Intervention de Elisabeth Ayrault

Commission des affaires économiques — Réunion du 21 juin 2018 à 10h50
Audition de Mme élisabeth Ayrault candidate proposée aux fonctions de président du directoire de la compagnie nationale du rhône cnr

Elisabeth Ayrault, candidate proposée aux fonctions de président du directoire de la Compagnie nationale du Rhône (CNR) :

Merci de m'accueillir. J'ai eu un parcours varié. Architecte de formation, j'ai souhaité travailler sur l'aménagement urbain et rural. Aussi, j'ai obtenu un diplôme d'études approfondies (DEA) de géographie urbaine et un diplôme postuniversitaire à l'Institut agronomique méditerranéen, ce qui m'a naturellement amenée pour mon premier emploi dans les Pyrénées-Orientales où j'ai travaillé sur les grands schémas d'aménagement de l'époque - plans d'occupation des sols, zones d'aménagement concerté et autres. Cela m'a donné l'occasion de travailler en étroite collaboration avec les élus et d'animer des débats publics difficiles puisque les opérations d'aménagement posent généralement problème aux propriétaires privés concernés. J'ai poursuivi ma carrière dans la promotion immobilière où j'ai dû gérer le contexte difficile de la crise des années 1990. J'ai ensuite travaillé onze ans dans l'efficacité énergétique, ce qui m'a conduite, lors de l'ouverture des marchés de l'énergie, à me pencher sur cette thématique. Puis, j'ai rejoint le monde du déchet, ô combien passionnant parce qu'en pleine mutation. J'ai enfin accepté de me présenter à la présidence du directoire de la CNR, même si j'avais une passion pour le traitement des déchets, parce que je considérais que ce poste était à la croisée de mes expériences professionnelles : l'aménagement du territoire, les énergies, le développement durable, la relation avec les parties prenantes, le développement et le management des équipes. J'ai retrouvé dans ce poste ce que j'imaginais et c'est pourquoi je me représente.

La CNR est un aménageur du territoire. On la positionne comme un producteur d'énergie et c'est vrai - le deuxième après EDF, le Rhône fournissant un quart de l'hydroélectricité française - mais son rôle va bien au-delà. Elle a été créée par Édouard Herriot et Léon Perrier, sénateur de l'Isère, pour aménager le Rhône et les territoires qu'il traverse. Ils lui ont assigné trois missions : la navigation, l'irrigation et la production d'hydroélectricité, pour financer les deux premières. C'est encore vrai à ce jour puisque nous restons le concessionnaire d'un fleuve que nous gérons de façon intégrée.

Nous sommes un acteur alternatif totalement indépendant et disposons de notre propre salle de marché. Depuis 2008, nous avons entrepris la diversification de notre activité dans les énergies renouvelables à partir de l'eau, du vent et du soleil. Nous jouons aujourd'hui un rôle significatif dans l'éolien et le photovoltaïque, un peu partout en France.

Le Rhône fournit 3 000 mégawatts ; nous produisons actuellement plus de 700 mégawatts hors-Rhône et avons l'ambition d'atteindre 1 000 mégawatts en 2020.

La CNR est une entreprise atypique quant à son actionnariat. Elle compte 183 collectivités au capital, à hauteur de 16,83 %, la Caisse des dépôts et consignations à 34,2 % et Engie à 49,97 %. Je rappelle que la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (Murcef) prévoit qu'un acteur privé ne peut pas devenir majoritaire au capital de la CNR. Ce modèle très atypique conjugue recherche de l'intérêt général et du profit, celui-ci allant aux territoires.

En 2003, l'État a instauré une redevance hydraulique, que nous sommes les seuls à payer : il prélève ainsi 24 % de notre chiffre d'affaires. Cette même année, la CNR a pris son autonomie. Auparavant, elle était sous le pilotage d'EDF qui avait placé ses propres exploitants sur les installations de la CNR, captant le chiffre d'affaires de cette dernière avant de lui reverser une subvention. À l'ouverture des marchés de l'énergie, la CNR a revendiqué et obtenu son statut d'origine de producteur autonome. Elle a décroisé ses activités avec EDF, dont elle a intégré 400 employés pour exploiter les ouvrages. À ce moment-là, l'État a craint que l'entreprise n'invertisse plus sur le Rhône et délaisse les territoires. C'est pourquoi il a créé le plan de missions d'intérêt général, puisqu'outre les 183 collectivités actionnaires, d'autres sont situées le long du Rhône et doivent aussi bénéficier de sa richesse. Nous menons des actions en matière d'environnement, d'énergie, de navigation et d'ancrage territorial. Je citerai deux actions emblématiques : le financement par la CNR de 25 % de ViaRhôna, la voie cyclable qui relie le lac Léman à la Méditerranée et a été achevée à 85 % ; la construction d'un corridor électrique le long du Rhône, avec des stations de recharge pour les véhicules électriques tous les trente kilomètres. Nous menons en tout 500 actions.

Lorsque je suis arrivée, j'ai souhaité initier une réflexion stratégique afin de structurer les actions de la CNR autour de trois axes : développer le Rhône en préparant les conditions d'une prolongation du contrat de concession tout en confortant les spécificités du modèle redistributif de la CNR ; accélérer le développement des énergies renouvelables en fixant un objectif de 1 000 mégawatts supplémentaires d'ici 2020 grâce à l'eau, au vent et au soleil ; mettre en avant notre rôle de laboratoire des énergies du futur, en participant activement aux recherches sur les nouveaux outils de production, le stockage, le numérique, la mobilité durable et en renforçant nos partenariats avec des start-ups.

Pour atteindre ces objectifs, il fallait mettre en place une organisation adaptée dans une entreprise dans laquelle les partenaires sociaux exercent une vigilance de tout instant et stabiliser la gouvernance.

J'ai aussi voulu renforcer les liens avec les territoires et le monde agricole. Au début de la concession, nous avons construit toutes les prises d'eau ; puisqu'elles fonctionnent bien et selon les mêmes modalités, le monde agricole n'était plus au centre des préoccupations de la CNR. Nous avons signé des partenariats avec toutes les chambres d'agriculture de la vallée du Rhône et nous finançons actuellement trois thèses de recherche dans le domaine agricole.

J'ai aussi profité de mon mandat pour faire valoir ce modèle particulier auprès de l'Union européenne, en ayant de nombreux contacts. Ces actions principales sont bien lancées mais pas achevées.

Les variations de débit constituent un sujet important pour la CNR. Il y en a toujours eu sur le Rhône. Sur ces soixante dernières années, la production, liée au flux du fleuve, a varié de 10,4 à 17,4 térawattheures. C'est parce que nous avons constaté ces variations que nous avons souhaité mieux y résister en nous diversifiant, avec le vent et le soleil. Nous renforçons le foisonnement des outils de production sur tout le territoire. Au-delà de cette variabilité historique, nous constatons néanmoins les effets du changement climatique, non sur la moyenne mais sur les amplitudes. L'an 2017 a été l'occasion d'une prise de conscience puisque nous avons été en période d'étiage toute l'année. Il y a eu 27 % d'eau en moins dans le Rhône. Pour autant, fin 2017, nous avons tout d'un coup eu beaucoup trop d'eau et subi trois crues majeures. La variabilité soudaine et brutale est ce qui caractérise le changement climatique.

Heureusement, notre modèle conçu en 1934 est parfait pour gérer ce genre de situation puisque c'est un modèle intégré de gestion complète du fleuve. Ainsi, nous gérons toutes les priorités et arbitrons les conflits éventuels d'usage - je rappelle que nous alimentons des centrales nucléaires.

Concernant les appels d'offres, je ferai la même réponse qu'auprès de l'Union européenne : la nature même de la CNR fait que nous ne sommes pas dans une course à la croissance à tout prix. Nous ne répondrons aux appels d'offres que s'ils entrent dans notre modèle. Il en va de même pour le rôle d'opérateur dans une société d'économie mixte hydraulique : nous accepterons de le jouer seulement si nous créons de la valeur.

J'en viens au transport fluvial : beaucoup de travaux ont été menés. Un délégué interministériel Rhône-Saône a été nommé après la publication de quatre rapports. Les conclusions sont toutes les mêmes : ce serait simple d'accroître le transport sur le Rhône. Il faut toutefois comprendre que ce fleuve a une porte d'entrée, le port de Marseille, et un cul-de-sac, à Pagny sur la Saône, puisque le grand canal Rhin-Rhône n'existe pas. Il faut trouver le moyen d'organiser ce transport en tenant compte de ces deux extrémités, notamment à Marseille. Je suis toutefois positive en la matière, des choses se passent.

Si vous acceptez de renouveler mon mandat, je proposerai au conseil de surveillance d'adopter un plan stratégique 2019-2023 qui s'inscrira, bien sûr, dans la continuité du premier plan. Il faut d'abord obtenir la prolongation du contrat de concession de la CNR et déployer les engagements pris. Les cinq premières années ont permis d'entreprendre des démarches, les cinq suivantes doivent permettre de les achever.

Nous ne nous arrêterons pas à 1 000 mégawatts d'énergies renouvelables, mais prévoirons a minima 1 000, voire 1 500 mégawatts complémentaires en restant sur les trois sources essentielles que sont l'eau, le vent et le soleil.

Vous m'avez interrogée sur le potentiel de développement hydroélectrique en France. Oui, il en existe encore un, estimé à 1 130 mégawatts si l'on exclut les cours d'eau classés en liste 1. Cela représente un tiers du Rhône, ce qui est à la fois beaucoup et peu. Nous n'hésiterons pas à nous positionner sur les appels d'offres d'outils nouveaux s'ils sont conformes aux expertises de la CNR et à son modèle. Nous n'irons pas vers la petite hydroélectricité parce que nous considérons que nous n'avons pas les compétences nécessaires, en revanche nous développons actuellement un projet sur la Sarenne, au-dessus de l'Alpe d'Huez, de 12 mégawatts.

Nos ingénieurs sont extrêmement recherchés à l'étranger car ce sont de très grands spécialistes de la circulation des sédiments et de la navigation, entre autres. Nous sommes intervenus dans 69 pays différents, pour de l'ingénierie mais aussi de l'exploitation. Nous voulons poursuivre cette reconnaissance à l'international, qui fait aussi rayonner la France.

En matière d'innovation, nous qui sommes un laboratoire des énergies du futur travaillons beaucoup sur l'hydrogène durable et sur son stockage, de court, moyen ou long terme. La CNR s'est positionnée sur ces différentes options et collabore avec le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et des start-ups grenobloises. Nous travaillons aussi sur le nouveau photovoltaïque, notamment vertical sur les clôtures et les digues, ainsi que sur les centrales virtuelles telles que les microgrids. Je veux que la CNR soit acteur et non spectateur.

Le plus important est le capital humain, particulièrement dans un monde aussi changeant. Il faut que nous arrivions à former nos équipes et à les accompagner pour qu'elles puissent se transformer. Nous travaillons actuellement aux référentiels de compétences pour adapter tous les programmes de formation pour les postes actuels et futurs. Avons-nous encore besoin de personnes pour arpenter les digues alors que des drones effectuent les relevés ? Comment former ces personnes à travailler différemment ? Il s'agit d'anticiper. Nous travaillons aussi beaucoup à l'ouverture de la CNR au monde extérieur afin de comprendre les changements.

Je conclus par le monde agricole, qui est extrêmement important. Le changement climatique provoque beaucoup d'interrogations chez les agriculteurs. Nous avons une vraie responsabilité quant à l'optimisation de la consommation de l'eau du Rhône. Nous collaborons avec le monde agricole sur des expérimentations, qu'il s'agisse de plantations, de biodiversité, de reconstitution de haies ou de tapis végétal. J'ai l'intention de renforcer cette collaboration.

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