Intervention de Laurent Lafon

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 20 juin 2018 à 9h10
Projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel — Examen du rapport pour avis

Photo de Laurent LafonLaurent Lafon, rapporteur pour avis :

Le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, adopté hier par l'Assemblée nationale, comporte trois titres, portant respectivement sur la formation professionnelle, l'assurance chômage et sur diverses dispositions en matière d'emploi, telles que l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, la lutte contre le travail illégal, etc.

Le titre Ier opère une réforme profonde de l'organisation de la formation professionnelle continue et de l'apprentissage. Si l'apprentissage relève à titre principal de la commission des affaires sociales, au titre de sa compétence en matière de formation professionnelle initiale, dont l'apprentissage est l'une des modalités, notre commission s'est saisie pour avis des dispositions relatives à l'orientation et d'une partie de celles qui concernent l'apprentissage : l'article 8 bis, les articles 10 à 11 bis, les articles 14 bis et 14 ter ainsi que sur certaines dispositions de l'article 17 relatives à la taxe d'apprentissage.

L'apprentissage a connu un développement continu entre le début des années quatre-vingt-dix jusqu'en 2008. Depuis lors, les effectifs d'apprentis stagnent, même si cela masque deux évolutions profondes : le nombre d'apprentis dans l'enseignement supérieur est en augmentation constante, tandis que les effectifs d'apprentis préparant des diplômes de niveau IV et V, correspondant au baccalauréat professionnel et au CAP, diminuent. Cela est d'autant plus regrettable que c'est pour les publics les moins qualifiés que la plus-value de l'apprentissage en matière d'insertion professionnelle est reconnue.

Les freins au développement de l'apprentissage sont divers : recul de l'emploi dans certains secteurs traditionnels de l'apprentissage à l'instar du bâtiment, de l'hôtellerie-restauration, de la coiffure-esthétique ou des métiers de bouche ; diminution de l'âge des candidats, sous l'effet de la baisse du taux de redoublement et du bac pro en trois ans ; image ambivalente au sein du système éducatif et auprès des familles ; organisation et financement complexes, peu lisibles et propices à une concurrence entre les différents acteurs.

Pour y remédier, le projet de loi engage une réforme profonde de l'apprentissage, en faisant le pari de donner le premier rôle aux entreprises, par l'intermédiaire des branches professionnelles. Afin de dynamiser l'offre de formation, le projet de loi prévoit l'allégement des formalités d'ouverture des centres de formation d'apprentis (CFA), en particulier par la suppression du contrôle a priori exercé par les régions. Leur financement se fera selon un mécanisme de « financement au contrat », la prise en charge étant effectuée par les opérateurs de compétence, qui remplaceront les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA), selon un barème déterminé avec les branches professionnelles. Le régime du contrat d'apprentissage est simplifié, en particulier s'agissant des règles relatives à sa rupture et au temps de travail de l'apprenti, qui seront plus conformes à la réalité de la vie des entreprises. Les aides en faveur de l'apprentissage sont fusionnées dans une aide unique, tournée vers les PME et TPE pour l'embauche d'apprentis de niveau bac ou pré-bac. Le financement est revu, même si la taxe d'apprentissage subsiste. Enfin, la gouvernance évolue : si elles perdent l'essentiel de leurs compétences en matière de régulation de l'offre de formation et de financement, les régions pourront compléter les financements de droit commun des CFA au regard de la politique régionale en matière d'aménagement du territoire et de développement économique.

S'agissant des dispositions relatives à l'orientation scolaire, l'article 8 bis remplace le dispositif d'initiation aux métiers en alternance (DIMA) et les classes de troisième « prépa-pro » par une classe de troisième dite « prépa-métiers ». Implantées en collège et en lycée professionnel, ces classes auront pour objet de préparer les élèves à l'entrée en apprentissage et dans l'enseignement professionnel, tout en assurant leur maîtrise des fondamentaux et du savoir-être.

Par ailleurs, l'article 10 confie aux régions la responsabilité de l'information sur les formations et les métiers des publics scolaires. Le service public régional de l'orientation (SPRO), créé en 2014, s'arrêtait au seuil des établissements scolaires. Les régions pourront désormais organiser des actions d'information dans les établissements scolaires et universitaires en direction des élèves et de leurs familles et avec le concours des psychologues de l'éducation nationale (PsyEN) et des enseignants. À cet effet, il prévoit le transfert aux régions d'une partie des personnels des délégations régionales de l'ONISEP, et, à titre expérimental, d'agents de l'État des centres d'information et d'orientation (CIO). Enfin, l'article 10 quater prévoit la remise au Parlement d'un rapport sur l'avenir des CIO.

En matière de formation professionnelle initiale en apprentissage, l'article 10 bis confère une reconnaissance législative aux campus des métiers et des qualifications. En outre, l'article 11, qui rénove le régime juridique des CFA, prévoit notamment les modalités de publication des taux de réussite, de poursuite d'études et d'insertion des lycées professionnels et des CFA. Les députés ont rétabli la possibilité, supprimée par inadvertance, qu'ont les lycées professionnels de créer des unités de formation d'apprentis. L'article 11 bis A reconnaît les écoles de production et les rend éligibles au solde de la taxe d'apprentissage qui correspond au « hors quota » actuel. Les articles 11 bis et 14 ter permettent la création, par les établissements publics d'enseignement supérieur, de filiales de droit privé aux fins de développer leur offre de formation continue et en apprentissage, ainsi que pour les formations de courte durée ou ne débouchant pas sur la délivrance d'un diplôme conférant un grade. L'article 17 porte sur les contributions finançant l'apprentissage : les députés ont rétabli un dispositif ressemblant peu ou prou au « hors quota » actuel de la taxe d'apprentissage, qui a pour finalité de financer les formations professionnelles de l'enseignement secondaire et supérieur hors apprentissage. Il s'agit de dépenses libératoires versées par les entreprises aux différents établissements, qui représentent aujourd'hui 23 % du produit de la taxe. Avec la rédaction actuelle, cette fraction est plafonnée à 13 %, ce qui correspond grosso modo à la part effectivement reçue par les établissements du secondaire et du supérieur. Les députés ont toutefois élargi la liste des bénéficiaires de ce qui remplace le « hors quota ». Nous devons être très vigilants, car il s'agit d'une ressource précieuse pour un grand nombre d'établissements, lycées professionnels comme écoles de commerce ou d'ingénieurs, qu'il conviendrait de ne pas déstabiliser.

Enfin, l'article 10 ter demande un rapport sur les politiques régionales de lutte contre l'illettrisme et l'article 14 bis prévoit la délivrance de certificats de compétences aux élèves handicapés n'ayant pas obtenu leur diplôme du fait de leur handicap - cela est d'ores et déjà pratiqué et relève d'ailleurs d'une circulaire en vigueur.

Afin d'améliorer les dispositions du texte, je vous proposerai un série d'amendements suivant quatre lignes directrices : favoriser l'accès de tous à une information et à un accompagnement de qualité en vue de leur orientation ; approfondir les liens entre l'éducation nationale et le monde économique et professionnel ; mieux préparer les jeunes à l'apprentissage et sécuriser leurs parcours et, enfin, préserver la dynamique de développement de l'apprentissage dans l'enseignement scolaire et supérieur.

Vous aurez reconnu, mes chers collègues, certaines des lignes de force du rapport de la mission d'information sur l'orientation scolaire, publié il y a deux ans, et dont un certain nombre d'entre vous ici étaient membres. À cet égard, je souhaite féliciter son rapporteur, notre collègue Guy-Dominique Kennel, pour la qualité de son travail. J'ai essayé de traduire certaines de ses recommandations en actes, considérant qu'il était temps de récolter les fruits de sa réflexion.

Dans son rapport, notre collègue dressait le constat d'un « paysage touffu et complexe » s'agissant du grand nombre d'intervenants différents en matière d'orientation. Il demandait, relayé en cela par la Cour des comptes, l'unification de ces réseaux, notamment par le transfert aux régions des CIO et du réseau information jeunesse. Je regrette que ce choix n'ait pas été retenu, même si je n'ignore pas les réticences existant de part et d'autre. En la matière, le texte ne constitue en somme qu'une demi-mesure : le transfert des délégations régionales de l'ONISEP (DRONISEP) et d'une partie de leurs personnels n'est qu'une réponse très partielle, essentiellement symbolique, à ce problème, qui demeurera. Si les règles de l'irrecevabilité financière nous empêchent de procéder nous-mêmes à ces transferts, certains des amendements que je vous propose visent néanmoins à accroître les prérogatives des régions en la matière.

Afin de favoriser l'accès de tous les élèves à une information de qualité et à la découverte des métiers, je vous proposerai, à l'article 10, de poser le principe de l'exercice en établissement des psychologues de l'éducation nationale, les ex-conseillers d'orientation-psychologues, afin de les positionner comme conseillers des chefs d'établissement et des équipes pédagogiques dans la mise en oeuvre de la politique d'orientation de l'établissement et d'accroître leur disponibilité pour les élèves. Je proposerai également d'étendre à la classe de quatrième la possibilité d'organiser des enseignements complémentaires de découverte du monde économique et professionnel et d'effectuer des périodes d'observation en milieu professionnel. Cela existe déjà dans l'enseignement agricole et je suggère d'y associer les CFA. À l'article 11, je vous proposerai un amendement visant à garantir que l'ensemble des formations professionnelles initiales publieront leurs résultats en termes de réussite, de parcours et d'insertion, quel que soit leur effectif.

En vue d'approfondir les liens entre l'école et l'entreprise, des liens essentiels pour assurer la pertinence et la qualité de la formation professionnelle, les amendements que je vous propose d'adopter tendent à permettre aux régions d'organiser des actions de formation sur les métiers et les formations en direction des enseignants, dans le cadre de leur formation continue, et à intégrer la connaissance des filières de formation, des métiers et du monde économique et professionnel dans la formation continue des enseignants, en permettant, dans ce cadre, une expérience de l'entreprise. Un amendement prévoit que la présidence du conseil d'administration des lycées professionnels et des lycées polyvalents sera exercée par un représentant du monde économique et professionnel.

Mieux préparer les jeunes à l'apprentissage est essentiel en vue de réduire le grand nombre de contrats rompus avant leur terme - un quart environ. Cette situation est souvent liée à l'absence de maîtrise par le jeune des savoir-être nécessaires à la vie professionnelle. C'est dans cet esprit que l'article 8 bis crée les classes de troisième dites « prépa-métiers ». L'amendement que je vous propose, s'agissant des enseignements complémentaires de découverte du monde économique et professionnel, va également dans ce sens. Je souhaite mettre l'accent sur l'importance que revêt la mixité des parcours, même si cette question ne relève pas de la loi, car cela permet de faciliter les transitions entre formation professionnelle sous statut scolaire et en apprentissage. La réforme du lycée professionnel, qui prévoit la préparation du baccalauréat professionnel selon un schéma « 1+2 », c'est-à-dire comportant une année de seconde sous statut scolaire et les classes de première et de terminale sous statut d'apprenti, va, me semble-t-il, dans le bon sens.

À mon sens, l'avenir de l'apprentissage doit être non pas traité à part, mais, au contraire, pleinement intégré dans les cursus de l'enseignement secondaire et supérieur. Ce serait d'ailleurs une erreur de penser que l'apprentissage n'a lieu qu'en CFA : les lycées professionnels accueillent près de 10 % des effectifs d'apprentis - soit 20 % environ des apprentis des formations pré-baccalauréat -, tandis que le nombre d'apprentis dans les établissements d'enseignement supérieur augmente d'année en année. Il faut se garder d'une vision concurrentielle, somme toute assez malthusienne et peu ambitieuse. Nous pouvons d'ailleurs nous réjouir que les réformes annoncées, en particulier celle du lycée professionnel, intègrent davantage l'apprentissage dans les parcours de formation. Certaines dispositions du projet de loi ont pu laisser penser le contraire.

Ainsi, dans sa rédaction initiale, l'article 11, qui rénove le régime juridique des CFA, supprimait la faculté des lycées professionnels de créer des unités de formation d'apprentissage. Cet oubli a été heureusement corrigé par les députés. De la même manière, l'article 17, qui avait été entièrement réécrit en commission par les députés, prévoyait l'extension aux formations en apprentissage de l'éligibilité au « hors quota », alors qu'elles bénéficient des 87 % restants du produit de la taxe d'apprentissage. Là encore, cela a été corrigé en séance publique, sur l'initiative du Gouvernement. Je vous proposerai néanmoins un amendement lié au plafonnement des montants pouvant être versés aux organismes agissant pour la promotion des formations professionnelles.

L'idée maîtresse est que si, comme l'a annoncé le Président de la République, l'argent de l'apprentissage doit aller à l'apprentissage, il ne s'agit pas de le faire en déstabilisant les établissements d'enseignement secondaire ou supérieur ; pour certains, le « hors quota » représente parfois jusqu'à 20 % de leurs recettes. Au contraire, l'apprentissage a besoin d'un environnement favorable, afin qu'il s'intègre dans l'ensemble des voies de la formation professionnelle, pour laquelle il a démontré toute sa pertinence.

Sous réserve de l'adoption des dix-sept amendements que je vous présenterai, je vous proposerai de donner un avis favorable à l'adoption des dispositions de ce projet de loi qui intéressent notre commission.

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