Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les sénateurs centristes abordent ce débat avec deux convictions. Premièrement, le sujet brûlant des migrations et du droit d’asile est européen ; le bon niveau de solution est, en conséquence, l’échelle européenne. Deuxièmement, ce sujet doit être traité sans angélisme et sans surenchère ; il est politique et non technique.
L’Europe est, selon nous, le seul niveau auquel nous pouvons agir avec pertinence. Sur une échelle virtuelle, l’enjeu européen est de niveau 10, là où le débat franco-français serait de niveau 1. À cet égard – je ne vous le cache pas –, je m’étonne de l’intensité des débats à l’Assemblée nationale et de la passion qu’a inspirée le soutien, par ailleurs légitime, à la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité dont nous venons de débattre.
Comment expliquer cette appétence française illimitée pour les débats idéologiques, alors que les enjeux sont ailleurs ? Chers collègues, pensez-vous vraiment que la Nation puisse se diviser au sujet des mouvements migratoires, dans un contexte démocratique européen pour le moins délicat ?
La question des frontières est bel et bien européenne.
Schengen ; FRONTEX ; la définition européenne du droit d’asile ; le dispositif de reconnaissance mutuelle des jugements statuant sur les demandes d’asile qui pouvait être espéré entre les États ; l’aide au développement qui été précédemment évoquée ; le prépositionnement de centres d’examen dans les pays d’origine ; la négociation avec les différentes autorités consulaires pour les laissez-passer ; le financement sur budget propre de l’Union européenne et, dans l’affirmative, selon des modalités à déterminer ; mais aussi la révision du règlement Dublin III, avec la responsabilité des pays de première arrivée ; le mécanisme, qui reste à travailler, de réallocation ; les règles évolutives – pardonnez-moi ces termes techniques – suivant le niveau d’urgence ou de flux : tous ces éléments constituent les véritables clefs de notre débat.
Au lendemain de l’affaire de l’Aquarius, dois-je vraiment insister sur cette dimension européenne ? Sans discourtoisie envers quiconque, notre regard doit probablement être plus tourné vers le Conseil européen des 26 et 27 juin prochains que vers notre débat législatif en tant que tel.
Vous le savez, la souveraineté des États européens est collective. Elle est partagée pour ce qui concerne les enjeux migratoires et le droit d’asile. La question de l’État de droit, évoquée sur plusieurs travées, est redevenue cruciale en Europe, et pas seulement en Europe de l’Est. Enfin – vous le savez également –, l’Europe est attaquée dans sa souveraineté, dans sa capacité d’action politique et économique, par des pays adeptes des rapports de force, voir par des États historiquement amis.
C’est dire que nous ne pouvons pas nous permettre un désaccord de plus, sur le sujet migratoire.
C’est dire aussi que le combat développé par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne, à Athènes, à Strasbourg, ou encore à Aix-la-Chapelle, que ce combat qu’il poursuit, et que les centristes mènent, pour leur part, de manière historique, pour redonner sens et efficacité à la construction européenne est, à nos yeux, le vrai combat de notre pays, celui dont dépend notre débat législatif.
Vous avez écouté notre rapporteur. Tel est aussi, en creux, l’enseignement des vingt-huit réformes du droit des étrangers que notre pays a adoptées depuis les années quatre-vingt et qui, selon nous de manière assez logique, n’ont pas donné satisfaction.
Cette question doit être traitée sans angélisme ni surenchère – je serais même tenté d’ajouter : ni instrumentalisation.
Madame la ministre, nous exprimerons une position assez proche de la vôtre. Nous avons entendu l’idée selon laquelle notre législation est largement perfectible, et nous en convenons. Toutefois, nous vous le répétons, les règles procédurales détaillées ne sont pas à la mesure des réalités que vous avez décrites.
Qui peut penser que des changements de procédure et des modifications de délais suffisent à constituer une politique d’ensemble ?
Ce projet de loi n’aborde pratiquement pas le droit de l’éloignement. Or ce droit provoque l’embolie de nos juridictions administratives. Il demande à être simplifié, au-delà de la question, également évoquée sur plusieurs de nos travées, des moyens humains et budgétaires.
À titre d’exemple, il existe à l’heure présente neuf régimes pour les obligations de quitter le territoire français, les OQTF ; et chacun de ces régimes comprend des sous-régimes et des exceptions.
À l’instar de M. le rapporteur, nous exprimons des réserves quant au volet « intégration » du présent texte : il est manifestement insuffisant. Notre pays n’assume pas sa responsabilité ou ne fait pas en sorte que les choses se passent si efficacement que l’on pourrait le souhaiter, pour les personnes que nous avons accepté d’accueillir sur le territoire et qui bénéficient du droit d’asile.
Chers collègues, nous ne suivrons pas les amendements de surenchère, par exemple pour ce qui concerne l’aide médicale de l’État, l’AME, ou le délit de solidarité. Nous ne suivrons pas davantage les amendements tendant à affaiblir l’efficacité nécessaire des moyens de régulation.
J’en viens aux trois sujets qui, selon notre analyse, seront les plus débattus.
Pour ce qui concerne l’extension du délai maximal de rétention de 45 à 90 jours, nous suivrons le Gouvernement et la commission. En effet, ce que l’on appelle le séquençage a été simplifié. Le nombre de phases a été porté de cinq à trois, ce qui aura des conséquences pratiques, notamment la réduction des escortes.
En la matière, le contrôle sera exercé par le juge des libertés et de la détention.
Nous prenons en compte le besoin, exprimé par le Gouvernement, de pouvoir négocier avec les États des laissez-passer consulaires et de disposer de davantage de temps à cette fin.
Pour ce qui concerne la rétention limitée à cinq jours pour les mineurs accompagnants, nous vous suivrons également, même si, nous en convenons, il s’agit là d’un sujet complexe.
Autant nous apprécions l’inscription, dans le projet de loi, de l’interdiction de rétention pour les mineurs dits « isolés », autant nous pensons que la question des mineurs dits « accompagnants » est spécifique et que l’on ne peut pas créer une immunité à l’éloignement, dans le cas où les familles seraient séparées. Cela étant, il faut bien entendu disposer de logements dits « adaptés » pour respecter les prescriptions de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH.
Pour ce qui concerne la réduction de 30 à 15 jours du délai de recours devant la CNDA, nous serons attentifs aux débats de la Haute Assemblée.
Madame la ministre, nous sommes quelque peu réservés à cet égard. Selon nous, le gain qu’assurerait cette réduction n’est pas vraiment perceptible. Voilà pourquoi nous fondrons notre appréciation sur l’issue de nos discussions.
Enfin, nous serons attentifs au traitement des migrations en Guyane et à Mayotte. Comme l’a souligné notre collègue Thani Mohamed Soilihi, ce sujet exige des dispositifs tout à fait spécifiques. Peut-être la révision constitutionnelle traitera-t-elle de cette question ; encore faut-il qu’elle aboutisse…
Chers collègues, je vous remercie de votre attention, et je signale à M. le président que j’ai bien respecté mon temps de parole !