Intervention de Jean-François Rapin

Réunion du 19 juin 2018 à 14h30
Immigration droit d'asile et intégration — Exception d'irrecevabilité

Photo de Jean-François RapinJean-François Rapin :

La commission des lois du Sénat, après un examen minutieux du texte, propose un projet de loi amélioré, détaillé et argumenté qui, en tout état de cause, respecte le droit d’asile auquel nous sommes foncièrement attachés.

En effet, le rapporteur a trouvé un juste équilibre entre l’amélioration du traitement des demandes d’asile et les conditions réalistes du droit de recours devant la Cour nationale du droit d’asile, dont l’activité ne cesse de croître ces dernières années.

Le Gouvernement – je souhaite le rappeler – a voulu réduire le délai de recours des demandeurs d’asile de trente à quinze jours. Notre rapporteur a décidé de supprimer cette diminution drastique jugée attentatoire aux droits des demandeurs d’asile, et qui plus est inefficace pour lutter contre l’immigration irrégulière. La réduction à quinze jours semble d’autant plus inenvisageable que l’organisation actuelle de la Cour nationale du droit d’asile n’est pas optimale et mérite d’évoluer.

Je souhaite également attirer votre attention sur un point particulier des apports de la commission qui me tient à cœur, celui des mineurs isolés. Je tiens à féliciter la commission pour sa prise de position sur ce sujet. L’interdiction de placement en rétention des mineurs isolés est une avancée majeure, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté l’avait d’ailleurs appelée de ses vœux.

L’encadrement du placement en rétention des mineurs accompagnant leurs familles, réduit à cinq jours alors que, aujourd’hui, ces familles peuvent être placées en rétention jusqu’à trente jours, est également une avancée majeure en termes d’humanité.

Ces décisions courageuses étaient nécessaires pour protéger les plus vulnérables, et je tiens à en féliciter notre rapporteur.

Pour ces différents motifs, mon groupe ne considère pas que ce texte soulève des difficultés constitutionnelles, et votera donc contre la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Plus largement, je veux revenir sur les nombreux débats qui ont eu lieu autour de ce texte, et plus généralement, concernant la réforme de notre politique migratoire. Les termes « dignité » et « respect des droits fondamentaux » sont souvent évoqués.

Pourtant, n’est-ce pas dans le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes que nous souhaitons mieux maîtriser les flux migratoires, afin de mieux intégrer ces femmes et ces hommes qui fuient leur pays ?

N’est-ce pas dans cette même optique que nous avons soutenu l’État lors du démantèlement de la lande de Calais qui a permis, je le rappelle, de mettre à l’abri des milliers de personnes dans des centres d’hébergement offrant des conditions d’accueil dignes ?

N’est-ce pas dans cette même optique encore que la petite commune de Merlimont – dont j’ai été maire –, située à quatre-vingts kilomètres de Calais, a accueilli à deux reprises, comme d’autres collectivités du territoire, des mineurs qui ont été extraits des camps de fortune où les conditions de vie étaient inacceptables ?

Je me suis rendu plusieurs fois sur le terrain, tout comme certains collègues ici présents – je salue d’ailleurs le travail de François-Noël Buffet, avec qui je suis allé à Calais et à Grande-Synthe. Ces visites nous ont permis de mieux appréhender la problématique migratoire sur le territoire : la situation humanitaire, la présence et le mode de fonctionnement des associations, les actions des activistes, tout comme l’organisation des passeurs.

Lors de ces déplacements, j’ai pu échanger avec les élus des communes concernées, souvent désemparés devant l’ampleur de la crise, avec les riverains, partagés entre incompréhension, sollicitude et résignation parfois, avec les services de l’État présents pour conseiller les migrants, avec les associations qui leur viennent en aide, avec les forces de l’ordre qui font un travail remarquable sur le terrain.

À chaque fois, j’en suis ressorti différent, bien évidemment marqué par la situation humanitaire et la détresse dans laquelle se trouvent ces personnes qui ont quitté leur pays, pour certaines leur famille, leurs attaches, la plupart pour rejoindre l’Angleterre à tout prix, parfois même au péril de leur vie.

Comment, madame Assassi, ne pas être bouleversé quand vous voyez ces femmes, ces hommes, pis, ces enfants attendre un passage inespéré vers l’Angleterre, ce pays dont on leur a tant vanté les mérites ?

En ce sens, la loi en vigueur sur laquelle nous, parlementaires, ne cessons de travailler pour la faire évoluer ne répond pas à la réalité actuelle du terrain. Le projet de loi présenté par le Gouvernement et le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale n’y répondent pas complètement non plus.

Notre pays doit avoir le courage de fixer clairement une politique migratoire crédible et cohérente, afin de mieux accueillir et de mieux intégrer les demandeurs d’asile, le tout, monsieur le rapporteur, madame la ministre, dans un cadre européen clarifié, apaisé et solidaire.

Je rejoins donc mes collègues de la commission des lois qui ont effectué un travail important en proposant un contre-projet fourni et argumenté. Le projet de loi proposé par le Gouvernement et voté par l’Assemblée nationale ne permet pas toutes les avancées dont notre pays a tant besoin, alors qu’un tel texte doit permettre à la France d’assumer une politique migratoire ambitieuse.

À ce titre, la commission des lois a adopté plusieurs mesures primordiales que je ne citerai pas en totalité – mes collègues les ont déjà développées pour la plupart, ou les développeront au cours du débat. Je pense, bien évidemment, à l’organisation au Parlement d’un débat annuel sur la gestion des flux migratoires, à la transformation de l’aide médicale de l’État en aide médicale d’urgence centrée sur les maladies graves, la grossesse, ainsi bien sûr que la médecine préventive.

Je pense aussi aux collectivités territoriales. Les élus locaux directement concernés me disent souvent se sentir démunis face à cette crise migratoire. Leur voix n’est malheureusement que trop peu entendue, alors que leur place dans les réflexions à mener est tout à fait légitime.

Les sanctions à l’encontre de ceux qui enfreignent nos règles doivent être renforcées, et les mesures d’éloignement envers les déboutés doivent être plus efficaces. En ce sens, toute décision définitive de rejet d’une demande d’asile doit valoir obligation de quitter le territoire français.

Je salue également la décision de réduire le nombre de visas accordés aux pays les moins coopératifs pour délivrer les laissez-passer consulaires indispensables à l’éloignement des personnes en situation irrégulière.

En tant que sénateur du Pas-de-Calais, je souhaite également revenir sur la situation particulière de mon département, point de chute de centaines, voire de milliers – il en fut – de personnes fuyant leur pays.

Depuis le démantèlement de la lande, la situation calaisienne a certes évolué. La preuve en est qu’il y a quelques jours a été inauguré le site naturel des Deux Mers en lieu et place de l’ancienne lande. Cette renaturation montre qu’une page s’est tournée sur ce site, qui a malheureusement attiré les yeux du monde entier.

Toutefois, ne nous leurrons pas, la problématique migratoire n’a pas totalement disparu pour autant : en témoignent la mobilisation des forces de l’ordre sur le terrain et les incidents récurrents.

J’ai, par exemple, été interpellé par les transporteurs routiers de marchandises qui effectuent du transport transmanche. Ces professionnels subissent toujours les conséquences de la présence migratoire à Calais. Les intrusions sur les sites des entreprises et la dégradation des matériels ou des marchandises transportées n’ont absolument pas cessé.

Cette situation crée un réel sentiment d’insécurité chez les chauffeurs routiers.

De plus, elle entraîne des coûts financiers importants pour les entreprises qui voient leur matériel ou leurs marchandises dégradés, sans compter les amendes infligées en cas de découverte d’un ou plusieurs migrants dans un camion contrôlé en France par les forces de l’ordre britanniques.

Enfin, les conséquences financières et économiques sur ce territoire continuent à se faire ressentir. L’État affirme œuvrer afin qu’aucun point de fixation ne se crée. Toutefois, je m’interroge, madame la ministre, sur la vision à long terme du Gouvernement pour le Calaisis.

Comme je l’ai affirmé il y a plus d’un an, si nous ne pouvons fermer la porte aux personnes demandant légitimement l’asile, il me semble primordial de redéfinir notre politique migratoire dans un cadre européen propice pour que cette zone géographique, territoire stratégique et économique, ne devienne pas le mur de la Manche après avoir porté une grande partie du mur de l’Atlantique.

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