Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’actualité fait une fois de plus écho à nos débats. L’intervention de l’Aquarius a permis d’éviter un nouveau drame en Méditerranée : 629 vies ont été sauvées !
Bien qu’il ne concerne qu’une partie très minoritaire de la population en France, le droit des étrangers a été très régulièrement modifié depuis les années quatre-vingt, avec pas moins de vingt-neuf textes sur le sujet. Comment expliquer cette surreprésentation législative ?
La première raison que l’on peut avancer est l’inadaptation de la méthode retenue.
L’arrivée d’étrangers sur le territoire national continue d’être abordée comme un phénomène conjoncturel, une crise passagère, alors que, compte tenu de l’évolution structurelle des flux migratoires et de la permanence des conflits suscitant l’exil – Irak, Syrie, Afghanistan, pour ne citer que ces pays –, il est indispensable d’adopter une démarche plus prospective.
Il faut totalement repenser notre système d’accueil et d’intégration, de l’hébergement d’urgence à l’exécution des décisions administratives.
Partout en Europe, le populisme gagne du terrain en se nourrissant de la question migratoire. Une approche globale est donc absolument nécessaire, si l’on veut que les Français ne perçoivent pas notre politique d’accueil et d’intégration comme une charge déraisonnable et contraire à leurs intérêts.
Il faut avoir présent à l’esprit que cette vision négative est liée au sentiment de déclassement éprouvé par certains de nos concitoyens et au renforcement des inégalités.
À ce titre, nous sommes nombreux à penser que ce débat se serait déroulé dans un contexte plus satisfaisant s’il s’était inscrit dans la continuité de mesures destinées à restaurer la justice sociale dans l’ensemble des territoires de la République. En effet, chaque réforme du droit des étrangers et des demandeurs d’asile est essentiellement politique et ne peut être présentée comme une simple réponse à une crise ou une mise en conformité avec le droit européen ou international.
Malgré les textes à valeur supralégislative, l’accueil de réfugiés, la reconnaissance d’un droit au séjour ou l’attribution de la nationalité française restent des décisions unilatérales. Chaque modification de ces droits est un miroir tendu vers notre société, une invitation à redéfinir collectivement ce que nous sommes.
Dans cet effort de définition, notre histoire devrait nous guider autant que les défis contemporains qui surgissent.
Dans un passé pas si lointain, réfugiés et immigrés étaient perçus comme des vecteurs de rayonnement de la France dans le monde.
Cela me conduit à la seconde cause de la multiplication des lois relatives aux droits des étrangers : l’interdépendance de nos sociétés contemporaines. Lorsque l’on se place dans une logique de régulation des flux migratoires, et non plus seulement d’accueil ou d’intégration, la coopération avec l’ensemble des États devient une nécessité absolue.
Malgré notre impuissance à imposer à nos partenaires la généralisation de pièces d’identité, ce qui faciliterait considérablement la gestion de la politique migratoire, il faut se garder de vouloir apporter des solutions législatives affectant les libertés fondamentales sans s’assurer au préalable de leur efficacité.
Je pense tout particulièrement au problème des laissez-passer consulaires. L’étude d’impact produite par le Gouvernement est muette sur ce point-là. La solution législative proposée par le rapporteur, consistant à conditionner la délivrance de visas individuels à la propension des États à délivrer des laissez-passer, bien qu’intéressante, nous paraît trop contraignante pour nos services diplomatiques.
L’interdépendance de nos sociétés nous impose également de dresser un état des lieux approfondi de notre politique de codéveloppement et de nous départir d’idées préconçues. Les trajectoires de certains États, comme le Kenya, où l’immigration a été considérablement réduite, doivent être examinées de plus près, afin d’inspirer des solutions durables.
Madame la ministre, mes chers collègues, après ces constats, vous l’aurez compris, le texte amendé et singulièrement durci par la commission des lois n’obtiendra pas l’adhésion du groupe du RDSE.
Même en reconnaissant les différentes pressions migratoires existant d’un territoire à un autre, le projet de loi n’y apporte pas de réponse.
En particulier, la situation des outre-mer est largement sous-estimée. Je pense notamment à Mayotte et à la Guyane, mais également à mon territoire, Saint-Martin, qui doivent faire face à un afflux important de migrants au regard de leur taille ou de leur population, fragilisant fortement les équilibres locaux.
Un seul article est consacré au schéma national d’orientation et ne permettra pas de pallier les difficultés chroniques dans les services publics régaliens ou de garantir des solutions d’hébergement d’urgence effectives.
De même, l’absence de dispositions contraignantes relatives à la question des futurs réfugiés climatiques, tout comme le nombre limité des mesures relatives à l’intégration sont symptomatiques de la faiblesse de la démarche prospective que j’évoquais précédemment.
Ce texte ne présente pas davantage de solutions pour lutter contre la traite d’êtres humains à laquelle se livrent les passeurs.
Nous proposerons donc une série d’amendements, visant plusieurs objectifs.
L’amélioration de la protection des mineurs, même accompagnés. Une réflexion pourrait s’ouvrir sur les moyens d’offrir un accueil plus adapté aux mineurs isolés étrangers et sur les possibilités de recourir, pour eux, à l’adoption.
La facilitation du codéveloppement. Le but serait de faire émerger des alternatives politiques partout où les États vacillent.
D’autres amendements, inspirés de nos visites et de nos auditions, tendront à garantir une plus grande qualité d’interprétariat et à mieux répartir les différents publics en centre de rétention administrative.
Enfin, nous proposerons de confier un rôle plus important aux élus locaux dans la procédure de régularisation administrative, eux qui sont souvent les premiers témoins de la volonté d’intégration de chacun. À titre d’illustration, je suggère la création d’un office des migrations à Saint-Martin, pour mieux coordonner la délivrance des titres de séjour et de travail.
Mes chers collègues, je reste convaincu que notre pays, sixième puissance économique mondiale, dispose des ressources intellectuelles et matérielles pour mieux répondre aux défis posés par ce siècle, pour entraîner avec lui ses partenaires européens et influer sur le reste du monde.
Dans sa forme actuelle, le groupe du RDSE s’opposera unanimement à l’adoption de ce projet de loi.