Le Gouvernement et la majorité du Sénat veulent, comme l’ont expliqué les orateurs précédents, réduire de 120 à 90 jours le délai dans lequel le demandeur d’asile doit déposer sa demande. La main sur le cœur, on nous affirme que c’est pour réduire les délais d’instruction. Nous ne sommes pas tout à fait sûrs de l’objectif visé : s’agit-il de protéger au plus vite les demandeurs ou de leur rendre la vie plus difficile et de les décourager, eux et ceux qui seraient tentés, ultérieurement, de choisir la France ?
Le Gouvernement n’a pas avancé d’arguments convaincants pour justifier ce recul en matière de délai. En tout cas pas en faisant référence à la directive, qui ne fixe pas de délai limite pour qualifier les demandes de tardives.
Pourquoi revenir sur les 120 jours ? Pourquoi suspecter le demandeur de tarder ? Pour s’installer, pour frauder ?
C’est méconnaître la situation des demandeurs. Nombre d’entre nous, à l’occasion de ce projet de loi ou plus souvent, vont à leur rencontre et à celle des associations. Quand on fuit un conflit, qu’on y échappe dans la clandestinité et qu’on est maltraité, voire torturé, par les passeurs ou les autorités des pays de transit, quand on traverse la Méditerranée dans des conditions précaires, qu’on risque de chavirer, qu’on voit ses compagnons de voyage se noyer et qu’on franchit les Alpes en hiver pour échapper aux contrôles, on peut, au moment de penser à sa demande d’asile, avoir besoin d’un temps de répit.
Cette semaine, on m’a présenté le cas d’une jeune femme mauritanienne ayant fui son pays du fait d’une menace d’excision. Elle a rejoint en Seine-Maritime sa sœur, qui, elle, n’avait malheureusement pas pu y échapper. Son parcours fut dangereux. Alors qu’elle aurait pu bénéficier d’une protection, elle est restée terrée plusieurs mois chez sa sœur, dépassant les délais, incapable d’affronter les démarches.
Des histoires comme celle-là, il y en a des centaines. La plupart des demandeurs ont besoin de temps pour se reconstruire. À cela s’ajoutent la méconnaissance des procédures, la difficulté de comprendre et de se faire comprendre dans une langue maîtrisée, l’isolement, la précarité – 60 % des demandeurs ne sont pas hébergés – et l’absence de conseils, voire de mauvais conseils.
Le projet de loi complique encore les démarches, avec la dématérialisation et une langue imposée – nous y reviendrons.