Intervention de Éliane Assassi

Réunion du 19 juin 2018 à 14h30
Immigration droit d'asile et intégration — Exception d'irrecevabilité

Photo de Éliane AssassiÉliane Assassi :

Faut-il rappeler ces mots de Voltaire dans son Traité de la tolérance ? « Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! »

Le droit d’asile est désormais consacré par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, forgée par la Résistance : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. »

C’est en se fondant sur ce texte que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 1993, a qualifié le droit d’asile d’« exigence constitutionnelle ». Peu après cette décision, la révision constitutionnelle du 25 novembre 1993, nécessaire à la pleine application par la France de la convention de Schengen, a inscrit dans la Constitution un article 53-1 aux termes duquel « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. »

Loin des faux bons sentiments, la logique de pénalisation et de sanction des demandeurs d’asile que développe ce projet de loi enfreint cette tradition d’asile du droit français.

Il est porté atteinte au droit d’asile dans la phase administrative de la demande comme dans sa phase contentieuse.

Premièrement, le texte, en son article 5, entrave le dépôt de la demande d’asile dans un délai raisonnable et ne permet pas la bonne information des demandeurs d’asile quant au sort qui leur est réservé.

Deuxièmement, l’article 6 porte gravement atteinte au droit au recours effectif des demandeurs d’asile en réduisant le délai pour exercer un recours devant la CNDA, le Gouvernement souhaitant rétablir par voie d’amendement la réduction, supprimée par la commission des lois, de ce délai à quinze jours. Cette réduction excessive des délais conduit à une justice expéditive.

Pourtant, le 2 février 2012, la Cour européenne des droits de l’homme rendait un arrêt de condamnation à l’encontre de la France, considérant que la procédure prioritaire alors prévue pour l’examen de certaines demandes d’asile n’était pas conforme au droit au recours effectif tel que garanti par l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Troisièmement, l’article 8 du présent projet de loi met fin au caractère suspensif de certains recours devant la CNDA. Celui-ci était pourtant consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 : « Considérant que le respect du droit d’asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d’une manière générale que l’étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande. »

Quatrièmement, il sera possible d’imposer au demandeur d’asile tout au long de la procédure une langue qui n’est pas la sienne, sans que soient respectés ni les garanties procédurales européennes ni le droit de tout justiciable à être entendu dans une langue maîtrisée.

Cinquièmement, en plus d’entraver davantage la procédure d’examen de la demande avec la fin de la notification des convocations et décisions par lettre recommandée, le texte prévoyant que cette notification puisse se faire « par tout moyen », le Gouvernement ne respecte pas le principe de confidentialité que le Conseil constitutionnel a érigé au rang de « garantie essentielle du droit d’asile », principe de valeur constitutionnelle.

Sixièmement, le projet de loi supprime le caractère facultatif de la visioconférence en l’imposant aux justiciables. Une telle généralisation est encore une fois parfaitement contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Saisis notamment de la question du recours à la visioconférence pour les audiences de prolongation de rétention administrative, les sages ont jugé, dans une décision du 20 novembre 2003, qu’un tel recours était conforme à la Constitution à la condition qu’il soit subordonné au consentement de l’étranger. Or c’est exactement ce que le texte supprime.

Toutes ces dispositions anticonstitutionnelles illustrent la dangerosité d’un tel texte pour notre démocratie, d’autant plus qu’elles sont contraires aux normes supranationales, qu’il s’agisse de la convention de Genève ou de la convention internationale des droits de l’enfant.

En effet, sur ce dernier point, conformément aux obligations de la France relatives à l’intérêt supérieur des mineurs rappelées à plusieurs reprises par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, la Cour européenne des droits de l’homme, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le Comité consultatif national d’éthique et l’Académie nationale de médecine, ce projet de loi aurait dû supprimer toute possibilité de maintenir des mineurs en zone d’attente ou en centre de rétention administrative quelle que soit leur nationalité, afin qu’ils soient admis dignement sur notre territoire et mis sous la protection de l’aide sociale à l’enfance.

Je l’affirme avec force : un mineur, même étranger, n’est pas un migrant. C’est un enfant, et ce jusqu’à l’âge de sa majorité. Nous lui devons donc aide et protection, et le Sénat s’honorerait en supprimant l’article 15 quater relatif à la durée de placement en rétention pour cinq jours des familles, car qui dit famille dit enfants.

Les mesures d’enfermement pour les majeurs posent également question, comme la facilitation de la rétention administrative, notamment des « dublinés » qui n’ont commis aucun délit, alors même que la France a déjà été condamnée à six reprises par la Cour européenne des droits de l’homme à cause de ses conditions de rétention.

Autre atteinte excessive aux droits fondamentaux des demandeurs d’asile, le droit inconditionnel à l’accueil et au maintien en hébergement d’urgence de toutes les personnes au regard du seul critère de la détresse, auquel contrevient l’article 9 du présent projet de loi qui légalise la circulaire Collomb de décembre 2017 tant décriée.

Hélas, la liste des principes fondamentaux remis en cause par ce projet de loi est encore longue – nous y reviendrons au cours du débat. Nous ne nous faisons pas d’illusions, mes chers collègues, quant au sort qui sera réservé à la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Elle sera rejetée, mais nous souhaitions attirer votre attention et celle du Conseil constitutionnel sur ces points.

Nous participerons au débat, en insistant notamment sur le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité qui ne saurait tolérer la moindre distinction entre ressortissants nationaux et ressortissants étrangers s’agissant de la garantie des droits fondamentaux attachés à la personne.

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