Intervention de Pierre Laurent

Réunion du 19 juin 2018 à 14h30
Immigration droit d'asile et intégration — Article 1er A

Photo de Pierre LaurentPierre Laurent :

Cet article, introduit en commission, est tout un symbole.

Nous devrions entamer un tel texte par la proclamation de grands principes censés définir notre politique d’accueil et de gestion des migrations, et voilà un article qui, d’emblée, s’attache à un seul objectif : définir pour les trois années à venir « le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France, compte tenu de l’intérêt national ».

En fait, cela revient à définir des quotas et le seuil à partir duquel sera déclenchée, quoi qu’il en coûte, et quelle que soit la situation, la machine à expulser, à renvoyer et à ignorer les vies ainsi brisées !

Nous sommes là au cœur du problème : les auteurs du présent projet de loi se refusent à regarder en face l’un des enjeux majeurs de l’histoire de l’humanité, celui des migrations. Cet enjeu est partie intégrante de la construction de notre nation et prend une importance décuplée, à l’heure de la mondialisation, des dérèglements climatiques et de l’explosion des inégalités.

Les humains ont toujours migré pour vivre ou survivre, pour fuir les conditions de vie indignes, pour en chercher de meilleures. Ils migrent aussi pour fuir les persécutions religieuses ou politiques, les guerres, les génocides. Le rapport statistique annuel de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés estime à 65 millions le nombre de personnes déracinées à travers le monde à la fin de l’année 2016, du fait de conflits et de persécutions, la plupart de ces migrations se faisant d’ailleurs du Sud vers le Sud.

De tout cela, vous ne voulez rien entendre ! Vous voulez la libre circulation des capitaux, ça oui ! Vous voulez la concurrence à outrance au niveau mondial, ça oui ! Vous voulez bien le pillage économique et le dumping social, ça oui ! Vous voulez bien la domination des grandes puissances. En revanche, vous ne voulez pas entendre parler du droit à circuler, du droit de tous à vivre dignement, des responsabilités singulières que la France devrait prendre pour accueillir dignement les réfugiés et changer les règles de ce monde injuste et inégal !

Vous essayez de faire peur avec des chiffres auxquels vous vous accrochez comme à des mirages jamais atteints : vous parlez d’invasion, d’appel d’air, quand nous accueillons un peu plus de 200 000 personnes en moyenne chaque année, soit 0, 3 % de notre population !

Vous oubliez également de dire la vérité : 4 200 personnes ont été relocalisées en France à ce jour au titre du mécanisme de relocalisation adopté par le Conseil de l’Union européenne.

À nos yeux, il est indigne – car ce n’est pas à la hauteur de nos responsabilités – d’ouvrir la discussion par un article comme celui-ci et par une liste d’indicateurs qui ne visent qu’à justifier un contournement organisé des droits humains les plus fondamentaux.

Allez-vous enfin accepter de changer de logique ? Vous risquez sinon d’aboutir à une négation de nos principes et, au-delà, de mener la France et l’Europe dans une grave impasse, tournant le dos à un monde qui appelle, au contraire, plus que jamais, à la coopération, à la générosité, à la justice et au partage. Voilà le vrai prix, aujourd’hui, de la paix pour les décennies à venir !

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