Je vous prie d'excuser Mme Sophie Primas, présidente de notre commission, qui a dû se rendre à des obsèques. Nous entendons ce matin Mme Élisabeth Ayrault, candidate proposée par le président de la République aux fonctions de président du directoire de la Compagnie nationale du Rhône (CNR), en application de la loi organique et de la loi du 23 juillet 2010 relatives à l'application du cinquième alinéa de l'article 13 de la Constitution.
À l'issue de cette audition, ouverte à la presse et au public et retransmise sur le site du Sénat, nous procèderons au vote. L'Assemblée nationale devant auditionner Mme Ayrault mercredi prochain, nous dépouillerons le scrutin après le vote de nos collègues députés. Je vous rappelle que le Président de la République ne pourrait procéder à cette nomination si l'addition des votes négatifs de chaque commission représentait au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés.
Madame Ayrault, vous avez été nommée présidente du directoire de la CNR en juillet 2013 pour un mandat de cinq ans qu'il nous est proposé de renouveler. Vous avez débuté votre parcours professionnel dans la promotion immobilière, puis avez travaillé pendant dix ans au sein de la société Elyo, spécialisée en efficacité énergétique, avant d'être nommée, en 2009, directrice générale déléguée de Sita France, filiale du groupe GDF-Suez - son nom de l'époque - dédiée à la gestion et à la valorisation des déchets.
Avant d'en venir à la stratégie que vous souhaiteriez mettre en oeuvre pour les cinq prochaines années, rappelez-nous, en quelques mots, les grandes spécificités de la CNR, qui constitue un modèle assez inédit dans le monde de l'énergie, et dont le législateur a souhaité s'inspirer, en 2015, lorsqu'il a prévu la possibilité de créer des sociétés d'économie mixte (SEM) hydroélectriques. La CNR a été créée en 1934 autour de la concession du Rhône pour y exercer trois missions : produire de l'électricité, développer la navigation fluviale et irriguer les terres agricoles environnantes. Elle associe très étroitement les collectivités territoriales, à la fois dans son actionnariat et dans la mise en oeuvre de ses missions d'intérêt général.
Alors que le Rhône connaît des variations de débit de plus en plus importantes sous l'effet du changement climatique, comment prévoyez-vous de gérer ces modifications de régime hydraulique et quel impact auront-elles sur les revenus de la CNR ?
Au-delà du renouvellement de la concession du Rhône, sur laquelle vous travaillez, dans quelles directions comptez-vous développer l'activité de la CNR, dont je rappelle qu'elle est déjà présente dans l'éolien, le photovoltaïque, la commercialisation d'électricité verte ou encore les prestations d'ingénierie hydraulique ou fluviale, en France et dans le monde ? En particulier, prévoyez-vous de candidater au renouvellement d'autres concessions hydroélectriques que la vôtre en France ? Comptez-vous développer d'autres activités au-delà de votre périmètre historique autour du Rhône ?
Si, à l'avenir, des SEM hydroélectriques (SEMH) devaient émerger - à supposer que les collectivités en aient les moyens - pourriez-vous envisager de jouer le rôle d'opérateur industriel dans l'une ou l'autre de ces sociétés ?
Plus généralement, comment pourrait-on, selon vous, encore mieux exploiter le potentiel hydroélectrique français ? Une étude avait évalué, il y a quelques années, le potentiel restant à exploiter à environ dix térawattheures. S'agit-il uniquement d'optimiser la performance des ouvrages existants ou pensez-vous que l'on puisse encore envisager, en France, la construction de nouveaux ouvrages ? Que pensez-vous des potentialités de la micro ou de la pico-hydroélectricité - on parle souvent des anciens moulins mais y a-t-il un vrai potentiel ? Qu'en sera-t-il des technologies innovantes telles que les hydroliennes fluviales ou le photovoltaïque flottant, sur lesquelles vous travaillez ?
Enfin, alors que les tonnages transportés sur le Rhône baissent d'année en année, comment comptez-vous relancer le transport fluvial, qui est pourtant très vertueux sur le plan environnemental, et quels sont les freins à lever pour son développement ?
Merci de m'accueillir. J'ai eu un parcours varié. Architecte de formation, j'ai souhaité travailler sur l'aménagement urbain et rural. Aussi, j'ai obtenu un diplôme d'études approfondies (DEA) de géographie urbaine et un diplôme postuniversitaire à l'Institut agronomique méditerranéen, ce qui m'a naturellement amenée pour mon premier emploi dans les Pyrénées-Orientales où j'ai travaillé sur les grands schémas d'aménagement de l'époque - plans d'occupation des sols, zones d'aménagement concerté et autres. Cela m'a donné l'occasion de travailler en étroite collaboration avec les élus et d'animer des débats publics difficiles puisque les opérations d'aménagement posent généralement problème aux propriétaires privés concernés. J'ai poursuivi ma carrière dans la promotion immobilière où j'ai dû gérer le contexte difficile de la crise des années 1990. J'ai ensuite travaillé onze ans dans l'efficacité énergétique, ce qui m'a conduite, lors de l'ouverture des marchés de l'énergie, à me pencher sur cette thématique. Puis, j'ai rejoint le monde du déchet, ô combien passionnant parce qu'en pleine mutation. J'ai enfin accepté de me présenter à la présidence du directoire de la CNR, même si j'avais une passion pour le traitement des déchets, parce que je considérais que ce poste était à la croisée de mes expériences professionnelles : l'aménagement du territoire, les énergies, le développement durable, la relation avec les parties prenantes, le développement et le management des équipes. J'ai retrouvé dans ce poste ce que j'imaginais et c'est pourquoi je me représente.
La CNR est un aménageur du territoire. On la positionne comme un producteur d'énergie et c'est vrai - le deuxième après EDF, le Rhône fournissant un quart de l'hydroélectricité française - mais son rôle va bien au-delà. Elle a été créée par Édouard Herriot et Léon Perrier, sénateur de l'Isère, pour aménager le Rhône et les territoires qu'il traverse. Ils lui ont assigné trois missions : la navigation, l'irrigation et la production d'hydroélectricité, pour financer les deux premières. C'est encore vrai à ce jour puisque nous restons le concessionnaire d'un fleuve que nous gérons de façon intégrée.
Nous sommes un acteur alternatif totalement indépendant et disposons de notre propre salle de marché. Depuis 2008, nous avons entrepris la diversification de notre activité dans les énergies renouvelables à partir de l'eau, du vent et du soleil. Nous jouons aujourd'hui un rôle significatif dans l'éolien et le photovoltaïque, un peu partout en France.
Le Rhône fournit 3 000 mégawatts ; nous produisons actuellement plus de 700 mégawatts hors-Rhône et avons l'ambition d'atteindre 1 000 mégawatts en 2020.
La CNR est une entreprise atypique quant à son actionnariat. Elle compte 183 collectivités au capital, à hauteur de 16,83 %, la Caisse des dépôts et consignations à 34,2 % et Engie à 49,97 %. Je rappelle que la loi du 11 décembre 2001 portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier (Murcef) prévoit qu'un acteur privé ne peut pas devenir majoritaire au capital de la CNR. Ce modèle très atypique conjugue recherche de l'intérêt général et du profit, celui-ci allant aux territoires.
En 2003, l'État a instauré une redevance hydraulique, que nous sommes les seuls à payer : il prélève ainsi 24 % de notre chiffre d'affaires. Cette même année, la CNR a pris son autonomie. Auparavant, elle était sous le pilotage d'EDF qui avait placé ses propres exploitants sur les installations de la CNR, captant le chiffre d'affaires de cette dernière avant de lui reverser une subvention. À l'ouverture des marchés de l'énergie, la CNR a revendiqué et obtenu son statut d'origine de producteur autonome. Elle a décroisé ses activités avec EDF, dont elle a intégré 400 employés pour exploiter les ouvrages. À ce moment-là, l'État a craint que l'entreprise n'invertisse plus sur le Rhône et délaisse les territoires. C'est pourquoi il a créé le plan de missions d'intérêt général, puisqu'outre les 183 collectivités actionnaires, d'autres sont situées le long du Rhône et doivent aussi bénéficier de sa richesse. Nous menons des actions en matière d'environnement, d'énergie, de navigation et d'ancrage territorial. Je citerai deux actions emblématiques : le financement par la CNR de 25 % de ViaRhôna, la voie cyclable qui relie le lac Léman à la Méditerranée et a été achevée à 85 % ; la construction d'un corridor électrique le long du Rhône, avec des stations de recharge pour les véhicules électriques tous les trente kilomètres. Nous menons en tout 500 actions.
Lorsque je suis arrivée, j'ai souhaité initier une réflexion stratégique afin de structurer les actions de la CNR autour de trois axes : développer le Rhône en préparant les conditions d'une prolongation du contrat de concession tout en confortant les spécificités du modèle redistributif de la CNR ; accélérer le développement des énergies renouvelables en fixant un objectif de 1 000 mégawatts supplémentaires d'ici 2020 grâce à l'eau, au vent et au soleil ; mettre en avant notre rôle de laboratoire des énergies du futur, en participant activement aux recherches sur les nouveaux outils de production, le stockage, le numérique, la mobilité durable et en renforçant nos partenariats avec des start-ups.
Pour atteindre ces objectifs, il fallait mettre en place une organisation adaptée dans une entreprise dans laquelle les partenaires sociaux exercent une vigilance de tout instant et stabiliser la gouvernance.
J'ai aussi voulu renforcer les liens avec les territoires et le monde agricole. Au début de la concession, nous avons construit toutes les prises d'eau ; puisqu'elles fonctionnent bien et selon les mêmes modalités, le monde agricole n'était plus au centre des préoccupations de la CNR. Nous avons signé des partenariats avec toutes les chambres d'agriculture de la vallée du Rhône et nous finançons actuellement trois thèses de recherche dans le domaine agricole.
J'ai aussi profité de mon mandat pour faire valoir ce modèle particulier auprès de l'Union européenne, en ayant de nombreux contacts. Ces actions principales sont bien lancées mais pas achevées.
Les variations de débit constituent un sujet important pour la CNR. Il y en a toujours eu sur le Rhône. Sur ces soixante dernières années, la production, liée au flux du fleuve, a varié de 10,4 à 17,4 térawattheures. C'est parce que nous avons constaté ces variations que nous avons souhaité mieux y résister en nous diversifiant, avec le vent et le soleil. Nous renforçons le foisonnement des outils de production sur tout le territoire. Au-delà de cette variabilité historique, nous constatons néanmoins les effets du changement climatique, non sur la moyenne mais sur les amplitudes. L'an 2017 a été l'occasion d'une prise de conscience puisque nous avons été en période d'étiage toute l'année. Il y a eu 27 % d'eau en moins dans le Rhône. Pour autant, fin 2017, nous avons tout d'un coup eu beaucoup trop d'eau et subi trois crues majeures. La variabilité soudaine et brutale est ce qui caractérise le changement climatique.
Heureusement, notre modèle conçu en 1934 est parfait pour gérer ce genre de situation puisque c'est un modèle intégré de gestion complète du fleuve. Ainsi, nous gérons toutes les priorités et arbitrons les conflits éventuels d'usage - je rappelle que nous alimentons des centrales nucléaires.
Concernant les appels d'offres, je ferai la même réponse qu'auprès de l'Union européenne : la nature même de la CNR fait que nous ne sommes pas dans une course à la croissance à tout prix. Nous ne répondrons aux appels d'offres que s'ils entrent dans notre modèle. Il en va de même pour le rôle d'opérateur dans une société d'économie mixte hydraulique : nous accepterons de le jouer seulement si nous créons de la valeur.
J'en viens au transport fluvial : beaucoup de travaux ont été menés. Un délégué interministériel Rhône-Saône a été nommé après la publication de quatre rapports. Les conclusions sont toutes les mêmes : ce serait simple d'accroître le transport sur le Rhône. Il faut toutefois comprendre que ce fleuve a une porte d'entrée, le port de Marseille, et un cul-de-sac, à Pagny sur la Saône, puisque le grand canal Rhin-Rhône n'existe pas. Il faut trouver le moyen d'organiser ce transport en tenant compte de ces deux extrémités, notamment à Marseille. Je suis toutefois positive en la matière, des choses se passent.
Si vous acceptez de renouveler mon mandat, je proposerai au conseil de surveillance d'adopter un plan stratégique 2019-2023 qui s'inscrira, bien sûr, dans la continuité du premier plan. Il faut d'abord obtenir la prolongation du contrat de concession de la CNR et déployer les engagements pris. Les cinq premières années ont permis d'entreprendre des démarches, les cinq suivantes doivent permettre de les achever.
Nous ne nous arrêterons pas à 1 000 mégawatts d'énergies renouvelables, mais prévoirons a minima 1 000, voire 1 500 mégawatts complémentaires en restant sur les trois sources essentielles que sont l'eau, le vent et le soleil.
Vous m'avez interrogée sur le potentiel de développement hydroélectrique en France. Oui, il en existe encore un, estimé à 1 130 mégawatts si l'on exclut les cours d'eau classés en liste 1. Cela représente un tiers du Rhône, ce qui est à la fois beaucoup et peu. Nous n'hésiterons pas à nous positionner sur les appels d'offres d'outils nouveaux s'ils sont conformes aux expertises de la CNR et à son modèle. Nous n'irons pas vers la petite hydroélectricité parce que nous considérons que nous n'avons pas les compétences nécessaires, en revanche nous développons actuellement un projet sur la Sarenne, au-dessus de l'Alpe d'Huez, de 12 mégawatts.
Nos ingénieurs sont extrêmement recherchés à l'étranger car ce sont de très grands spécialistes de la circulation des sédiments et de la navigation, entre autres. Nous sommes intervenus dans 69 pays différents, pour de l'ingénierie mais aussi de l'exploitation. Nous voulons poursuivre cette reconnaissance à l'international, qui fait aussi rayonner la France.
En matière d'innovation, nous qui sommes un laboratoire des énergies du futur travaillons beaucoup sur l'hydrogène durable et sur son stockage, de court, moyen ou long terme. La CNR s'est positionnée sur ces différentes options et collabore avec le Commissariat à l'énergie atomique (CEA) et des start-ups grenobloises. Nous travaillons aussi sur le nouveau photovoltaïque, notamment vertical sur les clôtures et les digues, ainsi que sur les centrales virtuelles telles que les microgrids. Je veux que la CNR soit acteur et non spectateur.
Le plus important est le capital humain, particulièrement dans un monde aussi changeant. Il faut que nous arrivions à former nos équipes et à les accompagner pour qu'elles puissent se transformer. Nous travaillons actuellement aux référentiels de compétences pour adapter tous les programmes de formation pour les postes actuels et futurs. Avons-nous encore besoin de personnes pour arpenter les digues alors que des drones effectuent les relevés ? Comment former ces personnes à travailler différemment ? Il s'agit d'anticiper. Nous travaillons aussi beaucoup à l'ouverture de la CNR au monde extérieur afin de comprendre les changements.
Je conclus par le monde agricole, qui est extrêmement important. Le changement climatique provoque beaucoup d'interrogations chez les agriculteurs. Nous avons une vraie responsabilité quant à l'optimisation de la consommation de l'eau du Rhône. Nous collaborons avec le monde agricole sur des expérimentations, qu'il s'agisse de plantations, de biodiversité, de reconstitution de haies ou de tapis végétal. J'ai l'intention de renforcer cette collaboration.
Madame Ayrault, merci de vos propos. Le projet de loi Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) prévoit le désengagement total de l'État d'Engie, qui pourrait lui-même se désengager de la CNR. Pour maximiser la valeur d'Engie avant sa privatisation totale - malgré des engagements passés de ne pas privatiser -, tout serait mis en oeuvre pour assurer la prolongation de la concession de la CNR. Ces rumeurs constitueraient une bonne nouvelle pour vous.
Une disposition de la loi de transition énergétique prévoit que l'on peut prolonger une concession hydroélectrique dès lors que des investissements sont réalisés ou sont à réaliser. Êtes-vous informée des intentions de désengagement d'Engie ? La demande de prolongation de concession de la CNR s'inscrit-elle bien dans un projet industriel ? Pouvez-vous nous rappeler quels investissements vous prévoyez d'engager qui puissent permettre, conformément à la loi de transition énergétique, d'accorder à la CNR une prolongation de concession ? Pouvez-vous préciser la nature des énergies renouvelables que vous voulez développer ?
Étant élue de la métropole de Lyon, je témoigne du caractère atypique de l'institution qu'est la CNR.
Madame Ayrault, pouvez-vous revenir sur les variations du débit du Rhône, qui nous préoccupent ? Pouvez-vous également en dire plus sur les perspectives que vous avez annoncées, qui sont sans doute réalistes, sur le développement durable et le monde agricole ? Enfin, qu'en est-il de votre développement à l'international ? La CNR a des compétences qui valorisent nos territoires.
Enfin, je voudrais rendre hommage à une femme présidente, c'est rare.
Je souhaite vous féliciter. Votre discours est très facile à comprendre pour les novices comme moi.
En 80 années d'aménagement et d'exploitation du Rhône, la CNR a acquis une expérience importante en ingénierie et développé une grande activité de conseil, notamment auprès de clients étrangers. Il me semble que vous avez obtenu un grand prix pour la conception des écluses du canal de Panama. Je suis sénateur des Français de l'étranger et à ce titre, je souhaite savoir quelle part de Français vous envoyez en mission à l'étranger. Avez-vous l'intention de développer cette activité internationale ?
Bien qu'élue du Rhône, il m'a fallu la mission parlementaire de 2016 sur le port de Marseille-Fos en lien avec l'axe Rhône-Saône pour mieux connaître la CNR. J'ai découvert une très belle entreprise, dotée d'une vraie stratégie, d'équipements très performants, des compétences dépassant l'hydroélectricité et d'une dimension d'aménagement du territoire - qui nous tient à coeur, au Sénat.
Il est surprenant que si peu de bateaux circulent sur un fleuve si important. J'ai interrogé M. Hulot et Mme Borne à ce sujet : tous deux s'accordent sur la nécessité de soutenir le transport fluvial. Quand on sait qu'une péniche transporte en containers sur le Rhône autant de marchandises que 200 camions sur la route, et que l'on sait quelle est l'abondance de véhicules sur l'axe rhodanien, on se demande pourquoi rien ne change.
Le prélèvement de 24 % sur votre chiffre d'affaires m'étonne : pourquoi ce prélèvement n'est-il pas effectué sur vos résultats ? Quelle en est l'explication historique ? Les autres producteurs d'électricité sont-ils logés à la même enseigne ?
Merci pour ces orientations. Dans l'Hérault, le canal du Rhône à Sète a été créé en 1960 par Philippe Lamour. Depuis 2012, le projet Aqua Domitia de la région Languedoc-Roussillon - Occitanie désormais -, assure l'irrigation des cultures viticoles dans un contexte de changement climatique : 4 500 hectares aujourd'hui, le double bientôt. À mesure que le projet se déploie, les demandes d'irrigation se multiplient. Nous pratiquons le goutte à goutte, je vous rassure, mais jusqu'où pourra-t-on aller dans le prélèvement de l'eau du Rhône ?
L'année 2016 a été particulière, car le débit du fleuve a diminué de 27 %. Il faudra à l'avenir trancher des conflits d'usage, et la ressource en eau potable est une priorité : l'agriculture sera-t-elle une variable d'ajustement ?
Merci, madame la présidente, pour votre présentation. Sénatrice de la Loire et conseillère régionale de la région Auvergne-Rhône-Alpes depuis quinze ans, je considère que la CNR fait partie du paysage. Vous avez bien dit la spécificité de sa gestion, son rapprochement avec les élus, son implication dans la réalisation de certains projets comme la via Rhona.
Le transport fluvial se heurte à des difficultés connues - entrée à Marseille, cul-de-sac final - mais on ne peut accepter que l'autoroute A7 reste surchargée quotidiennement de camions - une de ses voies y est quasiment consacrée - quand la partie canalisée est quasiment vide de péniches. Le développement fluvial est une absolue nécessité.
Vous avez lancé l'an dernier une opération de financement participatif sur un parc éolien en Ardèche : pouvez-vous nous en dresser le bilan ? Est-ce le type d'innovations que vous comptez apporter à la CNR ? Avez-vous des inquiétudes sur le renouvellement de la concession, dans la perspective de l'ouverture à la concurrence du marché de l'hydroélectricité ?
Vous avez en tout cas démontré la nécessité de préserver cet outil, tout en l'adaptant aux enjeux de demain.
Les politiques en France sont souvent paradoxales. Le Rhône, nous le savons, est une ressource précieuse, en termes de transport ou d'énergie, mais l'accumulation des normes nous empêche de l'exploiter. Comment peut-on améliorer l'entretien des berges et le dragage du fleuve - qui charrie beaucoup de matière ? Comment exploiter le bois qui transite par le Rhône ? Ne peut-on, pour faire de la variabilité des débits un avantage au lieu d'une contrainte, construire des réserves pour stocker l'eau en prévision des périodes de sécheresse ? Faisons preuve de bon sens et de pragmatisme.
Merci pour ce plaidoyer de grande qualité, madame la présidente. EDF et la CNR sont les grands concessionnaires d'hydroélectricité en France. Devant les 33,2 % de la Caisse des dépôts et consignations et les 16 % des collectivités territoriales, Engie est votre principal actionnaire, à 49,9 %. Discutez-vous avec l'État pour le privilégier, quel que soit le scénario de privatisation retenu ? Il ne faudrait pas déstabiliser l'édifice...
Le changement climatique fera diminuer la quantité d'eau de 40 % d'ici la fin du siècle, nous dit-on. Alors qu'il est nécessaire de diversifier les sources d'énergie, peut-on imaginer un incubateur avec EDF, Engie et la CNR ? Cette année était certes moins sèche que les précédentes, mais prenons garde : le changement climatique, observé sur longue période, est une tendance de fond. Comment anticiper ?
Merci, madame la présidente, pour votre exposé. Quelles relations la CNR entretient-elle avec la Compagnie du Bas-Rhône Languedoc ? L'idée de Philippe Lamour, soutenue par certains et combattue par d'autres, était initialement de faire courir un aqueduc le long de la Méditerranée pour fournir de l'eau potable jusqu'à Barcelone. Les Catalans, entre-temps, se sont tournés vers l'Èbre pour irriguer la plaine de Lérida. Alors que nous fêtons les 50 ans de la mission Racine, cela reste pour nous un enjeu important sur le plan touristique.
L'eau est devenue un élément d'animation dans les villes. Nombre d'entre elles, après y avoir déversé leurs déchets, se tournent à présent vers leur fleuve pour le réhabiliter - la Têt, ainsi, dans les Pyrénées-Orientales. Mais souvent, les canaux des fleuves côtiers ont été cimentés, ce qui conduit l'eau à la mer beaucoup plus vite. Comment retenir cette eau, pour l'utiliser dans l'agriculture ou la rendre potable ?
Merci pour toutes ces questions. Le changement climatique n'a pas lieu que dans les pays lointains, il se produit aussi chez nous, et vos questions témoignent que le problème est désormais bien appréhendé.
Je ne suis pas la mieux placée pour répondre sur l'actionnariat du groupe. L'hypothèse d'une vente de la part d'Engie est évoquée depuis que j'ai pris mes fonctions ; j'ignore si la rumeur est fondée. J'ai en tout cas l'absolue conviction que ce modèle d'actionnariat légèrement plus privé que public est un bon modèle. La loi Murcef le protège. Nous avons besoin de cet équilibre entre l'intérêt général, les territoires et la vision industrielle. N'en faire qu'un outil d'aménagement du territoire serait dangereux ; une industrie a besoin d'investissements appropriés et d'être connectée aux marchés européens. Nous avons beaucoup de contacts avec Engie ; la politique d'achat, d'assurance, les audits qu'elle nous apporte nous sont indispensables. Je rêve, pour tout dire, que rien ne change. Il faudra en tout cas un industriel, des collectivités et un représentant de l'État forts au capital.
Je serai brève sur la prolongation de la concession. Je remercie tous les élus qui ont soutenu la démarche lors du vote de la loi et à présent que le dossier doit être envoyé à Bruxelles. Reste à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne à confirmer - car elle l'a déjà dit - qu'il n'y a pas là d'aide d'État puisque la redevance est maintenue. Nous sommes en effet, curieusement, les seuls à payer cette redevance instituée en 2003. Elle garantit qu'il n'y a pas d'enrichissement sans cause de la part de la CNR. Nous avons simplement négocié avec l'État un équilibre entre le montant de la redevance et les travaux à réaliser. Il n'y a donc pas de prolongation pour cause de travaux : il y a prolongation avec redevance, qui est pour partie transformée en travaux sur le Rhône.
La loi prévoit la prolongation de la concession contre investissement ?
L'amendement déposé par le Gouvernement prévoit qu'une concession peut être prolongée si elle n'a pas bénéficié de la même durée que les autres concessions ; la CNR, avec 59 ans de durée d'exploitation, est loin de la durée moyenne de 75 ans.
Si, mais la prolongation n'est pas une prolongation pour cause de travaux ; elle se fonde sur une autre base juridique mais s'accompagne de travaux.
Je suis convaincue que l'agriculture ne peut être la variable d'ajustement. Il faut voir les choses de façon globale. Il est primordial que chaque acteur qui vit autour du Rhône comprenne que l'eau devenant plus rare, nous devons apprendre à la gérer au mieux ; dire cela ne vise pas prioritairement les agriculteurs. Outre les prélèvements, nous travaillons sur les moyens de faire des économies - goutte à goutte, méthodes de prélèvement... - ainsi qu'avec le Syndicat mixte d'hydraulique agricole (Smar) sur la mise à profit de notre expertise en matière de prévision météorologique et le stockage de l'eau pour l'utiliser au bon moment. Nous travaillons aussi avec les chambres d'agriculture, l'institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture et l'institut supérieur d'agriculture Rhône-Alpes.
La navigation est en effet un sujet essentiel. Ne soyons pas sectaires, ayons une vue globale du report modal. Lorsque les navires arrivent à Fos, il faut organiser le rail, la route et le fleuve pour offrir les bonnes solutions. Nous devrions fixer l'objectif de 20 % de report fluvial ; aujourd'hui, seuls 6 % des containers qui arrivent à Fos transitent par voie fluviale, alors que nous pourrions en avoir 30 % sans un euro d'investissement ! La présence d'une barge à quai limitant la vitesse de déchargement des navires, les barges sont souvent sommées de partir à moitié vides. Outre les conditions de report modal, il faudrait clarifier la répartition des taxes : le fluvial est quasiment le seul mode à payer une taxe complémentaire.
Notre ingénierie est en effet une vraie force pour la France. Nous avons été la seule entreprise française à travailler sur le triplement des écluses du canal de Panama. Celui-ci est en fait un immense lac artificiel, confronté à des problèmes d'eau douce et de changement climatique. Le système gravitaire que nous avons conçu a valu à la CNR le premier prix d'ingénierie. Nous travaillons également à aménager le couloir de navigation du fleuve Rouge entre Hanoï et la mer de Chine, nous faisons bénéficier le gouvernement du Laos de notre expérience en matière de transport sédimentaire et de circulation des poissons dans le Mékong, nous allons travailler en Birmanie... Nos ingénieurs ne sont pas les seuls à exploiter ces marchés de niche : nous envoyons souvent des exploitants sur place, pour réfléchir à l'amélioration de nos systèmes.
Berges, dragage et bois flotté font partie de nos missions. Nous expérimentons l'entretien des berges par des moyens non mécaniques - moutons, boeufs et ânes -, étudions leur efficacité respective et leur impact sur la biodiversité. Nous avons lancé un important programme tout le long du Rhône sur les abeilles, qui reflètent la qualité de notre espace naturel. Le bois flotté est vendu à une entreprise qui le valorise en chaufferie. Le dragage consomme un budget important, car nous sommes responsables de la sécurité de la navigation.
Nous commençons seulement à travailler sur le sujet passionnant du stockage de l'eau. Il ne doit pas être dissocié du problème d'économie d'eau. Les études s'accordent pour montrer qu'il y aura moins d'eau dans le Rhône d'ici la fin du siècle ; les désaccords ne portent que sur l'ampleur du phénomène : y aura-t-il 10 % ou 40 % d'eau en moins ? Ce n'est pas en retenant l'eau que nous résoudrons le problème posé par le changement climatique, mais en apprenant à mieux utiliser l'eau. Gestionnaire intégré d'un fleuve, la CNR a une responsabilité considérable en la matière, et ne saurait dissocier les sujets les uns des autres.
Nous avons lancé un financement participatif pour un parc d'éoliennes en Ardèche, non pour déminer les oppositions, mais parce que je suis convaincue que la décentralisation des énergies renouvelables sur notre territoire passe par leur appropriation par les consommateurs, ce qui suppose de leur donner accès à ce que nous faisons. Les outils de production fermés - nucléaire, gaz, charbon -, ont fait oublier à nos concitoyens que l'énergie se fabrique ! Ces outils sont désormais accessibles au public, et leur financement participe de leur appropriation par celui-ci. Surpris de boucler notre premier financement participatif en trois jours, nous avons dû en lancer un second pour satisfaire les déçus. Nous réitérerons l'opération autant de fois que nécessaire.
Merci, madame la présidente, pour les réponses que vous avez apportées à toutes nos questions.
La réunion est close à 12 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.