Nous sommes, au travers des collectivités territoriales, les représentants des Français.
J’aimerais pouvoir dire la même chose que nos philosophes positivistes. Oui, ils l’avaient dit, le XXe siècle serait le siècle de la prospérité pour la Terre entière ; il a été le siècle des massacres et des guerres !
Le XXIe siècle, mes chers collègues, ne sera pas forcément non plus celui de la prospérité générale… Effectivement, c’est le vingt-neuvième texte sur l’immigration et le droit d’asile. Pourtant nous ne pourrons pas faire en sorte que tout le monde vive dans un pays prospère et en paix !
Je le dis, il n’y a pas dans cet hémicycle, d’un côté, les généreux et, de l’autre, les égoïstes ! En réalité, une question se pose : que peut-on faire ? Qu’est-on capable de faire ?
Pendant des années, à la commission des finances, j’ai été le rapporteur spécial du budget sur la mission relative à l’immigration et au droit d’asile. Pendant des années, en vain, j’ai alerté gouvernements de gauche et de droite confondus – ce sera peut-être le cas, bientôt, avec le gouvernement En Marche Ce n’est pas possible ! Comme dirait l’autre, il faut du pognon ! §Or, il n’y en a pas, pas plus pour l’intégration ou le raccompagnement aux frontières que pour le reste !
Nous pouvons élaborer des textes merveilleux, des textes incantatoires. Sans budget, le résultat est néant !
Or la réalité – je m’adresse à tout le monde –, c’est que nous ne sommes plus la France des trente glorieuses. La France sans déficit, sans dette. La France du plein emploi, qui construisait des logements et incitait les gens à venir : « Venez, nous vous offrirons un emploi, nous vous trouverons un logement ».
Depuis trente ans, c’est le chômage de masse ! Depuis trente ans, c’est le déficit ! Depuis trente ans, c’est la dette ! Mais nous continuons à tenir les mêmes discours et à affirmer que nous sommes en situation d’accueillir. Ce n’est pas vrai !
Que l’on ne vienne pas me dire que l’on assure cet accueil aujourd’hui ! Dans toute l’Île-de-France et dans nombre de nos grandes villes, des campements de migrants naissent ; on nous explique qu’on va mettre ces migrants en sécurité, ce qui consiste à aller les chercher pour les installer provisoirement dans un gymnase ; trois mois après, il faut évacuer le gymnase et on les réinstalle ailleurs, dans un autre gymnase.
On a beau avoir construit des places d’accueil – et je reconnais que le gouvernement de François Hollande en a construit pas mal –, c’est encore loin d’être suffisant. Quand on passe de 50 000 à 100 000 demandeurs d’asile en cinq ans, on ne peut pas suivre ! Comment voulez-vous être en situation d’absorber un tel flux migratoire en provenance de l’Est et de la Méditerranée, en l’absence d’argent et de moyens, alors que sévit un chômage de masse ?
Dans la France fracturée d’aujourd’hui, il faut donc prendre des mesures, sans pour autant envisager une fermeture complète.
Car le mouvement naturel de générosité, c’est d’abord le droit d’asile, un droit d’asile qui ne date pas de la Révolution, madame la ministre, mais qui existait déjà du temps de la monarchie. Les règles régissant le royaume de France le reconnaissaient et, aujourd’hui, ce droit d’asile doit être préservé.
Pour autant, on le sait, que ce soit par l’OFPRA ou par la CNDA, sur les 100 000 demandeurs d’asile, 25 000 à 30 000 personnes obtiennent une réponse positive, alors que, par le passé, le taux avoisinait 20 %. Cela signifie que le droit d’asile est systématiquement détourné pour servir une filière d’immigration économique, qui, par ce biais, essaie d’entrer sur le territoire.
On sait aussi – de nombreux orateurs l’ont dit – qu’il n’y a malheureusement pas de raccompagnements aux frontières. C’est bien de l’écrire dans les textes de loi, madame la ministre, mais c’est mieux de prévoir le budget qui va avec !
Quand l’argent, les moyens de transport, les effectifs policiers pour effectuer ces raccompagnements viennent à manquer, vous finissez par créer, au sein de la société française, un sentiment absolument insupportable : qu’ils soient en situation régulière ou en situation irrégulière, les gens sont là !
Peu importe qu’ils aient passé les étapes pour obtenir le droit d’asile, la régularisation ; peu importe qu’ils aient appris à parler le français ou participé à ces cours d’éducation civique qu’il faut renforcer, comme je ne cesse de le dire à l’OFII. Aucune intégration sur le territoire de la République ne pourra se faire si l’on ne veille pas à ce que les personnes présentes sur ce territoire parlent français, connaissent la société française et en respectent les règles !
Nous, parlementaires français, avons à définir ce qui est possible. Je ne prétends pas que ce soit glorieux ni merveilleux. Je dis simplement : au vu de ce que nous avons en notre possession et de ce qui est notre responsabilité à l’égard de l’ensemble des Français, pouvons-nous courir le risque de fracturer encore plus la société française, en accueillant massivement, sans avoir la capacité – matérielle, financière, ni même morale – d’intégrer ?
Que voulons-nous ? Voulons-nous être le suivant sur la liste, après la Hongrie, la Slovaquie, l’Italie, l’Autriche ?…
Oui, il faut un texte, madame la ministre. Mais pas le vôtre, auquel je préfère celui de la commission !
Certains de nos amendements seraient de la surenchère… Surenchère par rapport à quoi, mes chers collègues ?
J’entendais tout à l’heure l’oratrice du groupe CRCE, pour qui j’ai beaucoup d’estime, dire que c’était comparable aux années 1930. Non ! Ce ne le serait que si nous étions défaillants. Ce ne le serait que si nous ne pouvions pas dire : la France généreuse a d’abord conscience de ce qu’elle doit à son peuple ; elle ouvre, oui, mais en fonction de ses capacités.
Elle ouvre aux demandeurs d’asile, à ceux qui y ont droit parce qu’ils sont martyrisés dans leur pays ou victimes de la guerre. Pour ce qui concerne l’immigration économique, elle ouvre en fonction de sa capacité, et aujourd’hui, avec le chômage de masse, on sait que celle-ci est faible.
Mes chers collègues, nous sommes en premier lieu responsables devant le peuple français dans toute sa diversité – diversité des situations sociales, diversité des origines. Ne vous faites pas d’illusions ! Les fractures sociales seront d’autant plus nettes que nous ne serons pas maîtres de la situation et capables de nous imposer. Et je ne veux pas que la France soit l’Autriche !