Je me réjouis, mes chers collègues, que son texte nous ait tous marqués. Elle a évoqué ces boat people que nous avons accueillis généreusement, sans compter, parce qu’il fallait le faire, et tant d’autres tragédies de l’histoire où la loi essentielle et première est celle de l’humanité.
Je songe à ce dessin de Plantu dans Le Monde où l’on voit un bateau au milieu de la Méditerranée et, sur ce bateau, un fonctionnaire qui fait son travail : les affamés, leur dit-il, levez le doigt ! De manière qu’on puisse distinguer ceux qui crèvent de faim et ceux qui ont la légitimité pour être accueillis… Je comprends ce discours, mes chers collègues, mais je perçois ce qu’il a de tragique.
La réalité, c’est que la mer Méditerranée, où est née la civilisation, est devenue un cimetière à ciel ouvert. Voilà, mes chers collègues, ce qui devrait nous mobiliser en priorité absolue ! Or, de cela, pas un mot dans le projet de loi…
Michel Rocard a dit qu’on ne pouvait accueillir toute la misère du monde, et il a eu raison ; il a dit, en plus, qu’il fallait que la France en prenne toute sa part, et il a eu raison aussi.
Madame la ministre, vous devriez retirer ce texte. Parce que ce qui nous a marqués ces derniers temps, ce sont l’odyssée de l’Aquarius, déjà citée, et ces deux jours de triste silence de la France, avant de tardifs efforts diplomatiques. Fallait-il tout ce temps pour comprendre que la Corse est plus proche de la Sardaigne que de l’Espagne ? Ce qui s’est passé là nous a marqués, tous.
Je ne vous apprendrai pas que la seule utilité de ce texte est, une fois encore, de tenter de rassurer ce qu’on appelle l’opinion contre l’ancestrale peur de l’étranger.
Madame la ministre, vous devriez retirer ce texte aussi parce qu’il ne consacre pas une seule phrase à la question européenne – pas même un mot, comme M. le rapporteur l’a expliqué. Il nous faut pourtant mener un combat commun, un combat de la France, contre l’Europe de la fermeture, de l’exclusion et de la xénophobie qui progresse à grands pas.
Nous devons promouvoir une autre philosophie européenne, une autre conception de l’Europe : une Europe qui lutte plus efficacement contre les passeurs, pour la maîtrise des frontières et pour une vraie coopération avec les pays d’origine. Renouer les liens avec l’Afrique, reconstruire l’Euroméditerranée : il y a tant à faire ! Mais votre texte, madame la ministre, n’en dit pas un mot…
Même au regard de vos objectifs, je ne crois pas qu’augmenter la durée de rétention et raccourcir les délais de recours change quoi que ce soit au fait que, aujourd’hui, 13 % des OQTF donnent lieu à exécution et que 5 % des déboutés du droit d’asile sont reconduits chez eux. Au reste, cette situation est source d’un profond malaise, d’une désespérance même, parmi les fonctionnaires des préfectures qui se demandent parfois quelle est l’utilité de ce qu’ils font.
En même temps, votre texte, madame la ministre, n’est pas assorti des moyens qu’on pourrait attendre. Rien dans la loi de finances, vraiment rien – ou dites-moi quoi –, pour financer les mesures que vous annoncez. Pas même les moyens qui seraient tellement nécessaires pour que l’attente soit moins longue dans les préfectures, cette attente par laquelle commencent des délais beaucoup trop longs.
Comment aussi ne pas entendre, madame la ministre, l’avis extrêmement précis du Conseil d’État, qui vous demande : pourquoi ne pas avoir évalué l’effet des lois de 2015 et 2016 avant que de faire cette nouvelle loi ? Le Conseil d’État ne trouve pas dans le contenu de ce texte le reflet d’une stratégie prenant en compte l’immigration et les faits migratoires tels qu’ils sont aujourd’hui et tels qu’ils se dérouleront demain. Il parle de la sédimentation des dispositions et de la sophistication inefficace du projet de loi…
Madame la ministre, pourquoi défendez-vous un tel texte aujourd’hui ? En quoi aura-t-il quelque effet positif que ce soit ?
Pourquoi exercerait-on demain – je le demande à vous aussi, monsieur le rapporteur – des chantages du reste bien difficiles ? Expliquera-t-on aux étudiants du Maghreb ou d’autres parties de l’Afrique qu’ils ne peuvent accéder aux universités françaises parce que leur pays ne donne pas les visas de retour, que nous sommes, au demeurant, en droit d’attendre ?