiées, des dispositifs qui se sont d’ailleurs empilés, parfois sans cohérence ni lisibilité. L’OFII est débordé par ses nouvelles missions en matière d’asile qui fragilisent sa fonction historique d’intégration des primo-arrivants.
En matière d’asile, les procédures sont encore insatisfaisantes et toujours trop longues, mais des efforts doivent être relevés. L’OFPRA a réussi à réduire quelque peu les délais d’instruction de ses dossiers et nous pouvons espérer que les objectifs fixés seront bientôt atteints. La situation de la Cour nationale du droit d’asile est plus préoccupante, avec l’augmentation de 34 % des recours et de 29 % des affaires en attente entre 2016 et 2017. La CNDA a besoin d’un peu de temps pour se mettre à niveau, si je puis me permettre cette expression.
En matière d’éloignement, nos systèmes sont en surchauffe et nos dispositifs sont sursollicités : le taux d’occupation des centres de rétention s’établit cette année à 81 % et s’accompagne d’une gestion des escortes et des transferts à flux tendus. Faut-il rappeler en outre que le financement est en baisse ? Il est positif d’afficher un objectif de renvoi et de traitement de l’immigration irrégulière, mais il serait préférable d’y consacrer les moyens nécessaires, alors que le budget correspondant est en diminution de 7 % en 2018 par rapport à 2017.
Au texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, la commission des lois du Sénat a essayé d’apporter une certaine ligne directrice marquée, tout d’abord, par une volonté très ferme en matière de traitement de l’immigration irrégulière, mais aussi par le souhait affiché de préserver les droits accordés en matière d’asile et de respecter les procédures. Nous avons également conforté le secteur de l’intégration, qui n’était pas traité, et nous avons ajouté des éléments concernant le traitement des mineurs, mais aussi la situation de Mayotte, en particulier. Les débats permettront d’aborder les détails de ces mesures.
S’agissant de l’immigration irrégulière, je veux rappeler que la commission des lois a décidé de nouveau d’organiser un débat au Parlement chaque année ; de resserrer les conditions du regroupement familial ; de transformer – oui ! – l’aide médicale de l’État en aide médicale d’urgence et de mieux identifier les secteurs économiques en manque de main-d’œuvre. En ce qui concerne les réfugiés, elle a également souhaité maintenir le délai d’appel à un mois et ne pas le réduire à quinze jours, car une telle évolution n’offrirait en réalité aucun gain en termes de rapidité et d’efficacité de traitement de l’immigration. Ce serait un leurre, selon moi. Enfin, la commission a voulu compléter la définition des pays d’origine sûrs et mieux protéger les mineurs, en particulier ceux qui risquent de subir des mutilations sexuelles.
J’insiste aussi sur le fait que nous avons ramené les collectivités locales dans le débat. Celles-ci sont sollicitées à travers les schémas d’hébergement régionaux et il est utile, par ailleurs, qu’elles soient désormais représentées au sein de l’OFII, compte tenu de l’évolution des compétences.
Concernant l’intégration, il faut certainement moins accueillir, mais se donner les moyens de mieux accueillir. Pour cela, il importe de redonner du sens au contrat d’intégration républicain, en associant Pôle emploi au dispositif et en certifiant le niveau de français obtenu par les étrangers à la fin de la procédure. Il est également important de réaffirmer la compétence de l’OFII en matière de visites médicales des étudiants étrangers.
Je terminerai par la lutte contre l’immigration irrégulière. Sur ce sujet, on nous reproche d’avoir durci le texte. C’est vrai, nous en avons fait le choix. On ne peut pas avoir une immigration régulière et traiter les demandes d’asile dans de bonnes conditions, au profit de ceux qui doivent en bénéficier, si l’on n’est pas capable de tenir un discours ferme à l’encontre de ceux qui entrent irrégulièrement sur le territoire et qui entendent y rester.
C’est la raison pour laquelle nous avons prévu que le refus définitif d’une demande d’asile vaudra obligation de quitter le territoire national. C’est pourquoi nous demandons que le Gouvernement négocie avec les pays sources le nombre de visas long séjour en fonction des laissez-passer consulaires qui nous sont accordés. Tout le monde sait dans cette enceinte que si ce n’est pas le cas, les mesures d’éloignement seront dénuées d’efficacité.
Il est indispensable de réorganiser le séquençage de la rétention administrative plutôt que sa durée. L’intervention du juge des libertés et de la détention, le JLD, à cinq jours me paraît donc absolument nécessaire.
Enfin, nous avons complété le texte en sanctionnant plus sévèrement les étrangers délinquants, mais, surtout, nous avons refusé d’affaiblir le délit d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier sur le territoire, ainsi que cela avait été fait à l’Assemblée nationale.
S’agissant des mineurs étrangers, nous interdisons explicitement le placement en rétention de mineurs isolés et nous limitons à cinq jours la durée de rétention des mineurs accompagnants. Je rappelle qu’une famille peut être placée en rétention avec ses enfants pour la durée de la rétention théorique, soit 45 jours aujourd’hui et 90 jours, peut-être, demain. Cela n’est pas acceptable et nous avons choisi de limiter cette mesure à cinq jours au maximum.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.
Nous souhaitons également la création d’un fichier national biométrique des personnes déclarées majeures à l’issue de leur évaluation par un département. Tout le monde reconnaît que la situation est extrêmement compliquée. Les départements ont besoin de ce fichier, afin d’éviter les difficultés posées par les demandes multiples. C’est essentiel !
Deux points me laissent des regrets. Tout d’abord, je déplore l’absence de l’Europe dans ce débat, alors qu’il s’agit d’un sujet fondamental. Ensuite, les relations internationales, au-delà de l’Europe, me semblent peu abordées, je l’ai évoqué au sujet des accords bilatéraux en matière d’obtention de laissez-passer consulaire. Il s’agit, bien sûr, de Mayotte, et nous apporterons une solution au problème à l’occasion de la discussion des amendements déposés par notre collègue Thani Mohamed Soilihi.
Pour terminer, les projets les plus magnifiques ne sont réussis qu’à condition que de l’argent leur soit consacré. Ce texte ne prévoit pas de moyens budgétaires. Je crains que l’efficacité ne soit pas au rendez-vous.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.
Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, sur l’initiative de sa présidente, Mme Catherine Morin-Desailly, le bureau de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a décidé de rendre un avis sur ce texte transmis au fond à la commission des lois, mais dont quelques dispositions intéressent tout particulièrement notre commission, dans ses compétences relatives à l’éducation, à la jeunesse, à l’enseignement supérieur, à la recherche et à la culture.
Il s’agit de quatre articles du projet de loi tel qu’il nous avait été transmis par l’Assemblée nationale. L’article 20 est relatif au passeport talent, à la mobilité des chercheurs étrangers et à la concurrence entre les États à ce sujet. Dans le cadre de l’article 21, relatif à la mobilité des étudiants étrangers et à l’autorisation provisoire de séjour qui leur permet aujourd’hui de rester douze mois supplémentaires sur le territoire après l’obtention de leur diplôme pour chercher un emploi ou créer une entreprise, nous souhaitions clarifier la compétence de l’OFII en matière de visite médicale des étudiants étrangers. L’article 22 concerne la mobilité des jeunes au pair avec un engagement réciproque portant des droits, des devoirs et des obligations. Enfin, l’article 33 quater traite d’une question liée à la scolarisation obligatoire et confère aux préfets, plutôt qu’aux directeurs académiques des services de l’éducation nationale, ou DASEN, la responsabilité de l’exercice des prérogatives que leur confère la loi.
En 2015, lors de nos travaux sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France, la commission de la culture avait marqué son attachement aux dispositifs d’immigration choisie, lesquels permettent d’attirer en France des talents étrangers qui contribuent ensuite à faire rayonner notre pays à l’international.
La France peut s’enorgueillir d’accueillir plus de 73 000 étudiants étrangers chaque année, ce qui la place au quatrième rang mondial et au premier rang des pays non anglophones. Nous sommes également bien placés en matière d’accueil des chercheurs étrangers hors Union européenne, avec près de 12 500 personnes accueillies dans ce cadre, ce qui nous situe au deuxième rang européen derrière le Royaume-Uni.
En 2015, nous avions toutefois émis une réserve. Nous craignions que les différents dispositifs d’immigration choisie ne constituent un aspirateur à talents qui viendrait encore appauvrir des pays pauvres et en développement. C’est un véritable risque, madame le ministre, et des mesures doivent être prises pour garantir un codéveloppement des talents internationaux.
Permettez-moi enfin d’attirer votre attention sur le fait que le développement des dispositifs d’immigration légale choisie doit se faire avec rigueur. En ces temps de pression migratoire forte sur les pays de l’Union européenne, les risques de détournement des dispositifs doivent être bien appréciés, et l’immigration légale doit être également contenue.
Il y a bientôt trois semaines, la commission de la culture a examiné le projet de loi et adopté huit amendements, qui ont tous été intégrés dans le texte de la commission des lois que nous examinons aujourd’hui. Je tiens à en remercier son rapporteur, M. François-Noël Buffet, et son président, M. Philippe Bas.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Je suis saisi, par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, d’une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (n° 553, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la migration est un phénomène aussi ancien que l’humanité. Nous n’empêcherons pas les femmes et les hommes de migrer, d’autant moins que les conflits internationaux, l’ordre économique libéral établi et les bouleversements climatiques font de notre monde un monde de réfugiés. Renforcer les opérations de police aux frontières et la politique d’expulsion ne changera rien à cet état de fait. Ces femmes et ces hommes qui migrent ne le font sûrement pas pour bénéficier de telle ou telle aide sociale, qu’ils compareraient selon les pays.
Sourires.
Madame la ministre, lorsque l’on essaie de fuir la violence, la torture, la guerre, la famine, les catastrophes écologiques, quitter son pays, ses amis, et sa famille parfois, représente une vraie souffrance. Pourtant, rien ne décourage ces femmes et ces hommes qui cherchent simplement à vivre ailleurs, car ils y sont contraints, rien, pas même la violence des frontières qui se ferment devant eux.
La fonte des neiges dans les Alpes nous l’a récemment rappelé, en révélant les dépouilles de corps de migrants contraints d’emprunter des détours en pleine montagne ; ces mêmes migrants que certains extrémistes nationalistes chassaient fièrement à bord d’hélicoptères il y a peu ; ces mêmes migrants que d’autres citoyens, plus fidèles aux valeurs de notre République, aident en toute fraternité, avant d’être traînés devant les tribunaux !
Votre conception de la politique migratoire s’inscrit dans un projet plus global : vous vous attaquez à la solidarité des Français envers les étrangers comme vous montez les Français les uns contre les autres, pour servir les intérêts d’une politique de libéralisation et de casse des valeurs républicaines, droit d’asile compris.
L’attitude de la France et de l’Europe met en danger les migrants et laisse les citoyens et les associations gérer l’urgence humanitaire. C’est ainsi que ces 629 femmes et hommes rescapés, repêchés en mer par l’Aquarius, n’ont trouvé d’accueil ni en Italie ni en France ; 629 femmes et hommes qui « ne sont rien » et qui méritent sans doute d’être « responsabilisés », mis au pas, comme le sont les Français sous le régime de La République En Marche.
De son côté, le Conseil européen devra, à la fin du mois, prendre acte une nouvelle fois de l’échec de sa politique migratoire et repenser ses orientations, qui ne sont pas suivies d’effets. Rappelons que la France s’était engagée en 2015 à accueillir 30 750 personnes jusqu’en 2017, alors que, aujourd’hui, seules 4 278 personnes ont été relocalisées.
Pour le moment, l’heure n’est pas à l’apaisement, comme l’a déclaré Emmanuel Macron, puisque, juste après sa rencontre avec le chef du gouvernement italien, Rome refusait une nouvelle fois l’accès de ses ports à des bateaux d’ONG.
Aujourd’hui, madame la ministre, l’émotion et la colère sont d’autant plus fortes et légitimes que votre texte enfreint un certain nombre de principes fondamentaux, à commencer par le droit d’asile, qui fait partie intégrante de l’histoire démocratique française.
La Constitution du 24 juin 1793 proclamait déjà que le peuple français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. - Il le refuse aux tyrans. » C’est l’acte fondateur du droit d’asile, élément constitutif des grands principes de la Révolution française et du siècle des Lumières.
Faut-il rappeler ces mots de Voltaire dans son Traité de la tolérance ? « Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! »
Le droit d’asile est désormais consacré par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, forgée par la Résistance : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. »
C’est en se fondant sur ce texte que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 1993, a qualifié le droit d’asile d’« exigence constitutionnelle ». Peu après cette décision, la révision constitutionnelle du 25 novembre 1993, nécessaire à la pleine application par la France de la convention de Schengen, a inscrit dans la Constitution un article 53-1 aux termes duquel « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. »
Loin des faux bons sentiments, la logique de pénalisation et de sanction des demandeurs d’asile que développe ce projet de loi enfreint cette tradition d’asile du droit français.
Il est porté atteinte au droit d’asile dans la phase administrative de la demande comme dans sa phase contentieuse.
Premièrement, le texte, en son article 5, entrave le dépôt de la demande d’asile dans un délai raisonnable et ne permet pas la bonne information des demandeurs d’asile quant au sort qui leur est réservé.
Deuxièmement, l’article 6 porte gravement atteinte au droit au recours effectif des demandeurs d’asile en réduisant le délai pour exercer un recours devant la CNDA, le Gouvernement souhaitant rétablir par voie d’amendement la réduction, supprimée par la commission des lois, de ce délai à quinze jours. Cette réduction excessive des délais conduit à une justice expéditive.
Pourtant, le 2 février 2012, la Cour européenne des droits de l’homme rendait un arrêt de condamnation à l’encontre de la France, considérant que la procédure prioritaire alors prévue pour l’examen de certaines demandes d’asile n’était pas conforme au droit au recours effectif tel que garanti par l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Troisièmement, l’article 8 du présent projet de loi met fin au caractère suspensif de certains recours devant la CNDA. Celui-ci était pourtant consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 : « Considérant que le respect du droit d’asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d’une manière générale que l’étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande. »
Quatrièmement, il sera possible d’imposer au demandeur d’asile tout au long de la procédure une langue qui n’est pas la sienne, sans que soient respectés ni les garanties procédurales européennes ni le droit de tout justiciable à être entendu dans une langue maîtrisée.
Cinquièmement, en plus d’entraver davantage la procédure d’examen de la demande avec la fin de la notification des convocations et décisions par lettre recommandée, le texte prévoyant que cette notification puisse se faire « par tout moyen », le Gouvernement ne respecte pas le principe de confidentialité que le Conseil constitutionnel a érigé au rang de « garantie essentielle du droit d’asile », principe de valeur constitutionnelle.
Sixièmement, le projet de loi supprime le caractère facultatif de la visioconférence en l’imposant aux justiciables. Une telle généralisation est encore une fois parfaitement contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Saisis notamment de la question du recours à la visioconférence pour les audiences de prolongation de rétention administrative, les sages ont jugé, dans une décision du 20 novembre 2003, qu’un tel recours était conforme à la Constitution à la condition qu’il soit subordonné au consentement de l’étranger. Or c’est exactement ce que le texte supprime.
Toutes ces dispositions anticonstitutionnelles illustrent la dangerosité d’un tel texte pour notre démocratie, d’autant plus qu’elles sont contraires aux normes supranationales, qu’il s’agisse de la convention de Genève ou de la convention internationale des droits de l’enfant.
En effet, sur ce dernier point, conformément aux obligations de la France relatives à l’intérêt supérieur des mineurs rappelées à plusieurs reprises par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, la Cour européenne des droits de l’homme, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le Comité consultatif national d’éthique et l’Académie nationale de médecine, ce projet de loi aurait dû supprimer toute possibilité de maintenir des mineurs en zone d’attente ou en centre de rétention administrative quelle que soit leur nationalité, afin qu’ils soient admis dignement sur notre territoire et mis sous la protection de l’aide sociale à l’enfance.
Je l’affirme avec force : un mineur, même étranger, n’est pas un migrant. C’est un enfant, et ce jusqu’à l’âge de sa majorité. Nous lui devons donc aide et protection, et le Sénat s’honorerait en supprimant l’article 15 quater relatif à la durée de placement en rétention pour cinq jours des familles, car qui dit famille dit enfants.
Les mesures d’enfermement pour les majeurs posent également question, comme la facilitation de la rétention administrative, notamment des « dublinés » qui n’ont commis aucun délit, alors même que la France a déjà été condamnée à six reprises par la Cour européenne des droits de l’homme à cause de ses conditions de rétention.
Autre atteinte excessive aux droits fondamentaux des demandeurs d’asile, le droit inconditionnel à l’accueil et au maintien en hébergement d’urgence de toutes les personnes au regard du seul critère de la détresse, auquel contrevient l’article 9 du présent projet de loi qui légalise la circulaire Collomb de décembre 2017 tant décriée.
Hélas, la liste des principes fondamentaux remis en cause par ce projet de loi est encore longue – nous y reviendrons au cours du débat. Nous ne nous faisons pas d’illusions, mes chers collègues, quant au sort qui sera réservé à la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Elle sera rejetée, mais nous souhaitions attirer votre attention et celle du Conseil constitutionnel sur ces points.
Nous participerons au débat, en insistant notamment sur le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité qui ne saurait tolérer la moindre distinction entre ressortissants nationaux et ressortissants étrangers s’agissant de la garantie des droits fondamentaux attachés à la personne.
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, contre la motion.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Madame la présidente Assasi, vous avez souhaité déposer une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité en raison des graves difficultés constitutionnelles que comporterait le présent texte. Vous l’aurez compris, nous ne partageons pas votre analyse, et je vais m’en expliquer.
La commission des lois du Sénat, après un examen minutieux du texte, propose un projet de loi amélioré, détaillé et argumenté qui, en tout état de cause, respecte le droit d’asile auquel nous sommes foncièrement attachés.
En effet, le rapporteur a trouvé un juste équilibre entre l’amélioration du traitement des demandes d’asile et les conditions réalistes du droit de recours devant la Cour nationale du droit d’asile, dont l’activité ne cesse de croître ces dernières années.
Le Gouvernement – je souhaite le rappeler – a voulu réduire le délai de recours des demandeurs d’asile de trente à quinze jours. Notre rapporteur a décidé de supprimer cette diminution drastique jugée attentatoire aux droits des demandeurs d’asile, et qui plus est inefficace pour lutter contre l’immigration irrégulière. La réduction à quinze jours semble d’autant plus inenvisageable que l’organisation actuelle de la Cour nationale du droit d’asile n’est pas optimale et mérite d’évoluer.
Je souhaite également attirer votre attention sur un point particulier des apports de la commission qui me tient à cœur, celui des mineurs isolés. Je tiens à féliciter la commission pour sa prise de position sur ce sujet. L’interdiction de placement en rétention des mineurs isolés est une avancée majeure, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté l’avait d’ailleurs appelée de ses vœux.
L’encadrement du placement en rétention des mineurs accompagnant leurs familles, réduit à cinq jours alors que, aujourd’hui, ces familles peuvent être placées en rétention jusqu’à trente jours, est également une avancée majeure en termes d’humanité.
Ces décisions courageuses étaient nécessaires pour protéger les plus vulnérables, et je tiens à en féliciter notre rapporteur.
Pour ces différents motifs, mon groupe ne considère pas que ce texte soulève des difficultés constitutionnelles, et votera donc contre la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Plus largement, je veux revenir sur les nombreux débats qui ont eu lieu autour de ce texte, et plus généralement, concernant la réforme de notre politique migratoire. Les termes « dignité » et « respect des droits fondamentaux » sont souvent évoqués.
Pourtant, n’est-ce pas dans le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes que nous souhaitons mieux maîtriser les flux migratoires, afin de mieux intégrer ces femmes et ces hommes qui fuient leur pays ?
N’est-ce pas dans cette même optique que nous avons soutenu l’État lors du démantèlement de la lande de Calais qui a permis, je le rappelle, de mettre à l’abri des milliers de personnes dans des centres d’hébergement offrant des conditions d’accueil dignes ?
N’est-ce pas dans cette même optique encore que la petite commune de Merlimont – dont j’ai été maire –, située à quatre-vingts kilomètres de Calais, a accueilli à deux reprises, comme d’autres collectivités du territoire, des mineurs qui ont été extraits des camps de fortune où les conditions de vie étaient inacceptables ?
Je me suis rendu plusieurs fois sur le terrain, tout comme certains collègues ici présents – je salue d’ailleurs le travail de François-Noël Buffet, avec qui je suis allé à Calais et à Grande-Synthe. Ces visites nous ont permis de mieux appréhender la problématique migratoire sur le territoire : la situation humanitaire, la présence et le mode de fonctionnement des associations, les actions des activistes, tout comme l’organisation des passeurs.
Lors de ces déplacements, j’ai pu échanger avec les élus des communes concernées, souvent désemparés devant l’ampleur de la crise, avec les riverains, partagés entre incompréhension, sollicitude et résignation parfois, avec les services de l’État présents pour conseiller les migrants, avec les associations qui leur viennent en aide, avec les forces de l’ordre qui font un travail remarquable sur le terrain.
À chaque fois, j’en suis ressorti différent, bien évidemment marqué par la situation humanitaire et la détresse dans laquelle se trouvent ces personnes qui ont quitté leur pays, pour certaines leur famille, leurs attaches, la plupart pour rejoindre l’Angleterre à tout prix, parfois même au péril de leur vie.
Comment, madame Assassi, ne pas être bouleversé quand vous voyez ces femmes, ces hommes, pis, ces enfants attendre un passage inespéré vers l’Angleterre, ce pays dont on leur a tant vanté les mérites ?
En ce sens, la loi en vigueur sur laquelle nous, parlementaires, ne cessons de travailler pour la faire évoluer ne répond pas à la réalité actuelle du terrain. Le projet de loi présenté par le Gouvernement et le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale n’y répondent pas complètement non plus.
Notre pays doit avoir le courage de fixer clairement une politique migratoire crédible et cohérente, afin de mieux accueillir et de mieux intégrer les demandeurs d’asile, le tout, monsieur le rapporteur, madame la ministre, dans un cadre européen clarifié, apaisé et solidaire.
Je rejoins donc mes collègues de la commission des lois qui ont effectué un travail important en proposant un contre-projet fourni et argumenté. Le projet de loi proposé par le Gouvernement et voté par l’Assemblée nationale ne permet pas toutes les avancées dont notre pays a tant besoin, alors qu’un tel texte doit permettre à la France d’assumer une politique migratoire ambitieuse.
À ce titre, la commission des lois a adopté plusieurs mesures primordiales que je ne citerai pas en totalité – mes collègues les ont déjà développées pour la plupart, ou les développeront au cours du débat. Je pense, bien évidemment, à l’organisation au Parlement d’un débat annuel sur la gestion des flux migratoires, à la transformation de l’aide médicale de l’État en aide médicale d’urgence centrée sur les maladies graves, la grossesse, ainsi bien sûr que la médecine préventive.
Je pense aussi aux collectivités territoriales. Les élus locaux directement concernés me disent souvent se sentir démunis face à cette crise migratoire. Leur voix n’est malheureusement que trop peu entendue, alors que leur place dans les réflexions à mener est tout à fait légitime.
Les sanctions à l’encontre de ceux qui enfreignent nos règles doivent être renforcées, et les mesures d’éloignement envers les déboutés doivent être plus efficaces. En ce sens, toute décision définitive de rejet d’une demande d’asile doit valoir obligation de quitter le territoire français.
Je salue également la décision de réduire le nombre de visas accordés aux pays les moins coopératifs pour délivrer les laissez-passer consulaires indispensables à l’éloignement des personnes en situation irrégulière.
En tant que sénateur du Pas-de-Calais, je souhaite également revenir sur la situation particulière de mon département, point de chute de centaines, voire de milliers – il en fut – de personnes fuyant leur pays.
Depuis le démantèlement de la lande, la situation calaisienne a certes évolué. La preuve en est qu’il y a quelques jours a été inauguré le site naturel des Deux Mers en lieu et place de l’ancienne lande. Cette renaturation montre qu’une page s’est tournée sur ce site, qui a malheureusement attiré les yeux du monde entier.
Toutefois, ne nous leurrons pas, la problématique migratoire n’a pas totalement disparu pour autant : en témoignent la mobilisation des forces de l’ordre sur le terrain et les incidents récurrents.
J’ai, par exemple, été interpellé par les transporteurs routiers de marchandises qui effectuent du transport transmanche. Ces professionnels subissent toujours les conséquences de la présence migratoire à Calais. Les intrusions sur les sites des entreprises et la dégradation des matériels ou des marchandises transportées n’ont absolument pas cessé.
Cette situation crée un réel sentiment d’insécurité chez les chauffeurs routiers.
De plus, elle entraîne des coûts financiers importants pour les entreprises qui voient leur matériel ou leurs marchandises dégradés, sans compter les amendes infligées en cas de découverte d’un ou plusieurs migrants dans un camion contrôlé en France par les forces de l’ordre britanniques.
Enfin, les conséquences financières et économiques sur ce territoire continuent à se faire ressentir. L’État affirme œuvrer afin qu’aucun point de fixation ne se crée. Toutefois, je m’interroge, madame la ministre, sur la vision à long terme du Gouvernement pour le Calaisis.
Comme je l’ai affirmé il y a plus d’un an, si nous ne pouvons fermer la porte aux personnes demandant légitimement l’asile, il me semble primordial de redéfinir notre politique migratoire dans un cadre européen propice pour que cette zone géographique, territoire stratégique et économique, ne devienne pas le mur de la Manche après avoir porté une grande partie du mur de l’Atlantique.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.
La commission émet un avis défavorable sur la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je ne serai pas plus long, si ce n’est pour rappeler que la commission a souhaité établir un contre-projet dans le respect à la fois des règles constitutionnelles – cela est évident – et de tous les accords internationaux et européens auxquels nous sommes partie.
Permettez-moi de rappeler, pour mémoire, quelques-uns des apports de la commission : le maintien du délai de recours devant la CNDA à trente jours, la protection des mineurs en rétention, ainsi que la nécessité dans les politiques de fermeté et d’éloignement de garantir à l’ensemble des justiciables les voies de recours nécessaires et de permettre éventuellement aux magistrats de revenir sur les dispositions que le Sénat a remises en place – je pense en particulier à la peine d’interdiction du territoire, qui est renforcée sous contrôle du juge.
Le groupe CRCE critique le présent projet de loi au motif qu’il serait inconstitutionnel et contraire aux droits des personnes, en particulier des demandeurs d’asile. Ce n’est pas très sérieux.
Dites-le aux associations mobilisées contre ce texte, madame la ministre !
Le Conseil d’État, fréquemment invoqué pour critiquer le texte du Gouvernement, a validé la constitutionnalité et la conventionnalité du projet de loi. Chacune des mesures que vous évoquez a été soigneusement pesée pour s’assurer de sa pleine conformité avec l’ensemble des droits de la défense constitutionnellement et conventionnellement garantis.
Il est d’ailleurs frappant de constater que chacune des mesures dont vous contestez la conformité aux normes supérieures existe de façon équivalente chez bon nombre de nos voisins européens.
Vous critiquez par exemple, madame la sénatrice, une disposition qui instaurerait une justice expéditive. Or il ne faut pas confondre le délai pour saisir la justice, qui est de quinze jours dans une dizaine de pays européens, et le délai pour juger, qui est le seul sur la base duquel on pourrait critiquer une justice expéditive.
Quant à la prise en compte des vulnérabilités particulières des demandeurs d’asile, et plus largement des étrangers, je ne peux que rappeler la mobilisation du Gouvernement à ce sujet.
Ainsi, nous menons une action qui vise à la fois à concentrer nos efforts sur les publics les plus vulnérables et à prendre en compte la vulnérabilité des personnes à toutes les étapes de la procédure.
Pour ce qui concerne les publics les plus vulnérables, nous portons une attention particulière aux femmes, notamment aux femmes victimes de violences. Comme vous le savez, le texte contient plusieurs dispositions sur ce sujet, mais au-delà, nous allons développer des structures d’hébergement spécialisées pour leur prise en charge, particulièrement pour leur soutien psychologique. En 2018, sept structures seront ainsi créées. Par ailleurs, ces dispositifs seront également étendus aux membres de la communauté LGBT.
Notre action envers les personnes les plus vulnérables s’étend aussi au-delà de notre territoire à travers la réinstallation des réfugiés en fort besoin de protection. Vous savez que l’objectif est d’en accueillir 10 000 d’ici à 2019. Il s’agit, par exemple, de réfugiés soudanais du Darfour victimes de persécutions, mais aussi de personnes, notamment des femmes, victimes d’exactions en Libye.
Au-delà de ces différents dispositifs, je suis particulièrement attachée à ce que la vulnérabilité des personnes soit prise en compte à toutes les étapes de la procédure d’asile.
Ainsi, dès le premier accueil au moment de l’enregistrement de la demande d’asile, le repérage de la vulnérabilité est au cœur du dispositif des CAES que nous déployons sur le territoire. Ces informations sont précieuses pour l’enregistrement des demandes auprès du guichet unique pour demandeurs d’asile, ou GUDA.
Par ailleurs, l’orientation directive des demandeurs dans le dispositif national d’asile prendra en compte la vulnérabilité des personnes. Comme je l’indiquais précédemment, les publics les plus vulnérables seront en priorité orientés vers les structures assurant une prise en charge spécifique de leur vulnérabilité. En outre, nous allons prochainement lancer un appel à projets visant à développer la prise en charge psychologique et sanitaire des migrants.
Enfin, la vulnérabilité fait l’objet d’une prise en compte spécifique lors de l’instruction des demandes par l’OFPRA et la CNDA. Ainsi les personnels qui instruisent ces dossiers disposent de formations spécifiques pour déceler la vulnérabilité psychologique, et des groupes de travail thématiques ont été mis en place à l’OFPRA depuis 2013.
Comme vous le voyez, la mobilisation du Gouvernement est totale pour que la maîtrise de l’immigration se fasse dans un cadre respectueux de la dignité et des droits de chacun.
Le rejet de principe par la majorité de la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité est selon nous assez inquiétant.
Aucune réponse sérieuse et audible pour les différentes associations mobilisées aux arguments constitutionnels avancés n’a été véritablement apportée. La liste des principes fondamentaux remis en cause par ce projet de loi était pourtant encore longue : du droit au procès équitable bafoué au principe d’unité familiale amoindri – plus encore par la commission des lois du Sénat –, en passant par la rupture d’égalité de traitement des citoyens, avec une justice au rabais institutionnalisée outre-mer et à Mayotte en particulier, notre démocratie ne sortira pas grandie de cette prévalence de la suspicion et de la répression quant au respect et à l’effectivité des droits et des principes fondamentaux de la République.
M. Macron a poursuivi un bien triste chemin depuis le sommet européen qui s’est tenu il y a un an à quelques jours près, à l’issue duquel, tenant une conférence de presse avec Mme Merkel il déclarait : « Nous devons accueillir des réfugiés, c’est notre devoir et notre honneur. »
Lorsque l’Aquarius est passé à sept kilomètres de nos côtes, chassé d’Italie par un ministre de l’intérieur néofasciste, le chef de l’État avait semble-t-il oublié ces belles paroles.
On dit souvent que le Président de la République fait ce qu’il dit, ce qu’il a promis.
Si certaines dispositions avaient été annoncées, rien ne permettait de prévoir la violence de la politique menée par ce gouvernement ainsi que la violence de certains propos tenus en certaines circonstances.
Un avant-goût amer de ce projet de loi avait été annoncé par vos circulaires de décembre relatives au recensement administratif dans les centres d’hébergement et à la demande faite aux préfets d’accroître les reconduites à la frontière. Avec ces textes, vous avez donné le la.
L’historien Patrick Weil a déclaré à ce sujet : « Aucun gouvernement depuis la Deuxième Guerre mondiale n’avait osé aller jusque-là ». Évoquant le futur projet de loi, il poursuivait : « Si le projet [de loi] s’inscrit dans cette lignée, ce sera une régression dramatique. »
Nous sommes aujourd’hui face à cette régression dramatique contraire à nos principes fondamentaux et à la tradition républicaine de notre pays que dénonce fortement M. Jacques Toubon, garde des sceaux sous la présidence de la République de Jacques Chirac, aujourd’hui Défenseur des droits.
Madame la ministre, mes chers collègues, l’Europe est sur une pente dangereuse. Un vent mauvais souffle sur le monde. Nationalisme et xénophobie se répandent. Nous ne devons pas céder à cette facilité dangereuse, qui tend à dresser les peuples les uns contre les autres dans un débat démocratique.
Que vous l’admettiez ou non, vous jouez sur la peur de l’autre, sur l’individualisme, comme d’autres l’ont fait bien mieux auparavant. Nous appelons à voter en faveur de cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, afin de réaffirmer le choix de la France de rester fidèle à ses valeurs fondamentales.
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
L’examen de la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité se déroule dans un moment singulier pour la vie de notre assemblée et pour la vie de notre pays.
Pour la vie de notre assemblée, parce que nous sommes en pleine réflexion sur la réforme constitutionnelle. Monsieur le président, permettez-moi de saluer votre volonté de présider vous-même cette séance publique consacrée à un texte très important. Avec les collègues de mon groupe, je regrette que le ministre chargé de présenter ce projet de loi ne soit pas présent, alors que de très nombreux sénateurs le sont, preuve s’il en est que le Sénat est vraiment une institution indispensable à la vie démocratique.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.
Comme je le disais, nous sommes également dans une période singulière pour la vie de notre pays. Nous avons vécu la tragédie de l’Aquarius, avec les prises de position quelque peu improbables, voire absentes du Gouvernement. Nous sommes également confrontés aux attitudes du président des États-Unis et aux images terrifiantes d’enfants enfermés qui nous parviennent d’outre-Atlantique. La Constitution – j’en reviens à la réforme constitutionnelle – ainsi que les conventions internationales protègent pourtant les migrants, madame la ministre.
Le groupe socialiste et républicain votera la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité pour trois raisons.
La première est l’atteinte au droit au recours effectif. Mme la ministre a tenté tout à l’heure d’expliquer que ledit droit, prévu par la Convention européenne des droits de l’homme, n’était pas menacé. C’est pourtant bien le cas, tant le raccourcissement des délais de procédure amène à s’interroger.
La deuxième raison a trait à la durée de rétention. Selon un scénario assez complexe, celle-ci, qui était déjà de 45 jours, alors que chacun sait qu’au-delà de douze jours elle n’a plus d’utilité, avait été doublée dans le projet de loi gouvernemental, pour des raisons que nous avons comprises lorsque le ministre Collomb a dit qu’il redoutait le benchmarking des migrants, pour finalement être réduite de nouveau à 45 jours par la commission des lois, mais augmentée à six mois pour certains étrangers.
Nous considérons qu’il n’est pas possible, aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme, de retenir ces personnes pendant une telle durée.
La troisième et dernière raison est la rétention des enfants. Depuis 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France à six reprises pour non-respect de la Convention européenne des droits de l’homme. Il n’est pas possible de retenir des enfants, a fortiori pour la durée excessive qui a été fixée par le projet de loi gouvernemental.
Pour l’ensemble de ces raisons, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voterons en faveur de la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
M. David Assouline remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 129 :
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisi, par MM. Sueur, Leconte et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, d’une motion n° 1 rectifié bis.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (n° 553, 2017-2018).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la motion.
Nous eussions pu comprendre que le choix eût été fait pour vous de représenter la France en Allemagne. Las, M. le ministre de l’intérieur n’est pas là, pour l’examen d’un texte aussi important pour le Sénat comme pour notre pays.
Madame la ministre, il y aurait de nombreuses raisons pour que vous retiriez purement et simplement ce projet de loi.
Parce que, d’abord, il n’aura pas d’efficacité – vous le savez – au regard des objectifs qu’on lui assigne.
Parce que, ensuite, il est totalement négatif et répressif.
Parce que, aussi, les migrations seront demain – vous ne l’ignorez pas non plus – plus nombreuses qu’aujourd’hui.
Le monde, en effet, appelle ces changements : du Soudan à l’Afghanistan, des êtres humains, innombrables, sont victimes des crimes et des persécutions, et le défi de la misère est toujours là, alors que 1, 5 milliard de personnes vivent dans des bidonvilles et que des peuples entiers s’enfoncent dans la famine. Sans oublier le défi climatique. S’il n’est pas relevé, des îles et des rivages s’enfonceront dans la mer et il y aura, demain, des réfugiés auxquels nous ne pensons pas aujourd’hui.
Parce que, madame la ministre, la première loi de l’humanité est celle de l’humanité.
Parce que Christiane Taubira a très bien écrit les choses.
Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.
Je me réjouis, mes chers collègues, que son texte nous ait tous marqués. Elle a évoqué ces boat people que nous avons accueillis généreusement, sans compter, parce qu’il fallait le faire, et tant d’autres tragédies de l’histoire où la loi essentielle et première est celle de l’humanité.
Je songe à ce dessin de Plantu dans Le Monde où l’on voit un bateau au milieu de la Méditerranée et, sur ce bateau, un fonctionnaire qui fait son travail : les affamés, leur dit-il, levez le doigt ! De manière qu’on puisse distinguer ceux qui crèvent de faim et ceux qui ont la légitimité pour être accueillis… Je comprends ce discours, mes chers collègues, mais je perçois ce qu’il a de tragique.
La réalité, c’est que la mer Méditerranée, où est née la civilisation, est devenue un cimetière à ciel ouvert. Voilà, mes chers collègues, ce qui devrait nous mobiliser en priorité absolue ! Or, de cela, pas un mot dans le projet de loi…
Michel Rocard a dit qu’on ne pouvait accueillir toute la misère du monde, et il a eu raison ; il a dit, en plus, qu’il fallait que la France en prenne toute sa part, et il a eu raison aussi.
Madame la ministre, vous devriez retirer ce texte. Parce que ce qui nous a marqués ces derniers temps, ce sont l’odyssée de l’Aquarius, déjà citée, et ces deux jours de triste silence de la France, avant de tardifs efforts diplomatiques. Fallait-il tout ce temps pour comprendre que la Corse est plus proche de la Sardaigne que de l’Espagne ? Ce qui s’est passé là nous a marqués, tous.
Je ne vous apprendrai pas que la seule utilité de ce texte est, une fois encore, de tenter de rassurer ce qu’on appelle l’opinion contre l’ancestrale peur de l’étranger.
Madame la ministre, vous devriez retirer ce texte aussi parce qu’il ne consacre pas une seule phrase à la question européenne – pas même un mot, comme M. le rapporteur l’a expliqué. Il nous faut pourtant mener un combat commun, un combat de la France, contre l’Europe de la fermeture, de l’exclusion et de la xénophobie qui progresse à grands pas.
Nous devons promouvoir une autre philosophie européenne, une autre conception de l’Europe : une Europe qui lutte plus efficacement contre les passeurs, pour la maîtrise des frontières et pour une vraie coopération avec les pays d’origine. Renouer les liens avec l’Afrique, reconstruire l’Euroméditerranée : il y a tant à faire ! Mais votre texte, madame la ministre, n’en dit pas un mot…
Même au regard de vos objectifs, je ne crois pas qu’augmenter la durée de rétention et raccourcir les délais de recours change quoi que ce soit au fait que, aujourd’hui, 13 % des OQTF donnent lieu à exécution et que 5 % des déboutés du droit d’asile sont reconduits chez eux. Au reste, cette situation est source d’un profond malaise, d’une désespérance même, parmi les fonctionnaires des préfectures qui se demandent parfois quelle est l’utilité de ce qu’ils font.
En même temps, votre texte, madame la ministre, n’est pas assorti des moyens qu’on pourrait attendre. Rien dans la loi de finances, vraiment rien – ou dites-moi quoi –, pour financer les mesures que vous annoncez. Pas même les moyens qui seraient tellement nécessaires pour que l’attente soit moins longue dans les préfectures, cette attente par laquelle commencent des délais beaucoup trop longs.
Comment aussi ne pas entendre, madame la ministre, l’avis extrêmement précis du Conseil d’État, qui vous demande : pourquoi ne pas avoir évalué l’effet des lois de 2015 et 2016 avant que de faire cette nouvelle loi ? Le Conseil d’État ne trouve pas dans le contenu de ce texte le reflet d’une stratégie prenant en compte l’immigration et les faits migratoires tels qu’ils sont aujourd’hui et tels qu’ils se dérouleront demain. Il parle de la sédimentation des dispositions et de la sophistication inefficace du projet de loi…
Madame la ministre, pourquoi défendez-vous un tel texte aujourd’hui ? En quoi aura-t-il quelque effet positif que ce soit ?
Pourquoi exercerait-on demain – je le demande à vous aussi, monsieur le rapporteur – des chantages du reste bien difficiles ? Expliquera-t-on aux étudiants du Maghreb ou d’autres parties de l’Afrique qu’ils ne peuvent accéder aux universités françaises parce que leur pays ne donne pas les visas de retour, que nous sommes, au demeurant, en droit d’attendre ?
Je sais, madame la ministre, que vous le savez profondément : sur cette terre, on a besoin de tout le monde. Et il arrive en effet que des sans-papiers, que l’on eût vilipendés, expulsés, sauvent des enfants de cinq ans : cette image a été vue, perçue, approuvée et admirée par toute la France et bien au-delà.
Madame la ministre, ce texte, vous le savez mieux que nous, manque de souffle, de clarté et d’efficacité ; il n’est pas utile ; il manque de perspective, de prospective et de vision.
Madame la ministre, mes chers collègues, j’ai tâché d’imaginer ce qu’aurait dit l’un de nos grands ancêtres, ici au Sénat et à la Chambre des pairs, Victor Hugo, s’il avait dû décrire ce qui se passe aujourd’hui en mer Méditerranée. Je n’ai pas de doute, car il suffit de lire les dizaines de milliers de ses vers. Permettez-moi, pour conclure, de vous donner lecture des cinq que voici ; ils sont tirés d’Aux proscrits :
« Le sort est un abîme, et ses flots sont amers […]
« Chacun de nous contient le chêne République ;
« Chacun de nous contient le chêne Vérité […]
« Nous sommes la poignée obscure des semences
« Du sombre champ de l’avenir. »
Applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, contre la motion.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au nom des sénateurs du groupe Les Républicains, permettez-moi de détailler les raisons pour lesquelles nous estimons qu’il est nécessaire que le Sénat délibère sur ce projet de loi.
D’abord, il est évident que ce texte ne constitue pas la solution à toutes les problématiques relatives à l’asile et à l’immigration en France, tant s’en faut.
Toutefois, grâce aux nombreuses heures de travail consacrées à son examen par la commission des lois et son rapporteur, notre collègue François-Noël Buffet, dont je salue l’investissement et la détermination, …
… ce projet de loi, qui n’était à l’origine que le résultat d’un compromis bancal entre la jambe droite et la jambe gauche de la majorité présidentielle, est devenu un outil plus efficace, plus concret et plus solide, que nous entendons faire servir à la maîtrise de l’immigration en France, notamment à la lutte contre l’immigration irrégulière.
Partons d’un constat que nul ne peut contester, pour peu qu’il fasse preuve de clairvoyance et de bonne foi : nos compatriotes n’acceptent plus de voir l’État baisser les bras face aux flux migratoires sous le poids desquels croulent nos services chargés du traitement des demandes d’asile et du contrôle de l’immigration.
En deux ans, en 2015 et 2016, 2, 3 millions de migrants sont entrés illégalement dans l’espace Schengen, contre 100 000 en moyenne les années précédentes. Cette pression migratoire est toujours extrêmement soutenue en France, et les flux à l’échelon européen se réorganisent sans se tarir, en raison de la montée des conflits armés, de la pauvreté persistante dans les pays en développement et des conséquences environnementales du réchauffement climatique.
Sommes-nous prêts, mes chers collègues, à affronter un tel défi ? De toute évidence, non. Il est donc de notre devoir de nous y préparer en renforçant nos exigences et nos critères d’admission en France, afin que nos enfants et petits-enfants puissent vivre dans un pays disposant toujours de la maîtrise de son propre destin.
M. Rachid Temal s ’ exclame.
En 2017, la France a admis 260 000 nouveaux immigrés réguliers, le record des quarante dernières années. En parallèle, dans le cadre de la loi de finances pour 2018, le budget de la lutte contre l’immigration irrégulière a diminué de 7 %. Les fonds consacrés à l’aide médicale de l’État, eux, ont augmenté dans le même temps de 13 %, flirtant avec le milliard d’euros et profitant à plus de 300 000 personnes, contre 150 000 en 2000.
Il y a donc réellement urgence à agir ! Or, comme sur de nombreux sujets, la montagne gouvernementale a accouché d’une souris.
En effet, face aux enjeux majeurs que je viens d’évoquer, le texte proposé par le Gouvernement et adopté par sa majorité à l’Assemblée nationale est une bien faible réponse. Sacrifiant toute fermeté et tout pragmatisme à la nécessité de ne pas heurter son aile gauche, le Gouvernement présente un texte technique qui n’apporte en réalité aucune solution crédible aux problèmes d’aujourd’hui, encore moins à ceux de demain.
Demain, c’est l’horizon qu’il nous faut regarder, si nous voulons mener une réforme véritablement efficace pour les générations futures. Hélas, le Gouvernement n’a pas souhaité traiter ces problèmes en profondeur.
Ce texte, focalisé sur le droit d’asile, dont la nécessité ne fait absolument aucun débat, ne changera rien au véritable problème de fond : la faiblesse des moyens financiers et humains alloués à la lutte contre l’immigration irrégulière.
En 2015, seuls quatre immigrés en situation irrégulière sur cent ont été effectivement reconduits à la frontière. Pendant ce temps, des milliers de demandeurs d’asile sont accueillis par l’État, parfois dans des gymnases, dans l’attente de l’examen de leur situation administrative.
Enfin, le texte gouvernemental s’avère extrêmement permissif en ce qui concerne la réunification familiale à l’égard des frères et sœurs des réfugiés mineurs. Une disposition que nous avons bien sûr supprimée au sein de la commission des lois, tant elle sème les germes de drames à venir sur le plan humanitaire : combien de mineurs seront-ils envoyés seuls, au mépris des risques, dans les mains des passeurs, sur les routes et par-delà les mers, dans l’espoir d’atteindre la France, d’où ils pourront faire venir leurs frères et sœurs ?
Prenons conscience tous ensemble, pour l’accepter, de la réalité des lourdes charges financières qui incombent aux départements en matière de prise en charge des mineurs non accompagnés. Pour citer un exemple que je connais bien, en 2010, le département du Val-d’Oise prenait en charge 80 mineurs isolés, pour un coût de 3 millions d’euros ; en 2018, il en accueille 640, pour un montant de 43 millions d’euros.
La commission des lois s’est donc pleinement saisie de ce texte et l’a profondément modifié, à la suite des très nombreuses auditions des responsables associatifs et des représentants des services de l’État que nous avons menées.
Ainsi, nous proposons au Sénat de refuser le statut de réfugié à ceux qui constitueraient une menace grave pour la sûreté de l’État ; de refuser l’extension de la réunification familiale aux frères et sœurs des réfugiés mineurs ; de créer un fichier national des mineurs ; de donner à toute décision définitive de rejet d’une demande d’asile valeur d’obligation de quitter le territoire.
Non, ces dispositions ne suffiront pas à régler définitivement la question de l’immigration en France. Mais, oui, face au manque de volonté du Gouvernement, elles permettront de pallier un certain nombre de défaillances de notre système d’asile et d’immigration et d’affirmer la détermination du Sénat à agir.
Ce projet de loi, largement amendé par notre assemblée, constituera notre appel en faveur d’une véritable politique migratoire en France. C’est pourquoi le groupe Les Républicains vous appelle, mes chers collègues, à ne pas voter en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
La commission a profondément modifié le texte transmis par l’Assemblée nationale, et de nombreux amendements ont été déposés, par l’ensemble des groupes. Il importe maintenant que le débat ait lieu. Avis défavorable.
Le groupe socialiste et républicain conteste la nécessité du projet de loi, qui serait une énième modification du droit des étrangers, opérée sans qu’on ait pu évaluer l’efficacité des modifications législatives antérieures.
Il est vrai que le gouvernement précédent, que Jean-Pierre Sueur soutenait, a fait adopter deux lois en matière d’immigration, en 2015 et 2016. Naturellement, c’est avec une grande attention que j’ai pris part aux débats sur ces textes – je pense que de nombreux sénateurs socialistes s’en souviennent. Il serait bon, je crois, qu’ils participent aujourd’hui au débat sur ce projet de loi, même si le gouvernement a changé.
La situation migratoire, que j’ai exposée il y a quelques instants, est marquée par un fort contraste entre la baisse des migrations à l’échelon européen et une hausse qui reste soutenue en France – elle s’est élevée à 17 % l’année dernière, les demandes d’asile atteignant le nombre de 100 000.
Nous n’avons pu que le constater, le système ne fonctionne pas très bien ; je dirais même qu’il fonctionne assez mal. En effet, la procédure d’asile est trop longue, la politique d’éloignement inefficace et les mesures d’intégration sont très insuffisantes par rapport aux besoins.
On peut considérer que tout cela est apparu il y a un an ; on peut aussi considérer que cette situation s’est lentement installée et dégradée, et qu’il faut aujourd’hui y répondre.
Ce sont ces constats qui justifient le projet de loi qui vous est soumis. Les grands objectifs du Gouvernement sont de traiter les demandes d’asile en six mois et de tirer toutes les conséquences en matière d’éloignement pour renforcer effectivement l’efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière, mais aussi de mieux intégrer les personnes qui ont vocation à rester sur le territoire – je crois que nous sommes tous d’accord avec cela.
Ces objectifs sont, contrairement à ce que vous affirmez, à la hauteur des défis auxquels nous faisons face ; ils visent à permettre une réelle maîtrise de l’immigration, dans le respect des droits des personnes.
Face au constat du durcissement des politiques migratoires à l’échelle européenne – vous n’êtes pas sans savoir ce qui se passe dans un certain nombre de pays, dont l’Italie, qui vient de changer de gouvernement –, les orientations du Gouvernement sont claires, équilibrées et conformes à nos valeurs.
On a soutenu il y a quelques instants qu’il n’y aurait pas de moyens supplémentaires, en faisant référence aux personnels des préfectures. Si le projet de loi ne prévoit pas de moyens supplémentaires, c’est parce que c’est déjà fait ! En effet, nous avons renforcé d’environ 150 équivalents temps plein les services des étrangers des préfectures.
J’aime beaucoup, moi aussi, la citation de Michel Rocard : on ne peut pas, disait-il, accueillir toute la misère du monde, mais nous devons en prendre notre part.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement souscrit tout à fait à cette idée !
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Monsieur Sueur, vous avez tout à fait raison : l’avis du Conseil d’État sur ce projet de loi n’a pas été suivi par le Gouvernement.
Depuis 1980, le Parlement a discuté d’environ vingt-neuf textes de loi relatifs à l’immigration. Le présent projet de loi est inutile, tant les mesures qu’il comporte sont dans la droite ligne des textes antérieurs. C’est une autre conception de la politique migratoire qui est attendue et qui devrait être maintenant adoptée !
Je ne reviendrai pas en détail sur les lois de 2015 et 2016, qui nous ont pourtant longuement occupés dans cet hémicycle. Je dois d’ailleurs dire que mon groupe a alors vécu de grands moments de solitude… Mais sachez que l’expérience quotidienne des professionnels et des bénévoles au contact des demandeurs d’asile et des étrangers nous livre déjà un état des lieux loin d’être réjouissant.
Et pour cause : en matière de délais d’examen des demandes d’asile, si nous nous plaignons aujourd’hui des réductions drastiques, souvenons-nous que c’est la loi de 2015 relative à la réforme du droit d’asile qui a instauré la procédure accélérée, l’OFPRA se voyant imposer pour traiter la demande un délai de quinze jours incompatible, à l’époque déjà, avec l’examen sérieux et approfondi du dossier.
En outre, alors que la législation demeurait silencieuse sur la rétention des mineurs étrangers, la loi que le gouvernement de l’époque a fait adopter en 2016 a consacré au niveau législatif l’interdiction de placer en rétention les parents accompagnés de mineurs. Toutefois, comme le Défenseur des droits l’a souligné, les dérogations prévues à cette interdiction sont telles que l’intervention législative de 2016 a tendu davantage à légaliser la rétention administrative des mineurs qu’à la prohiber…
S’agissant des étrangers malades, c’est la loi de 2016, encore elle, qui a transféré le dispositif d’évaluation médicale des étrangers des médecins des agences régionales de santé, sous la tutelle du ministère de la santé, à l’OFII, sous la tutelle du ministère de l’intérieur.
Vous l’aurez compris : nous sommes opposés à la logique dont le texte gouvernemental est porteur, parce qu’elle contrevient aux valeurs et principes fondamentaux de notre démocratie – j’en ai fait la démonstration précédemment.
Pour autant, nous nous interrogeons sur la cohérence de cette motion tendant à opposer la question préalable : si vous souhaitez, chers collègues du groupe socialiste et républicain, être des défenseurs de la juste cause des migrants, il faudrait porter un jugement plus sévère sur votre action passée, en particulier sur les lois de 2015 et 2016 !
Mon groupe vote par principe contre toutes les motions tendant à opposer la question préalable. Il s’agit là d’une position constante : nous avons récemment voté contre une telle motion déposée par le groupe Les Républicains et contre une autre déposée par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ; cet après-midi, ce sera contre une motion déposée par le groupe socialiste et républicain.
Nous sommes en effet pour le débat, pour la discussion, pour la séance, fidèles à l’héritage de la Gauche démocratique et de la tradition radicale-socialiste du Sénat.
Exclamations amusées sur plusieurs travées.
Voilà pourquoi nous ne voterons pas la présente motion, ce qui, bien entendu, ne préjuge en aucune façon notre vote final.
Je mets aux voix la motion n° 1 rectifié bis, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 130 :
Le Sénat n’a pas adopté.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Esther Benbassa.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, à peine trois ans ont passé depuis la dernière réforme de l’asile et la dernière refonte du droit des étrangers, toutes deux menées par l’ancienne majorité ; trois années qui n’auront permis ni de faire un bilan précis de l’efficacité des mesures votées ni d’élaborer une véritable politique migratoire, ambitieuse et rationnelle.
Le texte que nous examinons en procédure accélérée est au moins le vingt-neuvième depuis la fin des années quatre-vingt. Notre législation tourne à vide. Elle ne semble avoir qu’une boussole : le Rassemblement national. Or ce n’est pas en s’alignant sur les thèmes du RN, ex-FN, que l’on réussira à faire reculer les votes en sa faveur, dixit Jacques Toubon lui-même.
On nous promettait un nouveau monde. Le candidat Macron rappelait, en janvier 2017 à Berlin : « On ne peut pas revoir nos valeurs à l’aune des risques du monde ». Fumée que cela ! De ce texte comme des autres, le demandeur d’asile sortira perdant.
Par son intitulé, ce projet de loi se veut rassurant. Mais il n’a qu’un but : décourager un peu plus ceux qui cherchent refuge chez nous ; ceux à propos desquels Mme la ministre Loiseau et M. le ministre d’État Collomb parlent avec cynisme de « submersion », de « shopping de l’asile » et de « benchmarking ».
Pour nos dirigeants, les exilés ne sont que des encombrants, un flux à gérer, un chiffre à réduire. Chacun sait que la prise en charge équitable des exilés par les pays de l’Union européenne est la seule issue. Mais ce n’est pas parce qu’il est urgent de mettre en œuvre une vraie politique européenne que la France doit tout s’autoriser.
Lisez le rapport 2018 de la Contrôleur général des lieux de privation de liberté, sur ce qui se passe à Menton : « La prise en charge quotidienne de personnes étrangères s’effectue dans des conditions indignes et irrespectueuses de leurs droits. »
Lisez le rapport d’Oxfam de ce mois sur la situation des exilés à la frontière franco-italienne. Il est aussi accablant pour la France que pour l’Italie.
Heureusement, notre pays a ses délinquants solidaires, ses associatifs, ses citoyens de bonne volonté qui, contre une opinion publique remontée, portent secours à ces sans-rien que d’aucuns rêveraient de voir tout simplement disparaître sous leur talon.
Une majorité de nos compatriotes était contre l’accueil de l’Aquarius dans l’un de nos ports. Et alors ? Faut-il les en féliciter ?
Ou faut-il féliciter le peuple espagnol d’avoir épaulé son gouvernement, plus de 1 000 bénévoles s’étant dévoués pour accueillir les rescapés ?
Quel contraste avec notre commission des lois, qui a même trouvé le moyen de supprimer le petit assouplissement que l’Assemblée nationale avait apporté en faveur des aidants au transport, en limitant à la marge notre définition du délit de solidarité !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Un encouragement à la fraude et aux filières !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Un encouragement à la fraude et aux filières !
Marques d ’ approbation sur des travées du groupe Les Républicains – M. Pierre Charon applaudit.
Monsieur le président de la commission, je sais tout de même lire, un peu…
Mme Esther Benbassa. Décidément, rien ne doit brider l’œuvre de maltraitance de ce gouvernement.
Protestations sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.
À l’intention de sa droite, de la droite dure et même de l’extrême droite, l’exécutif fait miroiter un durcissement législatif susceptible de favoriser une augmentation des expulsions de migrants économiques et de déboutés du droit d’asile.
Mme Esther Benbassa. En général, vous faites aussi dans la nuance, cher collègue !
Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Éric Bocquet rit.
Or les législateurs que nous sommes ne peuvent ignorer que le budget voté il y a quelques mois ne prévoit pas de moyens supplémentaires en matière de reconduite à la frontière : nous sommes donc face à un simple affichage.
Ces derniers mois, je me suis rendue à Calais, à Ouistreham, à Menton, dans les camps parisiens, dans maints lieux d’enfermement des étrangers, à la rencontre de ceux qui ne sont plus, dans le langage courant, que des « migrants ».
Ce glissement lexical contribue à semer la confusion entre immigration économique et accueil des réfugiés. Il revient à faire oublier les conventions internationales que nous avons signées.
Les « migrants », ceux de l’Aquarius et de tous les bateaux affrontant une Méditerranée meurtrière ; les « migrants » dont on retrouve le corps sans vie dans les Alpes après la fonte des neiges ; ces mêmes « migrants » de Calais et de la porte de la Chapelle sont des hommes, des femmes et des enfants, nos semblables !
Je terminerai en citant Danièle Lochak, professeur émérite de droit public. Peut-être ses propos sont-ils susceptibles d’éclairer le débat qui suivra : « Les analogies sont décidément troublantes entre l’attitude des États à l’égard des Juifs dans les années 1930…
Protestations indignées sur les travées du groupe Les Républicains.
Mme Esther Benbassa. … et celle qu’ils adoptent aujourd’hui à l’égard des réfugiés. » Je précise : bateaux refoulés inclus.
Mouvements divers.
Chers collègues, c’est bien simple, à vous entendre, tout le monde ment, sauf vous !
Souvenons-nous du Saint-Louis, du Struma et d’autres. Contrairement à ce que l’on dit, l’histoire a la mauvaise habitude de se répéter – pour le pire.
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mes chers collègues, j’invite chacune et chacun d’entre vous à respecter son temps de parole.
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les sénateurs centristes abordent ce débat avec deux convictions. Premièrement, le sujet brûlant des migrations et du droit d’asile est européen ; le bon niveau de solution est, en conséquence, l’échelle européenne. Deuxièmement, ce sujet doit être traité sans angélisme et sans surenchère ; il est politique et non technique.
L’Europe est, selon nous, le seul niveau auquel nous pouvons agir avec pertinence. Sur une échelle virtuelle, l’enjeu européen est de niveau 10, là où le débat franco-français serait de niveau 1. À cet égard – je ne vous le cache pas –, je m’étonne de l’intensité des débats à l’Assemblée nationale et de la passion qu’a inspirée le soutien, par ailleurs légitime, à la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité dont nous venons de débattre.
Comment expliquer cette appétence française illimitée pour les débats idéologiques, alors que les enjeux sont ailleurs ? Chers collègues, pensez-vous vraiment que la Nation puisse se diviser au sujet des mouvements migratoires, dans un contexte démocratique européen pour le moins délicat ?
La question des frontières est bel et bien européenne.
Schengen ; FRONTEX ; la définition européenne du droit d’asile ; le dispositif de reconnaissance mutuelle des jugements statuant sur les demandes d’asile qui pouvait être espéré entre les États ; l’aide au développement qui été précédemment évoquée ; le prépositionnement de centres d’examen dans les pays d’origine ; la négociation avec les différentes autorités consulaires pour les laissez-passer ; le financement sur budget propre de l’Union européenne et, dans l’affirmative, selon des modalités à déterminer ; mais aussi la révision du règlement Dublin III, avec la responsabilité des pays de première arrivée ; le mécanisme, qui reste à travailler, de réallocation ; les règles évolutives – pardonnez-moi ces termes techniques – suivant le niveau d’urgence ou de flux : tous ces éléments constituent les véritables clefs de notre débat.
Au lendemain de l’affaire de l’Aquarius, dois-je vraiment insister sur cette dimension européenne ? Sans discourtoisie envers quiconque, notre regard doit probablement être plus tourné vers le Conseil européen des 26 et 27 juin prochains que vers notre débat législatif en tant que tel.
Vous le savez, la souveraineté des États européens est collective. Elle est partagée pour ce qui concerne les enjeux migratoires et le droit d’asile. La question de l’État de droit, évoquée sur plusieurs travées, est redevenue cruciale en Europe, et pas seulement en Europe de l’Est. Enfin – vous le savez également –, l’Europe est attaquée dans sa souveraineté, dans sa capacité d’action politique et économique, par des pays adeptes des rapports de force, voir par des États historiquement amis.
C’est dire que nous ne pouvons pas nous permettre un désaccord de plus, sur le sujet migratoire.
C’est dire aussi que le combat développé par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne, à Athènes, à Strasbourg, ou encore à Aix-la-Chapelle, que ce combat qu’il poursuit, et que les centristes mènent, pour leur part, de manière historique, pour redonner sens et efficacité à la construction européenne est, à nos yeux, le vrai combat de notre pays, celui dont dépend notre débat législatif.
Vous avez écouté notre rapporteur. Tel est aussi, en creux, l’enseignement des vingt-huit réformes du droit des étrangers que notre pays a adoptées depuis les années quatre-vingt et qui, selon nous de manière assez logique, n’ont pas donné satisfaction.
Cette question doit être traitée sans angélisme ni surenchère – je serais même tenté d’ajouter : ni instrumentalisation.
Madame la ministre, nous exprimerons une position assez proche de la vôtre. Nous avons entendu l’idée selon laquelle notre législation est largement perfectible, et nous en convenons. Toutefois, nous vous le répétons, les règles procédurales détaillées ne sont pas à la mesure des réalités que vous avez décrites.
Qui peut penser que des changements de procédure et des modifications de délais suffisent à constituer une politique d’ensemble ?
Ce projet de loi n’aborde pratiquement pas le droit de l’éloignement. Or ce droit provoque l’embolie de nos juridictions administratives. Il demande à être simplifié, au-delà de la question, également évoquée sur plusieurs de nos travées, des moyens humains et budgétaires.
À titre d’exemple, il existe à l’heure présente neuf régimes pour les obligations de quitter le territoire français, les OQTF ; et chacun de ces régimes comprend des sous-régimes et des exceptions.
À l’instar de M. le rapporteur, nous exprimons des réserves quant au volet « intégration » du présent texte : il est manifestement insuffisant. Notre pays n’assume pas sa responsabilité ou ne fait pas en sorte que les choses se passent si efficacement que l’on pourrait le souhaiter, pour les personnes que nous avons accepté d’accueillir sur le territoire et qui bénéficient du droit d’asile.
Chers collègues, nous ne suivrons pas les amendements de surenchère, par exemple pour ce qui concerne l’aide médicale de l’État, l’AME, ou le délit de solidarité. Nous ne suivrons pas davantage les amendements tendant à affaiblir l’efficacité nécessaire des moyens de régulation.
J’en viens aux trois sujets qui, selon notre analyse, seront les plus débattus.
Pour ce qui concerne l’extension du délai maximal de rétention de 45 à 90 jours, nous suivrons le Gouvernement et la commission. En effet, ce que l’on appelle le séquençage a été simplifié. Le nombre de phases a été porté de cinq à trois, ce qui aura des conséquences pratiques, notamment la réduction des escortes.
En la matière, le contrôle sera exercé par le juge des libertés et de la détention.
Nous prenons en compte le besoin, exprimé par le Gouvernement, de pouvoir négocier avec les États des laissez-passer consulaires et de disposer de davantage de temps à cette fin.
Pour ce qui concerne la rétention limitée à cinq jours pour les mineurs accompagnants, nous vous suivrons également, même si, nous en convenons, il s’agit là d’un sujet complexe.
Autant nous apprécions l’inscription, dans le projet de loi, de l’interdiction de rétention pour les mineurs dits « isolés », autant nous pensons que la question des mineurs dits « accompagnants » est spécifique et que l’on ne peut pas créer une immunité à l’éloignement, dans le cas où les familles seraient séparées. Cela étant, il faut bien entendu disposer de logements dits « adaptés » pour respecter les prescriptions de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH.
Pour ce qui concerne la réduction de 30 à 15 jours du délai de recours devant la CNDA, nous serons attentifs aux débats de la Haute Assemblée.
Madame la ministre, nous sommes quelque peu réservés à cet égard. Selon nous, le gain qu’assurerait cette réduction n’est pas vraiment perceptible. Voilà pourquoi nous fondrons notre appréciation sur l’issue de nos discussions.
Enfin, nous serons attentifs au traitement des migrations en Guyane et à Mayotte. Comme l’a souligné notre collègue Thani Mohamed Soilihi, ce sujet exige des dispositifs tout à fait spécifiques. Peut-être la révision constitutionnelle traitera-t-elle de cette question ; encore faut-il qu’elle aboutisse…
Chers collègues, je vous remercie de votre attention, et je signale à M. le président que j’ai bien respecté mon temps de parole !
Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.
Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à formuler quelques remarques, sur ce projet de loi et sur le contexte dans lequel il s’inscrit.
Premièrement – je le souligne à mon tour –, le présent texte prolonge une frénésie législative : en la matière, vingt-huit lois ont été adoptées depuis les années quatre-vingt. Le Conseil d’État a dénoncé le manque d’évaluation qu’ont subi les derniers textes votés. Or – on le sait bien –, aujourd’hui, la priorité est de donner à l’OFPRA, à la CNDA et aux préfectures les moyens de mettre en œuvre la politique définie par les lois en vigueur.
Deuxièmement, nous sommes face à un amalgame. D’un côté, il y a l’asile, qui est constitutif de notre identité depuis 1793 : le peuple français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. – Il le refuse aux tyrans. » Le droit d’asile est également inscrit dans la convention de Genève de 1951. Il s’agit là d’un engagement par lequel la France a tiré les conséquences des drames de la Seconde Guerre mondiale. Mais le présent texte traite également de la gestion de l’immigration, ce qui nous empêche de travailler tranquillement à l’attractivité de notre pays, pour attirer les talents, notamment les étudiants, et de travailler correctement sur les questions d’intégration. À cet égard, ce projet de loi marquera même un recul.
Troisièmement, nous sommes face à une tromperie : l’architecture de ce texte, comme le discours qui l’accompagne, est fondée sur la lutte contre la fraude ; comme si toutes les personnes qui viennent demander l’asile étaient de faux demandeurs d’asile ! Comme si toutes les personnes qui veulent venir en France ne devraient pas le faire !
Pourtant, depuis 2011, le nombre de demandes admises par l’OFPRA et par la CNDA a augmenté, en valeur absolue comme en valeur relative. Chaque année, de plus en plus de demandes sont reconnues par ces deux structures comme étant légitimes. Ainsi, la question numéro un n’est pas : comment lutter contre la France ?, mais : comment réussir l’intégration de ceux que nous accueillons et comment mieux accueillir ? Ce projet de loi fait tout le contraire.
J’ajoute à l’intention de Mme Assassi que ce texte est en rupture avec la loi Cazeneuve. Cette dernière faisait le pari que l’on pouvait développer les droits, en particulier par la présence des tiers lors des entretiens de l’OFPRA et par la garantie d’un recours suspensif devant la CNDA. Elle faisait le pari qu’en développant les droits, l’on accroîtrait l’efficacité. Ce projet de loi fait tout le contraire.
Emmanuel Macron tient, à longueur de journée, un discours de solidarité européenne. Mais la politique qu’il mène depuis quelques semaines en matière de migrations fait tomber le masque : M. Macron n’est qu’un Viktor Orbán en bas de soie !
Protestations sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.
Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.
Chers collègues, les migrations – je le relève à mon tour – sont aussi vieilles que l’humanité. La Banque mondiale considère que, en 2050, la mobilité climatique touchera, à elle seule, plus de 140 millions de personnes.
En 2016, plus de 66 millions de personnes ont quitté leur pays. Où sont-elles allées ? Pour 30 %, elles ont gagné l’Afrique subsaharienne ; pour 26 %, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient ; pour 11 %, l’Asie ; pour 17 %, l’Europe, et pour 16 %, l’Amérique.
Finalement, nous ne gérons que 17 % de cette mobilité ; et, parmi les 1, 2 million de primo-arrivants qu’a dénombrés l’Europe en 2016, 77 000 ont gagné la France. Sur les 650 000 primo-arrivants de 2017, 91 000 sont venus en France. Voilà ! Nous disons avoir beaucoup de difficultés ; mais finalement, relativisons-les, par rapport à celles qu’éprouvent nos voisins.
Madame la ministre, le texte que vous défendez marquera une vraie rupture pour ce qui concerne les droits des demandeurs d’asile.
La procédure normale devant l’OFPRA sera réduite de 120 à 90 jours.
Vous auriez souhaité limiter à 15 jours le délai de recours devant la CNDA, mais M. le rapporteur est revenu sur cette disposition.
En cas de procédure accélérée, le recours devant la CNDA ne sera plus suspensif : la personne sera donc susceptible de ne plus être là lorsqu’elle sera convoquée à la CNDA !
Et que dire des vidéo-audiences ? Elles sont sans garanties ! Il n’y a pas davantage de garanties pour les langues. Au titre de l’orientation directive, on pourra envoyer quelqu’un dans une région sans lui assurer un hébergement. Ce sont autant de violations du droit d’asile qui s’ajoutent les unes aux autres et qui sont dans ce projet de loi.
Vous pourrez nous dire qu’il s’agit de rationaliser les dispositifs en vigueur. Mais ce n’est pas sérieux ! Nous parlons de personnes qui viennent de subir des traumatismes. Que ce soit à leur point de départ ou au cours de leur voyage, elles ont énormément souffert : nous avons vu les témoignages des passagers de l’Aquarius. De plus, ces personnes ne connaissent pas les règles en vigueur chez nous. On ne peut pas réformer les dispositifs de cette manière.
L’allongement du délai maximal de rétention de 45 à 90 jours participe de cette politique d’affichage.
Cela étant, je tiens à saluer M. le rapporteur, qui a revu quelques dispositions de ce projet de loi.
Ainsi, le délai de recours devant la CNDA restera de 30 jours ; pour les enfants, le séjour en centre de rétention a été limité à 5 jours – bien sûr, nous combattrons cette mesure, mais nous préférons encore ce délai à celui de 90 jours.
De plus, monsieur le rapporteur, vous avez rétabli l’hébergement directif, et nous vous en remercions.
Toutefois, avec cette réforme, on observe également les réflexes habituels de la majorité sénatoriale. Je pense notamment à la politique de quotas ;…
… aux OQTF automatiques après une décision négative de la CNDA ; à la suppression de l’aide médicale de l’État ; à la liaison entre les laissez-passer consulaires et les délivrances de visas chez nos partenaires. Les élus du groupe socialiste et républicain s’opposeront à toutes ces mesures.
Nous défendrons l’abrogation du délit de solidarité, en réécrivant le délit d’exploitation de la misère humaine.
Nous proposerons la création d’un délit d’entrave au droit d’asile, car, face aux milices privées qui s’approprient la défense ou la pseudo-défense, nous devons appliquer la tolérance zéro.
Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.
Nous lutterons contre l’interdiction de territoire français pour les personnes en besoin de protection.
Nous défendrons un usage solidaire des dispositions actuelles de Dublin, pour que l’ensemble des personnes qui n’ont pas fait, préalablement, une demande d’asile, puissent la déposer en France.
Nous défendrons une protection de l’enfant plus efficace, en interdisant l’enfermement des enfants.
Enfin, nous défendrons un droit à l’autonomie des demandeurs d’asile en affirmant un droit à la formation linguistique et au travail, dès que les directives européennes le permettront.
En Europe, l’axe anti-immigration qui se profile, entre Munich et Rome, est très dangereux.
Jean-François Rapin a décrit toutes les conséquences que pouvait entraîner la question des frontières de l’Europe ; il a détaillé les problèmes humanitaires et la dégradation des droits qui pouvaient en résulter. Nous ne pouvons pas accepter cette évolution.
Or, pendant que se dessine cet axe, nous assistons au naufrage moral de l’Europe, avec l’affaire de l’Aquarius.
En l’espèce, la France ne peut pas rester en position d’observatrice. Nos textes contiennent cette obligation constitutionnelle : faire respecter le droit d’asile, lequel est constitutif de notre identité.
Il y a quelques années, nous avons renforcé le mandat de FRONTEX pour consolider les frontières de l’Union européenne. Dès lors, nous devons, en même temps, obtenir une réforme de l’asile, qui passe par un assouplissement du règlement de Dublin, par un renforcement de la solidarité entre les pays européens.
Il faut faire converger les procédures de demande d’asile entre les pays européens et dédramatiser ce qui concerne le pays de premier accueil et d’étude de la demande d’asile. À cette fin, il faut donner à toute personne bénéficiant de la protection un droit égal à celui dont dispose tout citoyen européen pour sa circulation sur l’ensemble du territoire.
La France ne peut pas se féliciter des progrès de la francophonie, la démographie africaine permettant de porter à 800 millions le nombre de locuteurs français d’ici à quelques décennies, et, en même temps, fermer la porte à l’Afrique. Une telle attitude est tout simplement irresponsable.
Nous avons une responsabilité particulière en la matière. Nous devons favoriser des mobilités construites et organisées ; détruire les mythes qui poussent tant d’hommes et de femmes à prendre le chemin de l’exil et, ce faisant, permettre à chacun d’avoir sa chance, de connaître ce qu’est l’Europe et de retourner dans son pays. Mais, à cet égard, il ne faut certainement pas lier les laissez-passer consulaires à la délivrance des visas !
Il n’est pas sérieux d’imaginer que nos relations bilatérales soient totalement liées à la manière dont tel ou tel pays, par exemple le Mali, le Maroc ou l’Algérie, délivre des laissez-passer consulaires : ce n’est tout simplement pas sérieux. Une telle mesure ne résiste pas à l’analyse, d’autant que nous avons d’autres priorités avec ces pays.
Pour ce qui concerne l’Europe dans son ensemble, il faut en être bien conscient : faute de disposer d’une opinion publique résiliente, acceptant le principe d’un accueil minimal, nous présentons aujourd’hui une immense faiblesse par rapport à nos voisins.
Voyez l’évolution qu’a suivie la Turquie depuis deux ans ; c’est pourtant ce pays qui, depuis 2016, a permis de réduire le nombre de personnes qui sont arrivées en Europe. Voulez-vous vraiment, parce que nous ne sommes pas résilients, affaiblir tous nos voisins, les faire évoluer vers des systèmes qui ne sont pas conformes à nos valeurs ?
Ce débat est essentiel. Il est essentiel pour l’avenir de l’Europe. Il est essentiel pour la manière dont nous allons construire nos relations avec l’ensemble de nos partenaires dans le monde.
Cette discussion porte sur les valeurs. N’ayons pas peur. Ne doutons pas de leur puissance de conviction, si nous savons les faire vivre, si nous savons convaincre qu’elles sont toujours actuelles : tout dépend de notre comportement.
M. Jean-Yves Leconte. J’espère que, avec ce débat, nous pourrons faire vivre et la liberté, et l’égalité, et la fraternité
Exclamations sur diverses travées.
Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la crise des migrants est un drame européen.
Le présent texte, à lui seul, ne permettra pas de résoudre une question qui est véritablement existentielle pour l’Union européenne. On pourra l’utiliser à des fins politiques, l’accuser d’être laxiste, ou encore d’être trop dur. Mais il faut garder à l’esprit que l’essentiel se joue ailleurs ; l’essentiel se joue à Bruxelles.
Hélas, la politique commune de l’asile et de l’immigration a jusque-là été un échec patent. Construite pour des flux faibles, elle n’a pas résisté à un afflux massif de réfugiés politiques et économiques. Le système Dublin III, adopté dans l’urgence, s’est révélé impuissant à enrayer le phénomène.
J’insiste, l’Union européenne est aujourd’hui placée face à un dilemme existentiel : se réformer efficacement ou voir la solidarité des États membres se déliter jour après jour. Le Conseil européen des 28 et 29 juin devra prendre des positions claires.
Cette crise, effectivement, est aussi une crise de solidarité des États membres. Les populistes de tous bords surfent sur la vague migratoire pour remettre en question le projet européen. L’exemple dramatique de l’Aquarius illustre ce cynisme destructeur, qui met en péril la cohésion des Européens.
J’ajoute, mes chers collègues, que l’échelle européenne est également la plus pertinente pour définir une politique commune d’attraction des talents, à la mesure de celle qui se pratique, par exemple aux États-Unis, avec la green card, ou au Canada. L’extension du passeport talent, prévue dans le projet de loi, est une bonne chose.
Nous devons nous donner les moyens d’attirer les scientifiques, les artistes, les chefs d’entreprise les plus talentueux du monde pour faire rayonner notre pays et notre continent. L’Union européenne ne deviendra pas « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde », pour reprendre les termes de la stratégie de Lisbonne, sans s’ouvrir aux compétences du monde entier.
Madame la ministre, mes chers collègues, que ceux qui réclament moins d’Europe et, en même temps, le règlement de la crise des migrants regardent la vérité en face : la solution au problème des migrations et de l’asile sera politique, elle sera européenne, elle sera collaborative ou elle ne sera pas !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe La République En Marche.
Mes chers collègues, que des groupes ayant un temps de parole de dix minutes le dépassent de trente secondes, soit ! Mais quand un groupe divise son temps de parole en trois interventions de deux minutes et le dépasse, à chaque fois, de trente secondes, il l’accroît très nettement. J’en appelle à votre vigilance.
La parole est à M. Guillaume Arnell.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’actualité fait une fois de plus écho à nos débats. L’intervention de l’Aquarius a permis d’éviter un nouveau drame en Méditerranée : 629 vies ont été sauvées !
Bien qu’il ne concerne qu’une partie très minoritaire de la population en France, le droit des étrangers a été très régulièrement modifié depuis les années quatre-vingt, avec pas moins de vingt-neuf textes sur le sujet. Comment expliquer cette surreprésentation législative ?
La première raison que l’on peut avancer est l’inadaptation de la méthode retenue.
L’arrivée d’étrangers sur le territoire national continue d’être abordée comme un phénomène conjoncturel, une crise passagère, alors que, compte tenu de l’évolution structurelle des flux migratoires et de la permanence des conflits suscitant l’exil – Irak, Syrie, Afghanistan, pour ne citer que ces pays –, il est indispensable d’adopter une démarche plus prospective.
Il faut totalement repenser notre système d’accueil et d’intégration, de l’hébergement d’urgence à l’exécution des décisions administratives.
Partout en Europe, le populisme gagne du terrain en se nourrissant de la question migratoire. Une approche globale est donc absolument nécessaire, si l’on veut que les Français ne perçoivent pas notre politique d’accueil et d’intégration comme une charge déraisonnable et contraire à leurs intérêts.
Il faut avoir présent à l’esprit que cette vision négative est liée au sentiment de déclassement éprouvé par certains de nos concitoyens et au renforcement des inégalités.
À ce titre, nous sommes nombreux à penser que ce débat se serait déroulé dans un contexte plus satisfaisant s’il s’était inscrit dans la continuité de mesures destinées à restaurer la justice sociale dans l’ensemble des territoires de la République. En effet, chaque réforme du droit des étrangers et des demandeurs d’asile est essentiellement politique et ne peut être présentée comme une simple réponse à une crise ou une mise en conformité avec le droit européen ou international.
Malgré les textes à valeur supralégislative, l’accueil de réfugiés, la reconnaissance d’un droit au séjour ou l’attribution de la nationalité française restent des décisions unilatérales. Chaque modification de ces droits est un miroir tendu vers notre société, une invitation à redéfinir collectivement ce que nous sommes.
Dans cet effort de définition, notre histoire devrait nous guider autant que les défis contemporains qui surgissent.
Dans un passé pas si lointain, réfugiés et immigrés étaient perçus comme des vecteurs de rayonnement de la France dans le monde.
Cela me conduit à la seconde cause de la multiplication des lois relatives aux droits des étrangers : l’interdépendance de nos sociétés contemporaines. Lorsque l’on se place dans une logique de régulation des flux migratoires, et non plus seulement d’accueil ou d’intégration, la coopération avec l’ensemble des États devient une nécessité absolue.
Malgré notre impuissance à imposer à nos partenaires la généralisation de pièces d’identité, ce qui faciliterait considérablement la gestion de la politique migratoire, il faut se garder de vouloir apporter des solutions législatives affectant les libertés fondamentales sans s’assurer au préalable de leur efficacité.
Je pense tout particulièrement au problème des laissez-passer consulaires. L’étude d’impact produite par le Gouvernement est muette sur ce point-là. La solution législative proposée par le rapporteur, consistant à conditionner la délivrance de visas individuels à la propension des États à délivrer des laissez-passer, bien qu’intéressante, nous paraît trop contraignante pour nos services diplomatiques.
L’interdépendance de nos sociétés nous impose également de dresser un état des lieux approfondi de notre politique de codéveloppement et de nous départir d’idées préconçues. Les trajectoires de certains États, comme le Kenya, où l’immigration a été considérablement réduite, doivent être examinées de plus près, afin d’inspirer des solutions durables.
Madame la ministre, mes chers collègues, après ces constats, vous l’aurez compris, le texte amendé et singulièrement durci par la commission des lois n’obtiendra pas l’adhésion du groupe du RDSE.
Même en reconnaissant les différentes pressions migratoires existant d’un territoire à un autre, le projet de loi n’y apporte pas de réponse.
En particulier, la situation des outre-mer est largement sous-estimée. Je pense notamment à Mayotte et à la Guyane, mais également à mon territoire, Saint-Martin, qui doivent faire face à un afflux important de migrants au regard de leur taille ou de leur population, fragilisant fortement les équilibres locaux.
Un seul article est consacré au schéma national d’orientation et ne permettra pas de pallier les difficultés chroniques dans les services publics régaliens ou de garantir des solutions d’hébergement d’urgence effectives.
De même, l’absence de dispositions contraignantes relatives à la question des futurs réfugiés climatiques, tout comme le nombre limité des mesures relatives à l’intégration sont symptomatiques de la faiblesse de la démarche prospective que j’évoquais précédemment.
Ce texte ne présente pas davantage de solutions pour lutter contre la traite d’êtres humains à laquelle se livrent les passeurs.
Nous proposerons donc une série d’amendements, visant plusieurs objectifs.
L’amélioration de la protection des mineurs, même accompagnés. Une réflexion pourrait s’ouvrir sur les moyens d’offrir un accueil plus adapté aux mineurs isolés étrangers et sur les possibilités de recourir, pour eux, à l’adoption.
La facilitation du codéveloppement. Le but serait de faire émerger des alternatives politiques partout où les États vacillent.
D’autres amendements, inspirés de nos visites et de nos auditions, tendront à garantir une plus grande qualité d’interprétariat et à mieux répartir les différents publics en centre de rétention administrative.
Enfin, nous proposerons de confier un rôle plus important aux élus locaux dans la procédure de régularisation administrative, eux qui sont souvent les premiers témoins de la volonté d’intégration de chacun. À titre d’illustration, je suggère la création d’un office des migrations à Saint-Martin, pour mieux coordonner la délivrance des titres de séjour et de travail.
Mes chers collègues, je reste convaincu que notre pays, sixième puissance économique mondiale, dispose des ressources intellectuelles et matérielles pour mieux répondre aux défis posés par ce siècle, pour entraîner avec lui ses partenaires européens et influer sur le reste du monde.
Dans sa forme actuelle, le groupe du RDSE s’opposera unanimement à l’adoption de ce projet de loi.
Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe socialiste et républicain.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat sur ce projet de loi sera un échange de visions politiques. Pour notre part, nous soutiendrons celle qui est portée dans ce texte, avec un double objectif : rester fermement engagés pour l’accueil des réfugiés politiques et renforcer notre capacité à maîtriser l’immigration économique.
Nous entendons – nous l’avons entendu ici – l’expression d’un secteur de l’opinion qui réfute cette distinction, préférant employer le terme nouveau d’« exilés », précisément pour confondre ensemble réfugiés politiques et immigrés économiques.
Cette distinction est pourtant nécessaire et équitable. Faute de la formuler avec clarté, on facilite l’excès contraire, le choix des populistes xénophobes qui, eux, veulent refuser tous les réfugiés et tous les immigrés. C’est l’opinion exprimée aujourd’hui, souvent avec brutalité, par plusieurs gouvernements de l’Union européenne.
J’en viens justement au sujet de l’Europe, car l’une des esquives – pardonnez-moi cette expression – qui risquent d’être employées dans ce débat consistera à tout renvoyer vers l’Union européenne, pour s’abstenir de légiférer.
Ayons pourtant claire à l’esprit une réalité déplaisante. Les traités fondant la construction européenne, telle qu’elle est, traités conclus entre vingt-huit démocraties, ne donnent pas compétence à l’Union européenne pour statuer sur le droit pour les étrangers d’entrer sur le sol européen. C’est une matière de souveraineté nationale et nous ne pourrons progresser vers une action harmonisée que par de nouveaux accords, qui exigeront le consentement de vingt-sept gouvernements et de vingt-sept parlements exprimant aujourd’hui des approches très différentes.
L’agence européenne de l’asile et du séjour proposée par le président Emmanuel Macron exigera un effort, que nous devons soutenir sans nous bercer d’illusions. Pour conclure des accords nouveaux, on en passera nécessairement par des compromis difficiles et sans doute partiels, unissant une partie, seulement, de l’Union européenne.
Cela ne peut par conséquent pas nous dispenser, aujourd’hui, de débattre et de décider pour notre propre droit.
Donc oui, il faut adopter les nouvelles dispositions proposées, qui statuent sur la situation réelle !
Il faut prévoir des outils améliorés, pour accélérer l’attribution du titre de réfugié à toute personne apportant la justification des persécutions qu’elle encourt du fait d’une crise ou d’un conflit dans sa région d’origine. Cette reconnaissance, et le projet de loi le permet, doit se faire en donnant à chacun toutes les garanties du droit pour plaider sa cause dans un processus équitable.
À ce titre d’ailleurs, je souhaite rendre hommage – c’est une position largement partagée, je crois – aux personnels et membres de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et aux magistrats de la Cour nationale du droit d’asile. Ils s’acquittent, de manière remarquable, d’un travail particulièrement contraignant.
Ce projet de loi doit aussi donner à l’autorité publique les moyens d’éloigner du territoire les personnes jugées comme n’étant pas dans une situation de réfugié politique – le sujet est alors le même que celui de l’immigration irrégulière. Laisser cette question irrésolue, ce qui me semble être la tentation d’une partie des adversaires du texte, équivaut – j’y insiste – à dénaturer le droit d’asile, qui appartient à notre tradition protectrice issue des Lumières et de la Révolution française.
L’ouverture de notre sol à l’immigration se manifeste essentiellement par le droit à la réunion des membres de la famille, dès lors qu’une personne, au moins, est déjà sur le sol français. Ce droit concerne la très nette majorité des entrées régulières et c’est là, essentiellement, que se déploie l’effort d’intégration.
Accepter une ouverture non maîtrisée à une immigration économique, dans notre contexte démographique et social, c’est en réalité se résigner à des situations de marginalité sociale et d’économie grise, qui porteraient – et portent déjà – gravement atteinte à notre cohésion sociale. Je ne parle même pas du rôle des filières mafieuses et meurtrières qui s’enrichissent dans ces trafics…
Cette action dans le sens de la maîtrise suppose un dialogue organisé avec les pays d’origine des flux migratoires, appartenant essentiellement, pour la France, à l’Afrique francophone. Le Président de la République et le Gouvernement en font, à juste titre, un axe majeur de notre politique d’aide au développement. Mais permettez-moi cette réflexion, monsieur le rapporteur : des actions géopolitiques de cette nature ne peuvent être menées au travers de la loi ; elles dépendent de l’action du pays à l’international.
En outre – c’est un perfectionnement souhaitable du projet de loi, madame la ministre, et nous plaiderons en sa faveur –, il faut traiter les situations les plus critiques de certains de nos départements d’outre-mer. Nous appuierons donc fortement l’amendement de notre collègue Thani Mohamed Soilihi relatif au droit de la nationalité spécifique à Mayotte.
Notre débat sera par conséquent un test de volonté politique face au réel, même si nous avons à approfondir les modalités au cours du débat des articles.
Adopter un texte d’équilibre et de clarification de nos règles, en soutenant une politique européenne et internationale de rééquilibrage et de maîtrise des mouvements migratoires, c’est une prise de responsabilité. Mon groupe l’assume avec détermination !
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Nous sommes, au travers des collectivités territoriales, les représentants des Français.
J’aimerais pouvoir dire la même chose que nos philosophes positivistes. Oui, ils l’avaient dit, le XXe siècle serait le siècle de la prospérité pour la Terre entière ; il a été le siècle des massacres et des guerres !
Le XXIe siècle, mes chers collègues, ne sera pas forcément non plus celui de la prospérité générale… Effectivement, c’est le vingt-neuvième texte sur l’immigration et le droit d’asile. Pourtant nous ne pourrons pas faire en sorte que tout le monde vive dans un pays prospère et en paix !
Je le dis, il n’y a pas dans cet hémicycle, d’un côté, les généreux et, de l’autre, les égoïstes ! En réalité, une question se pose : que peut-on faire ? Qu’est-on capable de faire ?
Pendant des années, à la commission des finances, j’ai été le rapporteur spécial du budget sur la mission relative à l’immigration et au droit d’asile. Pendant des années, en vain, j’ai alerté gouvernements de gauche et de droite confondus – ce sera peut-être le cas, bientôt, avec le gouvernement En Marche Ce n’est pas possible ! Comme dirait l’autre, il faut du pognon ! §Or, il n’y en a pas, pas plus pour l’intégration ou le raccompagnement aux frontières que pour le reste !
Nous pouvons élaborer des textes merveilleux, des textes incantatoires. Sans budget, le résultat est néant !
Or la réalité – je m’adresse à tout le monde –, c’est que nous ne sommes plus la France des trente glorieuses. La France sans déficit, sans dette. La France du plein emploi, qui construisait des logements et incitait les gens à venir : « Venez, nous vous offrirons un emploi, nous vous trouverons un logement ».
Depuis trente ans, c’est le chômage de masse ! Depuis trente ans, c’est le déficit ! Depuis trente ans, c’est la dette ! Mais nous continuons à tenir les mêmes discours et à affirmer que nous sommes en situation d’accueillir. Ce n’est pas vrai !
Que l’on ne vienne pas me dire que l’on assure cet accueil aujourd’hui ! Dans toute l’Île-de-France et dans nombre de nos grandes villes, des campements de migrants naissent ; on nous explique qu’on va mettre ces migrants en sécurité, ce qui consiste à aller les chercher pour les installer provisoirement dans un gymnase ; trois mois après, il faut évacuer le gymnase et on les réinstalle ailleurs, dans un autre gymnase.
On a beau avoir construit des places d’accueil – et je reconnais que le gouvernement de François Hollande en a construit pas mal –, c’est encore loin d’être suffisant. Quand on passe de 50 000 à 100 000 demandeurs d’asile en cinq ans, on ne peut pas suivre ! Comment voulez-vous être en situation d’absorber un tel flux migratoire en provenance de l’Est et de la Méditerranée, en l’absence d’argent et de moyens, alors que sévit un chômage de masse ?
Dans la France fracturée d’aujourd’hui, il faut donc prendre des mesures, sans pour autant envisager une fermeture complète.
Car le mouvement naturel de générosité, c’est d’abord le droit d’asile, un droit d’asile qui ne date pas de la Révolution, madame la ministre, mais qui existait déjà du temps de la monarchie. Les règles régissant le royaume de France le reconnaissaient et, aujourd’hui, ce droit d’asile doit être préservé.
Pour autant, on le sait, que ce soit par l’OFPRA ou par la CNDA, sur les 100 000 demandeurs d’asile, 25 000 à 30 000 personnes obtiennent une réponse positive, alors que, par le passé, le taux avoisinait 20 %. Cela signifie que le droit d’asile est systématiquement détourné pour servir une filière d’immigration économique, qui, par ce biais, essaie d’entrer sur le territoire.
On sait aussi – de nombreux orateurs l’ont dit – qu’il n’y a malheureusement pas de raccompagnements aux frontières. C’est bien de l’écrire dans les textes de loi, madame la ministre, mais c’est mieux de prévoir le budget qui va avec !
Quand l’argent, les moyens de transport, les effectifs policiers pour effectuer ces raccompagnements viennent à manquer, vous finissez par créer, au sein de la société française, un sentiment absolument insupportable : qu’ils soient en situation régulière ou en situation irrégulière, les gens sont là !
Peu importe qu’ils aient passé les étapes pour obtenir le droit d’asile, la régularisation ; peu importe qu’ils aient appris à parler le français ou participé à ces cours d’éducation civique qu’il faut renforcer, comme je ne cesse de le dire à l’OFII. Aucune intégration sur le territoire de la République ne pourra se faire si l’on ne veille pas à ce que les personnes présentes sur ce territoire parlent français, connaissent la société française et en respectent les règles !
Nous, parlementaires français, avons à définir ce qui est possible. Je ne prétends pas que ce soit glorieux ni merveilleux. Je dis simplement : au vu de ce que nous avons en notre possession et de ce qui est notre responsabilité à l’égard de l’ensemble des Français, pouvons-nous courir le risque de fracturer encore plus la société française, en accueillant massivement, sans avoir la capacité – matérielle, financière, ni même morale – d’intégrer ?
Que voulons-nous ? Voulons-nous être le suivant sur la liste, après la Hongrie, la Slovaquie, l’Italie, l’Autriche ?…
Oui, il faut un texte, madame la ministre. Mais pas le vôtre, auquel je préfère celui de la commission !
Certains de nos amendements seraient de la surenchère… Surenchère par rapport à quoi, mes chers collègues ?
J’entendais tout à l’heure l’oratrice du groupe CRCE, pour qui j’ai beaucoup d’estime, dire que c’était comparable aux années 1930. Non ! Ce ne le serait que si nous étions défaillants. Ce ne le serait que si nous ne pouvions pas dire : la France généreuse a d’abord conscience de ce qu’elle doit à son peuple ; elle ouvre, oui, mais en fonction de ses capacités.
Elle ouvre aux demandeurs d’asile, à ceux qui y ont droit parce qu’ils sont martyrisés dans leur pays ou victimes de la guerre. Pour ce qui concerne l’immigration économique, elle ouvre en fonction de sa capacité, et aujourd’hui, avec le chômage de masse, on sait que celle-ci est faible.
Mes chers collègues, nous sommes en premier lieu responsables devant le peuple français dans toute sa diversité – diversité des situations sociales, diversité des origines. Ne vous faites pas d’illusions ! Les fractures sociales seront d’autant plus nettes que nous ne serons pas maîtres de la situation et capables de nous imposer. Et je ne veux pas que la France soit l’Autriche !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne vais pas convoquer le positivisme et Auguste Comte, cher à Roger Karoutchi. Mon propos sera simple, comme l’était, d’ailleurs, le reste de son discours.
Au vu des difficultés majeures que notre pays rencontre en raison des flux migratoires, nous aurions aimé trouver, dans le projet de loi initial pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, la traduction d’une stratégie, d’une vision, d’une politique s’appuyant sur le constat, lucide et éclairé, des défis à relever.
Car ce ne sont pas de simples mesures d’ajustement, de petits aménagements procéduraux ou encore de dispositions purement techniques dont la France a besoin !
La commission des lois du Sénat l’a bien compris, puisqu’elle a proposé un contre-projet réaliste, reposant sur un équilibre entre fermeté et humanité. Je tiens donc à saluer le travail de réécriture qui a été effectué.
Parmi les nombreuses dispositions adoptées, apportant des réponses cohérentes à des difficultés majeures, je veux en souligner quelques-unes, comme le remplacement de l’aide médicale de l’État par une aide médicale d’urgence, le renforcement des conditions du regroupement familial ou la réintroduction de la visite médicale des étudiants étrangers, afin de répondre à un grave enjeu de santé publique.
La commission des lois a également interdit le placement en rétention des mineurs isolés et encadré rigoureusement celui des mineurs accompagnant leur famille.
Elle a supprimé la circulaire Valls, précisant les conditions d’admission au séjour des étrangers en situation irrégulière, qui avait permis, sur la période 2012 à 2017, la régularisation de plus de 180 000 ressortissants étrangers séjournant illégalement en France. Or, si l’acquisition de la nationalité française vient couronner un processus d’intégration et d’assimilation, en aucun cas elle ne doit être un droit automatique !
Enfin, je me félicite que la commission ait souhaité l’accompagnement et le soutien des collectivités territoriales, avec la création d’un fichier national biométrique des personnes déclarées majeures à l’issue de leur évaluation par le département et l’insertion des places d’hébergement des demandeurs d’asile dans le décompte des logements sociaux de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU.
Madame la ministre, mes chers collègues, il est grand temps d’adopter des mesures à la hauteur de la gravité de la situation – nationale et internationale !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’immigration est un sujet dont nous parlons beaucoup, mais sur lequel nous faisons encore assez peu.
Pourtant, l’actualité est là, sous nos yeux : des frontières allégrement franchies, des navires traversant la Méditerranée, des pays débordés et des opinions publiques inquiètes, à qui l’on répond parfois avec condescendance ou mépris !
Ne soyons pas idylliques à propos de ces flux migratoires. Je sais qu’il existe des situations de détresse, qui peuvent émouvoir, mais il y a aussi des passeurs et des réseaux qui exploitent ces trafics sans la moindre vergogne. Il n’y a pas que des gens qui veulent tenter leur chance ; il y a aussi des mafias et des trafiquants de drogue. L’immigration sauvage intéresse aussi les profiteurs, voire les terroristes.
Un pays qui maîtrise ses flux migratoires accueillera mieux ceux qui veulent s’intégrer. La France n’est pas une terre à prendre, mais un pays à aimer ! N’ayons pas honte d’être fermes et exigeants ! Notre pays a toujours accueilli les bonnes volontés, dont certaines ont même accepté de mourir pour lui. Ce sont curieusement ceux dont on entend le moins parler, parce qu’ils ont l’humilité de ne pas prendre nos bonnes consciences en otage.
Il y a aussi la cohorte de ceux qui abusent, parce que la France apparaît comme un pays qui offre une protection sociale et des allocations. Mon pays n’est pas un numéro de sécurité sociale ou un distributeur de prestations qu’il suffirait d’obtenir en cochant la case d’un formulaire !
Parce que le « en même temps » donne des solutions boiteuses et floues, pour ne pas dire communautaristes, en matière d’immigration, le projet de loi soumis au Sénat était inquiétant.
À cet égard, je voudrais saluer le travail du président de la commission des lois, Philippe Bas, et du rapporteur François-Noël Buffet, qui n’ont pas hésité à apporter les corrections nécessaires à un texte dans lequel figuraient parfois des dispositifs irresponsables.
Notre philosophie est celle de la responsabilité, non celle de l’angélisme. L’instauration d’un débat sur la politique migratoire, tout comme l’identification de nos besoins, est une mesure de bon sens. Les conditions du regroupement familial ont été restreintes via l’augmentation de la durée de séjour, portée à vingt-quatre mois au lieu des douze mois actuels.
En ce qui concerne les réfugiés, la réunification familiale ne saurait être étendue aux frères et aux sœurs. Ce problème des mineurs pénalise les départements, même Paris. Justement, les collectivités locales doivent être associées au traitement des questions relatives à l’asile : je me réjouis que la commission des lois ait prévu de les consulter pour l’élaboration des schémas régionaux d’accueil des demandeurs d’asile. Combien de fois des élus se sont-ils vu imposer des centres d’accueil par l’État, au grand dam des habitants et des riverains ?
Enfin, s’agissant de l’éloignement des étrangers, la commission des lois a demandé que toute décision définitive de rejet d’une demande d’asile soit considérée comme une obligation de quitter le territoire français, ou OQTF !
Sur les questions d’immigration, nous devons être francs dans le choix des mots et éviter les contorsions qui démontrent que, même dans les esprits, on se censure !
On parle de migrants au lieu de parler de clandestins. Il est symptomatique d’employer l’expression de « délit de solidarité », alors qu’il n’y a rien d’autre qu’une violation de la loi, le soutien à une installation illégale sur le sol français. C’est de la délinquance, et rien d’autre !
Les termes existent, utilisons-les : on doit nommer le délit d’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier tel quel, et non utiliser une métaphore. Il est surprenant de voir que ceux qui s’insurgent contre l’existence de cette infraction pénale veulent à tout prix pénaliser ceux qui appellent au respect de nos frontières.
Aider les clandestins, ce serait bien, mais alerter sur la porosité de nos frontières, ce serait mal ! C’est le comble de la confusion dans un pays où le terrorisme intellectuel a beaucoup sévi dans les esprits !
Notre tâche est lourde : il faut rassurer les Français qui sont inquiets sur ce sujet. Ceux-ci attendent de nous un message et craignent qu’il ne soit trop tard. Ils réclament des mesures fortes. Et tant mieux si c’est le Sénat qui peut leur donner cet espoir : il est le gardien de la République, mais aussi de la France et de son identité. La défense de l’une ne va pas sans l’autre !
Parce qu’il va dans le bon sens et parce qu’il apporte des corrections substantielles, je voterai le texte tel qu’il sera modifié par les amendements du groupe Les Républicains. J’invite tous mes collègues à agir ainsi !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Loïc Hervé applaudit également.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si nous ne devions retenir qu’un enjeu lié à ce projet de loi, c’est celui de la recherche d’un équilibre entre responsabilité et humanisme, entre répression et laxisme.
Cet équilibre est au cœur de l’approche française du fait migratoire depuis trente ans.
Ceux qui veulent modifier cet équilibre au profit de l’un ou de l’autre risquent de dénaturer notre modèle d’intégration. Trop de laxisme, d’une part, c’est faillir à l’objectif légitime de lutte contre l’immigration irrégulière. C’est aussi saturer nos services qui font un travail formidable dans des conditions déplorables. C’est enfin se rapprocher des limites de ce que la société française peut intégrer.
Trop de répression, d’autre part, c’est méconnaître la tradition française issue des Lumières. C’est se priver de talents qui souhaitent travailler et vivre en France, et c’est risquer de bafouer les droits les plus fondamentaux de la personne humaine.
Cet équilibre n’est pas simple à trouver. Il nécessite une approche mesurée.
D’un côté, il faut rendre les mesures d’éloignement plus effectives et prendre en compte la dangerosité des candidats à l’asile.
De l’autre, il faut accélérer les procédures et moderniser le droit des étrangers. Sur ce dernier point, nous croyons que le droit au travail est un vecteur particulièrement efficace d’intégration et nous vous proposerons des amendements pour en faire une réalité concrète.
Enfin, nous croyons que l’enjeu des migrations dépasse ces mesures techniques. L’avenir en la matière est certes européen, notre collègue Colette Mélot l’a rappelé, mais il se joue aussi dans les pays sources.
Pour traiter ce problème à la racine, nous vous proposerons un amendement visant à intégrer la lutte contre les causes des migrations aux objectifs de l’aide française au développement, comme c’est déjà le cas au niveau européen. Seule une approche structurelle de la question migratoire nous permettra de répondre à la crise que nous connaissons !
Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Je voudrais remercier tous les orateurs pour leurs interventions. Je ne répondrai évidemment pas dans le détail à chacun d’entre eux, mais je vais essayer de revenir sur deux ou trois points, notamment ceux qu’a évoqués le rapporteur François-Noël Buffet.
Nous savons tous que la question des mineurs non accompagnés – les MNA – est une préoccupation importante et partagée entre l’État et les départements, du fait notamment de l’augmentation très significative des flux. Ainsi, en 2017, sur plus de 54 000 personnes ayant fait l’objet d’une évaluation, 15 000 ont été considérées comme mineures. Ce chiffre a triplé depuis 2014.
Cette hausse entraîne automatiquement des difficultés considérables pour les départements, responsables du versement de l’aide sociale à l’enfance ainsi, évidemment, que des difficultés d’ordre matériel et financier.
Il s’agit d’un sujet complexe sur lequel le Gouvernement est très impliqué. Le Premier ministre a entretenu un dialogue nourri avec l’Assemblée des départements de France sur la question de la prise en charge des mineurs non accompagnés.
Le Gouvernement souhaite que la protection de l’enfance bénéficie à ceux qui en ont besoin, c’est-à-dire les mineurs eux-mêmes. C’est cette approche en faveur de la protection de l’enfant qui justifie que ce sujet complexe et délicat des mineurs non accompagnés n’ait pas vocation à être abordé dans le cadre de ce texte. En la matière, nous espérons que l’État et l’Assemblée des départements de France pourront se mettre d’accord rapidement. Je crois que tel sera le cas, si mes informations sont bonnes.
S’agissant de la coopération consulaire, question que vous avez soulevée à juste titre, il faut savoir que le Gouvernement est aussi très actif et très engagé. Il mène une double stratégie, à la fois bilatérale et européenne.
Notre stratégie est bilatérale, dans la mesure où nous menons des discussions avec de nombreux pays, afin d’augmenter le taux de réadmission des étrangers en situation irrégulière. La démarche que nous négocions avec ces pays repose sur un équilibre entre des incitations négatives, c’est-à-dire des restrictions de visas, et des incitations positives, comme les projets de coopération. En réalité, nous mettons en équilibre les visas et les laissez-passer consulaires.
Nous avons d’ailleurs renforcé le pilotage des demandes et du suivi de la délivrance des laissez-passer consulaires par la mise en place d’une task force au sein de la direction générale des étrangers en France, la DGEF, du ministère de l’intérieur. Cette task force réunit à la fois des agents de la DGEF et de la DCPAF, c’est-à-dire la direction centrale de la police aux frontières. Son rôle consiste à harmoniser les procédures de saisine des consulats par nos préfectures et à appuyer ces dernières dans leurs démarches.
Nous avons déjà passé des accords avec le Maroc, la Tunisie, la Guinée, le Mali, la Côte-d’Ivoire et le Sénégal. Les résultats de cette mobilisation sont déjà perceptibles pour plusieurs pays, en particulier après que nous avons utilisé le dispositif de restriction des visas ou lorsqu’un accord de réadmission a été conclu par l’Union européenne.
Notre stratégie est également européenne.
Une réunion des ministres européens de l’intérieur s’est tenue à Luxembourg la semaine dernière. Deux sujets étaient à l’ordre du jour : le premier concernait justement le lien entre visas et laissez-passer consulaires. Nous avons défendu cette idée qu’il faudrait traiter cette question au niveau européen ; le deuxième sujet avait trait au règlement dit « de Dublin », qui constitue certes une garantie pour les demandeurs d’asile, mais dont nous connaissons les imperfections, avec notamment des demandes secondaires beaucoup trop nombreuses. Notre volonté est d’améliorer ce règlement de Dublin.
Je terminerai en rappelant, comme l’a excellemment dit le sénateur Alain Richard, qu’il faut travailler à la fois au niveau national et au niveau européen. C’est la raison pour laquelle le ministre d’État, ministre de l’intérieur, devait absolument être à Berlin aujourd’hui !
Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, je vais suspendre la séance pour quelques instants ; nous la poursuivrons ensuite jusqu’à vingt heures.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.
La séance est reprise.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
L’article L. 111-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :
« Art. L. 111 -10. – Les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration peuvent faire l’objet d’un débat annuel au Parlement.
« Le Parlement prend alors connaissance d’un rapport du Gouvernement qui indique et commente, pour les dix années précédentes :
« a) Le nombre des différents visas accordés et celui des demandes rejetées ;
« b) Le nombre des différents titres de séjour accordés et celui des demandes rejetées et des renouvellements refusés ;
« c) Le nombre d’étrangers admis au titre du regroupement familial et des autres formes de rapprochement familial ;
« d) Le nombre d’étrangers admis aux fins d’immigration de travail ;
« e) Le nombre d’étrangers ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, ainsi que celui des demandes rejetées ;
« f) Le nombre d’attestations d’accueil présentées pour validation et le nombre d’attestations d’accueil validées ;
« g) Le nombre d’étrangers ayant fait l’objet de mesures d’éloignement effectives comparé à celui des décisions prononcées ;
« h) Les procédures et les moyens mis en œuvre pour lutter contre l’entrée et le séjour irréguliers des étrangers ;
« i) Les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus dans le domaine de la lutte contre les trafics de main-d’œuvre étrangère ;
« j) Les actions entreprises avec les pays d’origine pour mettre en œuvre une politique de gestion concertée des flux migratoires et de co-développement ;
« k) Les actions entreprises pour favoriser l’intégration des étrangers en situation régulière ;
« l) Le nombre des acquisitions de la nationalité française, pour chacune des procédures ;
« m) Des indicateurs permettant d’estimer le nombre d’étrangers se trouvant en situation irrégulière sur le territoire français.
« Le Gouvernement présente, en outre, les conditions démographiques, économiques, géopolitiques, sociales et culturelles dans lesquelles s’inscrit la politique nationale d’immigration et d’intégration. Il précise les capacités d’accueil de la France. Il rend compte des actions qu’il mène pour que la politique européenne d’immigration et d’intégration soit conforme à l’intérêt national.
« Sont jointes au rapport du Gouvernement les observations de :
« 1° L’Office français de l’immigration et de l’intégration ;
« 2° L’Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui indique l’évolution de la situation dans les pays considérés comme des pays d’origine sûrs.
« Le Sénat est consulté sur les actions conduites par les collectivités territoriales compte tenu de la politique nationale d’immigration et d’intégration.
« Le Parlement détermine, pour les trois années à venir, le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France, pour chacune des catégories de séjour à l’exception de l’asile, compte tenu de l’intérêt national. L’objectif en matière d’immigration familiale est établi dans le respect des principes qui s’attachent à ce droit. »
Cet article, introduit en commission, est tout un symbole.
Nous devrions entamer un tel texte par la proclamation de grands principes censés définir notre politique d’accueil et de gestion des migrations, et voilà un article qui, d’emblée, s’attache à un seul objectif : définir pour les trois années à venir « le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France, compte tenu de l’intérêt national ».
En fait, cela revient à définir des quotas et le seuil à partir duquel sera déclenchée, quoi qu’il en coûte, et quelle que soit la situation, la machine à expulser, à renvoyer et à ignorer les vies ainsi brisées !
Nous sommes là au cœur du problème : les auteurs du présent projet de loi se refusent à regarder en face l’un des enjeux majeurs de l’histoire de l’humanité, celui des migrations. Cet enjeu est partie intégrante de la construction de notre nation et prend une importance décuplée, à l’heure de la mondialisation, des dérèglements climatiques et de l’explosion des inégalités.
Les humains ont toujours migré pour vivre ou survivre, pour fuir les conditions de vie indignes, pour en chercher de meilleures. Ils migrent aussi pour fuir les persécutions religieuses ou politiques, les guerres, les génocides. Le rapport statistique annuel de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés estime à 65 millions le nombre de personnes déracinées à travers le monde à la fin de l’année 2016, du fait de conflits et de persécutions, la plupart de ces migrations se faisant d’ailleurs du Sud vers le Sud.
De tout cela, vous ne voulez rien entendre ! Vous voulez la libre circulation des capitaux, ça oui ! Vous voulez la concurrence à outrance au niveau mondial, ça oui ! Vous voulez bien le pillage économique et le dumping social, ça oui ! Vous voulez bien la domination des grandes puissances. En revanche, vous ne voulez pas entendre parler du droit à circuler, du droit de tous à vivre dignement, des responsabilités singulières que la France devrait prendre pour accueillir dignement les réfugiés et changer les règles de ce monde injuste et inégal !
Vous essayez de faire peur avec des chiffres auxquels vous vous accrochez comme à des mirages jamais atteints : vous parlez d’invasion, d’appel d’air, quand nous accueillons un peu plus de 200 000 personnes en moyenne chaque année, soit 0, 3 % de notre population !
Vous oubliez également de dire la vérité : 4 200 personnes ont été relocalisées en France à ce jour au titre du mécanisme de relocalisation adopté par le Conseil de l’Union européenne.
À nos yeux, il est indigne – car ce n’est pas à la hauteur de nos responsabilités – d’ouvrir la discussion par un article comme celui-ci et par une liste d’indicateurs qui ne visent qu’à justifier un contournement organisé des droits humains les plus fondamentaux.
Allez-vous enfin accepter de changer de logique ? Vous risquez sinon d’aboutir à une négation de nos principes et, au-delà, de mener la France et l’Europe dans une grave impasse, tournant le dos à un monde qui appelle, au contraire, plus que jamais, à la coopération, à la générosité, à la justice et au partage. Voilà le vrai prix, aujourd’hui, de la paix pour les décennies à venir !
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Après 1915, fuyant le génocide perpétré par l’État turc, 200 000 Arméniens ont été accueillis par notre pays. Nombre d’entre eux furent aussi de ceux qui défendirent la liberté de la France et tombèrent pour elle.
À la suite d’un accord entre les gouvernements français et polonais, plus de 700 000 Polonais sont venus apporter leurs bras à une industrie française qui en manquait terriblement.
Chassés par le fascisme, 600 000 Espagnols, défenseurs de la deuxième république espagnole, que nous avons abandonnée, ont traversé les Pyrénées durant l’hiver de 1939 pour trouver refuge en France.
Je pourrais aussi évoquer les Belges, les Italiens, les Portugais, les Algériens, toutes ces populations qui ont contribué à faire de notre pays ce qu’il est aujourd’hui : une République de citoyennes et de citoyens unis dans la démocratie par les règles communes qu’ils se sont données.
Je passe sous silence les migrations passées, comme celles qu’évoque le décor de la salle des conférences avec les Germains de sainte Geneviève et de Clovis, ou celles qui ont fait presque totalement disparaître les premiers habitants des îles des Antilles, ainsi que tous les échanges récents qui font que, aujourd’hui, un Français sur quatre a un parent d’origine étrangère.
L’identité de la France n’est à chercher ni dans un roman des origines ni dans un discours historique national qui exclut, mais dans cette dynamique perpétuelle qui mêle les populations et les unit dans la défense de valeurs républicaines qui les dépassent.
Le philosophe allemand Hegel explique très bien comment, dès qu’une chose est figée, elle est morte et remplacée par autre chose. Ce qui compte le plus dans notre République n’est pas d’où nous venons, mais où nous souhaitons aller ensemble. L’historien italien Massimo Montanari dit que « l’identité n’existe pas à l’origine, mais au terme du parcours ».
Ma conscience républicaine est blessée quand vous présentez, comme vous le faites avec ce texte, l’immigration comme un mal dont il faudrait se prémunir, une maladie qu’il serait nécessaire de réduire et d’endiguer.
Je suis triste pour celles et ceux qui, venus d’ailleurs, ont tant apporté à la France, quand je lis qu’il faudrait définir une politique nationale d’immigration et d’intégration « conforme à l’intérêt national ». L’intérêt de la Nation est justement dans cette recomposition permanente du corps civique, dans cet amalgame infini des différentes cultures !
Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ce nouvel article, adopté par la commission des lois, vise à réintroduire en France les quotas migratoires. Au fond, c’est le recyclage d’une des propositions du candidat Fillon, …
… qui souhaitait déterminer tous les trois ans le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France.
À mon avis, il s’agit d’une proposition politiquement inopportune et juridiquement contestable.
Puisque nous en sommes aux belles citations, monsieur Karoutchi, permettez-moi de citer un rapport fait en 2008 par M. Mazeaud, …
… que l’on ne saurait suspecter d’être dangereux : « Une politique de contingents migratoires limitatifs serait sans utilité réelle en matière d’immigration de travail, inefficace contre l’immigration irrégulière et, s’agissant des autres flux, incompatible avec nos principes constitutionnels et nos engagements européens et internationaux. » Voilà ce que disait M. Mazeaud il y a dix ans.
En réalité, il suffit de réfléchir deux minutes aux flux entrants. L’immigration familiale est bordée de tous les côtés. S’agissant de l’immigration professionnelle, qui peut dire trois ans à l’avance ce que devront être les quotas en la matière ? On ne sait pas ce que sera l’économie à une telle échéance. Enfin, il est plutôt de notre intérêt d’avoir le plus grand nombre possible d’étudiants de tous les pays du monde en France.
Le vrai problème, c’est l’immigration irrégulière, que cet article 1er A ne traite pas. Pour toutes ces raisons, que je ne développe pas davantage, nous ne voterons pas cet article.
Vous m’excuserez de prendre la parole sur l’article, mais je souhaitais insister sur un point avant que nous n’examinions le texte dans le détail.
Les flux migratoires exceptionnels auxquels la France est confrontée ne se limitent pas, j’y insiste régulièrement dans cet hémicycle, au continent européen, et particulièrement à la Méditerranée.
Il est plus que temps de prendre en compte les pressions migratoires extraordinaires qui s’exercent depuis de nombreuses années en Guyane, qui, je le rappelle, est en Amérique du Sud, et à Mayotte, qui, je le rappelle également, est dans l’océan Indien, poussant le système d’accueil et d’intégration au bord de l’asphyxie. Ce système est impossible à gérer aujourd’hui.
Voilà quelques mois, lors de l’examen du projet de loi de finances, j’avais alerté notre assemblée sur l’ampleur du phénomène en Guyane en rappelant quelques chiffres.
En trois ans, 11 000 demandes d’asile ont été enregistrées par l’OFPRA. Je le répète pour mieux le souligner : 11 000 demandes en trois ans en Guyane, c’est comme si la France comptabilisait chaque année près d’un million de demandes d’asile sur son seul territoire hexagonal.
Parce que seuls de tels chiffres nous permettent de prendre la mesure des événements, nous proposerons que le rapport prévu par cet article 1er A intègre une information exhaustive sur la politique d’immigration et d’intégration outre-mer.
Vous le savez, ce texte prévoit par ailleurs un certain nombre de dispositions spécifiques à Mayotte et à la Guyane. Pour cette dernière, un décret spécial vise également à expérimenter un traitement accéléré des dossiers.
Aussi, tout au long de notre débat, je m’efforcerai de partager avec vous une image juste et mesurée de nos réalités. Si l’asile est un droit qu’il ne faut pas remettre en question, il est aussi un bien précieux que nous devons protéger lorsque celui-ci est dévoyé.
Par exemple, il y a moins d’une semaine, en Guyane, un réseau lié à la République Dominicaine a été démantelé à Cayenne, avec l’interpellation d’une personne dont les coordonnées ressortaient dans 118 demandes d’asile ou titres de séjour.
Dans ce contexte, l’accélération du traitement des dossiers n’est pas une solution miracle, mais elle contribuera à la fluidité d’une procédure, qui, par le passé, pouvait prendre de 12 mois à 24 mois avant une réponse définitive.
Pour autant, et j’y reviendrai, accélérer ne veut pas dire négliger. Il me semble donc indispensable d’améliorer en parallèle les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Guyane.
Je voulais m’élever, monsieur le président, contre la loterie que devient l’application de l’article 45 de la Constitution. Nous avions déjà les charmes de l’article 40, les beautés de l’article 41, et, maintenant, voici l’article 45.
Aux termes du deuxième alinéa de l’article 1er A, « les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration peuvent faire l’objet d’un débat annuel au Parlement. » Cette disposition n’a aucun caractère législatif. Il est évident que l’on peut faire des débats au Parlement. Nous sommes là pour cela, et nous avons tout le loisir de faire inscrire un débat à l’ordre du jour, tout comme le Gouvernement. Pourquoi le dire dans une loi et pourquoi les foudres de l’article 45 ne s’abattent-elles pas sur cette disposition adoptée par la commission ?
En ce qui me concerne, avec M. Iacovelli, Mme Lienemann, MM. Marie et Tissot, Mmes Taillé-Polian et Jourda, j’avais déposé un amendement introductif tendant à inscrire au début de la loi les orientations suivantes : « Pour des raisons liées aux demandes d’asile, à la misère économique et sociale et aux changements climatiques, les migrations sont appelées à se développer dans les prochaines décennies. La présente législation prend en compte ce mouvement irréversible et vise à y apporter des solutions respectueuses de l’ensemble des êtres humains concernés dans le cadre d’un projet européen qui devra être à la mesure de l’enjeu, et en concertation avec les pays d’origine et les pays d’accueil. La politique migratoire ne saurait être dissociée des politiques de coopération ». Mais, dans ce cas, l’article 45 balaie tout !
Monsieur le président, je ne voudrais pas que, par ces dispositions et ces pratiques aléatoires eu égard à l’article 45, des textes de même nature apparaissent tantôt hors sujet, tantôt pleinement dans le sujet.
J’ai vécu des temps, à l’Assemblée nationale et au Sénat, où l’on ne s’embarrassait pas de cet article 45. Ce n’était pas si mal…
Notre collègue vient de préciser la portée normative de cet article 1er A, considération qui avait probablement un peu échappé à la sagacité de la commission des lois, à tout le moins en ce qui concerne ses premiers alinéas.
Pour ma part, je souhaiterais m’exprimer sur la partie relative aux quotas, dont les dispositions sont plus normatives : « Le Parlement détermine pour les trois années à venir le nombre d’étrangers admis à s’installer durablement en France pour chacune des catégories de séjour, à l’exception de l’asile, compte tenu de l’intérêt national. L’objectif en matière d’immigration familiale est établi dans le respect des principes qui s’attachent à ce droit. » Encore heureux que l’on respecte le droit relatif à l’immigration familiale et que l’on n’instaure pas de quotas en matière d’asile !
Toutefois, monsieur Karoutchi, puisque vous êtes à l’origine de cette disposition, je voudrais vous signaler que nous n’avons pas énormément de primo-arrivants. Nous en avions 240 000 en 2017.
Sur ces 240 000 personnes, 87 000 venaient en France pour des raisons familiales, dont 50 000 pour rejoindre un conjoint français, et 35 000 pour des raisons humanitaires, c’est-à-dire, en grande partie, pour bénéficier de l’asile. Le reste est constitué par l’immigration économique et l’immigration étudiante. Or, compte tenu de la rédaction de cet article, nous ne disposerons de marges de manœuvre que pour ces deux catégories.
Monsieur le sénateur, c’est quand même idiot de demander au Parlement de limiter le nombre de talents étrangers qui voudraient venir en France ; c’est quand même idiot de limiter l’attractivité des universités françaises en laissant le Parlement limiter le nombre d’étudiants venant en France. Je le répète, il n’y a pas énormément de titres délivrés tous les ans dans notre pays : 240 000, monsieur Karoutchi, c’est trois fois moins que ce que délivre la Pologne !
Non, 240 000 selon les chiffres du ministère de l’intérieur du 12 juin dernier.
Il est clair que prétendre établir une politique de quotas est un trompe-l’œil, un mensonge, à moins que cela ne témoigne d’une volonté délibérée de faire en sorte que notre pays ne soit plus capable d’attirer des talents, des étudiants…
… bref, de faire venir ceux dont nous avons besoin pour faire fonctionner notre économie.
Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.
M. Richard Yung s ’ exclame.
C’est hallucinant de s’entendre reprocher d’empêcher les talents d’entrer en France. Dieu est grand, mais ce n’est pas exactement le problème aujourd’hui.
Sincèrement, on ne doit pas vivre dans le même pays ni dans le même monde.
Monsieur Laurent, je ne partage pas l’avis des communistes, mais je les respecte. Chacun sa vie !
C’est sûr que vous n’accueillez pas beaucoup de réfugiés dans les Hauts-de-Seine…
Je vous en prie, ma chère collègue.
Que se passe-t-il en vérité ? Si ce n’est pas le Parlement qui décide, c’est le Gouvernement. Si le Parlement n’est pas en mesure de dire, à un moment donné, ce qu’il veut comme politique migratoire, cela revient à laisser les mains libres au Gouvernement. Et si, demain, le Gouvernement décide, vu la situation économique et politique en France et en Europe, et pour ne pas perdre les élections, de tout fermer, le Parlement n’aura pas son mot à dire.
C’est quand même incroyable ! Je veux juste faire en sorte que le Parlement prenne le pouvoir en matière migratoire en respectant le droit d’asile. En effet, pour ce dernier, on ne peut pas disposer de chiffres à l’avance. En cas de conflit, on étudie au cas par cas hors quotas et hors système. Pour le reste, si vous ne prenez pas le pouvoir, c’est le Gouvernement qui le prend.
On ne sait pas ce qui peut se passer avec le Gouvernement. Chez certains de nos voisins, les nouveaux gouvernements en ont surpris plus d’un. Et si, un jour, nous avons un gouvernement populiste en France, vous croyez qu’il va demander au Parlement ce qu’il faut faire en matière migratoire ? Je préfère que le Parlement, en fonction de chiffres fournis par le Gouvernement, dise sa manière de voir les choses, plutôt que de laisser complètement la main à l’exécutif.
Qui vous dit, d’ailleurs, que le Parlement serait beaucoup plus réducteur que le Gouvernement en la matière ? Après tout, vous êtes parlementaires, et vous serez là pour dire ce que vous pensez et ce que vous souhaitez. On voudrait un Sénat puissant, mais on laisse tout décider par le Gouvernement. Eh bien non, je pense que c’est au Parlement de prendre la décision après en avoir parlé avec le Gouvernement, et pas l’inverse.
Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 23 rectifié est présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin.
L’amendement n° 502 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 23 rectifié.
Monsieur Karoutchi, vous ne m’aurez pas convaincue. Cet article 1er A a quand même tous les défauts que l’on pouvait attendre d’un article tendant à définir des indicateurs précis de la présence des étrangers dans notre pays.
Il s’agit en fait de conforter des a priori improuvés et improuvables dans leur lapidaire expression, ce qui permet d’ailleurs à quelques-uns de réduire l’immigration à du benchmarking ou, comme on l’a entendu, à du shopping de l’asile.
Le problème, mes chers collègues, outre quelques oublis – où sont passés les étudiants venant de pays situés hors de l’Union européenne en vertu d’accords de coopération universitaire ? –, c’est que, manifestement, ici, on appelle étrangers tous ceux qui demandent à entrer en France, alors même qu’un grand nombre de ces entrées concernent des Français nés hors de la métropole et, parfois, leurs conjoints et leurs enfants. N’oublions pas que la France pratique en la matière à la fois le droit du sol et le droit du sang.
Une étude relativement récente de l’INSEE sur les flux migratoires observés de 2006 à 2013 nous révèle, entre autres informations, que nous avons enregistré pas moins de 2, 466 millions d’entrées sur notre territoire, dont 1, 633 million d’immigrés, et, de fait, 833 000 Français nés en France ou à l’étranger. Le tiers des entrées sur le territoire national concerne donc des ressortissants hexagonaux.
Sur la même période, 2, 068 millions de sorties du territoire national ont été constatées, dont plus de 500 000 personnes de nationalité étrangère.
Le solde migratoire est passé de 113 000 personnes en positif en 2006 à seulement 33 000 aujourd’hui.
De fait, un nombre croissant de jeunes Françaises et Français, faute de trouver un emploi à la mesure de leurs qualifications dans leur propre pays, vont travailler ailleurs, là où l’on sait reconnaître la qualité de la formation scolaire et universitaire hexagonale.
Ainsi, on évalue en 2013 à près de 855 000 le nombre de Françaises et de Français âgés de 25 ans à 34 ans résidant à l’étranger, ce qui représente 4 % de notre population active ou plus de 5 % de l’emploi privé.
Vous le voyez donc, mes chers collègues, les données ne sont pas aussi simples.
Monsieur Karoutchi, vous dites avoir voulu cet article 1er A au nom de la défense du travail du Parlement, mais je crois qu’il faut aussi que vous assumiez les sous-entendus de cet article, …
Mme Cécile Cukierman. … ainsi que ceux de votre politique migratoire, qui n’est pas celle voulue par une majorité de Français.
M. Roger Karoutchi proteste.
L’article 1er A, introduit par la commission des lois, réécrit l’article du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, définissant le contenu du rapport annuel au Parlement.
Les différents éléments mentionnés dans l’amendement voté en commission des lois, dont ceux relatifs à la politique européenne d’immigration et d’intégration, figurent déjà dans ce rapport.
Cet article introduit également des quotas, votés par le Parlement, pour déterminer sur les trois années à venir le nombre d’étrangers admis à s’installer durablement en France pour chacune des catégories de séjour, à l’exception de l’asile. Cette disposition ne résiste pas à l’examen de faisabilité. Elle n’avait d’ailleurs pas été mise en œuvre par les gouvernements précédents. Je ne citerai pas Pierre Mazeaud, puisque M. Yung l’a fait tout à l’heure, mais il avait conclu au caractère irréalisable de ces quotas.
Le Gouvernement n’est pas favorable à ce qu’une telle politique soit mise en œuvre. En effet, l’immigration familiale résulte en grande partie des principes figurant dans la Constitution – le droit à mener une vie familiale normale ou la liberté de mariage – et, bien sûr, dans les conventions internationales.
En ce qui concerne l’immigration professionnelle, notre droit encadre l’emploi des nouveaux immigrés par la délivrance des autorisations de travail en fonction de la situation du marché du travail.
S’agissant des talents internationaux et des étudiants étrangers, dont il a été question à l’instant, le Gouvernement a fait le choix de développer l’attractivité du territoire national pour ces publics, compte tenu de leur apport à notre économie et au rayonnement de la France.
Enfin, les actions conduites par les collectivités territoriales peuvent être déjà ajoutées au rapport en tant que de besoin, sans qu’il soit nécessaire de modifier la loi.
Pour toutes ces raisons, il est donc proposé de supprimer cet article.
Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements de suppression ?
La commission est défavorable à l’adoption de ces deux amendements, puisqu’elle avait accepté l’amendement déposé par M. Karoutchi.
Je voudrais simplement rappeler quelques éléments.
Le Sénat s’est déjà prononcé en 2006 pour réclamer un débat au Parlement sur les politiques migratoires. Nous pensons qu’il est effectivement nécessaire d’avoir une vision globale qui soit non pas confisquée – le terme est peut-être un peu fort – par l’exécutif, mais qui puisse être partagée par la représentation nationale.
De surcroît, il est intéressant de connaître les capacités d’accueil que nous pouvons proposer dans le cadre de ces politiques. À cet égard, nous sommes en parfaite coordination avec l’objectif fixé par le texte, à savoir la maîtrise de l’immigration.
Sur les chiffres eux-mêmes, la notion de quota peut être assez large ; elle n’est pas forcément absolument rigide. Elle peut porter naturellement sur les titres de séjour, et non pas sur les pays sources.
Par ailleurs, s’il est un élément sur lequel nous avons rarement des informations, c’est celui des régularisations. Nous les avons au terme du bilan, et encore en partie. Si nous les connaissions avant, nous pourrions avoir un débat sur le sujet.
Enfin, sur l’immigration de travail, nous aimerions aussi avoir des éléments. Je me permets de rappeler que, depuis 2008, nous n’avons plus aucune information sur les métiers que l’on considère en tension.
Le groupe socialiste et républicain votera ces deux amendements aux origines opposées, mais à l’objectif similaire, dans la mesure où nous ne pouvons pas accepter une politique de quotas.
M. Karoutchi pense que l’objet de ce débat est simplement de savoir si les quotas sont fixés par le Gouvernement ou par le Parlement. Nous répondons : ni l’un ni l’autre ! Nous répondons : « critères objectifs ».
Critères objectifs pour les étudiants ; critères objectifs pour les talents, qui sont tous intéressants. C’est ce que nous souhaitons et, de fait, nous refusons fermement toute politique de quotas.
J’ajoute que le taux de primo-arrivants, qu’ils soient étudiants ou immigrés économiques, restant sur le territoire pour une longue période n’est pas très important. Toutes catégories confondues, il n’y a pas plus de 40 % des primo-arrivants qui restent, et, sur les catégories économiques et étudiantes, le taux est très faible. Cela n’a rien à voir avec une « submersion ».
Je le répète, nous ne voulons pas de quotas sur ces deux types d’immigration. Nous sommes pour des critères objectifs, ce qui est la meilleure solution pour que la politique d’immigration soit comprise.
Au-delà de la position du Gouvernement, que l’on peut comprendre pour des raisons de positionnement global, la vraie question que nous pose cet article 1er A est la suivante : quelles sont les intentions de ceux qui estiment nécessaire de fixer chaque année un quota d’immigration ?
Nous avons souligné, dans la discussion générale, que l’effet réel de l’entrée de personnes de nationalité étrangère sur le territoire français était bien moindre que ce que le discours accompagnant cette réalité de notre temps voudrait bien nous faire croire. Et nous avons découvert que, sous certains aspects, notre pays était aussi un pays d’émigration, non pas parce que nous aurions une fiscalité insupportable, ce que croient ou tentent de faire croire quelques beaux esprits noyés dans l’idéologie dominante, mais tout simplement parce qu’en l’état actuel des choses, l’économie et les entreprises de notre pays sont parfaitement incapables de tirer parti de l’élévation continue du niveau de formation générale, scientifique et technologique de nos jeunes diplômés, pour en faire le puissant levier de croissance durable qui nous manque. Le problème récurrent que pose la grande appétence des actionnaires de nos entreprises, de la PME au groupe transnational, pour le retour le plus rapide sur investissement sous forme de généreux dividendes n’est sans doute pas étranger à ce constat.
Néanmoins, malgré ces handicaps, force est de constater que notre pays demeure l’une des plus riches économies du monde. Aussi, nous pouvons penser qu’il a une capacité assez large d’accueil des populations venues d’ailleurs, a fortiori quand nous avons eu, dans un passé plus ou moins récent, la volonté d’en faire nos colonies et, de ce fait, des pays francophones.
L’immigration n’a jamais été véritablement un phénomène de masse en France, sauf en certaines circonstances exceptionnelles, lorsque la saignée de forces vives causée par un conflit prolongé avait mené à l’arrivée massive de travailleurs étrangers et de leurs familles.
Pour ne prendre qu’un exemple, dans un pays comme le Mali, dont la population a quadruplé depuis l’indépendance, qui frise désormais les 20 millions d’habitants, où le fait de partir pour l’étranger est, dans certaines régions, une forme de passage obligé dans l’existence, les ressortissants qui migrent vers les pays les plus proches sont autrement plus nombreux que ceux qui vivent en France.
La diaspora malienne dans notre pays, c’est entre 120 000 titulaires de cartes de séjour et 500 000 Maliens d’origine, en partie naturalisés français – puisque c’est d’actualité, regardez le nom des joueurs de l’équipe de France de football engagée dans la Coupe du monde cette année –, …
Mme Michelle Gréaume. … et qui, pour une grande part, assurent bien des tâches dans des activités économiques marquées par la pénibilité
Manifestations d ’ impatience sur les travées du groupe Les Républicains.
Mes chers collègues, nous ne sommes qu’au début de ce débat, qui risque d’être long. Vous pouvez faire autant d’explications de vote que vous le voulez ; c’est le droit. En revanche, je vous demande de respecter votre temps de parole, sinon chacun prendra exemple sur l’autre pour s’autoriser un dépassement.
La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
Mme Cukierman voyait des sous-entendus dans ma liste tout à l’heure. Ma chère collègue, sachez qu’il s’agit non pas de ma liste, mais de celle du CESEDA. Intéressez-vous à la manière dont les pouvoirs publics font les listes. Pour ma part, je n’ai pas le sentiment d’avoir inventé quoi que ce soit.
Cela étant dit, j’ajoute que je trouve ce débat vraiment surréaliste. Pardon, monsieur Leconte, mais « des critères objectifs », cela ne veut rien dire.
M. Roger Karoutchi. Si vous pouvez définir des critères objectifs sur le droit d’asile – qui a le droit d’entrer en fonction de sa provenance, des conflits, des persécutions –, les critères objectifs que vous appelez de vos vœux, par exemple, pour l’immigration économique ne sont ni plus ni moins que des quotas.
Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Non, je ne vois pas ce que vous voulez dire. Cela n’a pas de sens ! Il y a des critères définis par le Gouvernement, que l’on applique. Pour ma part, je préfère que le Parlement, dans sa sagesse et sa diversité, définisse un certain nombre de lignes directrices, …
… plutôt que de voir le Gouvernement ou d’autres, sous la pression de l’émotion, définir de nouveaux critères, que l’on n’acceptera peut-être pas.
Je ne vois pas en quoi le fait de pouvoir parler au Parlement, comme on l’a fait en 2006, des lignes directrices de la politique migratoire en France serait attentatoire à nos principes démocratiques. Après tout – qui sait ? –, peut-être nous dirons-nous que le Gouvernement est trop peureux et qu’il faudrait davantage ouvrir nos frontières. Le Parlement peut le faire. Pourquoi serions-nous forcément plus réducteurs que le Gouvernement ? C’est nous faire très peu confiance, globalement, dans notre diversité.
Madame la ministre, j’estime que cet article n’enlève rien au Gouvernement. J’ai bien compris que vous préfériez conserver la main. Après tout, c’est le jeu de l’exécutif. Néanmoins, partager le pouvoir de déterminer avec le Parlement qui rentre et qui ne rentre pas ne me semble pas déshonorant, réducteur ou infamant.
Mon intervention sera très courte. Je ne vois pas pourquoi il serait interdit au Parlement de se prononcer sur la politique d’immigration, sur la base de critères dont la liste est fixée dans la loi.
Lorsque M. Karoutchi dit que c’est soit au Parlement, soit au Gouvernement de le faire, on lui oppose une troisième possibilité, à savoir les critères objectifs. Je dirai simplement que c’est une politique qui va à vau-l’eau, et qui révèle l’absence totale de volonté de maîtrise de l’immigration.
Il me semble quand même que, compte tenu des possibilités offertes par la France aux personnes qui veulent s’installer chez nous dans des conditions de dignité, il faut maîtriser l’immigration.
Eh bien, face à l’absence de maîtrise à laquelle semblent aspirer M. Leconte et celles et ceux qui s’apprêtent à voter ces deux amendements, la seule alternative, c’est précisément que le Parlement fixe lui-même une politique de maîtrise de cette immigration.
Nous le voyons bien, M. Karoutchi et son collègue de droite cherchent à noyer le poisson ! Le débat n’est pas de savoir si le Parlement doit avoir plus de pouvoirs. Quand viendra en discussion la réforme à venir, nous verrons alors qui est au rendez-vous pour défendre les droits du Parlement ! Ce n’est donc pas à nous qu’il faut venir expliquer à quel point il est important de renforcer les droits du Parlement !
Vous noyez le poisson ! Vous savez très bien que, à travers le débat sur cet article, nous abordons la philosophie de notre politique d’immigration et de notre politique d’accueil. Et c’est sur ce point qu’il y a en effet une différence sérieuse entre nous ! Vous souhaitez une politique extrêmement restrictive, que vous ambitionnez d’encadrer dans des chiffres définis pour trois ans. Pour notre part, nous pensons qu’il faut, au contraire, traiter cette question en prenant la mesure de l’enjeu mondial, national, européen que constituent ces migrations. Notre vision va bien au-delà de cette politique restrictive qui est votre seule manière d’envisager les choses. Tel est l’enjeu du débat sur l’ajout de l’article 1er A, qui ne concerne nullement les droits du Parlement.
Donc, ne noyez pas le poisson, assumez votre choix politique et nous voterons sur cette question !
Cette façon d’aborder le débat, en fixant des quotas, me semble tout à fait symptomatique de la façon dont les choses se déroulent en ce moment.
Je crains que les quotas, qui sont peut-être de nature à rassurer, ne soient, en réalité, dictés par la peur. Or il faut reconnaître que la peur n’est jamais bonne conseillère. Elle conduit parfois à des renoncements et parfois à des reniements.
Je ne voudrais pas faire de procès d’intention, mais la façon dont a été gérée la problématique de l’accueil de l’Aquarius me paraît avoir été dictée tout simplement par la peur de la réaction de la partie la plus extrémiste de notre population. Cette gestion conduit, d’une certaine façon, à renier la perception que l’on a de la France à l’étranger, voire à celle qu’elle doit avoir d’elle-même, c’est-à-dire un pays ouvert sur l’extérieur.
Je rejoins ce qui a été dit. Inscrire en tête de la loi un tel article, qui fixe des quotas, ne me semble pas de nature à susciter une certaine forme d’enthousiasme !
Je mets aux voix les amendements identiques n° 23 rectifié et 502.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains, l’autre, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 131 :
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 177 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Rédiger ainsi ces alinéas:
« Art. L. 111 -10. – Chaque année, avant le 30 juin, le Gouvernement dépose devant le Parlement un rapport sur les orientations pluriannuelles de la politique d’asile, d’immigration et d’intégration.
« Ce rapport indique et commente les données quantitatives relatives aux cinq années précédentes, à savoir :
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
Cet amendement vise plusieurs objectifs. D’abord, il supprime la mention selon laquelle le rapport du Gouvernement peut faire l’objet d’un débat annuel au Parlement. Cela a été dit, il est évident que ce n’est pas la peine de l’inscrire dans la loi. Ensuite, il précise la date de remise de ce rapport. Enfin, il ajoute les orientations pluriannuelles de la politique d’asile, d’immigration et d’intégration afin que le rapport demandé soit complet.
L’amendement n° 153 rectifié, présenté par MM. Meurant et H. Leroy, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer le mot :
peuvent faire
par le mot :
font
La parole est à M. Sébastien Meurant.
Il s’agit juste de remplacer les mots « peuvent faire » par « font ». L’objectif est de faire en sorte que, dans cette matière essentielle, le Gouvernement fasse les choses !
L’amendement n° 167, présenté par Mmes Di Folco, Berthet, Deromedi et Eustache-Brinio, MM. Frassa, Karoutchi et Meurant, Mme Morhet-Richaud, M. Morisset, Mme Puissat et MM. Revet et H. Leroy, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après le mot :
Gouvernement
insérer les mots :
, rendu avant le 1er juin de chaque année,
La parole est à Mme Catherine Di Folco.
La commission des lois a prévu l’organisation d’un débat annuel sur la politique migratoire et la remise, au préalable, d’un rapport sur la situation des étrangers en France.
Le Gouvernement publie déjà un tel rapport, mais il le fait, la plupart du temps, avec un certain retard. Le rapport actuellement disponible a été publié en février 2017 et il porte sur les données de 2015 !
Le manque de transparence des données relatives à l’asile et à l’immigration est plus que préoccupant.
En conséquence, il est proposé d’imposer au Gouvernement de rendre son rapport avant le 1er juin de chaque année.
À l’article 33 bis du projet de loi, l’Assemblée nationale avait prévu la remise d’un rapport avant le 1er octobre, date beaucoup trop tardive pour le prendre en compte lors de la préparation du projet de loi de finances.
Les amendements n° 60 rectifié, 181 rectifié ter et 515 rectifié bis sont identiques.
L’amendement n° 60 rectifié est présenté par MM. Mohamed Soilihi, Hassani, Karam, Patient et Dennemont.
L’amendement n° 181 rectifié ter est présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 515 rectifié bis est présenté par M. Arnell, Mmes Costes et M. Carrère, MM. Requier, Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Gabouty et Guérini, Mmes Guillotin, Jouve et Laborde et MM. Menonville, Vall et Gold.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
, en métropole et dans les outre-mer
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour présenter l’amendement n° 60 rectifié.
M. le rapporteur l’a précisé tout à l’heure, les outre-mer ont été les grands oubliés de ce projet de loi. Or, vous le savez, les outre-mer totalisent à eux seuls plus de la moitié des reconduites à la frontière menées depuis le territoire français.
Les chiffres contenus dans le rapport du Gouvernement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration sont destinés à éclairer le Parlement et à lui permettre de contrôler que les politiques migratoires conduites sont proportionnées à l’ampleur des entrées illégales dans notre pays.
Or, dans les départements de Mayotte et de Guyane, il est évident que la lutte contre l’immigration clandestine menée jusqu’à présent est loin d’être à la hauteur de l’ampleur des entrées irrégulières qui ont lieu quotidiennement dans ces territoires. À Mayotte, par exemple, 20 000 personnes sont renvoyées chaque année vers l’archipel comorien, alors que l’on dénombre 26 000 éloignements depuis la France en 2017.
Cet amendement vise à inclure dans ce rapport une information exhaustive sur les chiffres de l’outre-mer, spécialement de Mayotte et de la Guyane.
Par ailleurs, mais cela fera l’objet de discussions au sujet d’autres amendements, le dernier rapport gouvernemental consacré aux orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration porte sur les données de l’année 2015. Il me paraît, à ce titre, fondamental de prévoir que ce rapport soit rendu chaque année avant une date qui aura été jugée à la fois réaliste par le Gouvernement et satisfaisante pour la prise en compte de ces données lors de la préparation du projet de loi de finances.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 181 rectifié ter.
Il est défendu, l’orateur précédent ayant parfaitement exposé l’objet de notre amendement.
La parole est à M. Guillaume Arnell, pour présenter l’amendement n° 515 rectifié bis.
Je l’ai dit lors de la discussion générale, les difficultés que rencontrent de nombreux territoires ultramarins ont largement été occultées par les auteurs de ce projet de loi.
C’est la raison pour laquelle, comme mes autres collègues, je souhaite, avec le présent amendement, inciter fortement le Gouvernement à se doter de moyens propres à estimer le nombre d’étrangers présents dans les territoires d’outre-mer, plus exposés encore à la pression migratoire que le territoire national métropolitain.
Je donne, au nom de la commission, un avis défavorable à l’amendement n° 177 rectifié bis de M. Leconte, qui est un amendement de suppression. Chacun aura bien compris que nous souhaitons ce débat, en tout cas, la commission le souhaite.
J’en viens à l’amendement n° 153 rectifié et je demande à M. Meurant de m’accorder la faveur de le retirer. Le problème n’est pas que sa proposition soit inintéressante sur le fond. La difficulté vient du fait qu’elle est contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel de novembre 2003 concernant l’établissement de l’ordre du jour des assemblées parlementaires. Plutôt que d’émettre un avis défavorable, je préférerais que l’auteur de cet amendement le retire.
En revanche, j’émets un avis favorable sur l’amendement n° 167 de Mme Di Folco, qui fixe une date précise de remise du rapport.
Pour l’information de l’ensemble des collègues, nous avons eu, en juin 2018, communication d’un rapport qui concernait la période de 2015. C’est dire que l’amendement de Mme Di Folco est parfaitement utile !
En ce qui concerne les amendements n° 60 rectifié de notre collègue Mohamed Soilihi, 181 rectifié ter de M. Leconte et 515 rectifié bis de M. Arnell, qui précisent que les outre-mer ne doivent pas être les oubliés du rapport, la commission émet évidemment un avis favorable.
M. Charles Revet s ’ exclame.
Le Gouvernement émet évidemment un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements, puisqu’il est défavorable à l’article !
Peut-être faut-il préciser que paraît chaque année, une publication qui s’appelle Les étrangers en France.
Mme la ministre montre le document.
Je ferai une observation rapide : le document que Mme le ministre nous a présenté est un rapport de 2016, qui cite des chiffres de 2015. Or nous sommes en 2018.
Quant à la partie ultramarine, je crois qu’elle comporte deux pages.
Je veux bien vous croire, madame la ministre, mais si le rapport est bien arrivé sur nos bureaux, nous l’avons reçu seulement hier. Nous aurions souhaité le recevoir en amont des discussions.
De plus, il me semble que la non-prise en compte des données ultramarines est une question récurrente. Plusieurs organismes ont interpellé les gouvernements successifs sur ce sujet. Les autorités françaises ont été alertées à de multiples reprises par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, par le Comité des droits de l’homme, mais aussi par le Haut-Commissariat aux réfugiés et par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
Il me semble donc que nos demandes en la matière sont fondées.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
L ’ amendement est adopté.
Je mets aux voix les amendements identiques n° 60 rectifié, 181 rectifié ter et 515 rectifié bis.
Les amendements sont adoptés.
L’amendement n° 168, présenté par Mmes Di Folco, Berthet, Deromedi et Eustache-Brinio, MM. Frassa, Karoutchi et Meurant, Mme Morhet-Richaud, M. Morisset, Mme Puissat et MM. Revet et H. Leroy, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après le mot :
accordés
insérer les mots :
ou retirés
La parole est à Mme Catherine Di Folco.
Le droit en vigueur prévoit plusieurs motifs de retrait du titre de séjour, notamment lorsque l’étranger a transmis des informations frauduleuses ou a commis l’un des crimes et délits mentionnés à l’article L. 313-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
En outre, le déploiement des titres de séjour pluriannuels demande une grande vigilance : lorsque les motifs de délivrance du titre ne sont plus respectés, la préfecture doit le retirer et procéder à l’éloignement de l’intéressé.
Pour plus de clarté, nous proposons, par cet amendement, que le rapport sur la situation des étrangers en France précise le nombre de titres de séjour retirés par les préfectures, en complément des données sur le nombre de titres de séjour délivrés.
L ’ amendement est adopté.
L’amendement n° 169, présenté par Mmes Di Folco, Berthet, Deromedi et Eustache-Brinio, MM. Frassa, Karoutchi et Meurant, Mme Morhet-Richaud, M. Morisset, Mme Puissat et MM. Revet et H. Leroy, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …) Le nombre de mineurs isolés étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, et les conditions de leur prise en charge ;
La parole est à Mme Catherine Di Folco.
Le Gouvernement et les députés ont souhaité exclure du projet de loi la thématique des mineurs isolés, qui représente pourtant un véritable enjeu, notamment pour les départements.
À l’inverse, la commission des lois du Sénat a utilement prévu la création d’un fichier national biométrique des étrangers déclarés majeurs à l’issue de leur évaluation par un département.
Dans la continuité du travail de la commission, cet amendement a pour objet d’inclure la thématique des mineurs isolés dans le rapport annuel sur la situation des étrangers en France.
Une transparence accrue est indispensable pour mieux traiter cette problématique !
Clairement favorable ! Le Sénat, qui s’est emparé de la question des mineurs, trouve important de la faire figurer dans le rapport.
J’ai fait une longue explication sur les mineurs non accompagnés, exposant les raisons pour lesquelles les dispositions les concernant ne figurent pas dans ce texte. Telle est la raison pour laquelle j’émets, au nom du Gouvernement, un avis défavorable.
L ’ amendement est adopté.
L’amendement n° 179 rectifié ter, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, M. Temal, Mme Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …) Le nombre d’autorisations de travail accordées ou refusées ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
Le débat sur l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile aura lieu plus tard. Il est prévu, dans certaines conditions, par les directives européennes que nous devons respecter.
Il semble toutefois important, dans une perspective de clarification, que les chiffres relatifs au nombre des demandes d’autorisations de travail et au nombre d’autorisations réellement délivrées fassent partie des informations figurant dans le rapport.
L’avis est d’autant plus favorable que cet amendement a été rectifié conformément à la demande faite en commission !
L ’ amendement est adopté.
L’amendement n° 180 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 11
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …) Le nombre d’étrangers mineurs ayant fait l’objet d’un placement en rétention et la durée de celui-ci ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai également l’amendement n° 178 rectifié bis.
Bien volontiers, mon cher collègue !
J’appelle donc en discussion l’amendement n° 178 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, et ainsi libellé :
Alinéa 14
Rédiger ainsi cet alinéa :
« k) Le nombre de contrats souscrits en application des articles L. 311-9 et L. 311-9-1 ainsi que les actions entreprises au niveau national pour favoriser l’intégration des étrangers en situation régulière ;
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
L’amendement n° 180 rectifié bis vise àcompléter le rapport remis par le Gouvernement en indiquant le nombre de mineurs ayant fait l’objet d’un placement en rétention. La durée des placements en rétention des étrangers mineurs devra également être mentionnée.
S’agissant de l’amendement n° 178 rectifié bis, nous demandons que le rapport indique le nombre de contrats d’intégration républicaine qui ont été souscrits.
La commission est favorable à l’amendement n° 180 rectifié bis. Nous aurons plus tard, lorsque nous aborderons l’article 15 ter, une discussion sur les mineurs.
L’avis est également favorable sur l’amendement n° 178 rectifié bis. Nous reviendrons sur le contrat d’accueil d’intégration républicaine à l’article 26 bis A. En la circonstance, l’avis est favorable.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Toujours défavorable ! On inscrit dans la loi des choses qui figurent déjà dans les rapports. J’entends souvent dire qu’il ne faut pas que les lois soient bavardes ; ce soir, on réussit bien !
Sourires.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. De bavardes, on passera à utiles !
Nouveaux sourires.
L ’ amendement est adopté.
L ’ amendement est adopté.
M. Thani Mohamed Soilihi remplace M. David Assouline au fauteuil de la présidence.
L’amendement n° 182 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 22
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
Sans refaire l’ensemble du débat sur la politique des quotas proposée par la majorité sénatoriale – avec, en première ligne, M. Karoutchi –, nous vous proposons, une dernière fois, de renoncer à une politique qui ne peut pas être raisonnable.
Nous faisons en effet énormément d’efforts pour attirer des étudiants et les faire venir dans les universités françaises. Comment peut-on l’envisager sous forme de quotas ?
Quant aux talents, c’est la même chose ! Ce n’est ni au Parlement ni au Gouvernement de décider des besoins des entreprises en termes de talents ! Si des personnes veulent créer en France de l’innovation et de la richesse, pourquoi nous en priverions-nous par décision du Parlement ou du Gouvernement ?
Nous vous proposons donc de vous prononcer, une dernière fois et avant le vote de cet article, contre la politique des quotas défendue par la majorité sénatoriale !
Je veux m’adresser à M. Leconte en toute sincérité. Pour ma part, je me suis longtemps occupé des transferts d’étudiants. En toute franchise, le problème de l’arrivée en France des étudiants est plus lié à leurs conditions d’accueil dans les universités, au niveau de ces dernières, parfois au coût des études – et pour Paris, pardon, monsieur Assouline, les choses sont souvent liées à la cherté du logement et de la vie dans la capitale. À vous entendre, le Parlement s’apprêterait à réduire brutalement la capacité d’accueil offerte par la France aux étudiants. Notre problème n’est pas là ! Il est d’avoir des universités attractives.
Monsieur Leconte, je suis tout prêt, dans l’avenir, si jamais ces quotas étaient adoptés, à voir, avec l’ensemble des groupes, comment faire en sorte d’augmenter le nombre des étudiants qu’il est possible d’accueillir en France.
Ce qui bloque aujourd’hui, ce n’est pas le système éventuel des quotas ! Il y a beaucoup d’autres difficultés et, surtout, un problème d’attractivité. En effet, les universités américaines et anglo-saxonnes mènent, dans les différents pays, une politique de pression attractive que nous ne pratiquons pas. Le problème se pose non en termes de quotas, mais en termes d’attractivité et de capacité de nos autorités publiques à intervenir à l’étranger.
Voilà ! On arrive au moins à aborder le sujet au fond !
Peut-être faudrait-il poursuivre la réflexion pour voir comment donner à nos universités les moyens de mieux attirer les étudiants. Il faut se poser toutes les questions, même celles qui sont taboues ! Interrogeons-nous sur l’attractivité pour réussir à accueillir un maximum d’étudiants étrangers parce que c’est bon pour nous. Du moins concédez-vous que si le quota ne vise que cette fin, il ne sert à rien !
Quoi qu’il en soit, la discussion a avancé et je vous invite ici à voter cet amendement !
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
Je mets aux voix l’article 1er A, modifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 132 :
Le Sénat a adopté.
L’amendement n° 404 rectifié, présenté par M. Assouline, Mme de la Gontrie, M. Féraud, Mme Lienemann, M. Jomier, Mmes Préville, Conway-Mouret et Conconne, MM. Cabanel et Antiste, Mme Ghali, MM. Temal et Tourenne, Mme Lubin, M. Vallini, Mme Lepage, MM. Manable, Houllegatte et Daudigny, Mmes Jasmin et Artigalas, M. Tissot, Mme Espagnac, MM. Dagbert, Iacovelli, Magner et Courteau, Mme Meunier, M. Durain et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
A. – Après l’article 1er A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - La République garantit à toute personne résidant sur son territoire, quelles que soient sa nationalité et sa situation au regard du droit au séjour, les droits suivants :
1° Le droit à la prise en charge des soins, dans le cadre de l’aide médicale de l’État mentionnée à l’article L. 251-1 du code de l’action sociale et des familles et de la prise en charge des soins urgents prévue par l’article L. 254-1 du même code ;
2° Le droit à l’hébergement d’urgence pour toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale, dans les conditions prévues par l’article L. 345-2-2 du même code ;
3° Le droit aux prestations de l’aide sociale à l’enfance prévues par le titre II du livre II du même code, lorsque la situation de l’enfant l’exige ;
4° Le droit à l’éducation, mentionné au titre Ier du livre Ier de la première partie du code de l’éducation ;
5° Le droit à l’aide juridique, dans les conditions prévues par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;
6° Le droit de se marier, dans les conditions définies au titre V du livre Ier du code civil.
II. - Les personnes assurant la mise en œuvre de ces droits ne peuvent être tenues de prêter leur concours à l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Les données à caractère personnel relatives aux étrangers en situation irrégulière collectées dans le cadre de la mise en œuvre de ces droits ne peuvent être traitées ou communiquées dans le but de faciliter l’éloignement de ces étrangers.
III. – L’État assure à l’étranger la connaissance de ces droits.
B. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre…
Droits inconditionnels des étrangers résidant sur le territoire
La parole est à M. David Assouline.
Je veux, à travers cet amendement, m’adresser à l’ensemble de mes collègues pour qu’ils mesurent, à ce moment de notre discussion sur ce projet de loi, l’état du monde et notre responsabilité.
Nous vivons un moment où, sur les questions liées à l’immigration, des politiques dangereuses sont menées : que ce soit aux États-Unis, où les enfants sont séparés de leurs parents et enfermés dans des cages, en Italie, ou dans toute l’Europe de l’Est, cela sent très mauvais !
Alors, par rapport à ce danger raciste et populiste qui déferle, semble tout submerger et nous rappelle des moments sombres, on peut faire le choix qui s’exprime dans ce projet de loi. Telle est la position du Gouvernement, telle est la position de la droite de cet hémicycle, qui va encore plus loin, mais c’est vous tous, mes chers collègues, que je veux interpeller : face à ce danger, être plus ferme, est-ce le rempart ?
Pour nous protéger, il faudrait accepter de verser dans ce flot d’explications selon lesquelles ces migrations, ces réfugiés représenteraient un danger. Cela fait vingt ans qu’on fait la même chose : presque tous les deux ans, on vote une nouvelle loi parce qu’on nous dit que, pour empêcher la montée du Front national, il faut fermer ! Or il continue de monter, et notre législation ne cesse de se durcir.
Alors, mes chers collègues, je vous interpelle tous, car nous avons une responsabilité très importante. Nous savons que nous entrons dans un moment où tout peut basculer. Or quand l’Espagne fait ce qu’elle a fait cette semaine, elle allume une bougie, elle met un rayon de soleil dans cette Europe qui peut sombrer dans la nuit !
C’est pourquoi, à l’inverse de tous les propos que j’ai pu entendre, je veux défendre cet amendement, qui vise au contraire à consacrer, en un article additionnel, les droits fondamentaux inaliénables des migrants et des réfugiés accueillis dans notre pays.
Objectivement, il est clair que cet amendement est inspiré par de bonnes intentions. Toutefois, les droits qui y sont visés existent déjà ; de surcroît, leur liste ne saurait être exhaustive.
Dès lors, en l’absence de caractère normatif du dispositif, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. Je préférerais que notre collègue le retire, puisque la présentation qu’il en a faite nous a permis de bien comprendre ses intentions. Il n’en reste pas moins que, sur le fond et d’un point de vue strictement juridique, notre avis est défavorable.
Le Gouvernement est lui aussi défavorable à votre amendement, monsieur le sénateur. En effet, comme vient de l’expliquer M. le rapporteur, si votre démarche envers les personnes visées est à l’évidence tout à fait louable, elle ne relève en revanche pas exclusivement de la politique de l’immigration et donc de ce projet de loi.
En effet, elle concerne toutes les personnes vivant en France, quelle que soit leur nationalité, y compris par conséquent les Français. Il serait donc contre-productif d’établir ainsi une liste de droits qui relèveraient d’autres domaines que du seul droit des étrangers, et qui pourraient être modifiés dans le futur. Ainsi, les dispositions portant garantie des droits en matière d’hébergement d’urgence ont leur place dans le code de l’action sociale et des familles, et non dans le CESEDA.
Le Gouvernement n’étant pas favorable à l’introduction dans un code dédié aux étrangers de dispositions législatives de caractère général concernant d’autres politiques et un public plus large que les étrangers, il émet par conséquent un avis défavorable sur cet amendement. J’estime pour ma part qu’il serait bon, monsieur le sénateur, que vous le retiriez.
C’est paradoxal : les amendements exprimant de bonnes intentions, ou des intentions humanistes, mériteraient d’être retirés !
Lors de nos débats sur l’avenir de la SNCF, j’ai pu entendre qu’il n’était pas du tout question, dans le texte en question, de remettre en cause le caractère public de cette entreprise. Néanmoins, en fin de compte, comme il y avait des doutes, ce caractère public a été inscrit dans la loi.
Nous sommes ici dans une situation identique. Il existe un socle de droits fondamentaux, inaliénables pour tous ceux qui vivent sur notre territoire, qu’ils soient étrangers ou Français. Je les ai répertoriés dans cet amendement, car il est bon de les rappeler. On peut certes débattre de cette liste, mais le respect de la dignité humaine de tout être humain qui vit sur le territoire de la République, quelle que soit sa nationalité, est essentiel. Ce socle existe aujourd’hui dans différents textes ; il n’est pas inutile, selon moi, de le ramasser à un seul endroit pour affirmer que, quelles que soient les discussions que nous aurons aux autres articles sur le reste des enjeux, ce socle demeure comme l’expression de la dignité humaine que la République reconnaît à tous ses habitants.
Cela est d’autant plus utile que, comme je l’ai rappelé dans ma présentation de l’amendement, nous ne sommes pas à un moment anodin. Or ma démarche exprime pleinement la position traditionnellement prise par la France dans le monde quand il s’agit d’enjeux aussi importants pour l’humanité.
Notre groupe partage assez volontiers le point de départ de l’exposé de notre collègue David Assouline et, notamment, sa présentation dramatique de la situation en Europe.
Nous affrontons des problèmes qu’aucun d’entre nous n’aurait imaginés : pour certains pays de notre Europe, les règles démocratiques ne sont plus une évidence. Les théories dites de la « démocratie illibérale » y fleurissent ; certains gouvernements parviennent à convaincre leurs citoyens qu’il est acceptable, en fin de compte, de réduire leurs libertés si l’on améliore leur protection.
Nous comprenons donc, mon cher collègue, le point de départ de votre raisonnement, de la même manière que nous ne pouvons pas nous satisfaire des fractures qui existent, non pas seulement entre l’Est et l’Ouest, mais aussi entre l’Europe du Sud et l’Europe du Nord.
La réponse à apporter à ces problèmes est bien politique, elle n’est pas technique : pour moi, ainsi que pour mes collègues centristes, il s’agit de maintenir l’État de droit dans notre pays. Or j’estime que le travail qui nous est présenté aujourd’hui par le Gouvernement et la commission va bien dans ce sens.
Parallèlement, il est tout aussi nécessaire de travailler à une convergence entre les pays d’Europe, parce que nous ne pouvons pas nous satisfaire de l’éclatement dramatique, que l’on constate aujourd’hui, des risques de repli sur soi et de montée des nationalismes. Nous devons relever un défi collectif : réussir le Conseil européen des 26 et 27 juin prochains.
C’est pourquoi, mon cher collègue, autant nous avons vocation à vous suivre sur les valeurs démocratiques et la protection de nos États démocratiques, autant il nous faut le faire dans le respect des préoccupations de nos concitoyens et, surtout, avec le souci de garder le contact avec les autres pays d’Europe pour parvenir à une forme de dénominateur commun. Certes, l’exercice est d’une particulière complexité, mais c’est toute la responsabilité du Gouvernement.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
M. David Assouline remplace M. Thani Mohamed Soilihi au fauteuil de la présidence.
TITRE Ier
ACCÉLÉRER LE TRAITEMENT DES DEMANDES D’ASILE ET AMÉLIORER LES CONDITIONS D’ACCUEIL
Chapitre Ier
Le séjour des bénéficiaires de la protection internationale
(Supprimé)
Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5, présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° L’article L. 313-11 est ainsi modifié :
a) Le 10° est abrogé ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« …° À l’étranger résidant habituellement en France, dont la décision fixant le pays de renvoi a fait l’objet d’une annulation ou lorsque l’autorité compétente n’a pas exécuté la mesure d’éloignement depuis deux ans à la condition que cette impossibilité ne résulte pas de l’obstruction volontaire de l’étranger. » ;
2° L’article L. 313-13 est abrogé ;
3° À la fin de la première phrase du 2° de l’article L. 313-18, les mots : « ainsi qu’à l’article L. 313-13 » sont supprimés ;
4° La section 3 est complétée par des sous-sections 5 et 6 ainsi rédigées :
« Sous-section 5
« La carte de séjour pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux membres de leur famille
« Art. L. 313 -25. – Une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour :
« 1° À l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en application de l’article L. 712-1 ;
« 2° À son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou à son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale dans les conditions prévues à l’article L. 752-1 ;
« 3° À son conjoint ou au partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande d’asile, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« 4° À ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« 5° À ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié.
« La carte délivrée en application du 1° du présent article porte la mention “bénéficiaire de la protection subsidiaire”. La carte délivrée en application des 2° à 5° porte la mention “membre de la famille d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire”.
« Le délai pour la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à compter de la décision d’octroi de la protection subsidiaire par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile est fixé par décret en Conseil d’État.
« Cette carte donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle.
« Sous-section 6
« La carte de séjour pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires du statut d’apatride et aux membres de leur famille
« Art. L. 313 -26. – Une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour :
« 1° À l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride en application du titre Ier bis du livre VIII ;
« 2° À son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou à son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale en application de l’article L. 812-5 ;
« 3° À son conjoint ou au partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande du statut d’apatride, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« 4° À ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« 5° À ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride est un mineur non marié.
« La carte délivrée en application du 1° du présent article porte la mention “bénéficiaire du statut d’apatride”. La carte délivrée en application des 2° à 5° porte la mention “membre de la famille d’un bénéficiaire du statut d’apatride”.
« Cette carte donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle. »
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
Cet amendement vise à rétablir l’article 1er du projet de loi, qui figurait dans le texte transmis au Sénat par l’Assemblée nationale, mais que notre commission des lois a supprimé.
Cet article représentait, selon notre groupe, l’un des rares points positifs de ce texte. Il créait deux nouvelles cartes de séjour pluriannuelles, d’une durée de quatre ans, au profit des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides, ainsi que de leurs familles. Ces nouveaux titres se substituaient aux cartes de séjour « vie privée et familiale » d’un an qui leur sont aujourd’hui délivrées.
Nous sommes convaincus du bien-fondé de cette mesure. Elle permet en effet, comme l’indique l’exposé des motifs du Gouvernement, d’atteindre deux objectifs louables.
En premier lieu, on sécurise le droit au séjour des bénéficiaires de la protection subsidiaire en facilitant leur intégration et leurs démarches administratives. Il est d’ailleurs intéressant de souligner à cet égard, à titre de comparaison, que treize pays européens accordent des titres de séjour de trois à cinq ans à cette catégorie de population.
En second lieu, cette mesure permettra de diminuer le nombre de recours devant la CNDA contre les décisions de l’OFPRA ; en effet, de plus en plus de protégés subsidiaires engagent une telle procédure pour obtenir le statut, plus protecteur, de réfugié.
Nous souhaitons, par ailleurs, au travers du 1° de notre amendement, améliorer le dispositif proposé par le Gouvernement en permettant aux personnes de nationalité étrangère qui sont dans l’impossibilité de quitter le territoire français de bénéficier, après deux ans, d’une carte de séjour temporaire d’un an « vie privée et familiale ».
Il s’agirait, là aussi, d’assurer une intégration digne et de faciliter les démarches administratives.
L’amendement n° 184 rectifié, présenté par M. Leconte, Mmes Meunier et de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le 10° de l’article L. 313-11 et l’article L. 313-13 sont abrogés ;
2° À la fin de la première phrase du 2° de l’article L. 313-18, les mots : « ainsi qu’à l’article L. 313-13 » sont supprimés ;
3° La section 3 est complétée par des sous-sections 5 et 6 ainsi rédigées :
« Sous-section 5
« La carte de séjour pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux membres de leur famille
« Art. L. 313 -25. – Une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour :
« 1° À l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en application de l’article L. 712-1 ;
« 2° À son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou à son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale dans les conditions prévues à l’article L. 752-1 ;
« 3° À son conjoint ou au partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande d’asile, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« 4° À ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« 5° À ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié.
« 6° À ses collatéraux au deuxième degré dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3, si l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié.
« La carte délivrée en application du 1° du présent article porte la mention “bénéficiaire de la protection subsidiaire”. La carte délivrée en application des 2° à 6° porte la mention “membre de la famille d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire”.
« La carte de séjour pluriannuelle est délivrée dans un délai d’un mois à compter de la décision d’octroi de la protection subsidiaire par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile.
« Cette carte donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle.
« Sous-section 6
« La carte de séjour pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires du statut d’apatride et aux membres de leur famille
« Art. L. 313 -26. – Une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour :
« 1° À l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride en application du titre Ier bis du livre VIII ;
« 2° À son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou à son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale en application de l’article L. 812-5 ;
« 3° À son conjoint ou au partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande du statut d’apatride, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« 4° À ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« 5° À ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride est un mineur non marié.
« 6° À ses collatéraux au second degré dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3.
« La carte délivrée en application du 1° du présent article porte la mention “bénéficiaire du statut d’apatride”. La carte délivrée en application des 2° à 6° porte la mention “membre de la famille d’un bénéficiaire du statut d’apatride”.
« La carte de séjour pluriannuelle est délivrée dans un délai d’un mois à compter de la décision d’octroi du statut d’apatride par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile
« Cette carte donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle. »
La parole est à M. Didier Marie.
Cet amendement vise, comme le précédent, à rétablir l’article 1er du projet de loi, qui a malheureusement été supprimé par la commission des lois.
Cet article prévoit la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux apatrides.
C’est l’une des rares mesures positives de ce projet de loi ; il convient donc de la conserver, d’autant que les arguments tendant à justifier sa suppression nous semblent infondés.
S’il est exact que les titres de séjour des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides ont fait l’objet d’une réforme il y a moins de trois ans, réforme que le Gouvernement n’a pas encore évaluée, il en va ainsi de l’essentiel des dispositions de ce projet de loi, sans que notre rapporteur ait pour autant décidé de supprimer sous ce prétexte chacune d’entre elles. C’est d’ailleurs l’un des arguments que nous avions avancés pour démontrer que ce projet de loi était à la fois prématuré et, surtout, inutile en l’état.
Par ailleurs, cet article 1er ne se situe pas en contradiction avec la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, mais il en prolonge la logique en donnant toute sa portée au titre pluriannuel.
C’est dans cette même logique que nous proposons le rétablissement de cet article, sous réserve de deux modifications.
D’une part, nous entendons étendre le bénéfice de la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle aux frères et sœurs des étrangers mineurs bénéficiaires de la protection subsidiaire et du statut d’apatride. Sans cette disposition, les frères et sœurs d’un étranger mineur non marié qui auraient bénéficié de la réunification familiale se trouveraient sans titre de séjour à compter de leur majorité. Il convient de régler cette difficulté.
D’autre part, nous souhaitons encadrer dans la loi le délai de délivrance de la carte de séjour pluriannuelle au bénéficiaire de la protection subsidiaire ou du statut d’apatride. En effet, la réduction des délais doit aussi se faire au bénéfice des demandeurs d’asile, a fortiori quand leur demande de protection a été approuvée.
Les amendements n° 416, 435 rectifié et 516 rectifié sont identiques.
L’amendement n° 416 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 435 rectifié est présenté par MM. Bargeton, Amiel, Cazeau, de Belenet, Dennemont, Gattolin, Haut, Karam, Lévrier, Marchand, Navarro, Patient et Rambaud, Mmes Rauscent et Schillinger, MM. Théophile, Yung, Richard, Patriat et les membres du groupe La République En Marche.
L’amendement n° 516 rectifié est présenté par M. Arnell, Mmes Costes, M. Carrère et N. Delattre, MM. Requier, Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Dantec, Gabouty, Guérini et Guillaume, Mmes Guillotin et Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville, Vall et Gold.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le 10° de l’article L. 313-11 et l’article L. 313-13 sont abrogés ;
2° À la fin de la première phrase du 2° de l’article L. 313-18, les mots : « ainsi qu’à l’article L. 313-13 » sont supprimés ;
3° La section 3 est complétée par des sous-sections 5 et 6 ainsi rédigées :
« Sous-section 5
« La carte de séjour pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux membres de leur famille
« Art. L. 313-25. – Une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour :
« 1° À l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en application de l’article L. 712-1 ;
« 2° À son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou à son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale dans les conditions prévues à l’article L. 752-1 ;
« 3° À son conjoint ou au partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande d’asile, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« 4° À ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« 5° À ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié.
« La carte délivrée en application du 1° du présent article porte la mention “bénéficiaire de la protection subsidiaire”. La carte délivrée en application des 2° à 5° porte la mention “membre de la famille d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire”.
« Le délai pour la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à compter de la décision d’octroi de la protection subsidiaire par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile est fixé par décret en Conseil d’État.
« Cette carte donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle.
« Sous-section 6
« La carte de séjour pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires du statut d’apatride et aux membres de leur famille
« Art. L. 313-26. – Une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour :
« 1° À l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride en application du titre Ier bis du livre VIII ;
« 2° À son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou à son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale en application de l’article L. 812-5 ;
« 3° À son conjoint ou au partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande du statut d’apatride, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« 4° À ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« 5° À ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride est un mineur non marié.
« La carte délivrée en application du 1° du présent article porte la mention “bénéficiaire du statut d’apatride”. La carte délivrée en application des 2° à 5° porte la mention “membre de la famille d’un bénéficiaire du statut d’apatride”.
« Cette carte donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle. »
La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 416.
Comme cela vient d’être rappelé, la commission a décidé de supprimer l’article 1er ; nous souhaitons donc le rétablir, par cet amendement, dans la rédaction du Gouvernement.
En effet, les dispositions de cet article constituent l’une des mesures phares de ce texte en matière d’amélioration de la situation des personnes qui se voient reconnaître la protection subsidiaire ou la qualité d’apatride, ainsi que des membres de leur famille. Il s’agit, comme vous le savez, d’allonger à quatre ans la durée de leurs titres de séjour. Cela représente à l’évidence une simplification et une sécurisation de leur droit au séjour.
La parole est à M. Julien Bargeton, pour présenter l’amendement n° 435 rectifié.
Accorder aux personnes qui bénéficient de la protection subsidiaire ou qui sont apatrides des titres de séjour de quatre ans plutôt que d’un an constitue pour elles un meilleur facteur d’intégration : en effet, une durée plus longue leur donne une meilleure chance de s’intégrer.
Par ailleurs, on nous reprochera peut-être qu’une telle mesure puisse susciter un appel d’air. Je n’y crois pas. En effet, ces deux statuts répondent à des critères extrêmement précis. En particulier, la protection subsidiaire relève de la convention de Genève : il faut, pour en bénéficier, être pourchassé, risquer la torture ou la peine de mort. Son attribution se fait toujours à l’issue d’un examen au cas par cas.
En outre, la situation qui donne lieu à l’octroi de cette protection ne change généralement pas en un an, elle a plutôt tendance à durer. Cela justifie une protection de quatre ans, qui me semble plus cohérente avec la durée des menaces qui peuvent peser sur ces personnes.
Enfin, il faut souligner – cela n’a pas été assez dit – qu’un tel système sera également beaucoup plus simple pour les services administratifs et les préfectures. En effet, il permettra à l’évidence de traiter des dossiers plus rapidement et d’éviter leur réexamen annuel, tout en évitant les reconductions automatiques.
Pour toutes ces raisons, je pense qu’il est raisonnable de revenir, pour ces titres de séjour, à une durée de quatre ans plutôt que d’un an comme le préconise la commission.
La parole est à Mme Maryse Carrère, pour présenter l’amendement n° 516 rectifié.
Je veux seulement souligner que l’article que nous souhaitons rétablir par cet amendement est l’une des rares dispositions de ce texte qui renforce effectivement l’accueil de certains demandeurs d’asile, à savoir ceux dont la demande a été admise au titre de la protection subsidiaire.
En effet, le droit en vigueur introduit une différenciation de traitement non justifiée entre réfugiés et personnes admises à la protection subsidiaire : les premiers obtiennent une carte de séjour pluriannuelle, tandis que les seconds doivent se contenter de cartes annuelles. Cela place les personnes protégées subsidiairement dans une situation d’insécurité juridique importante. Malgré les efforts considérables réalisés par l’OFPRA pour réduire les délais d’examen, il arrive que la durée de protection accordée soit inférieure à la durée totale de la procédure de demande de protection.
Mes chers collègues, je souhaite également vous convaincre de la pertinence de cette mesure du point de vue de la régulation de l’activité contentieuse.
En effet, le maintien de deux régimes administratifs distincts pose un réel problème. L’espacement dans le temps des demandes de renouvellement de la protection subsidiaire est également une évolution de nature à désengorger l’OFPRA et la CNDA.
En conclusion, il n’est pas cohérent, selon moi, de chercher à réduire l’engorgement des services chargés de l’examen des demandes d’asile tout en se refusant à accorder des cartes de séjour pluriannuelles à des personnes qui ont effectivement besoin d’une protection.
L’amendement n° 172 rectifié, présenté par M. Yung et Mme Schillinger, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le 10° de l’article L. 313-11 et l’article L. 313-13 sont abrogés ;
2° À la fin de la première phrase du 2° de l’article L. 313-18, les mots : « ainsi qu’à l’article L. 313-13 » sont supprimés ;
II. – L’article L. 314-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
a) Le 9° est ainsi rédigé :
« 9° À l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride en application du titre Ier bis du livre VIII ainsi qu’à :
« a) Son conjoint, son partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale en application de l’article L. 812-5 ;
« b) Son conjoint ou son partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande du statut d’apatride, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« c) Ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« d) Ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride est un mineur non marié ; »
b) Après le 11°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° À l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en application de l’article L. 712-1 ainsi qu’à :
« a) Son conjoint, son partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale dans les conditions prévues à l’article L. 752-1 ;
« b) Son conjoint ou son partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande d’asile, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« c) Ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« d) Ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié.
« La carte de résident est délivrée dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision d’octroi de la protection subsidiaire par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile. »
La parole est à M. Richard Yung.
L’amendement n° 172 rectifié est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements restant en discussion ?
Ces amendements ont tous pour objet les titres de séjour des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides. Ils visent à revenir au texte adopté par l’Assemblée nationale, à trois exceptions près.
Tout d’abord, l’amendement n° 5, défendu par M. Savoldelli, tend à régulariser des étrangers ayant fait l’objet d’une mesure d’éloignement qui n’aurait pas été exécutée après deux ans. Chacun comprend bien que, au vu du nombre limité d’éloignements, l’adoption de cet amendement permettrait de nombreuses régularisations.
L’amendement n° 172 rectifié vient d’être retiré ; je n’en parlerai donc pas.
L’amendement n° 184 rectifié présenté par M. Marie vise quant à lui à assurer la délivrance de ces cartes de séjour dans un délai d’un mois, par cohérence avec le dispositif que la commission a adopté pour les réfugiés.
Sur les autres amendements, je tiens à rappeler que le Gouvernement propose d’octroyer une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans aux apatrides et aux bénéficiaires de la protection subsidiaire dès leur première admission au séjour. Ils bénéficieraient ensuite, au terme de ces quatre ans, d’une carte de résident.
Sur ce point, la commission a préféré en rester au droit en vigueur. Le bénéficiaire de la protection subsidiaire recevrait, par exemple, une carte de séjour d’un an, puis une carte pluriannuelle de deux ans. La position de la commission se fonde sur quatre arguments.
Premièrement, les titres de séjour des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides ont fait l’objet d’une réforme il y a moins de trois ans, et nous ne disposons à ce jour d’aucune évaluation de cette réforme.
Deuxièmement, le droit en vigueur est conforme à l’article 24 de la directive Qualification.
Troisièmement, l’article 16 de cette directive prévoit que la protection subsidiaire n’est pas permanente : elle est conditionnée à l’évolution de la situation personnelle des bénéficiaires et, plus largement, des conflits ayant justifié leur protection. En cas de risque permanent, ce n’est pas le statut de protection subsidiaire, mais celui de réfugié, qui doit primer.
Enfin, le dispositif proposé par le Gouvernement est moins protecteur pour les apatrides. Ces derniers bénéficieraient d’une carte de résident après quatre ans de présence en France, contre trois ans aujourd’hui. La France protège environ 1 500 apatrides, qui sont souvent – il faut bien le dire – les oubliés des politiques publiques. La commission a d’ailleurs facilité leur accès au service civique.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
Bien évidemment, je demande le retrait des amendements n° 5 et 184 rectifié, puisque nous préférons l’amendement du Gouvernement.
Quant aux amendements n° 435 rectifié et 516 rectifié, ils sont identiques à celui du Gouvernement et nous leur sommes donc favorables.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote sur l’amendement n° 184 rectifié.
Nous maintenons notre amendement. En effet, nous jugeons son dispositif plus complet que celui du Gouvernement : nous souhaitons notamment que ces cartes de séjour soient délivrées dans un délai d’un mois.
Quant aux arguments de M. le rapporteur, il est évident que sa position conduira en fin de compte à fragiliser les bénéficiaires de ces statuts. Nous considérons pour notre part que leur allouer une protection pour quatre ans contribuera à leur intégration et leur permettra de mener une vie familiale bien meilleure que si on leur octroie un temps plus réduit.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
Je mets aux voix les amendements identiques n° 416, 435 rectifié et 516 rectifié.
Les amendements ne sont pas adoptés.
L’amendement n° 185 rectifié ter, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 10° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par une phrase ainsi rédigée : « La carte de séjour est délivrée dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision reconnaissant le statut d’apatride par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile. »
La parole est à M. Didier Marie.
Par cet amendement de repli, nous entendons répondre au maintien de la suppression de l’article 1er.
Cet amendement vise à permettre la délivrance de la carte de séjour dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision reconnaissant le statut d’apatride. L’amendement n° 187 rectifié bis a le même objet, mais pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire.
Ces amendements visent donc tous deux à encadrer dans la loi le délai de délivrance de la carte de séjour temporaire.
Il est défavorable. En effet, outre le fait que l’encadrement souhaité par les auteurs de cet amendement relève du domaine réglementaire, son adoption conduirait à introduire un délai dérogatoire au droit commun pour la délivrance des titres de séjour aux apatrides.
Dans l’état actuel du droit, une décision implicite de rejet naît après un délai de quatre mois à compter de l’introduction d’une demande de titre de séjour, quel qu’il soit ; le dispositif proposé dérogerait donc à ce principe.
Au-delà, un tel dispositif présente un intérêt limité, puisque la personne concernée reçoit un récépissé, qui est remis dans l’attente de la délivrance de la carte de séjour et qui permet aux apatrides d’accéder aux mêmes droits que lorsqu’ils sont titulaires de cette carte.
Cet amendement est donc inutile, d’autant que la disposition prévue est d’ordre réglementaire.
L ’ amendement est adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er.
L’amendement n° 187 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mmes Meunier et de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 1° de l’article L. 313-13 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par une phrase ainsi rédigée : « La carte de séjour est délivrée dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision accordant le bénéfice de la protection subsidiaire par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile. »
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
Dans la mesure où l’article 1er est supprimé, cet amendement vise à encadrer dans la loi le délai de délivrance de la carte de séjour temporaire pour le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En effet, la réduction des délais doit aussi se faire au bénéfice des demandeurs d’asile, a fortiori quand leur demande de protection a été approuvée.
On m’oppose que cela relève du domaine réglementaire. Puisque de nombreux délais ont été prévus dans ce texte, on peut aussi en ajouter un peu au bénéfice des protégés.
M. Leconte étend cette disposition au bénéfice de la protection subsidiaire, ce que nous avons évidemment fait en commission, en fixant le délai d’un mois sur décision de l’OFPRA.
Par conséquent, la commission émet un avis favorable sur cet amendement.
Marques d ’ approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L ’ amendement est adopté.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er.
L’article L. 314-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le 8° est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La condition de régularité du séjour mentionnée au premier alinéa du présent article n’est pas applicable aux cas prévus aux b et d ; »
2° et 3°
Supprimés
4°
« La carte de résident est délivrée dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision de reconnaissance de la qualité de réfugié par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile. »
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le début de l’après-midi, nous discutons d’un projet de loi dont le titre sonne comme une incantation : « immigration maîtrisée », « droit d’asile effectif », « intégration réussie ». Pour autant, le texte proposé par le Gouvernement, adopté par l’Assemblée nationale et remanié par la majorité sénatoriale, durcit le dispositif régissant l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers. La Commission nationale consultative des droits de l’homme ne s’y est pas trompée dans son avis sur ce projet de loi, dénonçant son grand danger.
En effet, l’esprit est bien loin de la lettre, surtout lorsque ce texte porte sur les populations migratoires les plus fragiles et les plus vulnérables que sont les enfants. Les dispositions s’attachant à la privation de liberté pour ces populations sont choquantes et contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant. Les enfants enfermés ici ou là choquent nos concitoyens. Leur enfermement choque dans le monde entier.
Voilà le témoignage du reliquat d’humanité de nos sociétés, de nos civilisations rendues folles par le besoin de réguler les allées et venues des plus faibles !
Les sénatrices et sénateurs du groupe socialiste et républicain se mobiliseront contre l’enfermement des mineurs et contre d’autres dispositions, afin que les enfants continuent d’être protégés et que leurs droits deviennent effectifs.
Ainsi, à l’article 2, nous proposons que la reconnaissance du statut de réfugié accordé à un enfant mineur bénéficie également à ses frères et sœurs : ces derniers obtiendraient ainsi une carte de résident et éviteraient d’être privés du droit de séjour à leur majorité. Il s’agit d’attribuer les mêmes droits à tous les membres d’une cellule familiale et de garantir, conformément à l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, le droit au respect de la vie privée et familiale.
L’amendement n° 186 rectifié, présenté par M. Leconte, Mmes Meunier et de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après le d du 8°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …) Ses collatéraux du deuxième degré dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3, si l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié. » ;
La parole est à Mme Michelle Meunier.
Il s’agit d’étendre le bénéfice de la carte de résident aux frères et sœurs d’un étranger mineur qui a obtenu le statut de réfugié. En effet, ce projet de loi offre à un mineur isolé la possibilité d’être rejoint par ses frères ou sœurs au titre de la réunification familiale. En revanche, il ne prévoit rien pour ceux-ci à compter de leur majorité. Il s’agit donc de les rendre éligibles de plein droit à une carte de résident à leur majorité. Faute de quoi, ils se trouveraient sans titre de séjour à leurs 18 ans et seraient donc amenés à devoir quitter la France, alors qu’ils y ont été scolarisés, éduqués et insérés.
La commission émet un avis défavorable sur cet amendement. Elle a adopté deux amendements, respectivement de Mme Eustache-Brinio et de M. Karoutchi, tendant à supprimer les dispositions prévues par le Gouvernement.
Je souhaite rappeler les problèmes de fond auxquels nous sommes confrontés. Il est évident que la question est délicate sur le plan humain, nous en sommes tous d’accord. Reste que le droit en vigueur, tel qu’il existe aujourd’hui, est parfaitement conforme à la directive Qualification. Par conséquent, nous la respectons.
En outre, les frères et sœurs de celui qui est protégé ont toujours la possibilité de déposer eux-mêmes une demande d’asile auprès des autorités françaises ou de bénéficier d’un « visa asile » auprès de l’ambassade ou du consulat.
Enfin, un certain nombre de ces mesures inquiètent, dans la mesure où cela pourrait constituer, pour les réseaux, une forme d’effet d’aubaine, les mineurs devenant des objets utilisés pour favoriser l’immigration irrégulière. Nous le savons tous, même s’il n’est pas facile de le dire – c’est même très délicat. C’est pourtant la vérité.
Je suis un peu étonné de l’avis du rapporteur.
Les directives européennes ont prévu un certain nombre de dispositions, mais, si nous constatons que des frères ou sœurs d’enfants mineurs protégés perdent la possibilité de rester sur le territoire en devenant majeurs, rien ne nous empêche d’essayer de corriger la situation. Tel est bien l’objet de cet amendement.
Quelles que soient les dispositions des directives européennes, nous considérons qu’une personne qui a eu un titre de séjour avant ses 18 ans, parce qu’elle était le frère ou la sœur d’enfants protégés, doit pouvoir rester sur le territoire lorsqu’elle devient majeure.
Certes, monsieur le rapporteur, vous pouvez toujours prétendre qu’il y a des risques, mais il y a des risques sur tout !
Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, au cours des dernières années, nous avons constaté que le nombre de personnes considérées comme demandant légitimement une protection a plutôt augmenté, proportionnellement ou globalement. Cela signifie que nous rencontrons de plus en plus de difficultés non en raison de la fraude, mais de la manière d’intégrer. Comment intégrer des gens que l’on a fait venir et à qui l’on dit, le jour de leur majorité, qu’ils n’ont plus la possibilité de rester sur le territoire ?
C’est un problème qu’il faut régler et c’est ce que nous proposons de faire par cet amendement.
M. Roger Karoutchi. Je comprends bien le fond de l’amendement. Cependant, M. Leconte voudra bien reconnaître que, par moments, il nous demande de respecter les directives européennes et, quand nous le faisons, il prétend que ce n’est pas assez et que l’on peut aller nettement au-delà !
M. Jean-Yves Leconte s ’ exclame.
Il faut savoir si, oui ou non, nous essayons de définir une politique européenne en matière de droit d’asile et en matière migratoire ou si nous changeons les données, quand cela ne nous convient pas.
Interrogez les responsables départementaux ! Ils vous diront tous que, en l’espace de trois ou quatre ans, la charge liée à l’accueil des mineurs isolés – puisque ce sont les départements qui l’assument – a été multipliée par cinq ou dix selon les départements.
Je partage tout à fait les propos du rapporteur : nous savons que les filières et les passeurs utilisent aujourd’hui les mineurs… §C’est ainsi, monsieur Leconte ! J’en suis bien désolé. Luttons plus efficacement contre les passeurs et les filières, je suis d’accord avec vous. Reste que la réalité est celle-là.
Vous affirmez que l’on a davantage accordé le statut de réfugié ou le statut de protection subsidiaire que par le passé, c’est tout simplement – et c’est bien ainsi – parce que, durant les trois dernières années, les demandeurs d’asile venaient le plus souvent de zones de guerre. Il était normal que la France leur accorde le droit d’asile.
Je crois qu’en la matière – et vous le dites vous-même – nous avons accordé davantage de statuts de réfugié et de droits d’asile. C’est bien la preuve que nous ne menons pas une politique restrictive.
L ’ amendement n ’ est pas adopté.
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les amendements n° 417 et 437 sont identiques.
L’amendement n° 417 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 437 est présenté par MM. Richard, Mohamed Soilihi, Bargeton, Cazeau, de Belenet, Dennemont, Gattolin, Hassani, Haut, Karam, Lévrier, Marchand, Navarro, Patient, Patriat et Rambaud, Mmes Rauscent et Schillinger, M. Théophile et les membres du groupe La République En Marche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 4 à 6
Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :
2° Le 9° est ainsi rédigé :
« 9° À l’étranger titulaire de la carte de séjour pluriannuelle prévue à l’article L. 313-26 et justifiant de quatre années de résidence régulière en France ; »
3° Après le 11°, il est inséré un 12° ainsi rédigé :
« 12° À l’étranger titulaire de la carte de séjour pluriannuelle prévue à l’article L. 313-25 et justifiant de quatre années de résidence régulière en France. »
L’amendement n° 188 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rétablir les 2° et 3° dans la rédaction suivante :
2° Le 9° est ainsi rédigé :
« 9° À l’étranger titulaire de la carte de séjour pluriannuelle prévue à l’article L. 313-26 et justifiant de quatre années de résidence régulière en France ; »
3° Après le 11°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° À l’étranger titulaire de la carte de séjour pluriannuelle prévue à l’article L. 313-25 et justifiant de quatre années de résidence régulière en France. » ;
Madame la ministre, mes chers collègues, il s’agit de trois amendements de conséquence d’amendements visant à rétablir l’article 1er du projet de loi. Or, cet article n’ayant pas été rétabli, ces amendements n’ont donc plus d’objet. Par conséquent, il me semble plus opportun que leurs auteurs les retirent.
Madame la ministre, l’amendement n° 417 est-il maintenu ?
Non, je le retire, monsieur le président. Je suis d’accord avec votre analyse.
L’amendement n° 437 est retiré.
Monsieur Yung, l’amendement n° 188 rectifié bis est-il maintenu ?
L’amendement n° 188 rectifié bis est retiré.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote sur l’article.
Je regrette non l’intervention de M. Karoutchi sur le fond, mais le moment où elle a été prononcée. En effet, de quoi parlions-nous avec l’amendement précédent ? Pas des mineurs isolés ! Nous parlions de la manière dont resteraient ou non en situation régulière sur le territoire des frères et des sœurs de mineurs protégés, entrés en France parce qu’ils étaient mineurs, une fois leurs 18 ans passés.
Dans la mesure où vous avez fait dévier la discussion sur les mineurs isolés, nous n’avons pas voté sur le fond de l’amendement. Malheureusement, nous allons créer des situations où des personnes, après avoir pu entrer sur le territoire de manière régulière, se trouveront en situation irrégulière à leur majorité. C’est assez dommage.
L ’ article 2 est adopté.
I. – Le chapitre II du titre V du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° L’article L. 752-1 est ainsi modifié :
a)
Supprimé
b) À l’avant-dernier alinéa du II, après le mot : « demandeur », sont insérés les mots : « ou le bénéficiaire » ;
2° L’article L. 752-3 est ainsi modifié :
a)
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le certificat médical, dûment renseigné, est transmis à l’office sans délai par le médecin qui l’a rédigé. Une copie du certificat est remise en main propre aux parents ou représentants légaux. » ;
c)
II. – L’article L. 723-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la protection au titre de l’asile est sollicitée par une mineure invoquant un risque de mutilation sexuelle ou par un mineur de sexe masculin invoquant un tel risque de nature à altérer ses fonctions reproductrices, le certificat médical, dûment renseigné, est transmis à l’office sans délai par le médecin qui l’a rédigé. Une copie du certificat est remise en main propre aux parents ou représentants légaux. »
Je déplore la suppression par la commission des lois de la disposition visant à étendre la procédure de réunification familiale aux frères, sœurs, demi-frères et demi-sœurs des mineurs bénéficiant d’une protection internationale.
Nous avons bien entendu les arguments de M. Karoutchi ; ils ne convainquent pas : les enfants sont là, on ne va pas les mettre dans des cages
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
Les dispositions actuellement en vigueur sont bien sûr conformes à la directive européenne Qualification. Cependant, le droit de l’Union européenne n’interdit pas aux États membres d’adopter des dispositions nationales plus généreuses et contribuant à mieux garantir le droit de mener une vie familiale normale. Cela repose, d’une part, sur l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et, d’autre part, sur le préambule de la Constitution de 1946.
L’extension de la réunification familiale constituerait une véritable avancée et permettrait de mettre fin à la séparation des familles du fait de l’exil. C’est pourquoi je souhaite le rétablissement de ces dispositions.
L’amendement n° 452 rectifié, présenté par Mme Eustache-Brinio, M. Bazin, Mme Delmont-Koropoulis, M. Karoutchi, Mme Lanfranchi Dorgal, M. H. Leroy, Mme Puissat, M. Sol, Mme Gruny, MM. Kennel, Cardoux, Sido, Laménie et Paccaud, Mme Lassarade, M. Meurant et Mme Lamure, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Au 3° du I, le mot : « dix-neuf » est remplacé par le mot : « dix-huit » ;
La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
Un mineur devenu majeur est en mesure de déposer une demande d’attribution de la protection subsidiaire ou du statut d’apatride indépendamment de ses parents. Il s’agit donc de ne plus permettre la réunification que pour les seuls mineurs, en supprimant la phase intermédiaire entre 18 ans et 19 ans durant laquelle de jeunes majeurs peuvent encore rejoindre leurs parents.
Aujourd’hui, les bénéficiaires d’une protection internationale peuvent être rejoints par leurs enfants jusqu’à la veille de leur dix-neuvième anniversaire. Il s’agit en réalité d’une disposition assez classique en droit des étrangers, visant à laisser le temps aux mineurs de réaliser leurs démarches administratives.
Cependant, cet amendement vise à permettre cette réunification familiale uniquement pour les mineurs, c’est-à-dire à supprimer la phase intermédiaire entre 18 ans et 19 ans.
La commission a vérifié si l’acceptation de cet amendement n’aurait pas d’autres conséquences ou d’autres impacts sur d’autres pans du droit des étrangers. Il n’y en a pas. C’est la raison pour laquelle elle émet un avis favorable sur cet amendement.
L’extension de la réunification familiale aux enfants de réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire jusqu’à leurs 19 ans a été inscrite dans la législation par la loi relative à réforme de l’asile de 2015. Le Gouvernement souhaite maintenir ces dispositions protectrices, garantes de l’unité familiale et conformes à la directive Qualification.
Au-delà, le Gouvernement ne souscrit pas à l’objectif d’exclure les enfants mineurs de la réunification familiale, tandis que les majeurs pourraient y prétendre. Par conséquent, il émet un avis défavorable sur cet amendement.
L ’ amendement est adopté.
Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L’amendement n° 34 est présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 128 rectifié est présenté par M. Poadja, Mme Billon et M. Henno.
L’amendement n° 189 rectifié bis est présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 512 rectifié est présenté par MM. Richard, de Belenet, Amiel, Bargeton, Cazeau, Dennemont, Gattolin, Haut, Karam, Lévrier, Marchand, Navarro, Patient, Patriat et Rambaud, Mmes Rauscent et Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe La République En Marche.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Rétablir le a dans la rédaction suivante :
a) L’avant-dernier alinéa du I est complété par les mots : «, accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective » ;
La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour présenter l’amendement n° 34.
L’article 3 a trait à la réunification familiale. Il s’agit de l’un des seuls éléments favorables de ce projet de loi qui constituent une avancée concrète pour le droit des réfugiés.
Je rappelle que la réunification familiale, qui permet aux réfugiés et aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux apatrides de demander à être rejoints en France par les membres de leur famille, n’est pas le regroupement familial, lequel répond à d’autres logiques, puisqu’il s’applique aux étrangers ne bénéficiant pas d’une protection internationale.
Cette procédure spécifique de réunification familiale est fondée sur le principe de « l’unité de la famille », reconnu par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et par l’article 23 de la directive européenne Qualification du 13 décembre 2011.
Initialement, il s’agissait, par cet article, d’élargir le droit à la réunification familiale aux frères, sœurs, demi-frères et demi-sœurs d’un réfugié, d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire ou d’un apatride, lorsque celui-ci est un mineur non marié.
Sur l’initiative de M. Karoutchi, cette possibilité a été supprimée par la commission, avec l’accord du rapporteur.
Ainsi, vous avez considéré que cette mesure pouvait créer « un appel d’air » – je vous cite – pour des flux migratoires, jugés toujours plus importants. Vous avez également argué que les frères et sœurs ont toujours la possibilité « de déposer eux-mêmes une demande d’asile ou de bénéficier d’un visa asile ». Quelle ironie, lorsque l’on sait que l’on parle bien d’enfants mineurs, pour qui ces démarches sont peut-être un peu difficiles à mettre en œuvre !
Là où vous évoquez un appel d’air, nous voyons un geste d’humanité. Le fondement même de ce dispositif repose en effet sur les dangers pour la famille restée au pays, notamment les frères et sœurs.
Nous demandons donc le rétablissement de cette mesure qui permettra de protéger un certain nombre d’enfants.
L’amendement n° 128 rectifié n’est pas soutenu.
La parole est à M. Didier Marie, pour présenter l’amendement n° 189 rectifié bis.
Cet amendement a pour objet de rétablir la disposition qui permettra aux mineurs isolés ayant obtenu le statut de réfugié de faire venir leurs frères et sœurs en France.
Cette disposition a été supprimée par un amendement au motif que « l’extension du regroupement familial aux frères et sœurs mineurs constituerait un appel d’air pour des flux migratoires toujours plus importants », ce qui illustre à plusieurs titres la confusion entretenue sur ce sujet.
D’une part, l’article 3 ne concerne pas le regroupement familial, mais la réunification familiale, laquelle concerne les personnes bénéficiaires d’une protection internationale et leur permet d’être rejoints en France par leur conjoint ou leurs enfants mineurs. D’autre part, en 2016, la réunification familiale a concerné 4 319 personnes, ce qui chiffre l’« appel d’air » évoqué tout à l’heure par M. Karoutchi à 0, 006 % de la population française. C’est dire si cet appel d’air est faible !
La parole est à M. Julien Bargeton, pour présenter l’amendement n° 512 rectifié.
Richard Yung a dit regretter l’évolution de cet article et la suppression de la réunification familiale. Cet amendement du groupe La République En Marche la rétablit, ce qui est assez logique.
Je ne vois pas comment on peut défendre le principe de la protection, de la préservation du droit d’asile et, en même temps, refuser son extension à la famille puisqu’un mineur ne peut se construire que dans le cadre familial. C’est assez paradoxal. Cela me paraît même assez étrange.
Je partage les propos qui viennent d’être tenus : au regard de la réalité de ce phénomène, on ne peut pas du tout parler d’appel d’air. Comme cela a été rappelé, il ne faut pas confondre regroupement familial et réunification familiale, cette dernière étant bien l’objet de cet article. C’est la raison pour laquelle nous proposons un amendement visant à rétablir l’article.
La commission émet un avis défavorable sur ces amendements.
Je note que l’amendement n° 128 rectifié n’est pas soutenu. J’ai déjà donné des explications lors de l’examen de l’amendement n° 186 rectifié, à l’article 2, je n’y reviens donc pas.
Les amendements en discussion visent les flux, mais on oublie que, aujourd’hui, potentiellement 2 700 personnes qui bénéficient de la protection seraient susceptibles de bénéficier aussi des dispositions prévues par ces amendements. Il faut donc tenir compte à la fois des flux et des personnes déjà présentes.
J’entends le mot « invasion » et des tas d’autres choses.
Je voudrais redire que, dans les politiques migratoires, même si on peut comprendre la générosité des positions de certains, le risque existe de mettre des enfants entre les mains de passeurs…
Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
C’est la réalité ! Je vous invite à interroger nos services et à vous rendre sur place pour voir comment cela se passe.
Le Gouvernement partage naturellement l’objectif de rétablir les dispositions supprimées en commission, qui sont relatives à la possibilité offerte aux ascendants de mineurs protégés de rejoindre leur enfant au titre de la réunification familiale, en étant accompagnés de leurs autres enfants mineurs non mariés. Il s’agit en effet de préserver l’unité de la famille pour les quelques cas rencontrés chaque année – il n’y en a pas énormément – et l’OFPRA accorde la protection à des mineurs qui bénéficient ensuite du rapprochement familial de leurs parents.
Il ne faut pas placer des parents devant le dilemme de devoir rester avec une partie de la fratrie en France ou avec une autre au pays. Certains prétendent que cette disposition crée un appel d’air et brandissent la menace d’un afflux migratoire massif. C’est jouer sur des peurs injustifiées. En effet, cette disposition concernera peu de monde : en 2017, seuls 357 mineurs ont reçu la protection de l’OFPRA.
Ceux qui brandissent la menace d’un appel d’air mélangent volontairement aussi deux phénomènes – je n’accuse personne ici !
Mme Éliane Assassi rit.
En outre, je tiens à rappeler que la réunification familiale pour les réfugiés est une procédure absolument spécifique et très encadrée. Seules 2 380 personnes sont venues en France à ce titre en 2017. Elle ne doit pas être confondue avec l’ensemble de l’admission au séjour pour les étrangers du fait de la vie privée et familiale, ce que l’on appelle le regroupement familial, mais qui est plus large encore, et dont le chiffre s’élève à 83 478 entrées pour motif familial.
Dans ces conditions, le Gouvernement émet bien sûr un avis favorable sur ces amendements.
Monsieur le président, permettez-moi de revenir quelques instants sur la sémantique et les métaphores météorologiques convoquées : nous avons eu droit à la submersion, au raz de marée, à l’inondation, au déferlement, au tsunami et, maintenant, à l’appel d’air.
Ces images sont dérisoires, lorsque l’on considère les chiffres cités par Mme la ministre ou Didier Marie tout à l’heure.
Par ailleurs, il s’agit d’êtres humains. Il s’agit à chaque fois d’un être humain : ce n’est pas une substance compacte à caractère liquide ou gazeux !
La sémantique, c’est de la politique et le fait d’employer toujours ces mots a, bien sûr, un effet, et un effet très négatif.
De deux choses l’une : ou il y a un droit ou il n’y en a pas. Le droit s’applique à chaque être humain. Nous sommes ici pour essayer de construire le meilleur droit possible. Il faut y veiller.
De la même façon – vous connaissant, madame la ministre, je pense que vous avez eu l’occasion d’en parler avec votre ministre « de tutelle », si l’on peut dire –, le ministre de l’intérieur a expliqué devant la commission des lois que les pauvres personnes qui traversent la Méditerranée sur des rafiots qui menacent à tout moment de faire naufrage font du benchmarking…
… et étudient le régime juridique de l’immigration dans un certain nombre de pays d’Europe de manière à trouver le meilleur.
Cher Roger Karoutchi, vous voyez bien que tout cela ne tient pas !
Ma chère collègue, vous avez bien raison de parler des passeurs. Ce qui est absolument indispensable, c’est que l’Europe, dans sa totalité, se dote d’organismes beaucoup plus puissants et de moyens beaucoup plus adaptés, de manière à mettre fin au trafic des passeurs.
On peut le faire, mais FRONTEX a des moyens insuffisants. Il faut le faire aux rives de la Libye, de la Tunisie, aux îles Kerkennah, etc. C’est beaucoup plus utile que de déblatérer sur les êtres humains en termes de météorologie !
Monsieur Sueur, dans un débat, il faut respecter ce que les autres disent et ne pas travestir leurs propos.
Pour ma part, je n’ai jamais utilisé les termes de submersion, de raz de marée ou de je ne sais quoi. Je suis bien conscient que l’on parle d’êtres humains.
Reste qu’il y a le droit, il y a la loi et il y a la politique qui est souhaitée par les États.
Pour ma part, comme vous sans doute, je suis allé voir des campements de migrants dans Paris. Eh bien, j’aimerais bien savoir en quoi ils sont traités comme des êtres humains dans ces lieux ! En la matière, les choses doivent être dites ; c’est ce que le rapporteur a fait.
Selon vous, il suffit que l’Europe se décide à lutter contre les passeurs.
M. Roger Karoutchi. C’est ce que tout le monde attend depuis des années. Pour le moment, quelques renforcements de FRONTEX ont été prévus, mais cela reste relativement limité.
Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Laissez-moi vous donner un chiffre, histoire que chacun comprenne un peu de quoi l’on parle. Savez-vous que les passeurs libyens, ceux qui organisent l’envoi des bateaux, ont un revenu supérieur au revenu pétrolier de la Libye ?
Je sais bien que le revenu pétrolier de la Libye a diminué, la production étant en baisse, mais le fait est que les types gagnent un pognon fou avec ce trafic. Il faut reconnaître ce problème et lutter d’abord contre les passeurs.
Nous nous félicitions, monsieur Karoutchi, que les mots que l’on a très souvent entendus à propos du présent projet de loi dans les commentaires politiques – tsunami, raz de marée, et j’en passe – et qui ont été beaucoup employés par la famille politique dont vous venez de parler, et par d’autres, n’aient pas été prononcés dans cet hémicycle depuis le début de notre débat.
Peut-être le drame de l’Aquarius est-il d’ailleurs pour quelque chose dans le climat un peu apaisé dans lequel se déroulent nos travaux, mais cela ne change rien sur le fond aux dispositions figurant dans le projet de loi que nous examinons ce soir.
Pour terminer, la seule manière de lutter efficacement contre les passeurs serait de réorienter notre action et de créer des voies légales de passage pour les migrants. De l’ONU aux ONG, tous ceux qui, dans le monde, travaillent sur ces questions expliquent que, en l’absence de voies légales et sécurisées de migration, s’il n’existe que des dispositifs répressifs, des murs ou autres, les passeurs font florès.
Je le répète : pour lutter contre le trafic des passeurs, il faut des voies de migration légales et sécurisées internationalement.
Je ne reviendrai pas sur les arguments qui ont été avancés.
Monsieur Karoutchi, vous n’avez jamais utilisé ces termes dans l’hémicycle, mais l’amendement dont nous discutons vise à rétablir une disposition qui a été supprimée à la suite de l’adoption d’un amendement que vous avez déposé et que vous justifiez ainsi dans son objet : « Ce dispositif va entraîner une explosion de l’immigration, jetant sur les routes de la mort de nombreux mineurs non accompagnés qui, une fois en France, pourront faire venir légalement non seulement leurs parents, mais également toute leur fratrie. »
Au lieu de déplorer la présence de mineurs non accompagnés en France et de propager des fake news de cette nature, …
… d’adopter cet amendement, qui vise à permettre que ces mineurs, lorsqu’ils sont protégés, soient accompagnés, ce qui serait une bonne chose.
Notre débat est tout à fait passionnant, mais je tiens à signaler que la France a jusqu’à ce jour rempli ses engagements internationaux en matière d’asile sans avoir eu à recourir à la nouvelle procédure introduite par l’Assemblée nationale. La raison en est très simple, c’est que l’on peut supposer que les motifs pour lesquels un mineur étranger a obtenu l’asile valent aussi pour ses frères et sœurs. Il n’y a donc pas de raison de les dispenser de la procédure de reconnaissance de leur qualité de réfugié, d’autant moins qu’on peut supposer qu’ils obtiendront satisfaction. Pourquoi est-ce que ce qui nous permettait jusqu’alors d’honorer intégralement notre devoir deviendrait aujourd’hui insuffisant ?
À vrai dire, je pense que la mesure qui a été introduite par l’Assemblée nationale, et que personne ne réclamait, ne présente aucune espèce d’utilité dès lors que ces mineurs étrangers seront reconnus comme réfugiés sans aucun problème.
Je mets aux voix les amendements identiques n° 34, 189 rectifié bis et 512 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
Le scrutin a lieu.
Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
Il est procédé au dépouillement du scrutin.
Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 133 :
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, je vous propose maintenant de suspendre la séance, sauf si vous vous engagez à procéder à l’examen des trois amendements suivants en discussion commune en cinq minutes, afin que nous puissions suspendre nos travaux à vingt heures.
Vives protestations sur diverses travées.
On continue !
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les amendements n° 58 rectifié et 84 sont identiques.
L’amendement n° 58 rectifié bis est présenté par M. Karoutchi, Mme Canayer, MM. Poniatowski et Cambon, Mme Lavarde, M. Kennel, Mme Garriaud-Maylam, M. Mayet, Mme Procaccia, MM. Bizet, Brisson et Duplomb, Mmes Deroche et Micouleau, M. Daubresse, Mme Berthet, MM. Courtial, Morisset et Savary, Mme Dumas, MM. Revet, Longuet, Danesi et Ginesta, Mme Thomas, M. Schmitz, Mme Lanfranchi Dorgal, MM. Genest, Joyandet, Piednoir, Charon et Dallier, Mme Deseyne, M. B. Fournier, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonhomme et Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, M. J.M. Boyer, Mmes Chain-Larché et Delmont-Koropoulis, MM. P. Dominati, Gilles, Gremillet, Mandelli, Milon, Pierre, Sido, Vogel et Cardoux et Mme Lamure.
L’amendement n° 84 est présenté par M. Malhuret et les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…) Le dernier alinéa du I est ainsi rédigé :
« L’âge de l’enfant demandeur d’asile ou rejoignant le demandeur d’asile est apprécié à la date à laquelle le demandeur d’asile au titre de la réunification familiale obtient une réponse de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. » ;
La parole est à M. Roger Karoutchi, pour présenter l’amendement n° 58 rectifié bis.
Cet amendement vise à prévoir que l’âge de l’enfant demandeur d’asile est apprécié en prenant en compte la date à laquelle l’OFPRA donne sa réponse et non celle à laquelle l’intéressé fait sa demande.
Je précise que cette demande émane de l’OFPRA, qui souhaite ainsi résoudre des problèmes techniques.
L’amendement n° 190 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Au dernier alinéa du I, les mots : « de réunification familiale » sont remplacés par les mots : « d’asile » ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.
Ceux d’entre vous qui ont eu des enfants ne les ont pas mis à la porte du jour au lendemain lorsqu’ils ont atteint leurs 18 ans ! Vous savez qu’ils ont besoin d’accompagnement. Vous savez aussi que l’âge des mineurs est très difficile à apprécier.
Alors, oui, théoriquement, les jeunes majeurs sont autonomes, mais en réalité, ce n’est pas vraiment le cas. Ils ont besoin d’accompagnement. D’ailleurs, on le voit, nombre de personnes en difficulté et de SDF sont passées par l’aide sociale à l’enfance.
Il est donc important que l’âge des demandeurs ayant tout juste atteint 18 ans soit apprécié au moment où la demande d’asile est déposée, non au moment où l’OFPRA donne sa réponse. Le critère de majorité et de minorité est ainsi conservé, mais on ne fait pas dépendre la réunification familiale du délai d’étude du dossier.
Aujourd’hui, l’âge des enfants de réfugiés admis à la réunification familiale est apprécié à la date de la demande de réunification.
Deux propositions contraires nous sont soumises.
Les amendements n° 58 rectifié bis de M. Karoutchi et 84 de M. Wattebled visent à apprécier l’âge de l’enfant plusieurs mois après, au moment de l’autorisation de la réunification familiale.
À l’inverse, l’amendement n° 190 rectifié bis de M. Leconte tend à apprécier l’âge de l’enfant plusieurs mois avant, au moment de la demande d’asile, ce qui conduirait d’ailleurs à admettre à la réunification familiale les enfants devenus majeurs.
En conséquence, la commission des lois a émis un avis favorable sur les amendements identiques n° 58 rectifié bis et 84 et un avis défavorable sur l’amendement n° 190 rectifié bis.
Les amendements sont adoptés.
En conséquence, l’amendement n° 190 rectifié bis n’a plus d’objet.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-et-une heures trente, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.